moralité» (Critique de la faculté de juger, § 58), signifiant précisément par là que le type de sentiment
que le beau* suscite a une certaine ressemblance avec la disposition à la moralité, notamment en
raison du désintéressement qui caractérise le plaisir esthétique*.
L'artiste peut-il vouloir le laid?
À mesure que l'artiste travaille la matière sensible pour en étendre les possibilités d'expression, il
arrive qu'il en vienne à rechercher le désordre des formes, le chaos, pour représenter des idées qui ne
sauraient être exprimées par une apparence harmonieuse. Hegel marque ainsi la différence entre ce
qu'il appelle l'art classique, et l'art romantique: tandis que le premier culmine dans la production d'une
beauté idéale, résultant de l'harmonie entre la forme sensible et l'idée qu'elle exprime, le second tend
à rechercher la signification au-delà des apparences. L'apparence chaotique, déchirée, devient elle-
même le signe qu'il faut aller chercher le sens au-delà de ce qui peut être représenté ou imaginé. On
retrouve ici la distinction faite par Kant entre le beau et le sublime.
Dans le sublime, l'imagination est confrontée avec sa propre limite, soit par la représentation de
l'immensité (pour Kant, le sublime «mathématique»), soit par celle d'une puissance écrasante (pour
Kant, le sublime «dynamique»): «la nature évoque surtout les idées du sublime par le spectacle du
chaos, des désordres les plus sauvages et de la dévastation, pourvu qu'elle y manifeste de la
grandeur et de la puissance». C'est la raison qui donne la mesure de ce que l'imagination ne peut se
représenter: la raison donne l'idée de l'immensité ou de la puissance qui échappent à l'imagination.
Dans le sublime, on fait ainsi l'épreuve de la supériorité de l'idée sur l'image, en même temps que l'on
découvre un moyen de faire apparaître la grandeur de l'idée en faisant violence à l'imagination.
On comprend alors que l'art puisse vouloir, par-delà le beau, le sublime qui se dégage de
l'informe, du difforme, évolution que Baudelaire exprime en affirmant, contre la convention plate de la
peinture réaliste d'un Horace Vernet que «le beau est toujours bizarre» (Exposition universelle de
1855). Dans le Salon de 1859, il précise: «Parce que le Beau est toujours étonnant, il serait absurde
de supposer que ce qui est étonnant est toujours beau». Plus encore, on peut alors voir dans la
recherche du beau en art un élément qui vise à en apaiser le dynamisme, l'intensité: le beau devient
alors, selon Adorno, le kitsch. Quand on qualifie «d'ouvrages d'art» des immeubles, des ponts, et
autres bâtiments, ce n'est pas tant le goût* que le savoir-faire technique des ingénieurs qui est visé.
Quand on va admirer une œuvre d'art au musée, le mot art renvoie alors à une autre dimension où le
savoir-faire et la technique sont relégués à l'arrière-plan, pour laisser la place à un plaisir qualifié
d'esthétique*. Le plaisir suscité par l'œuvre d'un artiste paraît bien d'un autre ordre que celui qu'on
peut ressentir devant les prouesses techniques ou devant l'habileté et l'ingéniosité d'un technicien.
(Source : Philosophie, Le manuel, Ellipses)
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