Le monde face au risque chinois
La chute est vertigineuse. En juillet, les actions chinoises ont enregistré leur plus forte baisse mensuelle depuis
août 2009, au coeur de la crise financière. L’indice de la Bourse de Shanghai a plongé de 15 %, malgré les interven-
tions répétées de l’État pour calmer les marchés. Et selon les économistes, la dégringolade pourrait se poursuivre en
août. Les Bourses de Shanghai et de Shenzhen ont terminé en recul de respectivement 1,1 % et 2,7 % lundi.
La déroute boursière n’est que l’un des symptômes du ralentissement économique de l’empire du Milieu. « Pékin
panique car les mesures prises jusqu’ici pour relancer la croissance ne fonctionnent plus », explique Patrick Artus, chef économiste
de Natixis. Officiellement, le PIB chinois a crû de 7,5 % au deuxième trimestre. Mais les experts jugent que la hausse
n’a guère dépassé 4 à 5 %. « Elle devrait se stabiliser autour de 5 % dans les années à venir, loin des 10 % d’avant crise », prévoit
Adam Slater, chez Oxford Economics. Pour les analystes de Natixis, elle tombera autour de 3 % lors de la prochaine
décennie.
Les raisons du ralentissement sont d’abord mécaniques. « La forte croissance du début de la décennie était liée à un effet de
rattrapage, qui joue beaucoup moins », explique Jean-Joseph Boillot, spécialiste de la Chine et conseiller au club CEPII.
Jusqu’ici tirée par les exportations et l’investissement, l’économie chinoise se dirige vers un autre modèle, plus équili-
bré, basé sur la consommation. Et cela, au moment où l’incroyable réservoir de main-d’oeuvre du pays, rattrapé par
le vieillissement démographique, s’épuise. Et où la hausse du salaire moyen (+11,6 % par an en terme réel ces dix
dernières années) érode la compétitivité à l’export. « Face à ces mutations majeures, le coup de frein chinois est inéluctable »,
concluent William de Vijlder et Christine Peltier, chez BNP Paribas.
Quelles seront les conséquences sur l’économie mondiale ? « Elles sont difficiles à appréhender, elles dépendront des conditions
qui accompagneront cet atterrissage », expliquent les deux économistes. Brutal et doublé d’une explosion de la bulle
d’endettement des entreprises, il mettrait un net coup de frein au commerce mondial, tandis que le retour des incerti-
tudes plomberait à nouveau l’investissement. S’il est au contraire progressif et piloté correctement, l’impact sera plus
doux.
Tous les pays ne seraient pas affectés de la même façon. Les plus pénalisés seraient sans doute les grands producteurs
de matières premières. Pour faire face au gigantisme de ses travaux d’infrastructures, Pékin a englouti, ces dernières
années, 51 % de la consommation mondiale de charbon, 50 % de celle de cuivre et 11 % de la demande mondiale de
pétrole. La baisse de ces importations affecterait en premier lieu le Brésil. Mais aussi l’Australie et les pays du Golfe.
Le pire des scénarios serait que le coup de frein chinois s’accompagne d’une remontée des taux américains. Celle-ci,
qui pourrait intervenir dès la fin de l’année, accélérerait le rapatriement des capitaux vers New York et Washington.
« En revanche, la baisse des cours des matières premières profiterait aux pays qui en consomment, à savoir la plupart des pays industriali-
sés », souligne M. Boillot.
Reste à savoir si cette baisse des prix compenserait la chute des exportations à destination de l’empire du Milieu. La
réponse est non pour les plus proches partenaires asiatiques de Pékin : Corée du Sud, Singapour et Nouvelle-Zélande,
dont les exportations en valeur vers la Chine pèsent respectivement 10,1 %, 16,7 % et 4 2 % de leur PIB. La zone
euro et les États-Unis seraient moins touchés : leurs exportations vers Pékin ne représentent que 1,5 % et 0,7 % du
PIB.
Selon l’Insee, un ralentissement de 3 points par an de la demande intérieure chinoise se traduirait par une perte de 0,1
point du PIB français, au maximum. L’impact serait comparable en Allemagne, même si la Chine est son troisième
marché d’exportation.
Si l’industrie chinoise tournera moins vite, la consommation, elle, devrait se maintenir, alimentée par la hausse des
salaires. Les groupes occidentaux misant sur la demande des ménages seraient donc moins pénalisés. « À condition que
l’État parvienne à soutenir sans heurt ni soubresaut la mutation de l’économie », nuance M. Slater. Par exemple, en continuant
de construire un filet de protection sociale, afin que les ménages privilégient la dépense à l’épargne.
Le ralentissement chinois modifiera aussi l’organisation internationale des chaînes de production. « Cela a commencé,
souligne Agatha Kratz, spécialiste de la Chine au think tank European Council on Foreign Relations. La hausse des
salaires a rendu les usines chinoises moins compétitives sur les produits à très basse valeur ajoutée. » Une partie des capacités de
production s’est relocalisée vers les pays à moindre coût. En 2010, 40 % des chaussures Nike étaient produites en
Chine, contre 13 % au Vietnam, selon Mme Kratz. En 2013, la part chinoise est tombée à 30 %, celle du Vietnam
grimpant à 42 %. Ce mouvement devrait se poursuivre. Et pourrait profiter à l’Europe centrale et de l’Est.
Dans le même temps, les usines chinoises, qui ne veulent plus être de simples maillons de la chaîne d’assemblage,
devraient poursuivre leur montée en gamme. Cela signifie-t-il que la Chine freinera ses investissements à l’étranger,
massifs ces dernières années ? Rien n’est moins sûr. Car si au départ, elle investissait hors de ses frontières pour
sécuriser ses approvisionnements en matières premières, elle le fait désormais pour implanter ses marques sur de
nouveaux marchés. Et diversifier ses placements, par exemple, en misant sur l’hôtellerie de luxe européenne. Autant
dire que les investisseurs de Shanghai n’ont pas fini de défiler à Paris.
Marie Charrel - Le Monde – 5 août 2015