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Christian Nace, « Colonisation, décolonisation ». JDI Romans/Isère, 16 nov. 2006 ; académie de Grenoble.
Résumé de la conférence
« Colonisation, décolonisation »
Par Christian NACE
JDI collège, Romans/Isère, 16 novembre 2006
Introduction
Après Vichy, la colonisation, semble être la nouvelle question d’histoire qui investit le débat public.
C’est un autre exemple de ce « passé qui ne passe pas ».
En 1990 le livre histoire de la France coloniale de Charles-Robert Ageron avertissait déjà qu’on
allait vivre une période de retour de ce qui avait été refoulé.
Est-ce véritablement un refoulement ? En fait de nombreux historiens affirment que l’histoire
coloniale a été confinée dans des cercles restreints. La classe politique a fait le choix de ne pas
ouvrir la « boîte à chagrins » selon le mot du général de Gaulle et de ne pas faire glisser les savoirs
universitaires vers la société. On est resté dans l’aveuglement, les stéréotypes et une histoire que la
société ne veut pas vraiment assumer. Il s’agit bien d’un refoulement, la société française a eu un
trou de mémoire, un trou de mémoire coloniale. Toutefois, si L’Ecole a peu ou prou reflété cet
état d’esprit, les programmes d’histoire tant au collège qu’au lycée n’omettent pas cette période.
En 5éme on étudie la colonisation de l ‘Amérique par les Espagnols et les Portugais, en 4ème c’est
l’expansion européenne au XIXème, et en 3ème on aborde les problèmes de la décolonisation. Au
lycée, les programmes nous font étudier la période coloniale dans les classes de premières sauf en
1ère S car on étudie le chapitre colonisation-décolonisation en terminale S ce qui permet de
fructueux appofondissements.
1 HISTOIRE ET MEMOIRE COLONIALES
Pour confirmer ce refus, on constate l’absence de musée, d’espace de savoir scientifiques
consacrés à l’histoire de la colonisation. En revanche les mémoriaux en tout genre édifiés ou en
projet permettent de donner une légitimité à toutes les nostalgies et les revendications victimaires.
Ils peuvent proposer une histoire partiale et partielle et ne pas donner la vision de l’autre partie
concernée par l’histoire coloniale. Ici la mémoire tronque l’histoire et peut flirter avec le
révisionnisme colonial.
Les mémoriaux sont souvent portés par des groupes minoritaires au sein de la société
française. Pourtant notre société est bien traversée par l’histoire coloniale. Selon Pascal Blanchard,
10 millions de Français sont concernés par cette histoire, dont 5 millions de Français uniquement
par la question algérienne.
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Mais les temps changent. En 2004, les historiens français et algériens rédigent un livre
commun pour évoquer la guerre d’Algérie 50 ans après ce qui montre la volonté de renouveler les
problématiques et de regarder l’histoire en face des deux côtés de la Méditerranée, c’est bien la fin
de l’amnésie.
Après 20 ans de quasi oubli durant les années 1980-2000 on assiste à l’émergence du devoir de
mémoire pour les héritiers de ce pan de l’histoire de la France face à l’outremer et un retour à une
guerre des mémoires entre les pros, les antis, les victimes de tous les bords…
La guerre d’Algérie cristallise tous ces affrontements. Le silence officiel des politiques s’est
interrompu en 1999, ce n’est qu’à cette date que les députés ont utilisé le mot « guerre » pour
désigner les « événements » d’Algérie. Après 25 ans d’impasse, d’oubli, les groupes de mémoire
s’affrontent, les antagonismes ressortent et s’affichent au grand jour.
4 groupes prennent position :
1 Les anciens combattants qui ont exigé de bénéficier du statut des grands aînés des guerres
précédentes.
2 Les Européens d’Algérie, les Pieds-noirs, ont réussi à faire élever des monuments
commémoratifs « à la mémoire des victimes de l’Algérie française », c’est-à-dire de l’OAS, à Nice,
à Toulon, dans les années 1980, à Perpignan, en 2003, à Marignane, encore, en 2005. Avec le vote
de la loi du 23 février 2005 dont l’article 1 stipule: « La Nation exprime sa reconnaissance aux
femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens
départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires
placés antérieurement sous la souveraineté française. » on voit comment des lobbys peuvent faire
une utilisation politique du passé pour obtenir des réparations matérielles et morales.
3 Troisième réveil de mémoire, celui des Harkis, au milieu des années 1980. Il a fallu qu’émerge
dans la génération de leurs enfants une élite qui revendique à son tour des réparations pour les
pertes et les humiliations subies par leurs pères.
Le président Chirac leur rend hommage le 25 septembre 2001.
4 Ce mouvement en a rencontré un autre, celui des Beurs, qui ont manifesté leur désir de
reconnaissance et cherché à redonner leur dignité à leurs parents, immigrés dans l’ancienne
métropole coloniale.
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Document 1 : schéma :
Ainsi, la quête mémorielle progresse en parallèle avec la quête d’identité face à l’uniformisation
des modes de vie, la mondialisation, les incertitudes de l’avenir. Cette quête est relayée par le
pouvoir politique. Depuis 15 ans le Parlement établit des lois mémorielles et s’empare de
l’histoire. Les revendications identitaires s’invitent donc à la table de la mémoire et du politique et
demandent des comptes : en février 2005, pour satisfaire certains lobbies et flatter un électorat le
Parlement franchit le Rubicond en proposant que les programmes scolaires se fassent le relais de
la bonne conscience coloniale
C’est la première fois, Vichy mis à part, qu’une loi républicaine impose aux professeurs ce qu’ils
doivent enseigner. L’indépendance de la discipline historique, qui remonte aux débuts de la IIIe
République, n’avait jamais été remise en cause. On connaît la suite avec le tollé général que cela
entraîne : L’APHG (Association des professeurs d’histoire-géographie) et l’inspection générale ont
aussi condamné la loi. La suppression de l’article 4 met fin à la crise mais la loi est maintenue
dans ses grandes lignes.
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Il reste que l’Ecole est confrontée elle aussi à la fin de l’amnésie sur la période coloniale et que les
problématiques nouvelles irriguent les manuels et les discours des professeurs.
2 TROIS APPROCHES FONDAMENTALES POUR ETUDIER LA COLONISATION
2.1 L’Europe et sa représentation des peuples
Les Européens pensent le monde en fonction de l’Europe : on distingue les espaces en fonction de
leur éloignement. Mais la distance devient distance-temps : plus on s’éloigne de l’Europe, plus
on s’enfonce à l’intérieur des continents, plus on recule dans le temps. Les sociétés sont perçues à
travers l’échelle du temps de l’Europe, une échelle en rapport avec le développement technique qui
se différencie considérablement au XIXème s avec la Révolution industrielle.
Les territoires proches, connus, fréquentés par les Européens depuis de nombreux siècles mais en
retard sont vus comme « notre Moyen-âge ». Prenons l’exemple du Maroc dont la société, les
paysages urbains, les modes de vie sont aujourd’hui encore « médiévalisés » à des fins touristiques.
Les peuples des territoires lointains sont aux assimilés à « notre préhistoire » : peuples sans Etat,
sans écriture, sans objet métallique. Les Aborigènes, Mélanésiens, Papous, Polynésiens, Indiens
d’Amazonie, Pygmées représentent dans l’imaginaire européen l’homme primitif, préhistorique.
Deux temporalités s’opposent bien et on n’ose imaginer les conséquences sur les populations de
la diffusion par l’école coloniale de telles représentations qui s’ancrent aussi chez les colons et
en Occident.
Après la classification des plantes et des espèces animales, la classification des hommes devient la
préoccupation des scientifiques. La théorie des races se met en place. (Voir illustrations classiques
des manuels scolaires sur les races humaines)
Le Français Gobineau publie en 1853 son Essai sur l'inégalité des races humaines qui
affirme que la race blanche est supérieure à toutes les autres, en qualité, en beauté etc. Charles
Darwin présente en 1859 la loi de la sélection naturelle qui sera utilisée pour justifier la
colonisation.
Une théorie pseudo-scientifique classe les types humains en races hiérarchisées affectant à
chacune des capacités et des qualités : c’est le racialisme. Le racisme est l'ensemble des attitudes
qui découlent de la pensée racialiste. Le XIXème s fixe ainsi le cadre théorique des rapports entre
les peuples à l’échelle mondiale. Il impose une vision verticalisée. Chaque peuple a sa place sur
une échelle de la civilisation, il est défini par son degré de similitude ou d’étrangeté face aux
Européens.
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L’Autre sera donc imaginé avant et découvert réellement après la rencontre. Une grande partie des
démarches des ethnologues et des anthropologues se trouvent ainsi biaisées.
Les sciences sociales se constituent et leur objet d’étude se déterminent en fonction des sociétés
étudiées. On réserve l’anthropologie et l’ethnologie à l’étude des peuples premiers (auparavant on
disait primitifs), et la sociologie étudiera les sociétés modernes. Les sciences sociales deviennent les
alliés de fait de la colonisation, elles justifient l’entreprise, donnent une assise théorique aux
politiques coloniales.
La classification des peuples justifie la mise en place d’une politique et d’une pratique.
Une politique : l'Europe est investie de la mission de civiliser le monde sur le mode
occidental et par conséquent de "le mettre en valeur" selon ses critères
La mission de développer les populations pour les tirer vers la modernité occidentale, sans égard ni
respect pour les coutumes des civilisations non-européennes l’idéologie du progrès suivie plus
tard par celle du développement s’impose.
C’est la fonction, le discours classique de la colonisation repris dans les livres de vulgarisation ou
popularisé dans les manuels scolaires dès l’école primaire. La IIIème République française forge les
âmes et les cœurs en faveur de l’entreprise coloniale source de prestige et de puissance.
Kipling, l’auteur du livre de la Jungle, évoque le fardeau de l’homme blanc chargé d’éduquer
l’humanité.
Dans les manuels scolaires, la IIIème République développe le mythe assimilationniste, notion
totalement utopique et irréalisable car comment assimiler techniquement et financièrement 70
millions de colonisés ?
Une pratique: l’extermination plus ou moins programmée car les peuples rencontrés sont
trop « sauvages donc inassimilables » et voués à une lente disparition sous les coups du
choc épidémiologique, des exactions des colons, de la modernité, de l’alcool. Certains
peuples sont au bord de l’extinction comme les habitants des îles Marquises qui passent de
60000 au XIXème s à 2000 vers 1920.
On rappellera la mémoire d’un génocide, celui des Herrero en Afrique australe et d’une
extermination complète, celle des Aborigènes de Tasmanie des couvertures infectées par la
variole sont distribuées aux populations et des chasses à l’homme régulières déciment les
Tasmaniens.
2.2 Comment nommer l’Autre, celui que l’Europe colonise ?
L’Autre devient dans un premier temps (autour du XVIIIème s) le « naturel ». Employer ce terme
pour désigner le colonisé c’est mettre en place une analyse déterministe fondée sur le
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