« L’inflation est injuste, la déflation dangereuse » - J. M. Keynes (La réforme monétaire – 1923) La théorie et l’histoire économiques permettent-elles de valider cette citation de Keynes ? Proposition de correction Introduction « En 2012, Paul Krugman écrivait que l’inflation était le moyen pour la zone euro de relancer son économie ne restaurant sa compétitivité à travers la baisse des salaires réels tout en réduisant le poids de sa dette. Ainsi, aujourd’hui, la priorité donnée en Europe à la lutte contre l’inflation pose des questions et est de plus en plus critiquée. Nous pouvons rapprocher cette situation de celle pendant laquelle Keynes a prononcé la phrase « L’inflation est injuste, la déflation dangereuse » dans la mesure où cette période est caractérisée aussi par la lutte contre l’inflation. En effet, après la première guerre mondiale qui a malmené le système monétaire fondé sur l’étalon-or à travers la création monétaire, Churchill met en place une politique déflationniste dans le but de retrouver la parité d’avant-guerre. Ce fut une réussite vis-à-vis de l’objectif mais un désastre pour la croissance économique anglaise avec une très forte hausse du chômage. Cette citation suppose donc qu’il est préférable de supporter l’inflation, malgré des effets négatifs, plutôt que la déflation. » « Ainsi dans quelle mesure peut-on opposer inflation et déflation ? Sont-ils deux phénomènes économiques si distincts ? Ne peut-il y avoir aussi des gagnants et des perdants à la déflation ? Tout comme une certaine dangerosité à l’inflation ? Si tel est le cas est-ce l’inflation ou la déflation qui est le plus à craindre ? S’il est vrai que l’inflation peut avoir un impact négatif en termes de justice sociale et que la déflation apparaît bien comme un danger (I), l’inflation est aussi synonyme de coûts qui peuvent la rendre plus dangereuse que la déflation (II). Les deux phénomènes économiques présentent en fait tous les deux des coûts et des avantages si bien que leur dangerosité est liée à leur degré et au contexte dans lequel ils se développent (III). » A. « L’inflation est injuste, la déflation dangereuse », la citation de Keynes, écrite dans le contexte de l’après 1ère Guerre Mondiale apparaît vérifiée depuis. 1- La citation de Keynes s’inscrit dans un contexte particulier expérience de l’hyperinflation allemande mise en place des prémices de la politique déflationniste de W. Churchill en Angleterre réflexions de Keynes sur le lien entre monnaie et économie (1923 – La réforme monétaire où Keynes a encore des influences quantitativistes dans sa pensée) 2- L’inflation génère des effets redistributifs majeurs capacité des agents à indexer leurs revenus nominaux sur l’inflation est déterminante pour la dynamique de leurs revenus réels (renvoie à un pouvoir de marché, à des rapports de force sociaux mais également à des dispositions institutionnelles) impact de l’inflation en termes de redistribution renvoie également à la position créditrice ou débitrice des agents économiques ces effets peuvent générer des injustices sociales (cf appauvrissement des rentiers allemands aux lendemains de la 1ère GM) 3- La déflation représente un risque majeur sur l’économie au delà de la variation négative des prix (inflation négative), la déflation renvoie à une contraction en valeur de l’activité économique. En elle-même elle manifeste donc l’existence de difficultés économiques majeures le risque majeur lié à la déflation renvoie aux enchainements déflationnistes (retournement des anticipations, déflation par la dette – I. Fisher , 1933) 20ème siècle apparaît marqué par la volonté d’éviter les enchainements déflationnistes dangereux politiquement et économiquement des années 30. L’affirmation de la croissance des trente glorieuses, l’absence de logiques déflationnistes à partir des années 70 peut être lié, au moins partiellement à cette volonté, ce qui conduit à réexaminer les caractéristiques des deux déséquilibres B. L’émergence de nouvelles visions à propos de l’inflation et de la déflation amène à s’interroger sur la pertinence de la réflexion de Keynes 1- La déflation n’apparaît pas uniquement comme un processus dangereux identification de 3 types de déflation : good, bad et ugly (Bordo – 2005) on peut souligner que certaines logiques déflationnistes renvoient à un processus positif lié à la dynamique de la productivité, à l’extension des marchés et de la concurrence et qu’elles manifestent l’entrée dans une logique de croissance (fin du 19ème siècle, Grande Modération sous certains points de vue) déflation peut permettre de faire jouer des effets d’encaisses réelles (Pigou) glissement dans un dépression « ugly » peut être lié à des erreurs de politiques (années 30) 2- L’inflation, au delà de l’injustice, a un effet ambivalent sur la croissance inflation modérée peut apparaître positive en termes de croissance (soutien à la dynamique de consommation, facilitation de l’endettement – effet levier -, atténuation des conflits sociaux autour de la répartition des revenus mais l’inflation est un processus qui peut se développer de manière auto entretenue avec une tendance à l’accélération une inflation excessive peut pénaliser l’activité économique (impact sur les anticipations, sur les prix relatifs, phénomènes d’illusion monétaire – M. Friedman, question de la compétitivité externe) le jugement porté sur la nature de la déflation et de l’inflation doit donc être complexifié par rapport à la citation de Keynes C. Les débats sur l’arbitrage inflation – déflation 1- L’émergence de l’idée de réglage de la conjoncture par les gouvernements conception dominante du 19ème siècle et du début du 20ème siècle insiste sur le jeu des régulations naturelles, voire sur la mise en œuvre de politiques de déflation pour purger les déséquilibres évolution de la pensée avec Keynes : « Des deux maux, la déflation, si l'on excepte l'émission folle de papier-monnaie, telle qu'elle s'est produite en Allemagne, est sans doute le pire. Il est pire en effet, dans un monde appauvri, de causer du chômage que de duper les rentiers. » émergence d’une double logique : nécessité d’un soutien à l’activité pour éviter la déflation (cf. années 30), possibilité d’un « trade off » (arbitrage) entre inflation et chômage (Courbe de Phillips amendée par Samuelson et Solow) 2- Les effets négatifs de l’inflation, liés aux excès des politiques conjoncturelles keynésiennes renversement progressif des priorités : montée de l’inflation dans les années 60, vagues inflationnistes des années 70 amènent à reconsidérer les couts de l’inflation et considérer qu’ils freinent la croissance. De plus l’inflation est analysée comme le résultat indésiré de politiques de soutien à l’activité nécessaire retournement des priorités avec la mise en avant de la stabilité des prix comme condition d’une croissance saine (monétarisme, politiques de règles) 3- Le retournement des termes du débat suite à la crise des subprime réapparition de risques déflationnistes (Japon – années 90, zone euro depuis 2011) amène à repenser les politiques conjoncturelles retour de l’idée keynésienne autour des craintes liées à la déflation mais avec une modification des outils politiques disponibles (limites de la politique budgétaire, politiques monétaires non conventionnelles) dans un contexte de fort endettement mondial