Le rôle de la planification dans la régulation économique à l’Ouest : les cas français et japonais. Première petite remarque : le Japon n’étant pas très à l’Ouest, on va traduire le titre comme « dans le modèle économique occidental ». Deuxième remarque : si le sujet ne porte que sur un des deux cas, pas de panique, vous vous contentez d’enlever les références explicites à l’autre et ça marche… Troisième remarque : la France et le Japon sont les pays qui ont connu les plus forts taux de croissance durant les décennies suivant la guerre, mais aussi ceux où le rôle de la planification a été le plus affirmé. Cette croissance exceptionnelle peut-elle être attribuée, au moins en partie, à l’importance de la planification dans les économies française et nippone ? 1. La planification, aide à la reconstruction En 1945, la France et plus encore le Japon (deux bombes atomiques) sont exsangues, les infrastructures sont détruites et l’économie bouleversée. En même temps que désastreux à court terme pour l’économie (les tickets de rationnement ne disparaissent en France qu’en 1948), ce contexte est propice à l’établissement d’une politique industrielle active, qui va se traduire entre autres par la mise en place d’une planification qui permettra à la reconstruction d’éviter l’anarchie et d’atteindre un maximum d’efficacité. Dans les deux cas, cette reconstruction n’est rendue possible que par l’aide américaine : dans le cadre du plan Marshall pour la France, dans celui de l’occupation américaine qui se prolonge jusqu’en 1956 pour le Japon. Cette aide n’est pas que financière : elle se manifeste également par des ventes de matières premières qui permettent de pallier quelque peu les pénuries, et des transferts de technologies. La planification permet de tenir compte de ces aides avant même de les avoir reçues et de faire porter l’effort de la politique industrielle sur telle branche plutôt qu’une autre (pour le MITI, rétabli en 1949, on parle de « politique de ciblage »). En l’occurrence, on privilégie les « industries prioritaires », c’est-à-dire le secteur lourd : sidérurgie, énergie, extraction minière, sans négliger pour autant les biens de conso. La planification de reconstruction s’inscrit dans une logique keynésienne d’intervention de l’Etat, perçu comme seul capable de donner une nouvelle impulsion la croissance (on n’émerge pas seulement de la guerre, mais aussi de la crise des années 30, qui a durement touché la France, et plus encore le Japon). Un certain protectionnisme se maintient, surtout au Japon (droits de douane très élevés) ; les établissements financiers publics appliquent des taux extrêmement bas ; en France, les nationalisations massives qui ont suivi la guerre permettent d’appliquer directement les objectifs du Plan dans les GEN à titre d’exemple et d’entraînement. Le contrôle des changes favorise l’action du MITI. Les résultats sont bien réels : la France a une croissance de 16 % entre 47 et 52, les objectifs du Plan sont dépassés dans certains secteurs ; le Japon retrouve en 55 son PIB d’avant-guerre. 2. La planification accompagne la croissance Vers 1960, on considère que la croissance est bien ancrée. La planification, sans renoncer à ses objectifs quantitatifs, tente donc d’influencer davantage sa nature : cela se traduit par un certain catholicisme social en France et, au Japon, par la mise en place de ce que l’on a appelé le « consensus nippon ». En France, le plan favorise un partage plus équilibré des gains de productivité, la réduction des inégalités et vise au maintien du pouvoir d’achat (condition sine qua non du modèle fordiste) ; au Japon, le modèle de l’emploi à vie est valorisé. Cependant, ces politiques industrielles aux répercussions sociales influent à la hausse sur les coûts salariaux et l’inflation. Le plan se préoccupe donc également de réduire ces problèmes. La sous-évaluation du yen limite les effets de l’inflation, d’autant plus que le MITI protège le marché intérieur et les industries les plus faibles malgré une certaine ouverture qui va croissant. Le gouvernement joue sur les taux d’intérêt pour éviter les surchauffes, mais pendant les quelques phases de ralentissement, il allège les restrictions du crédit ; en 1965, il permet le boum Izanagi par une politique de grands travaux. En 1958, Antoine Pinay lance un plan de stabilisation de la monnaie et de sauvetage du franc, sous-évalué depuis 1951 qui permet de relancer la compétitivité et la reprise en 1961. La planification permet également de maintenir la croissance en insistant sur les industries porteuses, de pointe notamment en faisant beaucoup intervenir la prospective. Chaque décennie, le MITI publie une « vision » anticipant les grandes orientations des principaux secteurs industriels ; il aide au développement des industries à forte valeur ajoutée, tout en protégeant au maximum les industries dépassées par les nouvelles technologies (textile). Son rôle dans la collecte d’information est un des facteurs qui a permis au Japon de se maintenir à l’écart de la crise au début de celle-ci. Le plan français mise davantage sur une modernisation des infrastructures, une accentuation sur la recherche et un soutien accordé aux industries de haute technologie (cinquième plan qui vise à créer une industrie informatique en France). 3. La planification a-t-elle encore un rôle à jouer aujourd’hui ? Avec la crise, perçue comme une crise non seulement du modèle fordiste de régulation, mais encore de l’interventionnisme keynésien, la doctrine libérale et néolibérale (monétariste notamment) reprend une place prépondérante. La planification, non seulement d’inspiration keynésienne, mais encore associée au modèle soviétique (qui commence à connaître de graves difficultés économiques) est donc remise en cause théoriquement. C’est principalement à cette raison qu’est due la crise de la planification en France. Les partenaires commerciaux du Japon considéraient déjà les interventions de MITI comme de la concurrence déloyale en 1963. Sous leur pression, le Japon doit s’ouvrir et se libéraliser (cette évolution sera illustrée par l’endaka en 1987). La récession de 1991-1993 semble remettre sérieusement en cause le modèle japonais fondé sur une collaboration étroite de l’Etat et du secteur privé. De plus, une planification nationale à la française paraît perdre toute efficacité et tout réalisme dans un contexte d’internationalisation des économies, où des facteurs extérieurs au pays peuvent avoir un rôle déterminant. D’où la problématique d’une planification au niveau régional. Enfin, les chocs pétroliers perturbent sérieusement les plans ; après 1973, tous les PDEM s’enfoncent dans une phase de croissance lente et fluctuante, qui rend les prévisions sur lesquelles sont fondées la planification de plus en plus difficiles. Celle-ci doit donc se « recycler » et s’orienter vers des objectifs plus qualitatifs que qualitatifs ou se cantonner dans un rôle d’instance consultative (cas de la France) ; le Japon, quant à lui, privilégie un travail de fond sur les ressources humaines et l’emploi, ainsi qu’un soutien constant aux mutations technologiques nippones. De même que le commissariat au Plan a cessé de prévoir des plans biens définis mais conserve un poids déterminant, tant symboliquement que pratiquement, le MITI a disparu mais le Ministère de l’Economie et de l’Industrie (qui n’est pas celui des Finances !), qui l’a remplacé, semble devoir assumer une partie de ses fonctions, qui restent essentielles pour l’économie japonaise. Cependant la planification de l’après-guerre semble bel et bien enterrée ; les pays qui connaissent aujourd’hui les taux de croissance les plus élevés (les moins faibles ?) sont les pays anglo-saxons, opposés depuis 1945 à toute forme de planification (du moins dans les discours !).