Le MEDEF, ATTAC, le chômage et la planification

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Conjoncture et décisions
Le MEDEF, ATTAC, le chômage et la planification
Suggestion de débats
Mots clés : MEDEF , ATTAC, Jacques Freyssinet, investissement , Elie Cohen, planification, chômage, pétrole, croissance .
L'interview d'un expert sur la situation économique d’un pays à un moment
donné est souvent décevante car les propos exprimés, le sont soit en des
termes généraux, soit de manière mono-causal, c’est à dire en occultant ce qui
est considéré comme élément secondaire. Ceci résulte du fait que l’économie est
une chose complexe où règne en maître l’interdépendance entre un grand
nombre de variables. En outre, les convictions politiques et les présupposés
idéologiques des uns et des autres s'immiscent subrepticement dans le discours.
On comprend alors qu'il est difficile de décrire en quelques minutes ou
quelques lignes une situation sans en avoir préalablement défini la
terminologie et le périmètre. C’est une des raisons pour laquelle l’économie
passe mal auprès du grand public, et ce d’autant plus que sa diffusion se fait
par le biais de débats entre politiques dont la rigueur « scientifique » est loin
d'être l'objectif principal. Mais il vaut mieux découvrir notre domaine à
l'occasion de débats sans nuance que pas du tout. On sait que les Américains ont
l’habitude de dire de l’économie que c'est la " science des tristes". Nombre de
manuels d’économie, truffés d’équations mathématiques sont bien moins
vivants que l’émission Riposte de LA 5 à laquelle participent des experts
dans une ambiance émotive qui ne laisse guère place à la méthode.
Toutefois, dans la saine et sympathique pagaille de l’émission de Serge Moati
de bonnes questions arrivent quand même à émerger. Ainsi dans la dernière
émission de septembre, avec un représentant du MEDEF, avec l'économiste
Elie Cohen et quelques politiques, le téléspectateur a bien compris que si le
niveau des investissements effectués par les étrangers en France était
satisfaisant, les Français ne sont toujours pas assez présents à l’étranger ( dixit
le représentant du MEDEF ) et que se pose aussi la question des emplois à forte
valeur ajoutée des nouvelles technologiques dont la faiblesse inquiète Elie
Cohen. D'où la question, les patrons français sont-ils bien à la hauteur ? .
Leurs canines ne seraient-elles pas assez aiguisées pour croquer la viande rouge
des marchés émergents ? Si des étrangers investissent en France, c’est qu’ils
pensent pouvoir en retirer des bénéfices. La France serait-elle donc plus
attractive que ne le laissent penser les représentants du MEDEF. Ces derniers
se polarisent depuis des années sur le niveau des charges salariales mais restent
insensibles aux nouvelles technologies qui justement génèreraient des gains de
productivité du travail. Ne faudrait-il pas être plus exigeant à l’égard de nos
dirigeants en matière d’investissement productif, ou bien alors nos patrons
sont-ils des mous ?
Il n’est pas facile de traiter en une heure d'émission de tels sujets mais
il y a aussi et malheureusement des exceptions ; En 242 pages , dans « Le
développement a-t-il un avenir ? Pour une société économe et solidaire »
ATTAC ne réussit pas à exposer le système économique qu’elle propose pour
répondre aux problèmes d’environnement, de gaspillage et d’appauvrissement
liés à la société capitaliste actuelle. On y traite beaucoup de production, mais
pas un mot sur le processus de décision en matière d’investissement productif
des entreprises et encore moins en matière de consommation ! S’agit-il d’un
oubli ? Ou d’un camouflage du retour de la planification autoritaire, y compris
pour les consommateurs ? Peut être s’agit-il d’une troisième voie dont on
attend avec impatience la présentation.
Il est fort probable que le thème de la planification revienne à la mode dans
les années à venir et ce pour quatre raisons essentielles : Les contraintes liées
à la protection de l’environnement, la perception que le libéralisme n’a pas
réussit notamment dans les régions touchées par un chômage à 2 chiffres,
les futures élections européennes et enfin la perspective d’une nouvelle ( et
dernière ) crise du pétrole dont les experts nous disent aujourd’hui qu’elle
est plus proche que ce que l’on pensait. Cette dernière hypothèse se fonde
semble-t-il sur des analyses techniques beaucoup plus fiables que ne le furent
celles des années 70 au moment du premier choc pétrolier. On n'anticipait à
l’époque des réserves que pour 30 ans. Mais l’erreur est humaine et s’il faut
reparler de planification il y aura là aussi difficulté à organiser le débat. Une fois
de plus Serge Moati pourra s’arracher les cheveux. Car la notion de
planification n’est pas binaire. Entre le néolibéralisme le plus extrémiste et la
planification à la soviétique il y a toute une échelle sur laquelle chacun devrait
se positionner et préciser qui fait quoi, comment, avec quels moyens et quel
degré de liberté. Beau débat en perspective. Mais ce qui a changé par rapport à
l’époque soviétique c’est la complexité des produits et services qui sont
fabriqués et vendus. Si à l’époque il n’était pas trop difficile de planifier des
pommes de terre ou du charbon même sans ordinateur ( car Staline ne voulait
pas de cette technique provenant des USA) il serait complètement illusoire de
vouloir se lancer aujourd'hui dans une telle aventure même avec des ordinateurs
de la taille d’une ville. Il serait bon de rappeler que le système soviétique s’est
effondré non pas seulement pour des raisons politiques, de liberté individuelle,
etc, mais surtout parce que son fondement économique ne fonctionnait pas. S’il
a pu tenir pendant quelques décennies c’est grâce au marché noir qui jouait le
rôle d'une soupape avec son cortège de corruption, d’inégalité et de criminalité.
On n’en est plus là aujourd'hui, mais si l’on atteint le plafond de production du
pétrole et que son prix s’envole, faudra-il alors faire confiance au marché ou
bien envisager une intervention contraignante des états ?
En cette rentrée 2004, parait la nouvelle édition du livre « Le Chômage » de
Jacques Freyssinet ( La Découverte). Clair, complet et synthétique, cet ouvrage
devrait faire partie de la bibliothèque de tous ceux qui s’intéressent de près ou
de loin à l’économie. Une remarque cependant ; Elle concerne la relation entre
la croissance et l’emploi. Jacques Freyssinet précise à juste titre que « pour tous
les pays et pour toutes les périodes, il existe une corrélation positive forte entre
la production ( le produit intérieur brut au niveau national ) et l’emploi. ».
L’auteur affirme par ailleurs que « si le taux de chômage est globalement lié au
rythme de la croissance dans chaque pays, il est en revanche impossible d’établir
des corrélations stables entre le taux de chômage et les principales grandeurs
macroéconomiques ». Le paradoxe de ces deux relations tient au fait que « le
chômage n’est pas un solde résultant de la détermination séparée du niveau de
l’emploi et de celui de la production active. Emploi, chômage et inactivité sont
liés entre eux par un réseau d’interdépendances ». Voici donc des affirmations
qui pourraient alimenter les réflexions d’un débat sur la croissance actuelle de
l’économie américaine qui ne crée pas d’emploi. Nous suggérons un axe
complémentaire ; l’économie américaine n’a-t-elle pas accumulé ces
dernières années un potentiel de gain de productivité tel que la reprise de
l’emploi nécessiterait un taux de croissance bien plus fort ?
Bernard Biedermann
Octobre 04
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