Qu’est-ce que la dyscalculie ? En CE2, Julie continue à écrire les nombres quatre cent quatre-vingt treize " 4008013 ", se contentant de juxtaposer les différents nombres qu’elle entend. Cet exemple est l’une des manifestations possibles de la dyscalculie. Car ce terme désigne en fait une large panoplie de troubles différents, d’autant que les spécialistes eux-mêmes, orthophonistes ou neuropsychologues, ne s’accordent pas sur sa définition. Il existe donc plusieurs écoles sur le sujet : trouble limité à la fonction calculatrice pour les uns, allant jusqu’aux troubles du raisonnement logico-mathématiques pour les autres. " Il n’y a pas de consensus à l’heure actuelle sur la définition de la dyscalculie " , confirme Irène de Zotti, professeur de mathématiques et psychologue cognitiviste, pour qui il s’agit avant tout de difficultés dans l’apprentissage du nombre et des opérations. On peut la définir comme une association de troubles du calcul touchant différentes opérations mentales : Certains enfants explique-t-elle, ne parviennent pas à comprendre ce qu’est un nombre : incapable d’établir un lien entre le symbole et la quantité, il leur est impossible par conséquent de comparer deux valeurs, d’évaluer de petites quantités et de maîtriser le système numérique, compétence que l’on considère comme devant être acquise à la fin du CM2. Bien sur, ces difficultés peuvent se rencontrer chez tout enfant en phase d’apprentissage ; elles s’effacent au rythme des progrès et il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Chaque enfant à son propre style d’apprentissage ; il ne faut donc pas hésiter à recourir à différentes approches et proposer plusieurs formes d’explications. Ce qui distingue la dyscalculie, justement, c’est son caractère durable explique Irène de Zotti le trouble persiste dans le temps et subsiste malgré toutes les tentatives pédagogiques. Aucune forme d’enseignement, aucune méthode ne parvient à déclencher le déclic de la compréhension. Le travail du rééducateur consiste alors à fournir des stratégies pour comprendre ce trouble. Pour le groupe d’étude sur la psychopatologie des activités logico-mathématiques (Gepalm) et les praticiens formés par cet organisme, il existe d’autres formes de dyscalculie pouvant affecter le raisonnement, la logique, la résolution de problèmes ou la géométrie. Quelles que soit ses formes, la dyscalculie, peu étudiée scientifiquement jusqu’à présent, garde une grande part de ses mystères : ses causes notamment restent largement méconnues. Catherine Le Palud (Groupe d’étude sur la psychopathologie des activités logico-mathématiques) SIGNAUX D’ALERTE Au cours d’observations multiples dans des situations variées et concrètes, on constate que l’enfant : A du mal à abstraire : o Problème de codage/décodage o Ne donne pas de sens aux objets Ne fait pas de liens : o Sériations : suite ordonnée de nombres par exemple Rencontre des difficultés à opérer et à verbaliser ses actions Montre une persistance de ses difficultés dans la mise en place des structures logiques telles que les définit PIAGET (conservation des quantités, sériations, tris, classement, etc…) évaluées dans des situations réelles. ERREURS TYPES ÿ des erreurs de transcodages (372 ->" trois sept cent deux " ; huit mille deux cent dix-sept >82 017) ÿ des erreurs de faits arithmétiques (4 x 5 = 50 ; cinquante-six / par sept = six) ÿ des erreurs de compréhension des nombres arabes (34 601 < 9 678) ou des nombres verbaux (" trois cent mille six cent un " < " neuf mille six cent soixante-dix-huit ") ÿ des erreurs de production dans le transcodage en arabe à partir d’un nombre verbal oral (neuf mille neuf cent trente ->99 030) ou d’un nombre verbal écrit (" trois mille cinq cent deux ->30 502) ÿ des erreurs proprement lexicales (13 ->trente) QUELQUES RAPPELS THÉORIQUES L’ACQUISITION DU NOMBRE CHEZ L’ENFANT LES THÉORIES L’ouvrage de Jean Piaget met en exergue que " la construction du nombre est corrélative du développement de la logique ". D’une façon plus précise, Jean Piaget pensait que le nombre ne devenait chez le jeune enfant une notion opératoire que s’il était capable de percevoir la conservation de l’extension d’une collection, la sériation des longueurs et l’inclusion des classes. Le nombre apparaît ainsi comme une synthèse spécifique de la conservation, de la sériation et de l’inclusion. Il ne sera pas fait appel aux techniques de dénombrement, sinon de façon partielle, indirecte, le plus souvent pour en souligner les insuffisances. En fait pour J.Piaget, " la genèse du nombre n’est pas proprement numérique mais logicopratique, c’est-à-dire s’exprimant à travers des pratiques dont le critère est logique ". Il suffit alors de poser des questions du type : "Y a-t-il dans cette collection autant d’objets que dans cette autre ? ", " Y en a-t-il plus ou moins ? ". Et ce n’est que lorsque la conservation, les inclusions et les sériations seront liées et manipulées en une totalité opératoire que sera véritablement construit le nombre. QUELLE CONCEPTION POUR LA CONSTRUCTION DU NOMBRE AUJOURD’HUI ? L’évolution actuelle prend sa source dans les travaux des psychologues, des cognitivistes en particulier, et dans ceux des didactitiens des mathématiques. Leurs travaux tentent de dépasser les conceptions piagétiennes en particulier le synchronisme entre les trois compétences : conservation numérique, inclusion et sériation des longueurs. De plus, ils reprochent à Piaget de faire de la genèse du nombre un processus intérieur à l’enfant qui ne devrait rien à l’environnement socioculturel ou scolaire, et, en particulier, de nier l’influence du langage de l’adulte. Enfin les différents travaux ont permis d’affirmer qu’il faut mettre en œuvre des activités numériques en permettant aux élèves d’utiliser leur connaissance de la suite des nombres pour : - dénombrer des collections, - comparer des collections, - constituer des collections, - effectuer des partages. Nous voyons donc que la connaissance de la comptine numérique n’est pas négligée et devra être travaillée pour accéder au dénombrement. Ainsi, lorsqu’un élève qui a dénombré une collection arrive à un résultat erroné, il y a lieu d’observer attentivement la façon dont il mène le dénombrement de manière à identifier lequel (ou lesquels) de ces principes n’est pas maîtrisé. DE LA COMPTINE NUMERIQUE AU DENOMBREMENT : UNE TRANSITION DIFFICILE Selon Brissiaud, " pour accéder au dénombrement à partir du comptage numérotage, l’enfant doit accorder une double signification au dernier mot nombre prononcé … il vient un moment où le dernier mot-nombre prononcé permet effectivement à l’enfant de se représenter la quantité correspondante " Et c’est là la difficulté de l’enseignant : trouver un dispositif d’apprentissage qui permette à l’enfant de se représenter la quantité. Pour cela écrit Danielle Meunier " il importe de placer les enfants dans des situations où le dénombrement est une quantification utile à la résolution de problème ". Par Roger Bastien, Inspecteur de l’Education nationale Les revues pédagogiques de la Mission laïque française Activités mathématiques et scientifiques.