LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES AMÉRIQUES (*)

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XIe CONFÉRENCE INTERAMÉRICAINE DES
MINISTRES DU TRAVAIL
20 - 21 octobre 1998
Viña del Mar, Chili
OEA/Ser.K/XII.11.1
TRABAJO/doc.8/98
5 octobre 1998
Original: espagnol
LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES AMÉRIQUES (*)
La présente étude a été préparée par Mme Ana Sofía Cardenal, consultante de la Banque
interaméricaine de développement (BID)
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Les opinions exprimées ne sont pas nécessairement celles de l’OEA ni de ses États membres.
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CONDENSÉ
- En Amérique latine, divers facteurs expliquent que le dialogue social ne soit guère entré dans les
mœurs. Il y a notamment un paysage institutionnel peu adapté, caractérisé par l’intervention de l’État
dans les relations du travail, le légalisme et le centralisme dans les négociations, la faiblesse des
acteurs sociaux et l’instabilité politique et institutionnelle.
- À l’heure actuelle, la convergence de divers processus rend le dialogue social très nécessaire. La
démocratisation, la mise en œuvre de politiques d’ajustement, l’intégration économique et la
mondialisation, ainsi que les mutations dans la structure et l’organisation du travail appellent la
création de mécanismes qui permettent les initiatives de dialogue social et qui les inscrivent dans la
durée.
- Au fait que le dialogue social ne soit pas entré dans les mœurs se superpose une autre spécificité de
la région : la faiblesse des dispositifs formels de relations du travail. En général, il n’existe pas en
Amérique latine de relations ordonnées et permanentes entre les partenaires sociaux. Les organes
consultatifs, lorsqu’ils existent, sont le plus souvent peu dynamiques ou tombent en désuétude. La
négociation tripartite revêt un caractère épisodique et les accords sont souvent chargés de rhétorique,
d’où l’absence de résultats concrets.
- Néanmoins, il y a eu ces dernières années, quelques expériences importantes de concertation et de
dialogue social, nées des processus de démocratisation, qui méritent d’être soulignées. Les exemples
chilien, mexicain, dominicain, uruguayen et argentin illustrent tous des formes de concertation et de
dialogue social – parfois très importantes – qui coïncident avec la disponibilité des informations.
- Dans tous les pays, les mutations dans l’organisation de la production et du travail se répercutent
sur la structure traditionnelle des relations du travail et leurs acteurs. En Amérique latine, la
mondialisation et les processus d’intégration économique font également ressentir leurs effets encore
plus déstabilisateurs sur le dispositif des relations du travail en raison non seulement de la faiblesse
des structures formelles mais surtout à cause d’un autre facteur qui nuit à son efficacité : l’expansion
du secteur informel. En raison de cette expansion, une couche de plus en plus importante de la
population et de l’électorat (dans une proportion allant jusqu’à 50 %) n’est pas concernée par les
mécanismes de négociation formelle et n’en bénéficie pas.
- Jusqu’à présent, l’État, par ses diverses interventions dans le secteur informel, visait surtout à
supprimer les obstacles qui y entravent l’accès aux ressources et au marché. Cependant, pour traiter
avec succès les problèmes du secteur informel, il faut mettre en œuvre des politiques et des mesures
qui prévoient la participation directe de ces secteurs à la conception, à la réalisation et à l’évaluation
des programmes qui leur sont destinés. À cette fin, il faut adopter des mesures et des politiques qui
encouragent ces secteurs à s’organiser eux-mêmes et concevoir des mécanismes spécifiques de
dialogue et de négociation avec eux.
- Enfin, pour favoriser le dialogue social, il faut réunir les conditions suivantes : autonomie des
forces sociales, représentativité et coordination des organisations, recherche de formules ou de
modèles de relations du travail qui réduisent efficacement l’intervention de l’État et la centralisation
excessive des négociations, simplification de la législation, clarification des règles du jeu dans le
dialogue, création ou renforcement de mécanismes et d’agences de contrôle et souci des procédures.
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TOILE DE FOND
Lors de la Xe Conférence interaméricaine des ministres du Travail sur « l’emploi et l’intégration
économique », tenue à Buenos Aires du 1er au 3 octobre 1995, les ministres du Travail ont adopté la
Déclaration de Buenos Aires et un plan d’action, pour la mise en œuvre duquel quatre groupes de
travail ont été mis sur pied au niveau ministériel, chacun d’entre eux étant chargé d’une question
précise. La première réunion du Groupe de travail II sur « le dialogue social et la négociation
collective dans les Amériques » a eu lieu à Santafé de Bogota, du 30 septembre au 3 octobre 1996.
Cette réunion a permis de fixer les objectifs du groupe de travail et son programme et d’ébaucher
quelques conclusions et recommandations.
Les objectifs du groupe de travail, définis dans le Plan d’action de Buenos Aires, concernaient les
questions suivantes.
- Le dialogue social
Dans la société actuelle, la participation des acteurs sociaux, le dialogue social, le
tripartisme, l’accord et la concertation entre les agents de production constituent les mécanismes les
plus idoines pour assurer le caractère institutionnel du travail, éviter les confrontations et faire
bénéficier du développement toutes les catégories sociales. Il est essentiel de reconnaître « la
responsabilité commune » des syndicats, du patronat, du gouvernement et d’autres représentants de
la société civile dans le succès ou l’échec des politiques économiques, commerciales et relatives au
travail. Malgré ces obligations, qui sont la contrepartie de la participation, l’État garde la
responsabilité de prendre les décisions et de mener les actions qui visent au bien de tous.
- Les ministres du Travail
a)
Ils favoriseront le dialogue avec les salariés et les patrons sur des questions qui ont une
importance capitale en matière de travail : emploi, formation professionnelle, généralisation de la
négociation collective et adaptation des institutions qui représentent les salariés et les patronats aux
exigences de l’intégration économique et de la modernisation, et notamment à leurs répercussions
sociales. Les résultats de ce dialogue devront se traduire en accords qui seront communiqués aux
autres organismes gouvernementaux qui définissent des politiques.
b)
Les ministres créeront un groupe de travail chargé d’analyser les mécanismes permettant
d’intensifier le dialogue social dans les pays du continent américain. Dans un premier temps, ce
groupe de travail examinera les modalités qui existent dans la région à cette fin et qui pourront le
guider pour faire émerger les moyens les plus efficaces de réaliser la concertation sociale dans nos
pays.
S’agissant de son programme, le groupe a adopté la liste de questions ci-après.
Dialogue social
1.
Actualité et conceptualisation du dialogue social, le tripartisme et la concertation dans les
processus d’ouverture, de modernisation et de mondialisation de l’économie.
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2.
Aspects généraux des expériences et formules de dialogue social, de tripartisme et de
concertation dans les Amériques.
3.
Nouvelle mentalité dans les relations du travail sur laquelle reposeront le dialogue social, le
tripartisme et la concertation. Recensement des instruments et mécanismes pour les rendre efficaces
dans la région. Renforcement des acteurs sociaux.
Négociation collective
1.
Les nouvelles modalités et techniques de modernisation de la négociation collective. Leur
influence sur l’emploi.
2.
La négociation collective dans le contexte de l’ouverture, de la modernisation et de la
mondialisation de l’économie.
3.
La négociation collective et ses rapports avec le dialogue social, le tripartisme et la
concertation dans les Amériques.
PRÉSENTATION ET CONTENU
En vue de la XIe Conférence interaméricaine des ministres du travail, qui se tiendra à Santiago
(Chili) du 19 au 21 octobre, le présent rapport développe quelques questions inscrites à l’ordre du
jour par le Groupe de travail sur le dialogue social et la négociation collective lors de la réunion
tenue en Colombie. Il s’agit de présenter un document qui servira de base à la réflexion et au débat
sur la question du dialogue social. À cette fin, ce document :
analyse et revoit les expériences de dialogue social vécues dans la région en mettant l’accent
sur celles qui sont le résultat de recadrages ou de pactes relatifs aux grandes orientations qui
concernent la revalorisation des salaires, la structure des contrats collectifs et d’autres aspects du
fonctionnement du marché du travail ;
analyse les problèmes que pose pour l’action des ministères du Travail le secteur informel –
à savoir l’existence de marchés non réglementés qui occupent une fraction importante de la
population ;
-
et concrètement, formule une série de recommandations à la lumière de ces analyses.
DÉFINITION
Pour bien aborder la question du dialogue social, il convient d’abord d’apporter quelques précisions
concernant cette notion, afin d’en clarifier le sens et de s’entendre sur sa définition. Pour plus de
clarté, le présent rapport utilise le schéma conceptuel élaboré par l’OIT en la matière, et repris dans
le rapport du COSATE pour l’atelier sur le dialogue social et la négociation collective, qui a eu lieu
dans le cadre de la Conférence de Buenos Aires en mai 1996. Ce rapport précise que :
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- L’OIT utilise les concepts de coopération tripartite, de relation tripartite ou de tripartisme tout court
pour désigner tous les rapports entre les gouvernements, les patrons et les salariés qui concernent
l’élaboration ou la mise en œuvre de la politique économique et sociale.
- Le tripartisme peut se développer tant à l’échelle centrale ou nationale qu’aux niveaux inférieurs,
c’est-à-dire à l’échelon régional et local, ou exceptionnellement, concerner certaines branches ou
entreprises confrontées à de graves problèmes d’adaptation qui, pour être réglés, nécessitent l’aide
du Gouvernement. Le tripartisme existe aussi sur le plan international, tant mondial comme dans
l’enceinte de l’OIT que régional (par exemple au sein de l’Union européenne).
- En outre, le tripartisme peut revêtir un caractère consultatif (par exemple les Conseils économiques
et sociaux) ou encourager de véritables négociations, en visant à la conclusion d’accords ayant une
valeur contraignante pour les parties, sans toutefois constituer des conventions collectives au sens
juridique de ce terme (par exemple les Pactes économiques et sociaux).
- Il existe d’autres formes de tripartisme, comme celles qui ont une fonction juridictionnelle, ce qui
implique la présence d’un organisme mixte (patronal et syndical) et la prise de décisions au sein
d’organismes tripartites comme les conseils salariaux ou ceux qui administrent les dispositifs
d’assurance chômage.
- Bien que typiquement le tripartisme concerne les organismes officiels créés à cette fin, par voie
législative ou par accord entre les parties, ce concept recouvre, selon l’OIT, tous les contacts non
officiels qui impliquent des relations plus ou moins officieuses, établies de manière ponctuelle, étant
entendu que la concertation et la négociation par cette voie visent aussi à influencer les politiques
des pouvoirs publics.
- À la différence de ces concepts, l’OIT définit le terme « dialogue social » ou « concertation
tripartite » comme la recherche méthodique ou systématique d’un accord ou d’un consensus sur les
grands problèmes socio-économiques. Ce terme ne désigne pas pour autant une forme juridique
particulière de relations ou de coopération de nature tripartie, mais une qualité qui leur est propre. Il
ne fait pas obstacle aux moyens juridiques utilisés à cette fin.
- S’agissant de la relation entre ces concepts – dialogue social et concertation tripartite – et le
bipartisme et de l’extension à d’autres segments de la société civile organisée qui ne sont pas
strictement des salariés ou des patrons, l’OIT considère que :
- a) ces concepts ne recouvrent pas le bipartisme, c’est-à-dire que le bipartisme, même lorsque le
gouvernement participe à titre d’« interlocuteur invisible » ne peut pas être considéré comme une
forme de dialogue social ;
- b) en revanche, la participation d’autres catégories de travailleurs, ainsi que d’autres catégories
sociales s’inscrit dans le dialogue social et le tripartisme, même lorsqu’elle modifie la configuration
triangulaire primitive. Il s’agit là de la confirmation du principe selon lequel toutes les catégories
sociales susceptibles d’être concernées par les décisions en matière de politique économique et
sociale devraient être associés aux processus décisionnels.
Pour conclure, on peut dire que généralement les formes de consultation et de négociation tripartites
peuvent s’inscrire dans le dialogue social, mais que ce concept admet des contacts et des relations de
nature plus flexible, qui ne sont pas fixés sur le plan juridique, et qui, de préférence prévoient : a) de
vastes sujets de discussion, qui peuvent inclure les grandes questions économiques et sociales du
pays ; b) la participation de diverses catégories de travailleurs et de catégories sociales plus vastes.
LE DIALOGUE SOCIAL EN AMÉRIQUE LATINE
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En Amérique latine, on peut dire que le dialogue social n’est pas entré dans les mœurs, pour diverses
raisons :
- D’abord, par tradition l’État intervient dans les relations du travail. Cette intervention, et son
corollaire, le centralisme du pouvoir réglementaire, se sont exprimés à deux niveaux : sur le plan
individuel, par la protection que l’État a apportée directement aux travailleurs en légiférant, et sur le
plan collectif, par le contrôle qu’il a exercé sur les relations industrielles et les relations du travail
(en plus d’établir un cadre réglementaire général, l’État a cherché à déterminer le mode de
fonctionnement des syndicats, le niveau des salaires et les mécanismes de règlement des différends).
- Ensuite, il découle de ce fait que les acteurs sociaux et les organisations traditionnelles – syndicats
et patronat – se sont caractérisés par leur faible autonomie et leur faiblesse, ce qui n’a pas facilité
non plus le dialogue social.
- Enfin, l’autoritarisme qu’a connu la région dans les années soixante et soixante-dix n’a pas
contribué non plus à faire naître des conditions favorables au dialogue social et à la concertation. Cet
autoritarisme a fait reculer le régime des libertés publiques et a représenté un immense échec pour
les organisations syndicales, qui se sont trouvées très affaiblies parce qu’elles étaient interdites ou
parce que la répression frappait leurs adhérents.
- Malgré le fait que les dispositifs formels de relations du travail en Amérique latine ne soient pas
entrés dans les mœurs et qu’ils aient cquis peu d’importance, divers processus contribuent à l’heure
actuelle à rendre le dialogue social très nécessaire, ce qui incite à créer les mécanismes qui le
favoriseront. Parmi ces processus, il y a notamment :
- La démocratisation, parce qu’elle a entraîné une explosion de la société civile et la multiplication
des demandes faites à l’État. Le retour à la démocratie a eu pour effet d’ouvrir une boîte de Pandore,
ce qui s’explique non seulement par le rétablissement des libertés, principalement de la liberté
d’expression et d’association, mais aussi par une réaction aux tensions qui s’étaient accumulées tout
au long des régimes répressifs.
- Les politiques d’ajustement entraînent également la nécessité de trouver des mécanismes favorisant
le dialogue et le consensus entre les forces sociales, précisément parce qu’elles ont un coût social
important pour une majorité de catégories sociales. Dans le contexte de la démocratisation et sur
fond de difficultés économiques qui exigent des politiques et des mesures impopulaires et
restrictives, l’art de bien gouverner doit consister à rechercher des mécanismes de dialogue entre les
forces sociales et à dégager des consensus qui légitimeront ces politiques.
- L’intégration économique et la mondialisation, qui ont de lourdes conséquences sur la structure
économique et l’organisation de la production et du travail, rendent très nécessaires aussi le dialogue
et la participation des acteurs sociaux aux processus décisionnels, non seulement pour unir les forces
en présence mais pour maîtriser aussi ces processus et leurs répercussions sociales.
- Enfin, les mutations dans la structure et l’organisation du travail, avec la décentralisation des
modes de production, la diversification du monde du travail et la fragmentation des intérêts, si elles
obligent à réviser les modalités traditionnelles des relations du travail (tripartisme, négociations
bilatérales), n’empêchent aucunement la recherche de nouveaux instruments de dialogue. Bien au
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contraire, elles obligent à trouver des formes neuves et innovantes de dialogue social (pris ici au sens
large qui a été défini au début) afin de pouvoir reconstituer les relations entre les divers intérêts en
présence dans le monde du travail et de trouver des formules de concertation et de négociation.
EXPÉRIENCES DE DIALOGUE SOCIAL DANS LA RÉGION
Les pays d’Amérique latine se caractérisent par la faiblesse des systèmes formels de relations du
travail, qui est liée à l’absence d’une tradition de dialogue social. En général, il n’existe pas en
Amérique latine de relations ordonnées et permanentes entre les partenaires sociaux et à cela se
superpose la faiblesse des organisations patronales et syndicales. Les organes consultatifs, lorsqu’ils
existent, sont le plus souvent peu dynamiques ou tombent en désuétude. Par ailleurs, la négociation
tripartite revêt un caractère épisodique et les accords sont souvent chargés de rhétorique, d’où
l’absence de résultats concrets.
Les raisons de cette faiblesse des dispositifs formels dans les relations du travail tiennent à une
tradition commune : l’intervention de l’État dans la réglementation des relations industrielles. Cette
caractéristique a eu des conséquences diverses et importantes pour les systèmes de relations du
travail en Amérique latine.
- En premier lieu, la législation a primé sur la négociation collective, et cette primauté de la
législation est allée de pair avec la faiblesse qui a caractérisé le système de négociation collective.
- En deuxième lieu, la nécessité d’exercer une influence sur la législation explique le fait que la
négociation a été menée, en règle générale, auprès du gouvernement central.
- En troisième lieu, la tradition légaliste et centraliste dans les relations du travail explique une autre
caractéristique : l’absence de mécanismes permettant de lier les décisions prises au niveau du
gouvernement central aux négociations menées au niveau de l’entreprise.
- Enfin, l’intervention de l’État et la réglementation excessive ont joué un rôle déterminant dans la
faiblesse des organisations syndicales et patronales.
Le rôle de protagoniste de l’État dans les relations du travail et les formes qu’a prises cette
intervention au fil des ans (l’État ayant cherché notamment à exercer un contrôle sur les syndicats)
ont sans aucun doute conditionné des dynamiques entre les parties susceptibles d’expliquer le peu de
succès et le manque de continuité de quelques-unes des tentatives de concertation et de dialogue
dans la région.
Néanmoins, il y a eu ces dernières années, grâce aux processus de démocratisation, quelques
expériences de concertation et de dialogue social qui méritent d’être soulignées. Nous évoquerons ici
les expériences de concertation au Chili, au Mexique, en République Dominicaine, en Uruguay et en
Argentine. Dans tous ces cas, des processus de concertation– parfois très importants –, qui illustrent
bien la question, ont coïncidé avec la disponibilité des informations. Cela ne veut pas dire que nous
avons évoqué ici toutes les expériences importantes de concertation et de dialogue social qui ont eu
lieu dans la région.
Chili
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Au Chili, l’expérience récente de concertation sociale est étroitement liée à la concertation politique
qui a caractérisé le processus de transition vers la démocratie. Les accords politiques qui, lors des
premières élections démocratiques de 1989, ont permis de porter au pouvoir un gouvernement de
concertation ont été suivis de diverses initiatives et de divers accords entre les principaux acteurs
sociaux.
La concertation sociale dans ce pays a surtout abouti à la suppression de certaines dispositions clés
de la législation du travail léguée par le régime militaire, comme le licenciement libre et les
restrictions à la liberté syndicale, et leur remplacement par de nouvelles lois qui accordent une plus
grande protection aux travailleurs et libéralisent le régime syndical chilien.
Voici la chronologie des événements :
- En 1990, un accord-cadre à caractère tripartite (« Chili, une chance historique ») est signé entre le
nouveau gouvernement, la principale centrale syndicale, à savoir la Centrale unitaire des travailleurs
(CUT), et l’organisation patronale dite Confédération de la production et du commerce. De
nouveaux accords suivront, qui assureront la continuité des pratiques consensuelles inaugurées entre
les parties. Divisé en six chapitres, l’accord-cadre comprend d’importantes déclarations de principes,
mais il prévoit déjà des actions concrètes, comme la revalorisation du salaire minimum – avec la
promesse d’un ajustement au bout d’un an – et l’éventuel versement de chèques de mobilisation et
d’insertion aux travailleurs ayant le salaire minimum, par la voie de négociations directes. Enfin, le
document affirme l’engagement de rechercher des accords élargis entre les parties en vue de
l’élaboration de projets intéressant la législation du travail. (En outre, en marge de cet accord, le
gouvernement et la CUT, l’une des deux centrales syndicales, conviennent de saisir l’Assemblée
législative d’un projet de loi complémentaire sur les allocations familiales et sur la prestation
familiale unique et d’augmenter toutes les pensions de retraite minimales et les aides sociales.
- Dans la foulée de l’accord conclu en 1990, un nouvel accord a été signé entre les parties en avril
1991 (« Accord national entre le gouvernement, les travailleurs et le patronat »), paraphé aussi par la
Confédération nationale de la petite industrie et de l’artisanat (CONUPIA) et l’Association nationale
des agents publics (ANEP), qui en plus d’affirmer divers engagements (favoriser la création de
nouveaux emplois productifs et de systèmes d’information sur l’emploi, l’ouverture de nouveaux
débouchés, le développement technologique, la défense de l’environnement, etc.) actualise certains
accords spécifiques conclus dans le cadre de l’accord de 1990, qui concernent la revalorisation du
salaire minimum, l’augmentation des allocations familiales, les primes à l’occasion de la fête
nationale et de Noël, les primes pour les bénéficiaires de pensions minimales et d’aides sociales et
pour les employés du secteur public.
- L’accord de 1991 sera suivi par de nouveaux accords, en avril 1992 et en avril 1993, ayant une
structure semblable, qui mettent à jour les dispositions relatives à la hausse du salaire minimum, à la
revalorisation des allocations familiales et à l’augmentation de la prestation familiale unique.
En marge de ces accords ponctuels et concrets, et dans le prolongement des principes de base de
l’accord-cadre, d’autres processus sont mis en marche qui aboutiront à divers accords.
- En premier lieu, quelques accords sectoriels sont conclus. Il y a notamment l’accord dans la
métallurgie, conclu entre les travailleurs et les patrons dans la Zone franche d’Iquique, par lequel les
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patrons s’engagent à observer le Code du travail, à respecter le droit d’affiliation aux organisations
syndicales, à retenir les cotisations syndicales et à instaurer un salaire minimum supérieur au salaire
minimum légal.
- En deuxième lieu, divers accords visant à améliorer les conditions de travail et de vie des agents
publics sont signés.
- En troisième lieu, l’élaboration de projets de réforme de la législation du travail s’amorce. À cette
fin, le gouvernement désigne une équipe technique et mène diverses concertations avec les
organisations syndicales et les forces politiques. En 1990 et 1991, toujours dans le cadre du
processus de concertation avec les parties, trois lois sont adoptées – sur la résiliation du contrat de
travail et la stabilité dans l’emploi, sur les centrales syndicales et sur les organisations syndicales et
la négociation collective – qui mettent fin à la législation du travail léguée par le régime militaire en
ce qui concerne deux aspects clés : les conditions de résiliation du contrat de travail – la nouvelle
législation accordant une protection accrue au salarié – et la liberté d’association – qui légalise les
syndicats et libéralise le système chilien d’affiliation en harmonie avec le nouveau contexte
démocratique. Concrètement :
- La loi n° 19.010 sur la résiliation du contrat et la stabilité dans l’emploi, promulguée en novembre
1990, met fin au licenciement libre, subordonne la résiliation du contrat à un motif réel et prévoit des
indemnités en cas de licenciement abusif ou économique, créant ainsi une norme qui accorde une
plus grande protection lorsqu’il est mis fin à la relation de travail.
- La loi n° 19.049 sur les centrales syndicales, adoptée en février 1991, elle, reconnaît le droit de
constituer des centrales syndicales sans autorisation préalable et énonce les modalités de leur
création, de leur fonctionnement et de leur dissolution.
- La loi n° 19.069 sur les organisations syndicales et la négociation collective, adoptée en juillet
1991, vise à une plus grande libéralisation du système syndical chilien, en supprimant des
restrictions à l’action et à l’activité des syndicats – comme l’interdiction qui était faite aux chefs
syndicaux de mener une activité politique et le droit à la dissolution administrative des syndicats.
S’agissant de la négociation collective et des conflits du travail, l’ouverture est moindre et
d’importantes limitations restent. Il y a toutefois une libéralisation, limitée, sur quelques points : a) il
est permis aux parties de se mettre d’accord à l’avance sur la réalisation d’une négociation qui ne
sera pas soumise aux démarches formelles prévues par la loi ou qui fait intervenir plusieurs
entreprises ; b) la faculté qu’a l’employeur d’exclure de la négociation certains travailleurs est
désormais restreinte ; c) une protection est accordée aux travailleurs pendant les pourparlers. En
outre, d’autres modifications ont été apportées au Code du travail à ses chapitres concernant le
contrat individuel de travail et à la formation, la protection des travailleurs et la juridiction du travail.
Bien que le tripartisme ait été pratiqué de manière épisodique après les grandes modifications
apportées à la législation et consolidées dans le Code du travail, il y a une exception importante. En
1994 est créé le Forum pour le développement productif et en 1996, dans le cadre du Forum, quatre
comités sont mis sur pied pour étudier des questions telles que la sécurité de l’emploi, les relations
du travail, le salaire minimum et l’aménagement du territoire.
Mexique
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Dans ce pays, l’existence de pactes tripartites entre le gouvernement et les partenaires sociaux, à
savoir les travailleurs et les patrons, est liée d’abord à un contexte de crise économique, au début des
années 80, puis à la mise en œuvre de politiques d’ajustement structurel.
Du point de vue de leur contenu, les pactes visent surtout – et réussissent – à maîtriser l’inflation, et
leur conséquence sociale la plus visible est la diminution du pouvoir d’achat des travailleurs, dont les
salaires minimums réels ont reculé de quelque 60 % entre 1983 et 1994.
Voici la chronologie et le calendrier des pactes :
- En 1983, au plus fort d’une grave crise caractérisée par la poussée de l’inflation, la baisse des cours
du pétrole, la pénurie de devises, le poids de la dette extérieure et la dévaluation de la monnaie, un
accord appelé « Pacte de solidarité nationale » est signé entre le gouvernement, les dirigeants
syndicaux et le patronat. Cependant, cet accord ne contient que des déclarations d’intention, de
soutien à des politiques sociales et économiques formulées de manière générale et ne se traduit par
aucun résultat concret.
- En 1987, la persistance de la mauvaise conjoncture économique conduit à l’annonce d’un deuxième
pacte tripartite, le « Pacte de solidarité économique », plus concret cette fois, qui a pour ambition
première de lutter contre l’inflation – en bloquant les prix et les salaires. Parmi les décisions qui sont
prises, il y a des mesures fiscales et politiques qui concernent notamment les prix et les tarifs du
secteur public, les dépenses publiques, le taux de change, l’ouverture commerciale, les prix, crédits
et assurances liés aux produits de base, la capitalisation du monde rural et l’augmentation du niveau
de vie des paysans.
- En 1988, la présidence de Salinas a déjà commencé et la situation économique s’est améliorée
lorsqu’un nouveau pacte appelé « Pacte de stabilité et de croissance économique » a été signé dans
un souci de continuité, pour assurer la croissance avec l’appui et la participation des parties. Dans ce
pacte, il est convenu de revaloriser les salaires minimums, de mettre à jour les prix et les tarifs des
services publics, d’approfondir la déréglementation économique et la libéralisation des douanes. Ce
pacte a connu plusieurs prolongations (1989, 1990, 1991, 1992). Les accords de renouvellement
maintiennent la structure fondamentale du pacte : ils prévoient quelques augmentations des prix –
énergétiques notamment – et quelques augmentations salariales.
- En 1992, un nouveau Pacte est conclu qui, sur les mêmes bases, adopte une nouvelle appellation :
Pacte pour la stabilité, la compétitivité et l’emploi. Il énonce l’attachement des parties aux politiques
fiscales, économiques et sociales mises en œuvre par le gouvernement depuis 1988.
Parmi les autres accords récents, il y a :
- la signature d’un accord bipartite entre la COPARMEX (la fédération du patronat) et la CMT (la
fédération des syndicats) appelé « Vers une nouvelle culture du travail », qui vise à concilier le
respect des droits fondamentaux des travailleurs et les nécessités de la production ;
- un accord tripartite intitulé « Alliance pour le renouvellement économique », négocié en octobre
1995, qui met de l’avant des mesures spécifiques visant à maintenir le pouvoir d’achat des
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travailleurs par une revalorisation du salaire minimum et des prestations servies aux chômeurs, et qui
incite les entreprises à embaucher en prévoyant des allégements fiscaux.
À en juger par le nombre des pactes signés au Mexique dans les années 80 et au début des années 90,
on pourrait penser que la concertation sociale a joué un rôle important dans ce pays, mais il faut
apporter quelques précisions en ce qui concerne la nature de ces pactes.
- En premier lieu, certains pactes, surtout les premiers, n’ont pas été précédés d’une négociation sur
la place publique entre les signataires, et ils ont créé la surprise dans l’opinion, étant annoncés du
jour au lendemain, à la télévision, par le président.
- En deuxième lieu, les pactes concernent essentiellement des accords sur les grandes orientations de
la politique fiscale, économique et – dans une moindre mesure – sociale, et ne prévoient pas
l’aménagement de la législation sur le travail. Cette législation est donc restée rigide et
excessivement protectrice des droits des travailleurs, bien que les politiques de libéralisation
économique mises en œuvre la violent dans les faits.
- En troisième lieu, les pactes ont servi à légitimer les politiques économiques et d’ajustement
structurel qui avaient été conçues par le gouvernement au lieu de dégager un consensus sur ces
questions.
- En quatrième lieu, les pactes sont caractérisés par l’intervention du gouvernement et la
centralisation de l’élaboration des politiques relatives aux salaires et aux prix, ne permettant pas de
revaloriser les salaires en fonction de la productivité de chaque entreprise.
- En cinquième lieu, l’une des clés du succès des mesures adoptées a résidé dans l’aménagement de
mécanismes de suivi et de contrôle des pactes. La Commission d’évaluation et de suivi des pactes,
présidée par le ministre du Travail et les partenaires sociaux, se divise en sous-commissions
tripartites qui se réunissent fréquemment. Elle a été efficace en ce qui concerne la maîtrise de
l’inflation, elle l’a été quelque peu aussi en ce qui a trait à la stabilisation de la monnaie et de
certains indices de la croissance économique.
République Dominicaine
L’expérience de concertation et de dialogue dans ce pays, où règne une mentalité d’affrontement, est
intéressante parce que la situation sociale y est très conflictuelle, ce qui justement permet d’observer
le fonctionnement de certains mécanismes destinés à surmonter la méfiance qui existe entre les
parties.
Par ailleurs, la concertation sociale a abouti principalement à la réforme du Code du travail,
approuvée à l’unanimité par l’Assemblée législative en 1992.
Voici la chronologie des faits :
- Au début de 1985, après une vague de manifestations qui en 1984 font plusieurs dizaines de morts,
une rencontre informelle a lieu à Jarabacoa, sous les auspices de l’Église, entre des représentants du
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patronat, des dirigeants syndicaux, de hauts fonctionnaires et des universitaires. La réunion de
Jarabacoa amorce des pourparlers et des échanges informels entre les partenaires sociaux et, à
l’occasion, le Gouvernement. Ce processus, qui reçoit le nom de Dialogue tripartite, produit
quelques résultats concrets, bien que les premières rencontres, tenues en mars 1985, en octobre 1986
et en avril 1987 ne débouchent pas sur des conclusions importantes.
- En mars 1988, deux événements importants viennent changer la dynamique de ces rencontres et
infléchir le processus de concertation. D’abord, l’Épiscopat lance un appel aux partenaires sociaux
pour conclure des accords, sinon – dit-on – ils pourraient ébranler la confiance dans la concertation
sociale. En deuxième lieu, des représentants du gouvernement assistent à ces réunions.
- À partir de ce moment s’amorcent des discussions qui aboutissent à l’Accord du dialogue tripartite,
conclu en mai 1988, en présence du président de la République et signé par de hauts fonctionnaires,
six centrales syndicales, le Conseil national des chefs d’entreprise et affiliés et, à titre de témoins,
des représentants de l’Église. Dans ce document, les parties arrivent à des accords sur divers points
concrets pour régler différents problèmes, mais ces accords nécessitent l’approbation du Parlement et
des actions de la part du gouvernement. Ce dernier cause des retards importants dans la mise en
œuvre des accords, en raison de la lenteur dans l’approbation des accords par l’Assemblée législative
et, parfois dans la promulgation et la publication par le gouvernement. Selon certains analystes, ce
fut le principal écueil de la concertation sociale au pays.
- En juillet 1989, un an s’étant écoulé sans qu’aient été mises en œuvre les mesures convenues dans
les accords, les centrales syndicales et le Conseil national des chefs d’entreprise signent un accord
bipartite. Bien que cet accord n’ait pas une grande portée, les parties s’engagent à poursuivre les
pourparlers et définissent des règles de procédure. Il s’agit là, selon la lecture qui en est faite, d’une
façon d’impulser et d’accélérer l’approbation des accords.
- En août 1990, après l’installation du nouveau gouvernement présidé par Balaguer, un nouvel accord
est signé, le Pacte de solidarité économique, qui énonce les grandes orientations d’un programme
économique et social. Dans ce pacte, le gouvernement prend divers engagements : conduire une
politique d’austérité et d’équilibre budgétaire, réformer la fiscalité, fixer les prix à la consommation,
augmenter les traitements des agents publics et favoriser la revalorisation des salaires dans le secteur
privé, élargir les programmes d’aide sociale du nouveau gouvernement. Mais aucun paramètre
concret n’est établi pour la mise en œuvre de ces engagements. Le pacte vise une période de six
mois, et une Commission de suivi tripartite, où l’Église catholique est présente, est chargée d’en
contrôler l’application. Cependant, les organisations syndicales ne le signent pas et annoncent une
grève.
- Enfin, le gouvernement accepte de négocier avec les syndicats certains aspects précis du pacte, ce
qui signifie qu’il reconnaît les centrales syndicales comme interlocuteurs, bien qu’elles soient peu
représentatives (entre 10 et 15 %). Ces pactes présentent une autre caractéristique, à savoir que les
uns et les autres accordent une grande importance au blocage des prix.
- En octobre 1990, afin d’incorporer dans la législation les accords conclus, le gouvernement nomme
une Commission technique, composée d’éminents professeurs et chargée d’élaborer un projet de
réforme du Code du travail. Le projet que présente la Commission déborde même le cadre des
accords tripartites, et les patrons font connaître leur opposition.
13
- En mai 1991, sous les auspices de l’OIT, une réunion tripartite a lieu afin de discuter du projet de
Code du travail.
- Entre décembre 1991 et mars 1992, des séances de dialogue tripartie se déroulent à intervalles
réguliers pour faciliter les travaux de l’assemblée législative.
- En avril 1992, les parties, avec les bons offices de l’Église, et le ministère du Travail, rapprochent
leurs positions, ce qui permet au projet de Code du travail d’être adopté à l’unanimité par
l’assemblée législative et le sénat.
On peut dire que la démarche qui a abouti à l’approbation du Code du travail par l’assemblée
législative constitue une véritable concertation sociale. À tel point que cette réussite a incité le
ministère du Travail à amorcer d’autres dialogues – pour résoudre des conflits dans les zones
franches – sans grand succès toutefois.
Parmi les résultats obtenus grâce à la concertation en matière de relations du travail, il faut souligner
les accords qui ont été mis en œuvre concernant les salaires, les taux d’exonération de l’impôt sur le
revenu, l’administration tripartite de la sécurité sociale et son élargissement à diverses catégories de
travailleurs qui en étaient exclues, et, enfin, l’approbation de la réforme du Code du travail.
Uruguay
Dans ce pays, la concertation sociale a joué un rôle important durant la démocratisation. L’un des
principaux résultats de cette concertation – et l’une des premières actions du premier gouvernement
démocratique – fut la dérogation, en mars 1985, à la législation du travail promulguée pendant le
régime militaire, qui était très restrictive en ce qui concerne la liberté d’association. Étant donné que
ces changements n’entraînaient pas l’adoption de nouvelles règles, ils ont été parmi les plus radicaux
en termes de libéralisation de l’action syndicale. Par ailleurs, ils ont signifié le retour à l’ancien
système non réglementé, ou déréglementé, en matière de relations du travail, qui a toujours
caractérisé ce pays.
Une fois réalisée la transition vers la démocratie, et en partie parce que cela a supposé le retour aux
relations du travail non réglementées, la concertation a eu une portée et des répercussions limitées.
Néanmoins, la concertation et les efforts de la CONAPRO ont laissé un autre héritage important du
point de vue de la coopération tripartite : le rétablissement du « Conseil des salaires », un forum à
caractère tripartie qui fait des propositions au gouvernement sur la politique salariale.
Voici quelques-uns des principaux points de repère de la concertation :
- Le principal artisan de la concertation sociale en Uruguay, pendant la transition, fut la Concertation
nationale programmatique (CONAPRO). Ses origines remontent à la période qui a préludé au
changement de régime, lorsque la nécessité du changement politique et les conditions qui y étaient
favorables ont amené les forces sociales de l’opposition à créer diverses instances de concertation,
dont la CONAPRO, pour dialoguer avec les militaires sur les conditions de réalisation de la
transition vers le nouveau régime démocratique. Deux aspects distinguent la CONAPRO, la
transformant en un instrument atypique :
14
- en premier lieu, il ne s’agit pas d’une organisation tripartite puisqu’elle réunit de vastes secteurs de
la société, y compris les principaux partis politiques, les organismes qui représentent les syndicats, le
patronat, le monde rural, les industriels et les commerçants ainsi que d’autres organisations sociales
qui regroupent notamment les étudiants, les coopératives et les militants des droits de l’homme ;
- en deuxième lieu, il s’agit d’une organisation à caractère programmatique, destinée à exerce une
influence sur le programme politique, social et économique du premier gouvernement démocratique.
- Malgré tout, les propositions de la CONAPRO visent aussi le domaine du travail. Il y a entre autres
la dérogation à la législation militaire sur les relations collectives du travail, la réintégration dans
leurs fonctions des fonctionnaires qui avaient été destitués en raison de leurs liens politiques et
syndicaux, la fixation des salaires selon un système ou un mécanisme d’ajustement qui entre en jeu
tous les quatre mois (qui s’est relâché par la suite), la création d’un organisme administratif chargé
des affaires de sécurité sociale, la Banque de la sécurité sociale, à laquelle tous les intéressés
pourraient participer.
- Avec le premier gouvernement démocratique, quelques résultats ont été obtenus sur le plan des
relations du travail : il y a eu dérogation à la législation militaire en matière de relations du travail,
partant le rétablissement de la liberté d’association et du droit à la grève, ainsi que le retour à
l’ancien système déréglementé des relations collectives du travail et il y a eu le rétablissement, avec
quelques aménagements, du Conseil des salaires, un forum de coopération tripartite qui fait des
propositions au gouvernement en ce qui concerne les salaires et qui existait avant la dictature.
- Bien que l’avènement de la démocratie fasse resurgir le débat sur la nécessité de réglementer le
dispositif des relations du travail, le gouvernement et le patronat n’arrivent pas à associer les
syndicats aux discussions, en raison des suspicions que la réglementation crée chez eux. La tradition
de non-réglementation des relations du travail en Uruguay, conjuguée à l’expérience vécue pendant
le régime militaire, explique cette attitude des syndicats qui les conduit à assimiler la réglementation
à des restrictions. Pour eux, la réglementation, qu’ils n’ont connue que pendant le régime militaire,
met en péril la liberté d’association et le droit à la grève et porte atteinte à ces principes.
En conclusion, la concertation en Uruguay présente les caractéristiques suivantes :
- Il s’agit d’une concertation programmatique, qui n’est pas suivie d’une application immédiate.
- Il s’agit d’une concertation entre les acteurs sociaux et les partis politiques et non avec le pouvoir
exécutif ; y participent, outre les habituels interlocuteurs – à savoir patronat et syndicats – les
étudiants, les adhérents des sociétés coopératives, les accédants à la propriété, les familles de
prisonniers politiques et les militants des droits de l’homme.
- Les thèmes de la concertation sociale – les modalités et la généralisation de la fixation des salaires,
les conflits du travail, les moyens et les répercussions de la lutte contre l’inflation et le chômage, ne
sont pas les seules questions abordées.
- Quelques résultats sont obtenus sur le plan institutionnel, comme le Conseil des salaires, qui est
une manifestation concrète de la coopération tripartite en matière de salaires.
Argentine
15
Dans ce pays, la récente expérience de concertation sociale en matière de relations de travail se situe
entre les tentatives de dialogue du gouvernement avec les acteurs sociaux et l’intervention unilatérale
de l’État. En ce qui concerne les résultats, des mesures ont été adoptées pour modifier la législation
du travail en vue de flexibiliser le marché du travail, notamment en prévoyant de nouvelles modalités
de contrats et en permettant des conditions d’emploi différentes pour les petites et moyennes
entreprises. Les tentatives du gouvernement Menem de faire avancer la flexibilisation du travail se
sont toutefois heurtées à l’opposition des syndicats. Des mesures comme la décentralisation dans la
négociation collective sont restées à l’état de projet, après les réformes de la législation du travail
approuvées en septembre 1997.
Voici la chronologie des faits :
- Pendant le mandat présidentiel d’Alfonsín, au plus fort de la crise économique et de l’inflation, le
gouvernement a pris quelques mesures pour ouvrir la voie au dialogue social, sans succès.
- En 1984, le gouvernement propose un Pacte social, mais le nécessaire consensus fait défaut.
- En 1985, il lance le Plan austral, qui prévoit une série de mesures visant à maîtriser l’inflation, sans
succès non plus, les syndicats ne lui accordant pas leur appui.
- En 1991, avec Menem à la présidence, la Loi sur l’emploi est adoptée, après deux années de
consultations et de négociations tripartites avec les acteurs sociaux. Cette loi prévoit entre autres
mesures la création de nouvelles modalités de contrat qui éliminent la stabilité.
- En 1993, le pouvoir exécutif présente à l’Assemblée législative un Projet de réforme du travail qui
est très contesté par les acteurs sociaux. Ce projet vise à alléger les conditions en matière de contrats
à durée déterminée et fait progresser la flexibilisation des heures de travail. Enfin, ce projet est retiré
et en lieu et place un accord est conclu avec les acteurs sociaux pour modifier la législation de
manière consensuelle.
- En 1994, un Accord-cadre pour l’emploi, la productivité et l’équité sociale est ainsi signé par le
Gouvernement, la Confédération nationale du travail et les organisations patronales. Il a pour
objectif de faire émerger un consensus et des appuis en ce qui concerne les réformes législatives
relatives au fonctionnement du marché du travail (modalités des contrats, règlement des différends,
sécurité et santé, formation, risques professionnels, négociation collective). Cet accord tripartite qui
est le fruit de la concertation débouche sur quelques lois, comme la loi qui réglemente les conditions
d’emploi dans les petites entreprises (adoptée en 1995) ou les faillites. Bien que les efforts de
concertation et la volonté de dégager un consensus minimum sur les grandes orientations soient
réels, le fait est que les dispositions légales s’écartent parfois considérablement des conclusions
adoptées à l’issue des discussions tripartites.
- À titre d’exemple, en septembre 1996, en marge de l’accord tripartite, le gouvernement déclare
unilatéralement son intention d’apporter de nouvelles modifications à la législation du travail. Les
trois axes de la réforme proposée par le gouvernement sont le réaménagement du système
d’assurance maladie, la décentralisation du système de négociation collective et la modification du
système d’assurance chômage. Les syndicats s’opposent férocement à ces réformes, qui menacent
directement les bases de leur pouvoir.
16
- En 1997, le gouvernement recule devant l’opposition des syndicats et le nouveau Code du travail
est adopté, sans les changements proposés et en dépit de l’opposition du patronat.
LES PRINCIPALES DIFFICULTÉS DU DIALOGUE SOCIAL
À la lumière de ces expériences et avec l’histoire comme toile de fond, on peut signaler certains
facteurs qui ont entravé et qui entravent encore la concertation sociale dans la région. Certains de ces
facteurs sont à caractère politique, ou font partie de l’héritage politique, mais ce n’est pas pour cela
qu’ils sont moins présents dans ces processus à travers les attitudes et le comportement des acteurs –
et les interactions entre eux. D’autres facteurs sont d’ordre plus technique ou concernent les
procédures, et il faut tenir compte du fait que ces facteurs peuvent aider à rendre le processus plus
neutre et à estomper les divergences dans les positions des acteurs.
Les difficultés d’ordre politique sont les suivantes :
1.- L’instabilité institutionnelle et les limitations des libertés publiques. Elles ont eu diverses
conséquences : a) elles ont empêché la consolidation de mécanismes et de structures formels, plus ou
moins stables, servant de trait d’union entre les parties : b) elles ont empêché le développement de
consensus politiques et sociaux minimums, qui à leur tour se seraient cristallisés en accords de base
sur les règles du jeu, et partant, elles n’ont pas aidé à susciter la confiance entre les parties ; c) elles
ont limité l’autonomie des forces sociales.
2.- La polarisation et le caractère conflictuel de la vie politique. Ces facteurs ont également eu
diverses conséquences : a) ils ont entravé la conclusion d’accords politiques minimums, ce qui, à son
tour, n’a pas favorisé la concertation sociale, comme le montre l’exemple du Chili et du Venezuela,
où l’accord politique ou l’existence de consensus de base sur les politiques sociales et économiques
facilite la concertation sociale ; b) ils ont encouragé l’affrontement, en créant des attitudes de
confrontation et des oppositions chez les acteurs politiques et sociaux, et cette mentalité
d’affrontement, conjuguée à l’instabilité politique, a entravé le processus de stabilisation des
relations du travail érigé en système institutionnalisé dans lequel les parties reconnaissent les uns
chez les autres des acteurs qualifiés et participent activement à l’établissement de normes qui
réglementent leurs rapports. Les attitudes radicales, en plus de contribuer au peu de respect à l’égard
des accords, ont limité les possibilités de mener réellement une concertation efficace – tant dans les
négociations globales que pour la politique économique et sociale, dans les négociations tant
centralisées que décentralisées.
3.- Le peu de respect à l’égard des accords. C’est la conséquence de l’instabilité politicoinstitutionnelle, qui s’est traduite par le changement constant des règles, ce qui réduit leur valeur, de
la fréquence avec laquelle les acteurs ont utilisé les règles à des fins exclusivement politiques, de la
politisation et de la radicalisation des positions des acteurs politiques et sociaux. Bien que l’on
accepte verbalement les accords, il arrive souvent qu’ensuite on les dénonce violemment pour des
raisons purement tactiques.
Les difficultés d’ordre technique sont les suivantes :
17
4.- La pénurie d’informations suffisantes et adéquates. Dans les pays où la tradition est plus grande
dans les relations du travail collectives et dans les négociations au niveau de l’entreprise, les
travailleurs ont le droit d’obtenir des informations concernant des aspects fondamentaux de
l’entreprise, sa participation au sein d’un groupe d’entreprises ou d’une branche d’activité, et les
incidences de la situation économique et sociale du pays sur cette entreprise. En Amérique latine, il y
a des lacunes importantes dans le droit à l’information non seulement du point de vue juridique mais
aussi sur le plan de la pratique des relations du travail. C’est très important, parce que sans
informations adéquates, il est difficile de faire des propositions adaptées à la réalité, solides et
négociables.
5.- L’insuffisance de la préparation technique. La concertation concerne des sujets complexes
comme la lutte contre l’inflation, les revalorisations salariales, la restructuration industrielle, la
politique fiscale et monétaire. Les parties doivent bien maîtriser ces questions et comprendre le cadre
dans lequel elles s’inscrivent.
6.- L’absence de concision et de précision dans les propositions. Sans des informations adéquates et
une préparation technique suffisantes il est malaisé de préparer des propositions concises et précises.
En Amérique latine, généralement, les propositions sont d’ordre très général et sont
programmatiques plutôt que concrètes.
Les difficultés d’ordre idéologique sont les suivantes :
7.- L’idéologisation excessive. Elle a été surmontée dans une certaine mesure mais il reste encore
des approches et des cadres de pensée trop idéologiques qui font obstacle au rapprochement des
parties sur des aspects concrets.
LA PROBLÉMATIQUE DU SECTEUR INFORMEL
Dans tous les pays, les changements dans l’organisation du travail et de la production, qui sont le
résultat des mutations technologiques et de la libéralisation économique ou de la mondialisation, se
répercutent sur la structure traditionnelle des relations du travail et ses acteurs. En général,
l’autonomie accrue de l’entreprise, la prolifération des petites et moyennes entreprises et la
précarisation de l’emploi ont entraîné une hétérogénéité croissante – en raison de l’apparition de
nouvelles catégories sociales ayant des problèmes spécifiques en ce qui concerne le travail – et une
fragmentation des intérêts dans le monde du travail. Tout cela pose des défis non seulement aux
acteurs traditionnels dans les relations du travail mais aussi aux pouvoirs publics.
En Amérique latine, la mondialisation et la libéralisation économique ont des effets encore plus
déstabilisateurs sur le dispositif des relations du travail, car au fait que les systèmes formels de
relations du travail ne soient pas entrés dans les mœurs s’ajoute un autre facteur qui nuit à
l’efficacité de ces mécanismes : l’expansion du secteur informel. Du fait de cette expansion, c’est
une proportion de plus en plus petite de la population (qui varie selon les pays) qui est concernée par
ces mécanismes de négociation formelle et les bienfaits qui en découlent.
18
Toute réflexion sur les relations du travail et le dialogue social doit aborder la problématique du
secteur informel pour diverses raisons :
- parce que les mêmes considérations qui sont capitales dans les relations du travail, à savoir
l’intégration économique, la cohésion sociale et la démocratie, sont importantes aussi dans le cas du
secteur informel ;
- parce qu’il existe dans le secteur informel des situations d’emploi et de relations du travail qui en
plus d’être différentes ce qu’elles sont dans le secteur formel portent atteinte aux règles et aux lois
établies ;
- parce que le maintien d’un secteur aussi vaste des actifs en dehors du cadre réglementaire crée de
graves dysfonctionnements sur le marché du travail ;
- parce que l’on ne saurait ignorer les besoins de ces segments de la population, compte tenu du fait
aussi qu’ils représentent environ 50 % de l’électorat.
Par ailleurs, selon les chiffres, l’importance du secteur informel, en termes de pourcentage et de
créations d’emplois, n’a pas diminué dans les années 90, mais a continué de progresser. Entre 1990
et 1994, il y a eu en Amérique latine 15,7 millions de créations d’emplois, et 84 % d’entre elles ont
été le fait du secteur informel. L’emploi dans le secteur informel a augmenté dans la région à un
rythme annuel de 4,7 %, contre 1,1 % dans le secteur formel (Word Labour Report, 1997).
L’envergure et les proportions de ce phénomène posent des défis non seulement aux organisations
traditionnelles, comme les syndicats, dont l’influence et le pouvoir de négociation diminuent à
mesure que le secteur informel prend de l’expansion, mais aussi aux pouvoirs publics, qui doivent
veiller à la cohésion et au développement économique et social.
Jusqu’ici, les interventions de la puissance publique étaient destinées à :
- élargir l‘accès au marché des services, principalement à l’octroi de crédits, par la réforme des
politiques et des réglementations concernant le secteur financier ou par la création de sources
nouvelles de financement et de distribution ;
- mettre en œuvre des programmes de formation et d’assistance technique et des actions de formation
visant ces secteurs ;
- à créer un milieu micro-économique plus propice au développement des très petites entreprises
dans le secteur informel, par la réforme du cadre réglementaire et politique. Le Mexique et le Brésil
en sont de bons exemples.
Néanmoins, jusqu’ici, les initiatives des pouvoirs publics n’ont pratiquement pas envisagé la
participation directe de ces secteurs à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation des
programmes qui leur étaient destinés. Cela nous amène à la conclusion suivante : Les politiques de
l’État devraient non seulement viser à supprimer les obstacles dans l’accès du secteur informel aux
ressources et au marché mais leur donner toute latitude pour s’organiser eux-mêmes et concevoir
des mécanismes adaptés en vue du dialogue et de la négociation.
La participation et l’association de ces secteurs aux forums de discussion ou de négociation sur
l’organisation du travail et les politiques économiques ou sociales permettraient de connaître de plus
près leurs problèmes et donc d’en avoir une idée plus certaine et précise, d’élaborer des politiques
19
plus adaptées à leurs problèmes, d’augmenter l’intégration sociale et la coordination des politiques
relatives au travail.
La participation et l’association de ces secteurs aux forums de dialogue et de discussion portant sur
le travail peuvent se faire par le truchement :
a) Des structures et des acteurs traditionnels dans les relations du travail. Les syndicats et les
organisations patronales pourraient alors exercer des pressions pour amener des politiques favorables
aux travailleurs du secteur informel et pourraient recourir aux mécanismes formels qui existent dans
les relations du travail au sein de nombreux pays pour traiter les problèmes du secteur informel.
b) De l’auto-organisation de ces secteurs et de la création de mécanismes spécifiques de
dialogue. La possibilité de s’organiser eux-mêmes pose, semble-t-il, quelques problèmes en raison
des limitations structurelles de ces secteurs – fragmentation et isolement – et de l’absence de
ressources organisationnelles – techniques et administratives – qui caractérisent les travailleurs du
secteur informel. Cependant, certaines politiques et la création d’un cadre réglementaire et
institutionnel propice pourraient inciter ces secteurs à s’organiser eux-mêmes. Par ailleurs,
l’aménagement de mécanismes spécifiques de dialogue pour aborder les problèmes de ces secteurs
pourrait renforcer leur organisation, accroître leur présence et augmenter leur accès au marché et à
certains services.
Parmi les politiques et les mesures susceptibles de favoriser l’auto-organisation des secteurs
informels, il y a, outre la mise en marche de mécanismes de dialogue :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
Les politiques qui encouragent la liberté d’association.
Les politiques qui favorisent et facilitent l’inscription légale de ces organisations, en
simplifiant les procédures d’inscription et en les rendant plus transparentes. Si les conditions
et les procédures sont simples et transparentes, et que cette inscription n’est pas perçue
comme une forme de contrôle et de réglementation au lieu de faciliter l’accès aux services et
l’expansion des possibilités, il est probable que les travailleurs dans le secteur informel
réagiront favorablement à cet encouragement.
L’aménagement de mécanismes ou de forums pour aborder les problèmes spécifiques qui
concernent les travailleurs du secteur informel. La création de ces mécanismes, si des
organisations non gouvernementales et des organismes publics y sont présents, peut très bien
encourager la compréhension mutuelle et ouvrir de nouvelles voies et possibilités
d’intégration des travailleurs du secteur informel. Ces mécanismes ne fonctionneront que s’il
y a coordination entre les politiques macro-économiques et les réglementations microéconomiques et si l’organisation de ces travailleurs est encouragée.
La coordination verticale, entre les divers gouvernements. Il est inutile que le gouvernement
central élabore des politiques en faveur de ces secteurs (par exemple encourager leur
organisation ou adopter des lois en faveur des organisations du secteur informel) si des
mesures adoptées à l’échelle locale ne les accompagnent pas ou les contredisent.
La nécessaire coordination horizontale, sectorielle, ou l’harmonisation des politiques.
La mise sur pied, à cette fin, d’équipes techniques au sein des ministères du Travail, qui
connaissent à fond tous les aspects – techniques, juridiques, sociaux – du fonctionnement du
marché du travail, et, concrètement, les aspects qui concernent plus spécifiquement le
secteur informel.
20
7.
8.
9.
La création de services chargés d’étudier les problèmes et les dynamiques propres au secteur
informel, en raison de son importance, qui ne se mesure pas seulement en termes de
pourcentage des actifs qui s’y trouvent mais aussi aux dysfonctionnements qu’il cause sur le
marché du travail.
L’ouverture par les ministères du Travail de voies de dialogue et de participation de ces
secteurs, qui permet d’aborder leurs problèmes, de les mettre en relief et d’élargir l’accès
aux services et aux ressources du marché et qui passe par la création de services connaissant
bien les problèmes du secteur informel et capables d’œuvrer dans les mêmes conditions que
les travailleurs du secteur informel.
Ces politiques et mesures qui encouragent l’organisation de ces secteurs et le dialogue avec
eux permettraient non seulement de mobiliser les potentialités et les énergies créatives de
quelques-uns de ces secteurs, comme celui des très petites entreprises, mais aussi, à terme,
de favoriser leur intégration dans le secteur formel.
EN GUISE DE RÉCAPITULATION : LES CONDITIONS DU DIALOGUE SOCIAL
En Amérique latine, les instruments classiques des relations du travail (tripartisme, négociation
collective) ainsi que les expériences de concertation et de dialogue social ont été peu structurés et ne
sont guère entrés dans les mœurs. Nous avons vu aussi que les causes en sont l’absence d’un cadre
institutionnel adapté. L’intervention de l’État ou son interventionnisme démesuré dans les relations
du travail, le légalisme ou la réglementation excessive, le centralisme, partant la faiblesse des forces
sociales ou des acteurs sociaux ont contribué à la création de conditions peu propices au dialogue
social et à la faible institutionnalisation des systèmes classiques de relations du travail.
Les pouvoirs publics et les forces sociales ont certes la volonté de renforcer le dialogue social mais,
à l’évidence, ce dialogue ne naît pas spontanément et n’est incité qu’à fortes doses de « bonne
volonté ». Il est vrai qu’une certaine dose de bonne volonté facilite toujours le dialogue mais il faut
s’efforcer de créer les conditions – le cadre institutionnel ainsi que des mécanismes spécifiques – qui
rendent possibles et inscrivent dans la durée les initiatives en faveur du dialogue social. Cette section
énonce quelques-uns des facteurs qui peuvent contribuer à créer le cadre institutionnel et
organisationnel qui favorisera le dialogue social et mentionne aussi quelques-uns des mécanismes
concrets susceptibles de le faciliter. Les conditions favorables au dialogue et à la concertation – nous
avons pu le voir – sont le résultat de facteurs d’ordre général, liés au cadre institutionnel et de
variables d’ordre plus concret ou local, qui concernent des mécanismes spécifiques et ponctuels que
les pouvoirs publics peuvent toujours mettre en pratique pour faciliter les initiatives en faveur du
dialogue.
Parmi les facteurs qui contribuent à la création des conditions favorables au dialogue social, il faut
souligner :
1L’autonomie des acteurs sociaux. L’autonomie des acteurs sociaux est une condition sine
qua non de l’existence d’un véritable dialogue social, parce qu’elle met les interlocuteurs sur un pied
d’égalité, créant ainsi les conditions qui permettent des échanges et des négociations. Compte tenu
de la traditionnelle intervention de l’État dans les relations du travail en Amérique latine,
l’indépendance et l’autonomie des acteurs sociaux est aussi une garantie contre l’intervention et le
rôle de protagoniste de l’État.
21
2La représentativité et la coordination des organisations. L’autonomie des acteurs sociaux ne
suffit pas, il faut aussi que les organisations syndicales et patronales soient dotées de structures leur
permettant de garantir le respect des accords, d’en répercuter les résultats sur la base, de transiger en
ce qui concerne les intérêts des secteurs qu’elles représentent. À cette fin, il est important que ces
organisations soient représentatives et très bien coordonnées. Des organisations capables de prendre
des engagements et de les faire respecter donneront alors l’image d’interlocuteurs légitimes aux yeux
des autres acteurs de la négociation.
3.
La recherche de formules et de modèles de relations du travail qui réduisent dans les faits
l’intervention de l’État et la centralisation excessive dans les négociations. Les formes
d’organisation que prennent les relations du travail et la négociation collective peuvent également
avoir une incidence sur le dialogue par les répercussions qu’elles ont sur les parties. Ainsi, un
système de relations du travail caractérisé par l’intervention et la réglementation excessive peut avoir
pour effet de décourager l’affiliation des travailleurs aux syndicats, puisqu’ils n’en ont pas besoin
pour se protéger. La faiblesse des acteurs sociaux peut à son tour se transformer – et cela s’est
produit – en prétexte pour continuer à justifier l’intervention de l’État dans les relations du travail.
Également ou de la même manière, la décentralisation dans la négociation collective, en axant la
discussion et le dialogue sur les problèmes spécifiques de l’entreprise ou des lieux de travail, peut
accroître la participation et l’intérêt des parties dans le dialogue et la négociation. Bien que
l’intervention de l’État et la centralisation dans les relations du travail soient déconseillées comme
modèle à suivre, la solution ne passe pas par des réponses ou des recettes simples – comme la nonintervention et la décentralisation. L’État est appelé à jouer un rôle nouveau, mais il reste un acteur
clé dans les relations du travail ; cela étant, la solution ne passe pas par la non-intervention mais par
la qualité et le type d’intervention qui est nécessaire, qui restent à préciser. De la même manière,
pour mettre fin aux rigidités que peut causer la centralisation excessive des relations du travail, il ne
faut pas décentraliser à l’extrême mais encourager la négociation à divers niveaux, pour obtenir une
bonne coordination.
4Le caractère et l’ampleur des questions à étudier. Si les questions à étudier sont vastes et
débordent le cadre se rapportant strictement au marché du travail, cela peut aussi rendre le dialogue
plus attractif pour un plus grand nombre d’acteurs sociaux.
5La simplification de la législation et du cadre réglementaire. Le légalisme – c’est-à-dire la
tendance à réglementer dans le détail le système des relations du travail – peut également avoir une
incidence sur le modèle des relations du travail, et par le fait même sur le dialogue social. D’une
part, l’importance de la législation force les acteurs à se placer sur le plan du gouvernement central
pour négocier. D’autre part, la réglementation excessive introduit des rigidités – en augmentant les
coûts de transaction de chacune des négociations ou des initiatives de dialogue – et accroît la
complexité. Complexifier, c’est aussi augmenter la confusion. Une réglementation excessive pèse sur
les initiatives de dialogue à deux titres : elle ne facilite pas la négociation avec les pouvoirs publics
inférieurs ou au niveau de l’entreprise – qui est le niveau le plus immédiat pour le travailleur et le
patron – et en semant la confusion elle ne permet pas aux acteurs de préciser leurs attentes en ce qui
concerne le dialogue et la négociation, ce qui ne les incite pas à dialoguer. Cela nous amène au point
suivant.
22
6La clarification des règles du jeu du dialogue et/ou de la négociation. La clarté des règles du
jeu et la garantie de respect de ce qui est convenu (à savoir que les parties ont confiance que les
accords seront respectés, si ce n’est par leur volonté propre, en raison de contraintes extérieures) sont
deux aspects clés qui encouragent les acteurs à participer au dialogue et/ou à la négociation. Lorsque
l’incertitude pèse sur les raisons et les objectifs du dialogue, les acteurs ne savent pas s’ils vont
dialoguer ou négocier ni quels en seront les aboutissements et il est probable que les acteurs seront
peu enclins à faire des ouvertures de négociation. Ayant compétence pour agir à la fois au nom du
gouvernement et en contact avec les acteurs sociaux sur la question du travail, le ministère du
Travail doit servir de trait d’union a) en mettant à la disposition des parties toutes les informations
pertinentes qui concernent le dialogue ou la négociation et b) en s’assurant que les résultats, c’est-àdire les accords conclus dans le cadre du processus, sont communiqués au gouvernement en vue de
leur application dans les faits.
7- Le renforcement ou la création de mécanismes ou d’agences de contrôle. C’est là un autre aspect
capital du dialogue et de la négociation. Nous avons déjà dit que pour amorcer un dialogue ou une
négociation, les parties doivent avoir la certitude que ce qui sera convenu sera respecté. À cette fin, il
faut prévoir des moyens, par le truchement d’agences ou d’organismes de contrôle, qui assureront le
bon respect des accords. Cet aspect, qui renvoie à ce qui se traduit en anglais par « enforcement »,
concerne les moyens dont dispose le ministère tant pour faire respecter la législation du travail, en
général, que pour faire respecter les accords spécifiques qui sont adoptés dans les forums tripartites.
Ces deux objectifs obligent à l’adoption de mesures distinctes. Pour faire respecter la législation du
travail, le Ministère doit pouvoir compter sur des agences permanentes ou sur une équipe
d’inspecteurs, qui contrôlent l’application de la loi. Pour faire respecter les accords adoptés dans le
cadre de forums, on peut établir, selon le degré de permanence de ces forums, des mécanismes
ponctuels de contrôle et de supervision des accords. Dans certains pays, il y a des acteurs sociaux qui
ont argué de l’inobservance de la législation du travail et de l’incapacité du ministère du Travail à la
faire respecter pour ne pas reprendre leur place autour du tapis vert.
8- L’attention accordée aux questions de procédure, c’est-à-dire aux règles qui gouvernent chaque
dialogue et déterminent son organisation propre. Les processus de paix et de dialogue social en
Amérique centrale révèlent toute l’importance de ces procédures, et peuvent mettre en lumière les
effets et l’adaptation de certaines procédures. Ici, il convient de prendre en compte plusieurs
questions. D’abord, il y a l’arbitrage – savoir qui est l’arbitre et définir son rôle. Parfois, lorsque la
méfiance est grande entre les parties, il faut trouver un arbitre qui est acceptable et qui apparaît
comme neutre aux yeux de toutes les parties. Un bon arbitrage et, surtout, la légitimité de l’arbitre
(par exemple les Nations unies au Salvador et l’Église catholique dans l’expérience de concertation
sociale en République Dominicaine) peuvent faire pencher la balance et il y a beaucoup d’exemples
dans cette zone. Ensuite, il faut savoir quand, à quel moment du processus, il faut convenir des règles
qui le gouverneront. Puis, il s’agit de savoir qui décidera de la nature des questions à étudier, leur
ampleur et l’ordre des questions. Enfin, il faut s’engager, d’entrée de jeu, à mettre sur pied des
commissions de supervision et de surveillance des accords. Car il est important de donner aux parties
la garantie que les accords ne seront pas que des chiffons de papier.
RECOMMANDATIONS
À la lumière des considérations précédentes, il est recommandé ce qui suit :
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- Définir et mettre en œuvre des politiques qui contribuent au renforcement des acteurs sociaux, pour
qu’ils aient l’autonomie et les moyens nécessaires pour assumer et remplir des engagements dans le
cadre du dialogue et de la convention collective.
- Définir et mettre en œuvre des politiques qui favorisent et protègent la liberté d’association et de
négociation.
- Ouvrir des espaces et créer des circuits de participation permettant d’associer au dialogue et à la
concertation tous les secteurs, sans pour autant nuire au déroulement des scénarios institutionnels
tripartites, qui doivent garder leur force.
- Institutionnaliser le dialogue social pour incorporer les interlocuteurs, préciser les règles du jeu et
prévoir des mécanismes de suivi, d’encadrement et de contrôle pour les accords.
- Faire progresser la recherche d’instruments et de mécanismes qui permettront d’associer les
travailleurs exclus, qui appartiennent au secteur informel, à l’élaboration, à la conception et à la mise
en œuvre de programmes qui les concernent.
- Définir et mettre en œuvre des politiques qui favorisent l’organisation de ces secteurs.
- Aménager des mécanismes spécifiques de dialogue avec les travailleurs du secteur informel.
- Se doter d’une organisation adaptée pour aborder la problématique du secteur informel, par le biais
de services qui font des recherches sur les problèmes et les dynamiques qui concernent ce secteur,
permettant de travailler dans les mêmes conditions que ce secteur.
- Accroître les moyens et les personnels techniques afin de faire progresser la création d’équipes
d’experts qui connaissent tous les aspects relatifs au fonctionnement du marché du travail, y compris
dans le secteur informel.
- Renforcer les mécanismes de contrôle qui assurent le bon respect de la législation sur le travail et
créer les organismes qui veilleront à la supervision, à l’évaluation et au respect des accords conclus
dans les forums tripartites à caractère permanent ou provisoire.
- Veiller à la coordination tant verticale qu’horizontale des politiques relatives au travail et s’assurer
que les accords conclus dans le cadre de forums consacrés au dialogue social ou à la concertation
sont communiqués au gouvernement en vue de leur application dans les faits.
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