RSCA n° 3 : gestion des personnes âgées en ville
Je suis actuellement en stage de niveau 1 chez le praticien, pour mon 3ème semestre
d'internat.
La patientèle est très variée, et nous voyons aussi bien des enfants, des adultes, des
femmes enceintes que des personnes âgées.
Cette dernière catégorie de patients me semble plus complexe à aborder : temps de
consultation plus long, polypathologies et polymédications, décompensations de maladies
chroniques, ou encore troubles mnésiques.
Ce mercredi 2 décembre, j'attendais la consultation que nous allions avoir en milieu de
matinée : en effet, nous avions été contactés la veille par une médecin remplaçante de la
même ville - Bezons - qui voyait en consultation Mme T, 84 ans, dont ma praticienne
était le médecin traitant. Elle nous demandait des renseignements sur cette patiente qui
consultait pour altération de l'état général. Cette patiente avait consulté à notre cabinet la
dernière fois au début de l'année 2015, était polypathologique : diabétique de type 2,
hypertendue, insuffisante rénale modérée, souffrant d'arthrose diffuse et de dépression, et
ayant de nombreux antécédents chirurgicaux (dont appendicectomie, cholecystectomie,
hystérectomie totale, ou encore canal carpien bilatéral) . Pour ces nombreuses pathologies,
elle prenait plus de 7 médicaments. Ma praticienne avait déjà tenté de diminuer ses
traitements, et notamment les somnifères qu'elle prenait au long cours, mais sans succès.
La patiente semblait isolée et ne voulait pas donner les numéros de téléphone de
personnes de sa famille. Ma praticienne avait alors fini par contacter un service de réseau
gériatrique afin qu'ils passent faire une évaluation au domicile de la patiente, mais cette
dernière avait refusé et avait rompu le contact avec son médecin, faisant depuis du
nomadisme médical.
J'étais donc prévenue que cette consultation allait être particulière, et la patiente est
arrivée - en retard - avec un courrier de la médecin qui nous avait appelé la veille, nous la
réadressant.
La matinée avait déjà été chargée, puisque lors de la 1ère consultation une patiente avait
fait un malaise vagal à la suite d'une pose de stérilet, et que nous avions pris du retard.
La patiente nous expliqua qu'elle avait besoin d'un renouvellement d'ordonnance, et sortit
plusieurs ordonnances de différents médecins de la ville, chacune avec traitement
différent.
Nous avons essayé à l'interrogatoire de faire le point sur ses conditions de vie :
l'orientation temporelle était difficile, et la patiente semblait avoir des difficultés à la
préparation des repas et pour la gestion de la vie quotidienne. Elle avait par ailleurs perdu
6 kg en moins d'un an. Le reste de l'examen clinique n'était pas rassurant non plus,
retrouvant :
- des signes d'insuffisance cardiaque : œdèmes des membres inférieurs, crépitants
jusqu'à mi-champs.
- des idées de persécution puisqu'elle a avancé plusieurs fois pendant la consultation
que sa fille lui volait de l'argent.
- des signes de dénutrition.
- une sensibilité à la palpation abdominale.
Au vu de cette clinique, nous nous sommes interrogées sur la conduite à tenir :
- choisir de rester "en ville" : prescrire un bilan biologique et adresser à des confrères
pour les examens complémentaires, mais avec le risque que la patiente ne suive pas nos
prescriptions.
- ou faire hospitaliser Mme T, mais cette dernière refusait catégoriquement : elle
disait avoir déjà été trop hospitalisée dans sa vie et trouvait que cela ne servirait à rien.
À force de parler avec elle des avantages d'une hospitalisation, elle semblait de moins en
moins réticente. En parallèle, nous avons réussi avec ma praticienne à joindre le service
de gériatrie de l'hôpital le plus proche, qui acceptait sur le principe son hospitalisation,
après un passage par les urgences.
Le temps que l'ambulance arrive, nous avons "confié" cette patiente aux autres patients de
la salle d'attente qui étaient chargés de la surveiller, afin d'être sûrs qu'elle ne changerait
pas d'avis et décide de repartir chez elle, mais elle est restée jusqu'à l'arrivée de ces
derniers qui l'ont amenée aux urgences.
J'ai choisi de présenter ce cas pour mon RSCA car il soulevait plusieurs problèmes :
1) Axe psychosocial : cas des personnes âgées isolées :
- Quels sont les recours en cas de refus d'hospitalisation ?
- Place des réseaux gériatriques pluridisciplinaires ?
- Possibilités de mise sous tutelle/curatelle ?
==> Compétences abordées :
- Continuité, Suivi, Coordination des soins ;
- Prévention individuelle et communautaire (réseau) ;
- Approche globale, complexité.
2) Axe biomédical :
- médication et personnes âgées ;
- abord d'un problème fréquent en gériatrie : l'addiction aux somnifères à type de
benzodiazépine (état des lieux, mesures préventives et moyens d'action.)
==> Compétences abordées :
- Éducation en santé, dépistage, prévention individuelle et communautaire ;
- Approche centrée patient, relation, communication.
AXE 1 : PERSONNES AGEES ISOLEES
1) Quels sont les recours en cas de refus d'hospitalisation ?
Le refus d’hospitalisation est un sous-type particulier du refus de soin, qui met le médecin
généraliste en situation d’échec. On peut décomposer cette situation du point de vue du
ressenti du patient, de celui du médecin, et enfin synthétiser l’attitude à adopter à l’aide
des réglementations en vigueur.
Point de vue du patient âgé :
Une hospitalisation peut être vécue comme une perte de la maîtrise des événements qui
concernent la gestion de sa vie, voire comme une déshumanisation.
Le refus peut aussi traduire l’épuisement lié aux différents renoncements obligés
qu’apporte la vieillesse, aux deuils à faire par rapport aux pertes physiques, ou encore à la
perte du statut social antérieur et l’isolement progressif qu’il induit. Il est alors important
d’aborder avec le patient cette douleur ou cette souffrance morale, afin que ce dernier ne
se sente pas comme un pion que l’on déplace à l’hôpital, mais comme une personne à part
entière, dont l’état de santé actuel nécessite une prise en charge hospitalière transitoire.
Le refus peut enfin être lié à un déni du patient par rapport à sa maladie : il se considère
en bonne santé et ne voit pas l’intérêt d’une hospitalisation.
Dans le cas de notre consultation, la patiente refusait de quitter son domicile et de
retourner à l’hôpital, où elle avait déjà été hospitalisée un grand nombre de fois. Elle était
aussi dans le déni de l’épisode de décompensation actuel et jugeait son état de santé
stable. Le dialogue et l’explication à la patiente des atteintes physiques justifiant son
hospitalisation ont permis le fait que la patient accepte son état, se sente comprise et
accepte la consultation aux urgences.
Point de vue du médecin :
Le professionnalisme consiste à savoir identifier les mécanismes de défense face à
l’angoisse du patient âgé, et à ses détériorations tant physiques que psychiques.
Le médecin ne doit pas se sentir mis en échec par le patient, mais doit au contraire
continuer le dialogue, dans un climat de confiance afin d’obtenir une alliance
thérapeutique”.
Dans cette consultation il était important de ne pas se “braquer” et de ne pas perdre
patience face au refus de cette patiente.
En cas de persistance du refus, le médecin doit savoir proposer des alternatives à
l’hospitalisation, à savoir une gestion à domicile du patient :
- organiser un passage infirmier plus fréquent.
- être plus présent auprès du malade en augmentant le nombre de consultations ou de
visites auprès de lui (qui peuvent parfois devenir quotidiennes).
- inclure le patient dans un réseau de soins à domicile (hospitalisation à domicile ou
réseau de soins palliatifs) et être le coordinateur des différents intervenants.
- organiser un traitement à domicile, des examens complémentaires ou des
consultations spécialisées en ambulatoire.
Cadre législatif :
L’article 1111.4 du code de santé publique rappelle que “toute personne a le droit de
refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le médecin a l'obligation de respecter la
volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur
gravité. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient.”
Au nom du principe de respect de l’autonomie du patient, le médecin ne peut donc pas le
forcer à se faire hospitaliser, mais doit l’informer de façon claire et adaptée des
conséquences de ce refus.
Au total : l’important dans le cas d’une refus d’hospitalisation catégorique est de proposer
au patient des alternatives comme par exemple le passage à domicile de spécialistes, via
un réseau de soins, comme nous allons le voir dans la sous-partie suivante.
2) Place des réseaux gériatriques pluridisciplinaires.
Rappels des conditions pour l’inclusion :
Personnes âgées de 60 ans et plus ;
Dépendantes (GIR 1 à 4), ou présentant des troubles nécessitant une orientation et
un suivi (troubles neuropsychologiques par exemple) ;
Vivant à domicile ;
Domiciliées dans le ressort géographique du réseau ;
Affiliées à la Sécurité sociale (quel que soit le régime).
Intervenants :
Les intervenants doivent avoir des compétences complémentaires sanitaires et sociales
coordonnés sous la responsabilité du médecin généraliste traitant.
Des professionnels libéraux médicaux et paramédicaux ;
Des établissements de santé ;
Des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ;
Le Conseil général ;
Des centres locaux d’information et de coordination (CLIC) ;
Des services d’aide à domicile : auxiliaire de vie, portage de repas, téléassistance ;
Des établissements hébergeant des personnes âgées ;
Des réseaux de bénévoles...
L’illustration suivante résume le rôle d’un réseau :
Rôles du médecin généraliste :
Un annuaire avec les coordonnées de réseaux est réalisé par la Société Française de
Gériatrie et de Gérontologie (consultable à l’adresse suivante :
http://www.sfgg.fr/wp-content/uploads/2010/12/Annuaire_national_reseaux_PA_mai_20
11.pdf). Le médecin peut directement les solliciter en cas de besoin.
Les réseaux n’interviennent jamais sans l’accord du médecin traitant de la personne.
La première étape est la réalisation d’une EGS (Évaluation Gériatrique Standardisée).
Il s’agit d’une évaluation :
Médicale : recherche des pathologies fréquentes chez le sujet âgé (souvent
polypathologique : rhumatismale, diabète, cardiovasculaire, rénale...), test des
organes des sens (vision, audition), ou encore des fonctions cognitives.
Psychologique : existence d’un syndrome dépressif ?
Sociale : conditions de vie (lieu, ascenseur, étages, dangers potentiels), entourage,
ressources.
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