LA PSYCHIATRIE ET SON HISTOIRE
GÉNÉRALITÉS
1- ÉVÉNEMENTS DÉTERMINANTS DANS LA GENÈSE DE LA PSYCHIATRIE EN
FRANCE
2- VOCABULAIRE ET ÉTYMOLOGIE
3- ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE
FRANCAISE
4- LES THÉRAPEUTIQUES
5- LA PROFESSION INFIRMIÈRE EN PSYCHIATRIE
* * *
ÉVÉNEMENTS DÉTERMINANTS DANS LA GENÈSE DE LA PSYCHIATRIE
Quatre événements ou ensembles d'événements ont joué un rôle déterminant dans la
genèse de la psychiatrie contemporaine française (présentés ici succinctement, et
développés dans la suite de cet exposé):
- L'abandon de la démonologie à la Renaissance
- Les réformes de la période 1780-1802
- L'invention de la psychanalyse (1895)
- La découverte des premiers traitements efficaces (1917-1952)
1- L'abandon de la démonologie à la Renaissance
Il s'agit là de la condition de la naissance de la psychiatrie : la maladie mentale,
surnaturelle, considérée tantôt comme manifestation divine (saints, fous de Dieu),
tantôt comme possession par le démon, devient une maladie naturelle. Il y a passage de
la notion d'Esprit du Mal à celle de Maladies de l'esprit, selon la belle formule d'Henri
Ey. Ce qui, faut-il préciser, n'empêche pas la coexistence d'une conception médicale et
d'une perception religieuse du trouble mental depuis l'Antiquité et pendant tout le
Moyen Age, dans le monde grec et dans le monde romain, en terre chrétienne comme
dans l'Islam. De même que l'idée de surnaturalité de la folie perdure ensuite, jusqu'à nos
jours dans certaines sociétés et dans certains secteurs de notre propre société.
2- Le tournant 1780-1802
Il s'agit, en cette fin de siècle des Lumières et autour de la Révolution, d'une période où
s'opère une réforme radicale des institutions recevant les aliénés, où s'élabore une
nosologie simple et rationnelle, et s'invente une modalité nouvelle de soin baptisée
traitement moral, origine des méthodes psychothérapiques. Certaines des méthodes de
traitement les plus usitées depuis l'Antiquité (saignées et purgations) sont dès lors
progressivement abandonnées, tandis que la théorie des humeurs tombe en désuétude.
3- L'invention de la psychanalyse (1895)
Freud (1856-1939) étudie l'hypnose en particulier dans le service de Charcot à la
Salpêtrière, puis élabore une nouvelle théorie de la vie psychique. La parution des
Études sur l'hystérie en 1895, constitue l'acte de naissance de la psychanalyse.
L'introduction de la méthode en France est assez lente. Son contemporain Pierre Janet
(1859-1946) s'intéresse également à l'hypnotisme, et développe la théorie de
l'automatisme psychique, où l'inconscient se manifeste lorsque la conscience ne le
contrôle plus.
4- La découverte de traitements efficaces (1917-1952)
La période est marquée par d'immenses progrès dans le domaine de la thérapeutique de
plusieurs maladies, que nous ne faisons ici que citer et sur lesquels nous reviendrons:
- La malariathérapie, traitement de la paralysie générale découvert en 1917 par Wagner
von Jauregg
- Les méthodes de choc: coma insulinique en 1932 par M. Sakel, choc au cardiazol en
1936 par L. von Meduna, électrochoc en 1938 par U. Cerletti et L. Bini
- La psychochirurgie, en 1936, par E. Moniz
- La psychopharmacologie, née de la découverte en 1952 du premier neuroleptique par
J. Delay et P. Deniker, du traitement par le lithium par M. Schou, puis des premiers
antidépresseurs (Imipramine et Iproniazide en 1957), des hypnotiques et
tranquillisants.
* * *
VOCABULAIRE ET ÉTYMOLOGIE
Définir la Psychiatrie n'est pas chose simple. Le mot lui-même est d'invention assez
récente (début du XIXème siècle) et fut longtemps supplanté par Aliénisme, et
Médecine mentale. Précisons-en dans un premier temps le sens étymologique, et celui
de quelques autres termes : la psychiatrie est la médecine de l'âme (iatros, médecin et
psukhê, souffle, âme), une âme que soigne le psychothérapeute (therapeia, soin), et dont
la science (logos) relève de la psychologie.
Quelques termes en usage de nos jours (qui pour certains tendent toutefois depuis
quelques années à disparaître du vocabulaire médical) remontent à l'Antiquité :
démence, manie, mélancolie, hystérie.
L'hystérie (husterikos, de hustera, utérus ou matrice) est pour les Anciens une maladie
somatique parfois mortelle, accompagnée ou non de troubles psychiques.
Démence (dementia, de demens, de privatif et mens, esprit et leurs synonymes amentia
et amens, tombés en désuétude au XVIIème siècle), désigne initialement ce que l'on
nommera longtemps Folie.
Manie (du latin et du grec mania, et ses synonymes furor et insania), l'une des grandes
maladies psychiques, est marquée par un délire sans fièvre avec fureur et perte de
raison.
Mélancolie (melancholia, du grec melagkholia, bile noire ou humeur noire), une autre
de ces grandes maladies, sans agitation ni fièvre, généralement marquée par la tristesse.
- Plusieurs termes dérivent de Manie : Monomanie (du grec monos, seul), Lypémanie
(de lupê, tristesse), mythomanie (de muthos, récit, fable), nymphomanie (de numphê,
jeune fille), pyromanie (de puros, feu), mégalomanie (megas, megalos, grand), etc.
- La racine phrên (esprit, âme, pensée, intelligence, coeur et diaphragme) a donné, outre
Phrénésie, Phrénopathies qui a un temps signifié maladies mentales au XIXe siècle,
Hébéphrène (hêbê, puberté), Oligophrène (oligos, peu), Paraphrène (para, à côté de), et
le très célèbre Schizophrène (skhizein, diviser, fendre, séparer, d'où schisme, division et
schiste, pierre qui se fend par lames).
- Paranoïa (para, à côté de, et noia, de noos ou noüs, esprit) est de création récente et en
usage de nos jours, comme son dérivé paranoïde (proche de la paranoïa).
D'autres termes antiques sont aujourd'hui obsolètes ou sortis du langage médical: -
Frénétique ou phrénétique (de Phrenesis, du grec phrenitis, de phrên, esprit), à l'origine
une des quatre maladies des Anciens, manie confuse et fébrile.
- Furieux (de furiosus, furor, synonyme de mania)
- Insensé renvoie à la privation de sens (insensatus, latin d'église, de sensatus, sensé, de
sensio, je sens, je perçois, j'éprouve). Dans l'Antiquité, Insanus (in, privatif et sanus,
sensé, bien portant, raisonnable, sage, qui a donné insane et insanité) et Insipiens (in, et
sapiens, d'où Resipiscere, cesser d'être fou), d'où Insania, et leurs synonymes Vesanus et
Vesania, Stultus et Stultitia, Demens et Dementia, Amens et Amentia. Délire, beaucoup
plus récent (XVIe siècle), et délirer (Delirium, et Delirare, de de, sortir de, et lira, sillon)
conservent leurs sens originels (Le Delirium tremens est un délire accompagné de
tremblements).
D'autres termes ont disparu, ou sont tombés dans le langage courant, perdant leur sens
originel et prenant souvent un caractère péjoratif .
Plusieurs d'entre eux ont longtemps été utilisés pour désigner le malade mental en
général :
- Aliéné d'esprit (1606, mente alienatus), aliénation d'esprit (1610, mentis alienatio),
alien signifiant en ancien français " étranger " ou différent " (de alienus, de alius, autre,
éloigné, détaché ou étranger, et spiritus, souffle, air et l'idée d'immatérialité)
- Forcené (du français forsener, de fors, " hors de " et sensus, sens, raison)
- Fou ou fol, XIe siècle, et Folie XIe siècle (de follis, sac, ballon, baudruche, vessie ou
outre gonflée, métaphore ironique : " qui a le cerveau, la tête vide comme une vessie ",
ou " qui va d'un côté et de l'autre " comme un ballon au gré des vents (d'où affoler,
rendre fou, et raffoler, aimer follement)
- La divagation (de dis, qui marque l'éloignement, et vagari, errer) et l'égarement (e
privatif, et du germanique warôn, veiller à) n'ont plus cours dans le monde médical.
- Lunatique (de Lune) était celui dont la périodicité des troubles était liée à l'influence
de la lune. La théorie galénique (pour Galien l'astre lunaire gouverne les périodes des
maladies -doctrine des jours critiques- comme les fièvres intermittentes, l'épilepsie, la
migraine et certains accès de folie) est reprise par Joseph Daquin, puis rapidement
abandonnée. Le seul vestige du lunatisme réside dans les expressions " bien et mal luné
" (bonne et mauvaise humeur) et dans l'adjectif lunatique, ou fantasque.
Contrairement à Hystérie, deux autres termes très usités pour rendre compte de
troubles névrotiques, Obsession (de obsidere, assiéger), Phobie (de phobos, effroi,
frayeur) et ses très nombreux dérivés (claustrophobie, agoraphobie, etc.), ainsi que
Angoisse (de angustia, resserrement, oppression) ont assez bien conservé leur sens
étymologique.
A l'inverse, plusieurs mots désignant le bas niveau intellectuel ou l'arriération mentale
se sont fort dépréciés en sortant du vocabulaire médical : crétin (de crestianus,
chrétien), benêt (de benedictus, béni) et pauvre d'esprit depuis plus d'un siècle, débile
(de debilis, faiblesse), idiot (idiota, -tes, sot) un peu plus tard, tandis que simple
(d'esprit, ou simplet) a conservé son sens commun, comme dans une moindre mesure
innocent (innocens, de nocere, nuire).
* * *
ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE
FRANCAISE
L'héritage de l'Antiquité
La médecine médiévale des pays européens est l'héritière directe de la médecine antique
gréco-romaine, et l'héritière indirecte de la médecine assyro-babylonienne et hébraïque.
Dans le monde assyro-babylonien et chez les Hébreux, la maladie, physique ou
psychique, résulte d'un péché, et en représente la punition: il y a assimilation de la folie
et de la faute, de la maladie et de l'impureté, de la déraison et du péché, et de ce fait
tendance à confondre le châtiment et le remède, avec l'idée d'une pénitence purificatrice
forcée. Le traitement associe cependant des rites sacrés, des prières et des exorcismes.
On peut lire dans le Deutéronome, chap.XXVIII (28-29): "Si vous ne voulez point
écouter la voix du Seigneur votre Dieu, et que vous ne gardiez et ne pratiquiez pas toutes
ses ordonnances et les cérémonies que je vous prescris aujourd'hui, toutes ces
malédictions fondront sur vous, et vous accableront (suivent les divers malheurs
annoncés, dont): le Seigneur vous frappera de frénésie, d'aveuglement et de fureur
(selon d'autres traductions "de folie, de cécité et d'égarement d'esprit"); en sorte que
vous marcherez à tâtons en plein midi, comme l'aveugle a accoutumé de faire, étant tout
enseveli dans les ténèbres, et que vous ne réussirez point en ce que vous aurez
entrepris".
Dans le monde grec et romain, la santé est fonction de l'équilibre des humeurs, et la
pathologie, notamment psychique, est fonction des variations du milieu intérieur. La
théorie humorale est établie par le Grec Hippocrate, environ 4 siècles avant notre ère.
Dans ce système où il n'y a pas de différence de nature entre les maladies du corps et les
maladies de l'esprit, la maladie est liée à un déséquilibre des humeurs ou dyscrasie:
accumulation dans un organe, ascension au cerveau, etc.
Il existe trois grands ordres de maladies mentales: Phrénitis (délire aigu fébrile), Manie
(agitation sans fièvre) et Mélancolie (trouble chronique sans agitation et sans fièvre).
Notons que l'hystérie en est exclue, puisque la cause en est la migration de l'utérus
desséché par la chasteté vers l'humide.
Le rôle du médecin est de chercher à restaurer l'équilibre (alimentation ou diète,
médications phytologiques, exercices physiques, voyages, bains, saignées,
purgations,...). Ces méthodes vont constituer la base du traitement de la folie pendant
près de deux millénaires.
Le Grec Galien (IIème siècle après Jésus-Christ) effectue un grand travail de synthèse
des doctrines antérieures et élabore la théorie des tempéraments: les quatre humeurs
forment la base des tempéraments sanguin, bilieux (ou colérique), atrabilaire (ou
mélancolique) et flegmatique.
a- Le sang est responsable du tempérament sanguin (humide-chaud)
b- La bile jaune, ou bile favorise la colère. L'irascibilité (irascibilis, de irasci, se mettre en
colère) est liée au tempérament bilieux ou colérique (sèche-chaud)
c- La bile noire (melancholia), ou humeur noire favorise les accès d'hypochondrie et de
mélancolie. Son excès supposé détermine le tempérament (sèche-froid) mélancolique
(Melancholicus) ou atrabilaire (atra, ou nigra bilis, bile noire). La personne irritable
(morosus) ou atrabilaire est d'humeur sombre ou de mauvaise humeur, et se fait de la
bile
d- Le phlegme ou pituite (mucosités nasales) détermine le tempérament phlegmatique
ou lymphatique (humide-froid)
Le concept de mélancolie est défini pour plus de 15 siècles, dont il existe trois grandes
formes:
-la mélancolie générale par excès d'atrabile dans le corps entier
-la mélancolie cérébrale par excès dans le cerveau
-la mélancolie hypocondriaque par montée des humeurs vicieuses de l'estomac dans le
cerveau.
Tandis qu'est née avec Hippocrate une médecine rationnelle, la Grèce a hérité aussi des
civilisations primitives et orientales. Ici comme ailleurs, la guérison est demandée à
Dieu, ou aux divinités.
À cause surnaturelle, divine ou démoniaque, thérapeutique magique et religieuse.
Asclépios (Esculape), dieu de la médecine, a lui-même ses temples et ses prêtres. De très
nombreux sanctuaires lui sont dédiés, à Cos, Pergame, Epidaure, Athènes,... lieux de
guérison magique, après épiphanie (apparition du dieu), oracle ou rêve.
Les traitements proprement médicaux se dégagent lentement des rites magiques, et ces
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