LA PSYCHIATRIE ET SON HISTOIRE GÉNÉRALITÉS 1- ÉVÉNEMENTS DÉTERMINANTS DANS LA GENÈSE DE LA PSYCHIATRIE EN FRANCE 2- VOCABULAIRE ET ÉTYMOLOGIE 3- ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE FRANCAISE 4- LES THÉRAPEUTIQUES 5- LA PROFESSION INFIRMIÈRE EN PSYCHIATRIE *** ÉVÉNEMENTS DÉTERMINANTS DANS LA GENÈSE DE LA PSYCHIATRIE Quatre événements ou ensembles d'événements ont joué un rôle déterminant dans la genèse de la psychiatrie contemporaine française (présentés ici succinctement, et développés dans la suite de cet exposé): - L'abandon de la démonologie à la Renaissance - Les réformes de la période 1780-1802 - L'invention de la psychanalyse (1895) - La découverte des premiers traitements efficaces (1917-1952) 1- L'abandon de la démonologie à la Renaissance Il s'agit là de la condition de la naissance de la psychiatrie : la maladie mentale, surnaturelle, considérée tantôt comme manifestation divine (saints, fous de Dieu), tantôt comme possession par le démon, devient une maladie naturelle. Il y a passage de la notion d'Esprit du Mal à celle de Maladies de l'esprit, selon la belle formule d'Henri Ey. Ce qui, faut-il préciser, n'empêche pas la coexistence d'une conception médicale et d'une perception religieuse du trouble mental depuis l'Antiquité et pendant tout le Moyen Age, dans le monde grec et dans le monde romain, en terre chrétienne comme dans l'Islam. De même que l'idée de surnaturalité de la folie perdure ensuite, jusqu'à nos jours dans certaines sociétés et dans certains secteurs de notre propre société. 2- Le tournant 1780-1802 Il s'agit, en cette fin de siècle des Lumières et autour de la Révolution, d'une période où s'opère une réforme radicale des institutions recevant les aliénés, où s'élabore une nosologie simple et rationnelle, et s'invente une modalité nouvelle de soin baptisée traitement moral, origine des méthodes psychothérapiques. Certaines des méthodes de traitement les plus usitées depuis l'Antiquité (saignées et purgations) sont dès lors progressivement abandonnées, tandis que la théorie des humeurs tombe en désuétude. 3- L'invention de la psychanalyse (1895) Freud (1856-1939) étudie l'hypnose en particulier dans le service de Charcot à la Salpêtrière, puis élabore une nouvelle théorie de la vie psychique. La parution des Études sur l'hystérie en 1895, constitue l'acte de naissance de la psychanalyse. L'introduction de la méthode en France est assez lente. Son contemporain Pierre Janet (1859-1946) s'intéresse également à l'hypnotisme, et développe la théorie de l'automatisme psychique, où l'inconscient se manifeste lorsque la conscience ne le contrôle plus. 4- La découverte de traitements efficaces (1917-1952) La période est marquée par d'immenses progrès dans le domaine de la thérapeutique de plusieurs maladies, que nous ne faisons ici que citer et sur lesquels nous reviendrons: - La malariathérapie, traitement de la paralysie générale découvert en 1917 par Wagner von Jauregg - Les méthodes de choc: coma insulinique en 1932 par M. Sakel, choc au cardiazol en 1936 par L. von Meduna, électrochoc en 1938 par U. Cerletti et L. Bini - La psychochirurgie, en 1936, par E. Moniz - La psychopharmacologie, née de la découverte en 1952 du premier neuroleptique par J. Delay et P. Deniker, du traitement par le lithium par M. Schou, puis des premiers antidépresseurs (Imipramine et Iproniazide en 1957), des hypnotiques et tranquillisants. *** VOCABULAIRE ET ÉTYMOLOGIE Définir la Psychiatrie n'est pas chose simple. Le mot lui-même est d'invention assez récente (début du XIXème siècle) et fut longtemps supplanté par Aliénisme, et Médecine mentale. Précisons-en dans un premier temps le sens étymologique, et celui de quelques autres termes : la psychiatrie est la médecine de l'âme (iatros, médecin et psukhê, souffle, âme), une âme que soigne le psychothérapeute (therapeia, soin), et dont la science (logos) relève de la psychologie. Quelques termes en usage de nos jours (qui pour certains tendent toutefois depuis quelques années à disparaître du vocabulaire médical) remontent à l'Antiquité : démence, manie, mélancolie, hystérie. L'hystérie (husterikos, de hustera, utérus ou matrice) est pour les Anciens une maladie somatique parfois mortelle, accompagnée ou non de troubles psychiques. Démence (dementia, de demens, de privatif et mens, esprit et leurs synonymes amentia et amens, tombés en désuétude au XVIIème siècle), désigne initialement ce que l'on nommera longtemps Folie. Manie (du latin et du grec mania, et ses synonymes furor et insania), l'une des grandes maladies psychiques, est marquée par un délire sans fièvre avec fureur et perte de raison. Mélancolie (melancholia, du grec melagkholia, bile noire ou humeur noire), une autre de ces grandes maladies, sans agitation ni fièvre, généralement marquée par la tristesse. - Plusieurs termes dérivent de Manie : Monomanie (du grec monos, seul), Lypémanie (de lupê, tristesse), mythomanie (de muthos, récit, fable), nymphomanie (de numphê, jeune fille), pyromanie (de puros, feu), mégalomanie (megas, megalos, grand), etc. - La racine phrên (esprit, âme, pensée, intelligence, coeur et diaphragme) a donné, outre Phrénésie, Phrénopathies qui a un temps signifié maladies mentales au XIXe siècle, Hébéphrène (hêbê, puberté), Oligophrène (oligos, peu), Paraphrène (para, à côté de), et le très célèbre Schizophrène (skhizein, diviser, fendre, séparer, d'où schisme, division et schiste, pierre qui se fend par lames). - Paranoïa (para, à côté de, et noia, de noos ou noüs, esprit) est de création récente et en usage de nos jours, comme son dérivé paranoïde (proche de la paranoïa). D'autres termes antiques sont aujourd'hui obsolètes ou sortis du langage médical: Frénétique ou phrénétique (de Phrenesis, du grec phrenitis, de phrên, esprit), à l'origine une des quatre maladies des Anciens, manie confuse et fébrile. - Furieux (de furiosus, furor, synonyme de mania) - Insensé renvoie à la privation de sens (insensatus, latin d'église, de sensatus, sensé, de sensio, je sens, je perçois, j'éprouve). Dans l'Antiquité, Insanus (in, privatif et sanus, sensé, bien portant, raisonnable, sage, qui a donné insane et insanité) et Insipiens (in, et sapiens, d'où Resipiscere, cesser d'être fou), d'où Insania, et leurs synonymes Vesanus et Vesania, Stultus et Stultitia, Demens et Dementia, Amens et Amentia. Délire, beaucoup plus récent (XVIe siècle), et délirer (Delirium, et Delirare, de de, sortir de, et lira, sillon) conservent leurs sens originels (Le Delirium tremens est un délire accompagné de tremblements). D'autres termes ont disparu, ou sont tombés dans le langage courant, perdant leur sens originel et prenant souvent un caractère péjoratif . Plusieurs d'entre eux ont longtemps été utilisés pour désigner le malade mental en général : - Aliéné d'esprit (1606, mente alienatus), aliénation d'esprit (1610, mentis alienatio), alien signifiant en ancien français " étranger " ou différent " (de alienus, de alius, autre, éloigné, détaché ou étranger, et spiritus, souffle, air et l'idée d'immatérialité) - Forcené (du français forsener, de fors, " hors de " et sensus, sens, raison) - Fou ou fol, XIe siècle, et Folie XIe siècle (de follis, sac, ballon, baudruche, vessie ou outre gonflée, métaphore ironique : " qui a le cerveau, la tête vide comme une vessie ", ou " qui va d'un côté et de l'autre " comme un ballon au gré des vents (d'où affoler, rendre fou, et raffoler, aimer follement) - La divagation (de dis, qui marque l'éloignement, et vagari, errer) et l'égarement (e privatif, et du germanique warôn, veiller à) n'ont plus cours dans le monde médical. - Lunatique (de Lune) était celui dont la périodicité des troubles était liée à l'influence de la lune. La théorie galénique (pour Galien l'astre lunaire gouverne les périodes des maladies -doctrine des jours critiques- comme les fièvres intermittentes, l'épilepsie, la migraine et certains accès de folie) est reprise par Joseph Daquin, puis rapidement abandonnée. Le seul vestige du lunatisme réside dans les expressions " bien et mal luné " (bonne et mauvaise humeur) et dans l'adjectif lunatique, ou fantasque. Contrairement à Hystérie, deux autres termes très usités pour rendre compte de troubles névrotiques, Obsession (de obsidere, assiéger), Phobie (de phobos, effroi, frayeur) et ses très nombreux dérivés (claustrophobie, agoraphobie, etc.), ainsi que Angoisse (de angustia, resserrement, oppression) ont assez bien conservé leur sens étymologique. A l'inverse, plusieurs mots désignant le bas niveau intellectuel ou l'arriération mentale se sont fort dépréciés en sortant du vocabulaire médical : crétin (de crestianus, chrétien), benêt (de benedictus, béni) et pauvre d'esprit depuis plus d'un siècle, débile (de debilis, faiblesse), idiot (idiota, -tes, sot) un peu plus tard, tandis que simple (d'esprit, ou simplet) a conservé son sens commun, comme dans une moindre mesure innocent (innocens, de nocere, nuire). *** ÉLÉMENTS CHRONOLOGIQUES DE L'HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE FRANCAISE L'héritage de l'Antiquité La médecine médiévale des pays européens est l'héritière directe de la médecine antique gréco-romaine, et l'héritière indirecte de la médecine assyro-babylonienne et hébraïque. Dans le monde assyro-babylonien et chez les Hébreux, la maladie, physique ou psychique, résulte d'un péché, et en représente la punition: il y a assimilation de la folie et de la faute, de la maladie et de l'impureté, de la déraison et du péché, et de ce fait tendance à confondre le châtiment et le remède, avec l'idée d'une pénitence purificatrice forcée. Le traitement associe cependant des rites sacrés, des prières et des exorcismes. On peut lire dans le Deutéronome, chap.XXVIII (28-29): "Si vous ne voulez point écouter la voix du Seigneur votre Dieu, et que vous ne gardiez et ne pratiquiez pas toutes ses ordonnances et les cérémonies que je vous prescris aujourd'hui, toutes ces malédictions fondront sur vous, et vous accableront (suivent les divers malheurs annoncés, dont): le Seigneur vous frappera de frénésie, d'aveuglement et de fureur (selon d'autres traductions "de folie, de cécité et d'égarement d'esprit"); en sorte que vous marcherez à tâtons en plein midi, comme l'aveugle a accoutumé de faire, étant tout enseveli dans les ténèbres, et que vous ne réussirez point en ce que vous aurez entrepris". Dans le monde grec et romain, la santé est fonction de l'équilibre des humeurs, et la pathologie, notamment psychique, est fonction des variations du milieu intérieur. La théorie humorale est établie par le Grec Hippocrate, environ 4 siècles avant notre ère. Dans ce système où il n'y a pas de différence de nature entre les maladies du corps et les maladies de l'esprit, la maladie est liée à un déséquilibre des humeurs ou dyscrasie: accumulation dans un organe, ascension au cerveau, etc. Il existe trois grands ordres de maladies mentales: Phrénitis (délire aigu fébrile), Manie (agitation sans fièvre) et Mélancolie (trouble chronique sans agitation et sans fièvre). Notons que l'hystérie en est exclue, puisque la cause en est la migration de l'utérus desséché par la chasteté vers l'humide. Le rôle du médecin est de chercher à restaurer l'équilibre (alimentation ou diète, médications phytologiques, exercices physiques, voyages, bains, saignées, purgations,...). Ces méthodes vont constituer la base du traitement de la folie pendant près de deux millénaires. Le Grec Galien (IIème siècle après Jésus-Christ) effectue un grand travail de synthèse des doctrines antérieures et élabore la théorie des tempéraments: les quatre humeurs forment la base des tempéraments sanguin, bilieux (ou colérique), atrabilaire (ou mélancolique) et flegmatique. a- Le sang est responsable du tempérament sanguin (humide-chaud) b- La bile jaune, ou bile favorise la colère. L'irascibilité (irascibilis, de irasci, se mettre en colère) est liée au tempérament bilieux ou colérique (sèche-chaud) c- La bile noire (melancholia), ou humeur noire favorise les accès d'hypochondrie et de mélancolie. Son excès supposé détermine le tempérament (sèche-froid) mélancolique (Melancholicus) ou atrabilaire (atra, ou nigra bilis, bile noire). La personne irritable (morosus) ou atrabilaire est d'humeur sombre ou de mauvaise humeur, et se fait de la bile d- Le phlegme ou pituite (mucosités nasales) détermine le tempérament phlegmatique ou lymphatique (humide-froid) Le concept de mélancolie est défini pour plus de 15 siècles, dont il existe trois grandes formes: -la mélancolie générale par excès d'atrabile dans le corps entier -la mélancolie cérébrale par excès dans le cerveau -la mélancolie hypocondriaque par montée des humeurs vicieuses de l'estomac dans le cerveau. Tandis qu'est née avec Hippocrate une médecine rationnelle, la Grèce a hérité aussi des civilisations primitives et orientales. Ici comme ailleurs, la guérison est demandée à Dieu, ou aux divinités. À cause surnaturelle, divine ou démoniaque, thérapeutique magique et religieuse. Asclépios (Esculape), dieu de la médecine, a lui-même ses temples et ses prêtres. De très nombreux sanctuaires lui sont dédiés, à Cos, Pergame, Epidaure, Athènes,... lieux de guérison magique, après épiphanie (apparition du dieu), oracle ou rêve. Les traitements proprement médicaux se dégagent lentement des rites magiques, et ces traitements concernent surtout les troubles aigus, la notion d'acuité ayant été de tout temps liée à celle de curabilité. Ainsi, le Grec Asclépiade (Ier siècle avant Jésus-Christ) propose l'hydrothérapie, la musique, la gymnastique et le massage, tandis que Cornelius Celsius (Ier siècle après J.-C.) présente dans son encyclopédie les chaînes, le fouet, l'inanition, la terreur et la douche froide... Ce contraste de méthode thérapeutique se retrouvera bien plus tard dans l'opposition entre médecine expectante et médecine agissante. Le Moyen Age Durant la très longue période qui sépare la disparition de l'Empire romain d'Occident (476) et la chute de Constantinople (1453), que l'on peut appeler avec Henri Ey l'ère antépsychiatrique, la science progresse peu dans le domaine étudié. L'idée prévalente dans la société reste que la folie est une manifestation du péché, une punition divine, quand elle n'est pas le signe d'une possession démoniaque. Le traitement de prédilection est donc le recours aux prêtres pour l'exorcisme, et aux saints, avec les pèlerinages, où l'on conduit des fous faire leurs neuvaines, comme à Saint-Mathurin de Larchant, ou à Saint-Hildevert de Gournay. Sur le plan médico-philosophique, trois grandes conceptions s'opposent : l'école naturaliste (saint Thomas, Albert le Grand), le mouvement " psychodynamiste " avec saint Augustin (la maladie mentale est le " cri de l'âme blessée ", l'angoisse de la folie est la problématique fondamentale de l'humanité), et l'approche organique appliquée aux maladies mentales des médecins arabes, notamment Maïmonide et Avicenne, poète philosophe persan dont le " Canon de médecine " est l'ouvrage majeur de l'époque en Europe et dans l'Islam. De nombreuses représentations du fou médiéval ont été conservées notamment dans les enluminures du Psaume LII (Psaumes de David), qui commence par le Dixit insipiens in corde suo non est Deus. Le fou nie Dieu. Au Moyen Age, en vertu du droit romain, la justice peut prononcer l'incapacité d'un sujet pour cause de folie. Aucun lieu n'est réservé à l'accueil des fous, si ce n'est pour les furieux, enfermés dans des culs-de-basse-fosse et autres cachots aménagés dans des tours ou les murs des remparts. Quant aux fous étrangers qui vagabondent, ils sont expulsés d'une ville à l'autre. Les hôtels-Dieu, institutions de charité et d'assistance, n'ont pour leur part aucun local adapté. Tandis que le royaume reste totalement démuni en structures de soins et de réclusion convenables, naissent et se développent des institutions destinées aux fous dans le monde arabe et dans d'autres pays de l'Europe chrétienne, dont l'héritage antique est commun, et qui s'influencent mutuellement. La création de ces institutions charitables permet un traitement humanitaire, mais ni scientifique, ni vraiment spécifique. Citons en premier lieu les institutions de la grande civilisation islamique : les refuges de Fez (VIIe siècle), les moristans du Caire et d'Edirne (Andrinople, en Turquie d'Europe), l'Almeraphtan de Bagdad, ainsi que les morotrophia byzantins (Ve-VIe siècles). Le fonctionnement de ces maisons est mal connu, et leurs descriptions sont parfois contradictoires : le moristan d'Edirne, " luxueux bâtiment de marbre avec fontaines, chambres d'été et chambres d'hiver, malades couchés sur des coussins de soie, nourris de mets raffinés, traités par une combinaison de drogues, musiques et parfums ", est ainsi évoqué par un visiteur : " dans un coin d'un cachot, il y avait un fou furieux, son cou était attaché avec une corde ". En Europe chrétienne, la première réalisation est la colonie de Gheel en Belgique au XIIIe siècle. Mais c'est en Espagne qu'ouvrent les premiers asiles réservés aux malades: " Los desamparados " du padre Jofré de Valencia (début XVe s.), puis Nuestra Senora de Gracia à Saragosse, et les hôpitaux de Séville, Tolède, Valladolid, de 1425 à 1489. L'hôpital Bedlam de Londres naît au XVIe siècle. La Renaissance Le début de la Renaissance est marquée par une terrible tragédie, dont seront victimes d'authentiques malades mentaux, ainsi qu'un nombre beaucoup plus élevé de personnes non malades. La "psychose collective" de sorcellerie atteint son apogée aux XVIème et XVIIème siècles. Le guide des inquisiteurs, le Malleus Maleficarum, utilisé à partir de 1486, affirme l'identité commune de la sorcellerie, de l'hérésie et de la folie. L'un des premiers défenseurs des soi-disant sorciers, Jean Wier (1515-1588) reste célèbre pour la valeur de ses observations cliniques. L'une des affaires les plus marquantes est celle des Ursulines de Loudun (Vienne) en 1632-1634, où Urbain Grandier, prêtre dénoncé par la prieure Jeanne-des-Anges est brûlé vif le 8 août 1634. Dix ans plus tard, l'affaire des Ursulines de Louviers (Eure) met en cause le vicaire Thomas Boullé, qui connaît le même sort en 1647. Cette exécution renforce dans l'opinion publique le courant "antipossessionniste", illustré par le médecin Pierre Yvelin qui défend la thèse des troubles psychiques non pas chez les condamnés mais chez leurs accusatrices. Un édit royal de 1682 met fin aux poursuites pour faits de sorcellerie. La sorcellerie est dès lors ravalée au rang des superstitions, et le concept de possession diabolique laisse place dans le monde lettré, en particulier médical, à celui d'idée délirante - d'être possédé. Parmi les œuvres d'art célèbres illustrant cette période, citons La Nef des fous, peint par Jérôme Bosch, représentation allégorique de la folie inspirée d'un poème satyrique de Sebastian Brant, publié en 1494, Das Narrenschiff. L'opération de la pierre de folie est le sujet de deux tableaux, celui de Jérôme Bosch, daté de 1490 (et conservé au musée du Prado à Madrid), où l'exciseur est coiffé d'un entonnoir, et celui de Pierre Bruegel l'Ancien (présenté en page de garde du site). XVIIème et XVIIIème siècles Ces siècles sont marqués en France par la naissance de grandes institutions, et l'instauration d'un traitement médical spécial dans les hôtels-Dieu: - L'Hôpital Général établi par édit royal en avril 1656, destiné aux mendiants valides et invalides. En son sein, des espaces spécifiques sont peu après sa création, réservés aux fous et aux folles, mal supportés par leurs compagnons d'infortune, et relevant de conditions de vie particulières. Le mot "hôpital" n'est pas à prendre dans son sens actuel, et signifierait plutôt lieu d'hébergement forcé, assurant vivre et couvert à une population miséreuse mais la privant de sa liberté. - Les hôtels-Dieu : celui de Paris réserve au début du XVIIIe s. deux salles, une pour chaque sexe, où sont pratiqués des traitements médicaux fort réputés, mais dont la capacité reste assez modeste : une trentaine de places pour les hommes, une centaine pour les femmes, pour une région très étendue. - Les maisons religieuses spécialisées, dont la maison de la Charité de Charenton est un éminent exemple. Tardivement par rapport à l'Espagne, où les premiers établissements sont créés à l'initiative de Juan Ciudad Duarte (1495-1550), canonisé sous le nom de saint Jean-de-Dieu, la France voit s'ouvrir plusieurs établissements de l'ordre des hospitaliers, qui serviront de modèle à la fin du siècle: Pontorson, Sainte-Marguerite à Cadillac, Sainte-Madeleine à Bourg, la Cellette en Corrèze, Leyme dans le Lot, Château-Thierry, Senlis dans l'Oise, Saint-Aubin (Côtes-d'Armor) puis Léhon, La Guillotière dans le Rhône, Lommelet dans le Nord. Charenton enfin, maison fondée en 1640, ne reçoit des fous qu'à partir de 1670. - Les maisons de santé privées, au nombre de plusieurs dizaines au XVIIIème siècle à Paris. On assiste tout au long de ces deux derniers siècles de l'Ancien Régime à une médicalisation progressive des soins aux insensés. L'intervention médicale se fait selon un double postulat : - la folie est médicalement curable, et le but du traitement est la guérison - Les fous doivent être traités par des moyens physiques. Ce principe ne résulte pas de l'idée de lésion organique, cérébrale ou autre, mais de celle d'un trouble physiologique fonctionnel (humoral pour les très nombreux médecins fidèles aux théories galéniques). Le traitement vise le trouble en soi plus que celui qui en souffre. Il consiste pour l'essentiel en quelques mesures énergiques : saignées, bains, purges, et, seule méthode spécifique, les douches. Bien qu'il puisse être parfois mis en œuvre au domicile du malade (dans les milieux aisés essentiellement), le traitement requiert généralement l'admission dans un établissement hospitalier ou dans une maison de santé privée. Vers 1780, il n'y a guère plus de six établissements publics spécialisés ou ayant réservé des salles au traitement des fous en France : les hôtels-Dieu de Paris et de Lyon, l'Hôpital Général de Rouen, l'hôpital de la Trinité d'Aix (Provence), l'hôpital d'Avignon et la Maison de Saint-Lazare à Marseille. Le tournant des années 1780-1802 A la charnière de l'Époque moderne et de l'Époque contemporaine, a lieu autour de la Révolution française un certain nombre d'évènements qui détermine un profond changement dans l'appréhension de l'aliénation et de son traitement, et dans l'organisation des établissements destinés aux malades. - 1781 : création d'un poste de médecin inspecteur des maisons d'aliénés à Paris, sous l'égide de l'Inspection des hôpitaux civils et maisons de force du Royaume dirigée par J. Colombier - 1784 (mars): circulaire du baron de Breteuil " concernant les prisonniers par lettre de cachet " - 1785 : diffusion de l'Instruction sur la manière de gouverner les insensés et de travailler à leur guérison dans les asyles qui leur sont destinés, de Jean Colombier et François Doublet - 1788 : parution du Mémoire sur les hôpitaux de Jacques Tenon - 1790 (12-16 mars): Abolition des lettres de cachet par décret de l'Assemblée nationale - 1791 : parution de La philosophie de la folie, de Joseph Daquin - 1793 : nomination de Philippe Pinel comme médecin des infirmeries de Bicêtre, début de sa collaboration avec Jean-Baptiste Pussin, gouverneur de l'emploi des fous - 1797 : fermeture de la Charité de Charenton - 1801 : Parution du Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale, ou la manie, de Philippe Pinel, où se dessinent les voies d'une réforme profonde : spécialisation de la médecine mentale au sein de la médecine, simplification et rationalisation de la classification (un trouble unique, l'aliénation mentale, maladie différente de toutes les autres maladies, et ses quatre expressions symptomatiques ou espèces, manie, mélancolie, démence et idiotisme), création d'institutions spécialisées pour le traitement (traitement physique des troubles aigus, traitement moral de la folie refroidie, basé sur l'isolement, l'environnement ordonné et rationnel, le travail et l'influence du médecin ou de son représentant. Est nettement postulée la curabilité de la folie) - 1802 : fermeture définitive des salles de fous et de folles de l'Hôtel-Dieu de Paris et ouverture des deux premiers services asilaires à Charenton (hommes) et à la Salpêtrière (femmes) : ainsi naît en France l'asile (de asylum, du grec asulon, refuge inviolable, terme préféré alors à celui très péjoratif d'hôpital). Dans ces asiles, et dans ceux-ci seulement seront soignés, par ou sous la direction d'un médecin spécial, l'aliéniste, toutes les formes de l'aliénation mentale et tous les aliénés. Le XIXème siècle, le triomphe de l'aliénisme et de l'asile Dès le début du siècle, la médicalisation de la prise en charge et du traitement des fous, conduit par l'aliéniste, s'étend et se généralise. Des asiles sont construits dans la majorité des départements avant et surtout à partir de la Loi du 30 juin 1838. Le code pénal de 1810 inscrit dans son article 64 le principe de l'irresponsabilité du criminel en état de démence au moment de l'acte. La loi de 1838, qui ne sera réformée qu'en 1990 est la première loi d'assistance et de sûreté générale et spécifique, inspirée des idées de Pinel, Esquirol et Ferrus. C'est le début du véritable " grand renfermement " : le nombre de fous hospitalisés à Paris est multiplié par plus de cinq en 60 ans. Les structures asilaires inspirées des idées de la fin du XVIIIème siècle, imposées par la loi de 1838 ne sont quelquefois mises en place -comme à Paris- que sous le second Empire, voire sous la Troisième République. Ce décalage induit une inertie considérable dans le système dont le siècle suivant peinera à se dégager. Mais dès la fin du siècle se développe la critique de la séquestration. Le système anglais du no-restraint commence à être appliqué en France, notamment par Magnan à SainteAnne (Paris). Des colonies familiales sont créées sur l'exemple de Gheel, à Ainay-leChâteau et Dun-sur-Auron. Ce siècle est également celui de la nosologie et de la clinique psychiatrique. Une riche et complexe évolution des concepts conduit la psychiatrie française de la nosographie de Pinel aux classifications inspirées des travaux allemands de Kraepelin. Pinel distingue la manie, délire général ; la mélancolie, délire exclusif ou partiel ; la démence, abolition de la pensée ; et l'idiotisme, oblitération des facultés intellectuelles et affectives. Esquirol démembre la mélancolie, délire partiel, en lypémanie, délire triste, et monomanie, délire gai ; et l'idiotisme en idiotie et imbécillité. Plus tard, la remise en cause de l'unicité de la maladie fait passer de l'aliénation mentale aux maladies mentales. L'organogenèse prend une grande extension à la suite des la thèse de Bayle, qui relie lésion, symptômes et évolution, et fait de la Paralysie Générale un modèle. Le XXème siècle Les asiles s'ouvrent progressivement. L'asile d'aliénés devient en 1937 hôpital psychiatrique, dépendant du Conseil général, et plus tard Centre Hospitalier Spécialisé (C.H.S.). Pourtant non prévus par la loi de 1838, les premiers services libres ouvrent leurs portes dans les années 1920 (Edouard Toulouse crée l'hôpital Henri-Rousselle en 1922), quelques années après l'ouverture de services psychiatriques à l'Assistance Publique à Paris (Gilbert Ballet à l'Hôtel-Dieu en 1904). La psychiatrie " hors les murs " naît avec l'ouverture des premiers dispensaires, et les soins en cabinet privé, à la suite d'un véritable boom démographique (en 1880, pour la France entière, on ne compte que 120 aliénistes pour 37 millions d'habitants, tous en hôpital ou en maison de santé), et la psycho-analyse ou analyse freudienne connaît un grand développement. La notion (et le vocable) de schizophrénie, inventé par le Suisse Eugène Bleuler en 1926 s'impose rapidement en France. L'organodynamisme de Henri Ey (il existe une hiérarchie entre le monde inerte, le monde vivant (vie) et le monde de l'esprit (liberté), la pathologie psychiatrique est la pathologie de la liberté) propose une classification distinguant déstructuration de la personnalité : psychoses chroniques et névrose, et déstructuration de la conscience : psychoses aigües, de la manie à la confusion. Aux maladies mentales se substituent donc les grandes structures psychopathologiques. Le Manuel Statistique et Diagnostic (" D.S.M. "), créé pour les besoins de l'expérimentation médicamenteuse, s'impose en fin de siècle comme référence pour la classification et la définition des troubles psychiatriques, parallèlement à l'essor des neurosciences et de la psychiatrie biologique. Pendant la seconde guerre mondiale, la famine cause directement ou indirectement la mort d'environ 40.000 malades mentaux dans les hôpitaux français. La mise en cause du système concentrationnaire et les aspirations nées de la Libération conduisent à une nouvelle politique de soins (Bonnafé, Daumezon, Kœchlin, Oury, Tosquelles, Sivadon, Le Guillant, Chaigneau, Mignot, et bien d'autres) : naissance de la psychothérapie institutionnelle contre la ségrégation et la concentration ; l'institution n'est thérapeutique que si elle est organisée en lieu de parole et si le patient est pris dans un réseau relationnel. La relation mobilise, l'institution fige, d'où la nécessité de créer des structures intermédiaires. La circulaire du 15 mars 1960 (confirmée par la loi du 31 décembre 1985) institue le principe de la sectorisation, insistant en particulier sur l'importance de la prévention, l'accessibilité et la continuité des soins. L'antipsychiatrie, qui constitue la critique radicale du système psychiatrique européen, rencontre un écho assez limité en France. Basaglia en Italie prône la suppression de l'hôpital et l'instauration d'une psychiatrie communautaire (1978). Laing et David Cooper en Angleterre privilégient la notion de relation malade (dynamique extérieure) à celle de sujet malade (dynamique intrapsychique) et inversent le modèle présumé conçu par les parents (la famille est le bien, la maladie le mal). Après une période dominée par la psychanalyse, où se signale notamment Jacques Lacan (1901-1981) naissent d'autres modalités de traitement psychothérapiques (thérapies cognitives et comportementales, thérapies systémiques). La loi du 3 janvier 1968 (Protection des incapables majeurs, relevant du droit civil) dissocie capacité civile et hospitalisation (avant 1838, existait le principe de l'interdiction préalable. Avec la loi de 1838, seuls les malades internés sont protégés par la nomination d'un administrateur provisoire). La loi du 27 juin 1990, réformant la loi de 1838, vise à mieux protéger les droits et la liberté des malades, et pose divers principes, dont ceux de la prévention, des prises en charge ambulatoires et de l'hospitalisation libre comme règle. Le nouveau code pénal de 1992 remplace l'article 64 par l'article 122.1, avec la notion d'abolition du discernement ou du contrôle des actes (ou d'altération du jugement). *** LES THÉRAPEUTIQUES L'association de saignées, purges et bains, éventuellement associés aux douches constitue la base et l'essentiel du traitement médical de la folie, de l'Antiquité à la fin du XVIIIème siècle. Le recours aux méthodes évacuantes ne concerne évidemment pas les seuls aliénés d'esprit. - La saignée, geste thérapeutique banal, est exécutée par un chirurgien sur prescription médicale, qui avec une lancette perfore une veine du bras, du pied, de la tempe et/ou du cou. L'incision est délicate, voire périlleuse, et en cas d'agitation ou d'opposition, force est de lier le malade. Parmi bien des théories, la plus simple est résumée dans l'axiome de Leonardo Botallo : " plus on tire de l'eau croupie d'un puits, plus il en vient de bonne ". Le sang corrompu doit donc être tiré des veines. La phlébotomie du bras est faite pour désemplir, de la temporale ou de la jugulaire, par la proximité du lieu présumé affecté, pour faire une dérivation. Quant à la saignée du pied, pour faire la révulsion, elle dégage le cerveau de la surcharge du sang qui l'oppressait, et ramène le calme dans les idées. Et pour décongestionner le pléthorique, le sang échauffé ou superflu est évacué. Il semble que la saignée est avant tout efficace dans les états d'agitation, probablement par l'affaiblissement physique qu'elle provoque. L'application de sangsues est une méthode d'évacuation sanguine plus douce. - Les purgatifs et les émétiques utilisés sont pour la plupart issus du monde végétal. L'ellébore est l'un des plus connus, que le lièvre recommande de prendre à la tortue sa commère : Rien ne sert de courir : il faut partir à point. Le lièvre et la tortue en sont un témoignage. Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Sitôt que moi ce but. Sitôt ! êtes-vous sage ? Repartit l'animal léger : Ma commère, il vous faut purger Avec quatre grains d'ellébore. Les purges, les lavements servent à évacuer les humeurs accumulées dans les viscères. Dans la manie et la mélancolie, la purge purificatrice doit être violente, et précédée de saignées et de bains. De nombreux autres produits sont utilisés comme émétiques, comme le tartre stibié, ou l'infusion de rognures d'ongles… Les bains sont à l'Hôtel-Dieu de Paris donnés dans les salles des fous, où ont été installées des baignoires à demeure, surmonté d'un appareil propre à administrer manuellement des douches. Les bains chauds ou tièdes sont utilisés pour leur effet sédatif, les bains froids pour leurs vertus toniques, comme les douches, qui ne deviendront un moyen disciplinaire que dans certains asiles du XIXème siècle. D'autres méthodes de traitement sont très usitées, comme l'utilisation de l'opium, qui remonte à l'Antiquité, les vésicatoires (qui attirent les humeurs à la surface pour les évacuer et déterminent une fièvre générale salutaire) et autres " irritants " (urtification, cautères, sétons, moxas), ou encore le pédiluve. À titre anecdotique, signalons au XVIIème siècle l'essai de transfusion de sang de veau à un malade atteint de folie invétérée, pratiqué par un médecin de l'Hôtel-Dieu de Paris nommé Jean-Baptiste Denis. En dépit de ce que l'on sait de la résistance à la douleur et d'une certaine résignation de l'homme du XVIIIème siècle, il est permis de penser que les méthodes employées pour traiter la folie en ce même hôtel-Dieu devaient constituer une bien pénible épreuve. Les divers traitements sont conduits dans une salle surchauffée par une cheminée à feu continu et le fourneau pour l'eau des bains, encombrée de lits installés sur quatre rangs. Et dans ces lits, "où l'on couche trois ou quatre fous, qui se pressent, s'agitent, se battent, qu'on garrotte, qu'on contrarie " (J. Tenon, 1788), se côtoient malades agités et malades prostrés, fous et hydrophobes. Le traitement, intensif, est administré à des malades souvent inconscients de leur état et non consentants. Tandis que les uns sont purgés par le haut et par le bas, d'autres sont saignés, au bras ou à la gorge, à la tempe ou au front, ce qui revient par exemple à ouvrir la veine frontale " après avoir appliqué une ligature autour du cou, assez serrée pour faire gonfler les vaisseaux du visage ". Des malades sont détachés de leur lit et plongés de force dans une des trois baignoires de la salle, ou placés sous " les douches ", ce qui consiste à recevoir sur la tête des seaux d'eau froide ou " glaciale ". " Supposé que les phrénétiques ne veuillent point se soumettre (à la saignée), comme il arrive très-souvent, je ne trouve rien de plus efficace et de plus aisé à pratiquer, que de leur enfoncer avec violence et dans le temps qu'ils s'y attendent le moins, une plume ou une paille dans le nez ; car par ce moyen on fait couler le sang en abondance, ce qui est très-utile au malade ". D'autres recettes plus douces, sont également usitées, comme le lierre terrestre macéré, dont on conseille de mettre une poignée " dans la main d'un homme qui est en délire cela le fait revenir a son bon sens ", ou encore de petites médications pour l'insomnie : s'enduire les tempes avec " les ordures des oreilles d'un asne ", boire du sirop de nénuphar ou " un peu d'eau de vie après soupé ". L'approche psychologique n'est cependant pas tout à fait oubliée : " remarquez que dans la maladie hipocondriaque il faut guérir l'esprit par des discours ou par des stratagemes " . Les premiers traitements spécifiques et efficaces 1917-1957 - La première maladie à bénéficier d'un traitement efficace serait aujourd'hui considérée non pas comme une maladie psychiatrique stricto sensu mais comme une pathologie neurologique à expression psychiatrique . Il s'agit de la paralysie générale (dite " P.G. "), arachnitis chronique décrite au siècle précédent (1822) par Antoine-Laurent Bayle et dont la nature syphilitique est révélée par Alfred Fournier en 1879. Cette étiologie est définitivement établie par le Japonais Hideyo Noguchi en 1913 avec la découverte du Treponema pallidum chez les " pégétiques ". Ceux-ci représentent alors souvent le tiers des hommes dans les asiles d'aliénés, et souffrent de troubles associant idées délirantes de grandeur, euphorie, détérioration intellectuelle progressive et troubles neurologiques dits parétiques, notamment au niveau de la marche (d'où le nom de " paralysie générale "). Jusqu'à la mise au point à Vienne en 1917 par Julius Wagner von Jauregg (18571940) de sa méthode d'impaludation ou malariathérapie (inoculation d'une forme bénigne de paludisme), le malade atteint de Progressiven Paralyse évoluait inéluctablement vers la mort. Cette immense découverte lui vaudra en 1927 le prix Nobel de médecine. - La deuxième grande découverte est celle, entre 1932 et 1938, des méthodes dite de choc dans le traitement de la schizophrénie : En 1932, la cure insulinique (coma hypoglycémique provoqué par injection d'insuline) dite cure de Sakel, du nom de son inventeur l'Autrichien Manfred Sakel (1900-1957), qui restera jusqu'à la découverte des neuroleptiques en 1952 le traitement biologique le plus utilisé. En 1936, la convulsivothérapie par injection intraveineuse d'huile camphrée, puis d'un dérivé synthétique, le Metrazol ou Cardiazol (choc au Cardiazol) qui déclenche une crise d'épilepsie en quelques secondes, inventée par le Hongrois Ladislas von Meduna (18961964) à partir d'une théorie qui s'avèrera fausse, mais dont les résultats seront intéressants, notamment dans les dépressions. En 1938, l'Italien Ugo Cerletti (1877-1963) invente l'électrochoc, convulsivothérapie électrique (déclenchement d'une crise d'épilepsie par une décharge électrique), et son compatriote Lucio Bini (1908-1964) construit le premier sismothère. Ce traitement, relativement simple à mettre en œuvre, dont les principaux inconvénients ont été réduits par l'association d'une anesthésie générale et la curarisation des patients, prend successivement le nom de sismothérapie, d'électroconvulsivothérapie (E.C.T.), d'électronarcose et d'électrostimulation corticale (E.S.C.). Il est réputé avoir transformé radicalement l'ambiance des services de psychiatrie et le destin de nombreux malades réputés incurables. La méthode garde aujourd'hui pour principale indication la dépression majeure (mélancolie) résistante aux autres traitements et faisant courir un risque vital au patient. - Le neurologue portugais Egas Moniz (1874-1955) est resté dans l'histoire comme l'inventeur en 1936 de la psychochirurgie, bien que les premières topectomies à visée curative aient été en 1888 le fait du suisse Gottlieb Burckhardt (1836-1907). La méthode de traitement consistant en la destruction de certaines zones du cortex préfrontal (par injection d'alcool) ou la suppression de connections intracérébrales par section chirurgicale de fibres thalamofrontales, dénommées lobotomie, lobectomie, leucotomie, est totalement abandonnée aujourd'hui. Moniz est en 1949 récompensé de sa découverte de la psychochirurgie et de celle de l'angiographie cérébrale par le prix Nobel. - La psychopharmacologie (et donc la psychiatrie biologique) naît avec la découverte en 1952 par les neuropsychiatres parisiens Jean Delay (1907-1987) et Pierre Deniker des effets antipsychotiques de la Chlorpromazine, chef de file des neuroleptiques. Le traitement, d'un emploi bien plus aisé que les méthodes de choc, modifie plus encore que tout autre la vie des hôpitaux et celle des malades mentaux. Il renforce également la médicalisation des soins en psychiatrie. Sur le plan théorique, le fonctionnement synaptique remplace la perspective lésionnelle du début du XXème siècle (G. LantériLaura). Vers 1954, le Suédois Mogens Schou met au point le protocole de prescription des sels de lithium, premier traitement préventif de troubles mentaux (dans la psychose maniaco-dépressive aujourd'hui dénommée maladie bipolaire). A la fin des années 1950 sont enfin découverts les premiers antidépresseurs (Imipramine et Iproniazide en 1957) et les premiers hypnotiques et tranquillisants. Les psychothérapies Sigmund Freud (1856-1939), docteur en médecine, après s'être intéressé à la neurologie, à l'histologie et surtout à l'hypnose lors de son séjour dans le service du professeur JeanMartin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière (Paris), élabore à partir de l'étude des névroses une nouvelle théorie de la vie psychique : les maladies sont l'expression des forces de l'inconscient refoulé. Les Études sur l'hystérie, publiées avec Breuer en 1895, constituent l'acte de naissance de la psychanalyse. Freud propose une distinction entre névroses actuelles (névrose d'angoisse, neurasthénie et hypocondrie) et névroses de transfert (hystérie de conversion, névroses phobique et obsessionnelle), et invente les notions de fixation et de régression, ainsi que du refoulement (rejet hors de la conscience des pulsions interdites) et de la libido (énergie des instincts sexuels). Après avoir appliqué les idées de Charcot sur l'hystérie traumatique (catharsis, abréaction, reviviscence du trauma avec l'affect qui lui est attaché), il abandonne l'hypnose et invente la technique des associations libres. La psychanalyse est née, nouvelle méthode de psychothérapie fondée sur l'exploration de l'inconscient, par l'analyse du transfert (relation affective du patient à la personne de son analyste) et des résistances, l'interprétation des rêves, etc. L'introduction de la méthode en France et surtout dans les asiles est assez lente. Son application pratique, notamment dans le traitement de la psychose est limité, mais la théorie offre une compréhension irremplaçable du fonctionnement psychique normal et pathologique. En France, Jacques Lacan (1901-1981) prône le retour à Freud et fait école. Après une période dominée par la psychanalyse et les psychothérapies qui s'en inspirent, individuelles et de groupe (psychodrames, thérapies familiales) naissent d'autres modalités de traitement, telles que les thérapies cognitives et comportementales (déconditionnement, désapprentissage de conduites inadaptées, de comportements pathologiques) et les thérapies systémiques (prenant en compte le système famille-thérapeute). *** LA PROFESSION INFIRMIéRE EN PSYCHIATRIE Jusqu'au début du XIXème siècle, ce qui est devenu depuis le service public (par opposition aux maisons religieuses, où les soins sont assurés par les frères ou les sœurs, et aux maisons de santé privées, qui recrutent des domestiques) emploie un personnel laïc composé volontiers d'anciens malades guéris (de maladie physique, mais aussi parfois d'aliénation). Dans les hôtels-Dieu d'Ancien Régime, les religieuses ont une fonction assez proche de celle des cadres infirmiers et des infirmiers d'aujourd'hui : direction des salles, administration des remèdes, distribution des aliments. Elles sont secondées par les convalescents qui bénéficient ainsi du vivre et du couvert. Dans la Domus Dei Parisiensis, l'Hôtel-Dieu de Paris, les mères des salles établissent volontiers les certificats de sortie des malades, et sont constamment en conflit (d'attribution) avec les médecins. Ceux qui composent alors le " personnel auxiliaire ", " secondaire " ou subalterne ", que l'on nomme selon les époques et les lieux gardiens, gens de service, employés ou infirmiers (qui s'occupent des infirmes, nom ancien des malades) sont recrutés dans les basses classes de la société : ils touchent des gages inférieurs à ceux du valet de ferme et sont considérés comme le " rebut de la domesticité ". Généralement incultes, souvent illettrés, ils sont choisis autant que possible sur des critères moraux : les qualités requises sont l'humanité, la douceur, la sagesse, la vigilance, mais aussi la fermeté et l'obéissance. Ils sont sous l'autorité du gouverneur, ou surveillant, plus tard dénommé infirmier chef, ceux-ci étant sous les ordres de l'administration, puis du médecin chef. De nombreux établissements bénéficient des services d'infirmiers et de gardiens (nom qui n'est en rien péjoratif), dont la tâche est bien distincte : " L'infirmier n'est qu'une des formes du gardien. Il soigne l'aliéné malade. Le gardien est quelque chose de plus que l'infirmier ordinaire : il a la garde de l'aliéné ; il a la commission de le garder, de le conserver, de le défendre, de le soigner, de le surveiller " (Docteur Bouchet, aliéniste, 1844). Le port de l'uniforme est obligatoire, donnant une allure quasi militaire aux gardiens, dont le grade est marqué par des bandes et des galons, jusque dans les années 1930, voire bien plus tard. Si la circulaire du Ministre de l'Intérieur en date du 19 juillet 1819 se doit encore d'ordonner que " les gardiens ne doivent plus être armés de bâtons, de nerfs de bœuf ni accompagnés de chiens ", on mesure en ce début de siècle le chemin restant à parcourir pour une réelle humanisation des soins et pour une professionnalisation des personnels. Au XIXème siècle, les infirmiers sont nourris et logés à l'asile, et ne peuvent sortir sans autorisation spéciale. Leur logement est en général situé dans le quartier des malades, soit dans une chambre proche du dortoir, soit dans le dortoir lui-même. Ce que l'aliéniste Renaudin recommande en 1846 : " nous n'avons vu nous-même que de très grands avantages à faire coucher les gardiens et gardiennes dans les dortoirs-même occupés par les aliénés ". Le règlement de l'asile Sainte-Anne (Paris) précise en 1868 : Art.61 : " Le service de surveillance est continu, et ne peut, en aucune circonstance, être interrompu ni le jour ni la nuit. En conséquence, les gardiens et les gardiennes habitent les divisions le jour et la nuit ; ils ne peuvent les quitter le jour, même aux heures des repas qu'en assurant la présence de huit gardiens ou gardiennes par division " Art. 110 : " Les employés qui habitent l'établissement ne pourront y entrer ou en sortir avant ou après les heures fixées par l'art. précédent sans une autorisation écrite du Directeur " (N.B. : 5h. ou 6h. selon la saison et 23h.) Art.119 : " Les employés de tous grades ne peuvent sortir dans le jour et ceux qui sont logés dans l'établissement ne peuvent découcher qu'avec l'autorisation du Directeur " A l'asile de Maison-Blanche, le délogement devient obligatoire à partir de 1911. Le célibat est une obligation réglementaire, et reste fort longtemps une recommandation. Du fait des conditions de vie des infirmiers et infirmières, le mariage implique un changement professionnel dans la plupart des cas. La médiocrité du recrutement, le faible niveau des gages, les contraintes et le caractère souvent ingrat d'une fonction exercée dans un climat de violence et d'autoritarisme conduit le corps des gardiens et infirmiers à une grande instabilité. À la fin du XIXème siècle se créent des associations professionnelles, puis des syndicats dont les revendications premières concernent le temps de travail, les congés, la rémunération et le système de retraite. Le service permanent ou continu reste la règle jusqu'en 1880, où commence à être instaurée la journée de 12 heures (mise en place à Maison-Blanche en 1907 seulement). Un jour de repos hebdomadaire est accordé à partir de 1906. Le personnel de MaisonBlanche bénéficie alors d'une journée libre tous les quinze jours et de huit jours de congés annuels. En 1919 est mise en place dans quelques asiles (dont Maison-Blanche) la journée de 8 heures sur six jours. Mais au Bon Sauveur de Caen, en avril 1936, les gardiens n'ont encore que 2 heures de liberté par jour avec permission de sortir en ville, et le repos hebdomadaire est la permission de sortir 12 heures de l'établissement. En 1937, la durée hebdomadaire passe de 48 à 45 heures. Elle repassera de 1940 à 1946 à 48 heures. La fin du "cadre unique", avec la création de postes d'aides-soignants et d'agent des services hospitaliers, la mise en place de la sectorisation et la multiplication des structures alternatives et des prises en charge ambulatoires, et la formidable ouverture de l'hôpital sur la cité bouleversent les conditions d'exercice et la relation soignante. LA FORMATION (en référence à M. Jaeger, Garder, surveiller, soigner. Essai d'histoire de la profession d'infirmier psychiatrique. Cahiers VST n°3, janvier 1990) Tandis que s'améliorent les conditions de travail, les premières écoles d'infirmiers ouvrent sous la Troisième république : à la Salpêtrière et à Bicêtre en 1878 (écoles municipales), à Sainte-Anne (Paris) en 1882, Montpellier (Hérault) en 1899, Bron (Rhône) en 1902, Bassens (Gironde) en 1903, Pau (P.-A.) en 1904,É La nécessité de créer des écoles pour le personnel subalterne avait été suggérée par Scipion Pinel dès 1836. Quarante ans après, la première réalisation se fait sous l'impulsion de Bourneville, auteur du Manuel pratique de la garde-malade et de l'infirmière : l'élève suit sur un an des cours d'anatomie, de physiologie, d'hygiène, d'administration et de pharmacie, et apprend à faire les pansements. Les études sont sanctionnées par un certificat d'aptitude professionnelle. Une réforme du programme et des examens est envisagée en 1902, pour permettre d'éviter l'élimination les " agents excellents mais n'ayant pas une instruction primaire suffisante ".Dans le même esprit, les examens écrits qui handicapent les illettrés sont complétés en 1907 d'un examen oral et d'une épreuve pratique. Le département de la Seine crée ensuite une école par asile, où sont dispensés des cours sur trois ans. Un jury unique siège successivement dans chacun des six asiles, et décerne le Certificat d'aptitude des Ecoles départementales d'infirmiers et infirmières et des prix : une somme d'argent en livret de caisse d'épargne pour les deux premiers, des livrets et médailles pour les plus méritants. Mais les échecs sont nombreux: les infirmiers ne peuvent suivre les cours qu'après une dure journée de travail, et les cours pratiques sont mal organisés. A partir de 1913, il y a obligation de présenter le certificat d'études primaire pour être embauché, ou de passer un examen probatoire de même niveau. Un certificat de moralité, attestant des bonnes vie et mœurs du postulant, complète le dossier. Des textes à la pratique, il y a ici toujours un certain écart, comme en témoigne une déclaration du directeur de l'asile de Charenton en 1926: "L'admission de nos agents, cultivateurs le plus souvent, ne s'accompagne d'aucune épreuve permettant d'apprécier leur valeur technique et morale, mais se borne en réalité à un simple examen de leur état physique et à la constatation d'une instruction généralement rudimentaire". Jusqu'ici, le niveau de compétence technique n'a qu'une valeur très relative, bien moindre que les qualités morales. Le développement des soins, hydrothérapie et surtout dans les années 1930 malariathérapie et thérapies de choc va nécessiter de relever le niveau de connaissance théorique et de compétence pratique. En 1930, par décret du 26 mai est introduite la dénomination d'infirmier psychiatrique (notons que les asiles ne sont dénommés hôpitaux psychiatriques qu'en 1937) et réglementée l'obtention du diplôme. A la suite du décret du 18 février 1938 sur le Diplôme d'Etat d'infirmier (dit diplôme unique), on délivre des autorisations d'exercer aux non-diplômés d'Etat justifiant d'une certaine ancienneté. Mais l'autorisation d'exercer à titre définitif n'est valable que dans les hôpitaux psychiatriques, d'où la différenciation entre les "D.E." et les autres infirmiers. Les diplômes locaux sont validés en 1948 et 1949. Ces diplômes d'"H.P." ne sont décernés que pour l'exercice dans ces mêmes "H.P.", et certains de ces diplômes uniquement dans l'hôpital où la scolarité a été effectuée. Plus tard, deux arrêtés (1955 et 1958) décident d'imposer un programme national identique pour toutes les écoles sanctionné par un diplôme à valeur nationale. L'arrêté du 12 mai 1969 modifiant l'appellation des infirmiers psychiatriques qui deviennent infirmiers de secteur psychiatrique ouvre à une pratique nouvelle, "hors les murs" de l'hôpital, soins à domicile, dans les "dispensaires d'hygiène mentale" et les structures alternatives. Beaucoup plus récemment, l'arrêté du 15 mars 1993 unifie les deux diplômes (secteur psychiatrique et soins généraux), et créée le Diplôme d'Etat. Réglementation européenne oblige, la possession de ce diplôme est devenu condition nécessaire et suffisante pour les nouveaux étudiants en soins infirmiers pour exercer leur profession, quels que soient l'hôpital, le service et la spécialité. "La psychiatrie", in: Médecine et maladies, Les Dossiers de l'Histoire, 1981, 33, 110 p. (numéro codirigé avec Mme Marie-Paule CAIRE-JABINET) Association Scientifique des Psychiatres de secteur (Les Assises de la Psychiatrie publique: Le bilan), Maison Blanche (Neuilly-sur-Marne), 17 septembre 1993. Titre de la communication: Deux cents ans de psychiatrie publique (avec le Docteur Parvis DENIS) "La recherche moderne en psychiatrie à l'épreuve de l'histoire", Nervure, 2001, 6; 33-34 (communication au 4ème colloque du Regroupement National en Psychiatrie Publique (RENEPP), 27 avril 2001, Centre Hospitalier Sainte-Anne (Paris). Histoire de la psychiatrie parisienne, Clinique Rémy de Gourmont (Paris), Séminaire du 34ème secteur, 8 février 1999 (R)évolutions thérapeutiques et institutionnelles (avec le Dr Michel GOURÉVITCH), communication aux Journées de l'Association Paris-Maison Blanche "Avec le temps...", 21 et 22 septembre 2000, Maison Blanche (Neuilly-sur-Marne)