mais surtout du retard en matière de R&D dont souffre l’Europe. Un autre exemple : les auteurs déplorent un système qui
est arrivé au bout de ses forces, mais un système qui a quand même eu le temps de changer notre rapport au profit, la
place de salariat dans la production, la représentation de l’entreprise, bref un système qui a induit des modifications
jusqu’à l’intérieur de nos valeurs. Que faire face à cela ? L’une des trois propositions des auteurs (avec la socialisation de
l’investissement et la taxation des bénéfices boursiers reversé aux plus pauvres, ce qui n’est pas d’une grande originalité)
consiste à « convaincre les investisseurs de modérer leurs exigences de rendement du capital, afin d’éviter la baisse de la
part des salaires dans le partage des revenus »… On a presque envie de rire de la naïveté d’une telle proposition. Et
quand, à la suite de ces trois solutions plutôt keynésiennes, on trouve cette petite dernière « il ne s’agit pas de re-
réglementer le marché du travail » mais de lui donner plus de flexibilité en rompant avec une certaine idée de la
protection de l’emploi, on retrouve la conception libérale de l’économie avec un « marché » capable mieux que quiconque
de décider de l’allocation optimale des ressources.
Je ne reviendrais donc pas sur les analyses qui ont été faites et qui sont dans l’ensemble cohérents mais plutôt sur
la thèse que défendent les auteurs et qui est inusuffisamment soutenue « il faut partager les revenus ». En effet, on
s’attendait sans doute à ce que les auteurs s’appliquent davantage à analyser historiquement et à critiquer cette
déformation du partage des revenus au détriment des travailleurs, aujourd’hui premières victimes de la globalisation du
capitalisme, et des crises économiques qui marquent son évolution. On trouve ce type d’analyse dans le livre de Liêm
Hoang-Ngoc qui est quant à lui très clair et serait à la hauteur d’un titre comme « Pourquoi il faut partager les revenus ? ».
Ce livre est composé de trois parties, toutes les trois dotées d’une cohérence et d’une dynamique différente. Dans la
première, Hoang-Ngoc revient sur l’historique de la répartition des revenus et explique comment, après plusieurs
décennies de réduction des inégalités, celles-ci ont recommencé à se creuser et que même si le salaire médian et moyen
continuent de progresser, cela est surtout lié à la très forte progression de la situation des très hauts revenus tandis que
pour les ménages modestes et moyens, la situation stagne voire se détériore. L’auteur explique que cela vient de
l’augmentation forte qu’ont connus les revenus du patrimoine, notamment des dividendes or ces revenus sont très
inégalement répartis parmi les classes sociales. Parallèlement, les ménages modestes ( dont les prestations sociales
constituent 30 % des revenus) et les ménages moyens ( dont les revenus salariaux représentent 75 % des revenus)
connaissent une dégradation de leur situation sur ces deux fronts : outre la hausse des dépenses contraintes dont ces deux
types de ménages sont particulièrement tributaires, les allocations diverses et autres minima sociaux ont sans cesse connu
une érosion ( faible mais régulière), de même, les salaires ( moyens et bas ) ont eux-aussi connu une régression à mesure
que la part des salaires dans la VA était grignotée par celle du profit, utilisé non pas en investissements mais reversé sous
forme de dividendes… L’auteur veut ainsi tordre le cou aux thèses qui avanceraient que la perte de pouvoir d’achat dont
se plaignent les ménages ne serait que ressentie mais non réelle. Pour cela, il revient sur les indicateurs utilisés pour
mesurer les inégalités vis-à-vis du pouvoir d’achat, des revenus, etc. En détaillant la façon dont ceux-ci sont construits, ce
qu’ils mesurent, quels sont les biais qu’ils comportent et les inégalités qu’ils cachent, l’auteur montre quels sont les
indicateurs qu’il vaut mieux utiliser pour mieux prendre la mesure des inégalités. Dans la deuxième partie, l’auteur
revient sur les différents modèles macroéconomiques dans lesquels le revenu et sa répartition sont pris en ligne de
compte, il réfute alors le modèle néoclassique qui explique le phénomène de croissance par l’épargne (cf. théorème de
Schmidt) et qui insiste sur le fait que pour eux, l’économie est contrainte par l’offre qu’il est donc nécessaire de soutenir.
Pour ce faire, l’auteur explicite le paradoxe des couts et de l’épargne qui est observable aujourd’hui puisque l’épargne est
excédentaire mais l’investissement, la croissance et l’emploi n’en sont pas plus stimulés. Hoang-Ngoc développe alors le
modèle de croissance post-keynésiens qui lui, pose la consommation comme élément moteur de la croissance. On voit
alors, en utilisant le différentiels de propension marginale à consommer entre les différents ménages à quel point le
partage des revenus peut être bénéfique pour la croissance et permettrait, dans le cas présent de relancer l’économie.
Enfin, l’auteur, dans une troisième partie, revient sur la crise économique et financière récente. Il en détaille alors le
déroulement, les tout cela en comparant la crise de 29 et celle de 2008 et en dégageant ainsi les point communs mais aussi
les différences qui existent entre ces deux crises. D’une part, on voit alors, à quel point la crise récente comme celle de 29
sont liées au partage des revenus et plus particulièrement au décrochage que l’on observe avant chacune d’elle entre
l’évolution des gains de Pé dans les entreprises et l’évolution des salaires. D’autre part, lorsque Hoang-Ngoc explique
quels ont été les différents plans de relance, leur composition, leur but, leur ampleur, on perçoit à quel point les plans bien
que conséquents ne proposent que très rarement une réforme du système de répartition et de production, réformes pour le
moins nécessaires. En conclusion, l’auteur propose quelques solutions, développées de manière plus conséquente que
dans le livre d’Artus et Virard. Il prône par exemple, une extension des prérogatives du FMI qui pourrait devenir une
véritable instance de contrôle du système financier. En ce qui concerne la stricte répartition des revenus, il y a dans ce
livre de nombreuses pistes qui sont poursuivies et développées dans e livre du même auteur Vive l’impôt ! et qui
décortique le système fiscal français tel qu’il est depuis des siècles, tel qu’il a évolué, et tel qu’il devrait être pour être
vraiment équitable. Mais d’autre économistes ont également fait des propositions dans ce sens (sans forcément aller
chercher dans les thèses d’ATTAC Pour un big-bang fiscal) on peut citer certaines propositions originales ( mais tout à
fait réalisables) comme celle de Lordon et ses SLAM : Shareholder Limited Authorized Margin (marge actionnariale
limite autorisée) qui fixe une limite à la rentabilité des actions en utilisant le taux d’intérêt de l’actif sans risque plus une
prime de risque, non comme un seuil plancher tel qu’il était défini mais plutôt comme un seuil plafond au-delà duquel le
supplément de profit dégagé de l’action serait versé à l’Etat (voir texte complet dans les archives du Monde Diplomatique
de février 2007 ou en annexe 1)
Pour finir, il est également possible de trouver des auteurs qui ne voient pas pourquoi il faudrait partager les
revenus voire même qui voient dans l’impôt progressif une hérésie. Je vous ai donc reproduit le texte (en découpant