1 ENVOYE PAR CELINE. LE THEATRE MARIE-CLAUDE HUBERT Avant-Propos Le théâtre ne s’accomplit vraiment que dans la représentation. On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ; et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre (Molière “Au lecteur” L’Amour Médecin) Il y a bien de la différence entre peindre à mon imagination et mettre en action sous mes yeux (Dorval, porteparole de Diderot Entretiens sur le fils naturel) Le roman et le théâtre sont deux genres irréductibles. I LE SYSTEME DRAMATIQUE Le théâtre est un art de la mimêsis, Platon mimêsis = le poète fait parler ses perso. diégésis = “ parle en son nom. I.A Le dialogue ou la double médiatisation du discours I.A.1 Absence de discours commentatif Dans le poème dramatique il faut que le poète s’exprime par la bouche des acteurs ; il ne peut y employer d’autres moyens (D’Aubignac, La Pratique du théâtre, livre I) Les idées de l’auteur ? On ne peut que rarement les dégager de la pièce (un peu avec le théâtre engagé, Sartre) L’auteur et ses perso Le théâtre, quoique hypostasiant le « je » puisque chaque personnage perle à la première personne, interdit toute possibilité d’autobiographie. (MCH) Autobio dans la pièce, qq traces avec Molière qui écrivit Le Misanthrope lorsqu’il comprit qu’il ne pourrait pas se faire aimer d’Armande Béjart. Il se sont déjà détachés de moi (Pirandello, pref de Six personnages en quête d’auteur) Pas de plan préétabli C’est parce que le dramaturge ne peut s’exprimer directement que nous n’avons jamais d’architecture d’ensemble d’une œuvre dramatique. (MCH) Il est remarquable que pour souligner le lien entre ses trois pièces Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro, La Mère coupable, Beaumarchais utilise des mots de romancier “Le roman de la famille Almaviva” I.A.2 Absence de description du personnage dramatique Caractère énigmatique du personnage Le perso n’existe que dans le dialogue, 2 CLOV : A quoi est-ce que je sers ? HAMM : A me donner la réplique. (Beckett Fin de partie) Parfois, explication partielle avec un “récitant” (Brecht) ou un coryphée (théâtre antique) mais ce perso ne peut être objectif car il appartient à la pièce. Rareté des portraits “Le personnage, sur scène, est d’abord appréhendé à travers l’acteur” (MCH) La perception de sa personne est immédiate. Le portrait d’un personnage est fait souvent par un autre perso, exemples, le portrait de Thomas Diafoirus par son père dans Le Malade Imaginaire, les portraits que fait Célimène dans Le Misanthrope (nous renseignent plus sur Célimène que sur les perso qu’elle décrit) Le rôle Il y a parfois des changements de rôle au cours de la pièce mais le spectateur reconnaît tjrs le rôle profond, exemple Silvia prend le rôle de Lisette dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard mais demeure Silvia pour les spectateurs. Le jugement est dévolu au spectateur, exemple Fin de Partie (Beckett) HAMM : On n’est pas en train de…de…signifier quelque chose ? CLOV : Signifier ? Nous signifier ! (Rire bref) Ah elle est bonne ! HAMM : Je me demande (Un temps) Une intelligence, revenue sur terre, ne serait-elle pas tentée de se faire des idées, à force de nous observer ? (Prenant la voix de l’intelligence) Ah, bon, je vois ce que c’est, oui, je vois ce qu’ils font ! Ce sont les perso secondaires (qui n’apparaissent pas) qui sont le plus souvent décrits. I.B L’action dramatique I.B.1 Le conflit La scène est tjrs un champ de bataille (physique chez les antiques, physique ou verbal chez les classiques) Solomon Marcus dégage le “degré de verbalisation du conflit” qui est le nb de présence avec répliques d’un perso / le nb de présences scéniques total de ce perso. I.B.2 L’exposition Présentation du conflit dès le début de la pièce Problème du dramaturge : concilier cette nécessaire explication et l’action, pas de temps d’arrêt trop long. Exemple La Mère coupable I2 Figaro (à Suzanne qui lui reproche de lui rappeler des choses qu’elle connaît déjà) “Encore faut-il bien s’expliquer pour s’assurer que l’on s’entend” Beaumarchais souligne cette difficulté. I.B.3 Le déroulement du drame Durcissement du conflit jusqu’au nœud. Ce fait est souligné par le perso de Dubois dans Les fausses Confidences (Marivaux) : “Voilà l’affaire dans la crise !” Une pièce de théâtre est une construction constituée d’une série d’états de conscience, ou de situations, qui s’intensifient, se densifient, puis se nouent, soit pour se dénouer, soit pour finir dans un inextricable insoutenable (Ionesco, Notes et contre-notes) I.C L’écriture didascalique Deux niveaux d’écriture, dialogue et didascalies (appelées pantomimes au XVIIIème). Les didascalies sont de plus en plus abondantes depuis le XVIIIème. Pour M. Issacharoff, Le spectacle du discours, les didascalies sont à peu près l’équivalent de la fonction métanarrative dans le roman. 3 I.D Les servitudes de la scène Le canevas de la pièce (sa structure interne qui existe dans l’esprit de l’auteur) pourrait aussi bien être un résumé de roman. La structure externe est spécifiquement dramatique et dictée par l’espace clos de la scène. Corneille avait conscience de cette contrainte scénique : Nous sommes gênés au théâtre par le lieu, par le temps, et par les incommodités de la représentation qui nous empêchent d’exposer à la vue beaucoup de personnages à la fois […] Le roman n’a aucune de ces contraintes : il donne aux actions qu’il décrit tout le loisir qu’il leur faut pour arriver…(Corneille, Deuxième discours) I.D.1 Contraintes spatio-temporelles Espace scénique / espace dramaturgique Espace scénique : “L’ensemble abstrait des signes de la scène” Anne Ubersfeld, Lire le Théâtre. = Lieu scénique : “Espace concret investi par les comédiens” Espace dramaturgique : Imaginaire, n’existe que dans le discours des perso. Ouvre la scène sur d’autres horizons. Arrière-plan qui n’est pas montré. Les deux temps du théâtre Temps de la représentation = temps de l’action. Les classiques veulent donner l’illusion que si, les auteurs contemporains soulignent sans cesse que non. Au théâtre nous manipulons le temps comme un accordéon, à notre plaisir. (Un perso du Soulier de Satin, Claudel) I.D.2 La division en actes L’unité temporelle de l’acte La division en actes permet de ne représenter que les moments marquants. Un acte marque une unité. Salomon Marcus dégage “l’indice de mobilité” d’un perso, nb d’entrées et sorties du perso / nb total de scène. Le temps des entractes Un intervalle de temps (de l’action dramaturgique imaginaire) variable sépare les actes. Euripide et Sénèque meublaient ces entractes avec des chants et des danses ce que condamne Aristote. Dans Athalie, Racine ponctue chaque acte avec un chant du Chœur, les chanteuses sont aussi des personnages. Pour la mise en scène du Bourgeois Gentilhomme, Jérôme Savary réutilise les intermèdes chantés et dansés, originellement présents dans la pièce de Molière. I.D.3 Le langage dramatique Intrusion du diégétique Lors des récits, les termes introducteurs des didascalies peuvent être supprimés par l’auteur. Entre l’écrit et le dit Les acteurs sont sensés dialoguer devant nous, mais c’est une illusion comme en témoigne l’existence des apartés. Ainsi, le langage dramatique est à mi-chemin entre l’écrit et le dit. Il a la spontanéité apparente de l’oral et la perfection de l’écrit. Les six fonctions du langage (cf. Jakobson) La versification Au Moyen-Âge, ce sont l’octosyllabe et le décasyllabe qui sont le plus employés. Au XVIII ème le texte est surtout en prose, le romantisme alterne entre la prose et l’alexandrin. 4 I.E Le goût du public I.E.1 L’illusion du côté du spectateur Le rapport au spectateur Le texte est parfois remanié en fonction de l’appréciation du public, Musset, sifflé décide de ne plus écrire que des pièces “à lire” (le théâtre dans un fauteuil). Hugo arrête sa carrière de dramaturge après l’échec des Burgraves. L’imaginaire du spectateur est activement sollicité pour reconstituer un décor fait de planches Suppléez par votre pensée à nos imperfections […] C’est votre pensée qui doit ici parer nos rois (Shakespeare, Henry V) Le mythe de l’illusion parfaite On veut croire “que c’est pour de vrai” comme un enfant. Dans Racine et Shakespeare, Stendhal raconte que lors d’une représentation d’Othello, un spectateur a tiré sur le perso d’Othello au moment où il allait tuer Desdémone. Dans l’Illusion Comique, Primadant est le perso du crédule qui croit que c’est “pour de vrai”. I.E.2 Rire et / ou pleurer Le théâtre est le miroir de la nature. Pour que le spectateur puisse être ému, il faut qu’il puisse croire à ce qu’il voit. Le monde stylisé qu’évoque le théâtre, plus vrai que le vrai, met en cause le spectateur dans son existence même, et c’est pourquoi le théâtre nous émeut. Par le spectacle qu’il nous offre de nous même, il nous fait ressentir l’artifice de la vie humaine. MCH (cf. Shakespeare ) Le monde entier est une scène et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs (Shakespeare, Comme il vous plaira) I.E.3 L’illusion du côté de l’acteur Dans Le Paradoxe sur le Comédien, Diderot note que l’acteur ne doit éprouver aucune des émotions du perso. Son jeu ne doit pas être investi d’émotions mais être le fruit de qualités particulières et surtout, de travail. Ce n’est pas l’acteur qui vit les émotions du perso mais les spectateurs. Les romantiques pensent le contraire. I.E.4 Les moralistes et le théâtre L’attitude de Platon Pense que le poète est dangereux car séducteur. La condamnation des jansénistes Pour eux le jeu corrompt. D’où la polémique de leur part contre Racine. Le psychodrame Pour les psychanalystes, le jeu semble favoriser une levée des inhibitions, le théâtre est parfois utilisé comme une thérapie. 5 II LE THEATRE MEDIEVAL II.A Naissance d’un genre II.A.1 Origines Le théâtre est né d’une tradition religieuse et profane Le théâtre religieux Dès le IXème siècle, on joue des drames liturgiques dans les églises, ceci est à l’origine des Mystères et des Miracles. Le théâtre profane Les jongleurs jouent les chansons de geste, ils imitent plusieurs perso. Les fêtes Au XIIIème siècle, la Fête des Fous ≈ psychodrame. Les institutions sont bafouées, les hauts dignitaires sont tournés en dérision. Cette fête est interdite en 1436 mais elle survit jusqu’au milieu du XVIème. Elle a ouvert la voie à la Sotie par son aspect contestataire et à la Farce par son côté grotesque. II.A.2 Les premiers Jeux “Réalisme dans le tableau des mœurs et abondance de traits comiques” MCH. Pas de nette séparation entre le religieux et le profane. Le « Jeu de Robin et de Marion » Crée par Adam de la Halle, dit Le Bossu à la fin du XIII ème, c’est un théâtre entièrement profane, il adapte un genre poétique en vogue, la pastourelle. L’histoire : un chevalier essaie par deux fois de séduire la bergère Marion, fidèle à Robin. Robin veut la défendre mais devient lâche et s’enfuit laissant Marion se débrouiller toute seule. Robin est à l’origine d’un type comique qu’on retrouve souvent chez Molière, le paysan balourd. Le « Jeu du garçon et de l’aveugle » Série de mauvais tours qu’un jeune garçon joue à son maître aveugle. L’aveugle était tjrs un être antipathique au Moyen-Âge, d’où le rire est possible. Le couple valet/aveugle restera très présent dans la litté, c’est l’objet du premier roman picaresque, La Vie de Lazare de Tormes. Procédé comique de la répétition, largement exploité par la suite ainsi que le double langage (le garçon prend une voix de gentil pour s’adresser à l’aveugle) II.A.3 Les “dits” Un perso qui déclame un monologue versifié, Rutebeuf Dit de l’herberie. Ce terme peut également désigner un fabliau, le Dit des perdrix. II.B Nouvel Essor Déclin du théâtre au XIVème siècle (guerre de 100 ans, peste noire…) Après, explosion de formes comiques. II.B.1 Sermons joyeux et monologues Sermons joyeux : Saint-Andouille, Saint Frappe-culz, tournent en dérision les sermons religieux avec un latin macaronique, plaisanteries obscènes. Monologues : caractère dramatique plus marqué, Le Franc Archer de Bagnolet. Structure en deux temps, le plus souvent 1ère partie récitation : un soldat bravache qui se vante, 2 ème partie jouée : le soldat est ridiculisé. Parfois certains acteurs étaient dans le public pour lancer des commentaires. 6 II.B.2 Les Farces De 1440 à 1560. Les parades Deux perso qui se disputent et se battent. On retrouve cette structure chez Molière, le théâtre de Guignol, Beaumarchais Colin et Colette, Picasso et Cocteau Parade. Le cocu ridicule Topos de l’époque. On le retrouve chez Molière, L’École des Maris. La Farce du Cuvier : une femme ordonne à son mari de noter sur un rollet toutes les tâches qu’elle lui ordonne de faire. Elle tombe dans un cuvier et son mari “ne peut” la sauver car ce n’est pas écrit sur son rollet. Il finit par l’aider à condition de redevenir le maître. Le comique naît de plusieurs sources, “ne peut” l’aider, rapidité des ordres donnés par rapport à la lenteur du mari pour les noter. Le benêt Autre personnage type, répond de travers d’où coq-à-l’âne, quiproquos. La Farce de Maître Pathelin Guillemette, femme de Pathelin, laisse entendre qu’il est un avocat véreux. Pathelin berne le drapier Guillaume en jouant le mourant (mélange plusieurs dialectes comme s’il délirait d’où comique) Pathelin est à son tour berné par un berger qu’il défendait contre le même drapier : il lui a conseillé de répondre « Bée » à toutes les questions pour faire croire qu’il est idiot, le berger répondra de même au moment de payer Pathelin. Les ressorts de la Farce Perso figé dans un rôle. Le nom est une étiquette (Guillaume, le niais, Jacques, le sot). Tjrs un dupé. Du Bellay condamne ce genre dans Défense et Illustration de la Langue Française mais il survit jusqu’au XVIIème siècle. II.B.3 Soties et Moralités La Sotie Genre extrêmement carnavalisé. Théâtre engagé, de contestation. Pour les « sots » la sottise est une qualité supérieure et ils dénoncent ainsi les failles du système. Parfois dirigés par un meneur de leu, « La Mère Sotte » 1461, Les Gens nouveaux qui mangent le monde et le logent de mal en pis : satire de la corruption des juristes. Ce théâtre fut l’objet d’une censure sévère mais Malherbe en parle encore en 1625. Cette forme se retrouve chez Shakespeare. Son esprit se retrouve chez Rabelais, Voltaire, Jarry. Gide intitule certains de ses textes dont Les Caves du Vatican de soties. Les Moralités Affirment un caractère didactique. 1507, La Condamnation du Banquet de Nicolas de la Chesnaye. Aujourd’hui ce genre paraît froid du fait d’un large recours à l’allégorie. Je hais l’art symbolique dans lequel la représentation perd toute spontanéité pour devenir machine, allégorie, effort vain et mal compris, car le seul fait de donner un sens allégorique à la représentation montre clairement que l’on considère déjà celle-ci comme une fable qui n’a en soi aucune vérité, ni imaginaire ni réelle, et qui est faite pour la démonstration d’une quelconque vérité morale. (Pirandello préface de Six personnages en quête d’auteur) II.B.4 Les Mystères Ils constituent la lointaine origine du drame. Relatent la vie d’un saint en entier (le Miracle n’en montre que des épisodes) 1450, Le Mystère de la Passion d’Arnoul Gréban. Renaît au XXème siècle (Péguy Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, Claudel L’Annonce faite à Marie) alors que le genre est mort en 1548 car ces représentations furent interdites. 7 II.B.5 Le lieu théâtral au Moyen-Âge Comme les scènes médiévales n’ont pas de coulisses, les acteurs pratiquent le « jeu simultané ». Le décor est sommairement représenté (une table et un lit pour figurer un intérieur) Cette utilisation de l’objet-emblème qui, à lui seul, situe le lieu de l’action, longtemps méprisé car le procédé n’est pas propre à l’illusion, retrouvera son efficacité scénique dans le théâtre moderne. Conclusion Le rire médiéval, dans toutes ses facettes, est indissociable des conditions culturelles qu’il faut reconstituer : la satire exige la connaissance des valeurs éthiques, esthétiques et sociales ; la parodie suppose celle des rites et des langages ; la fantaisie n’existe que par rapport à un univers cohérent qu’elle peut désorganiser (Daniel Poirion, Précis de Littérature Française du Moyen-Âge) Ce théâtre se constitue en se démarquant par rapport à la littérature épique et romanesque. Il ne permet pas l’identification. Trop jeune pour réfléchir sur lui-même, il n’a pas de théoricien. Sauf, peut-être, un épisode de La Farce des Bateleurs : Le Bateleur (qui fait l’éloge du métier de comédien) : J’y ai été, j’y ai été, au grand pays de badinage. La Première femme : Avez-vous quelque beau personnage ? Car c’est ce qui nous mène. Relation acteurs-spectateurs. Enfin, c’est un théâtre né spontanément, qui ne se préoccupe pas de distinguer les genres. Au sein d’une même œuvre, les éléments comiques et sérieux peuvent se côtoyer. 8 III LE THEATRE CLASSIQUE III.A Aux origines de la dramaturgie classique III.A.1 L’élaboration des règles Le modèle antique Influence de ce modèle depuis la Renaissance. Les œuvres gréco-latines représentent le Beau absolu : L’idée que la conception du beau puisse varier selon les individus, les pays, les époques est tout à fait étrangère à la Renaissance comme au Classicisme (MCH) L’influence de Sénèque et d’Aristote Reprises de Sénèque : 1634, Rotrou Hercule Mourant, 1635 Corneille Médée, Racine Phèdre. L’influence de Sénèque décline au XVIIème siècle en même temps que la mode de la morale stoïcienne. L’époque classique n’apprécie plus l’emphase de son style (cf. Boileau, Art Poétique chant III). Mais son apport se révèle surtout dans la séparation des genres tragique et comique, chose qui n’existe pas dans la comedia espagnole pas plus que dans le théâtre élisabéthain (exemple, Macbeth). Ceci explique le discrédit que les théoriciens français font peser sur ces modèles étrangers. Reprises d’Aristote : 1561 Scaliger (italien) Poétique, 1572 Jean de la Taille L’art de la Tragédie, 1605 Vauquelin de la Fresnaye L’Art Poétique. Ces préceptes sont pourtant souvent enfreints pour les besoins de la représentation. La plupart des préfaces de Racine et de Corneille sont écrites pour affirmer leur conformité aux règles. La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. (Racine, préface de Bérénice) Les théoriciens Boileau édicte des règles qui sont, de fait, déjà appliquées Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli Ce sont surtout Corneille (1660 les Trois Discours) et l’abbé d’Aubignac (1657, Pratique du théâtre) qui ont élaboré les règles de la dramaturgie classique. Malgré la hiérarchie qu’ils établissent entre les genres tous, théoriciens et auteurs, éprouvent le sentiment qu’il existe une profonde unité du théâtre. III.A.2 Baroque et théâtralité Les pièces baroques, faisant du théâtre l’objet même du théâtre, ont permis de maîtriser le phénomène théâtral préparant ainsi l’éclosion du théâtre classique. Qui joue quoi ? 1632 Scudéry La Comédie des comédiens, le sujet est la comédie même. On ne sait plus vraiment qui sont les acteurs qui prennent parfois le rôle des spectateurs. Qu’advient-il si l’acteur épouse son personnage ? 1646 Rotrou, Saint-Genest un personnage d’acteur (Genest) finit par interpeller un autre personnage d’acteur par son prénom Ah ! Lentule…Il faut lever le masque Rotrou suggère que si l’acteur s’identifie totalement à son personnage, il brise l’illusion. 9 Comment créer l’illusion parfaite ? 1600 Hamlet. Dans cette pièce, Hamlet fait jouer une scène de crime (“La Souricière”) devant le roi et la reine pour voir leurs réactions. La confusion est le sujet de l’Illusion Comique, 1636 que Corneille qualifie d’ « étrange monstre ». Il faut faire comme si les spectateurs étaient absents. (d’Aubignac) III.B L’action Pour éviter la contamination des genres la tragédie puise ses sujets dans l’Histoire et la légende, la comédie dans les fabliaux et les comiques latins. Mais l’unité d’action existe dans les deux genres. III.B.1 L’unité d’action Corneille juge que ses pièces Horace et Théodore n’y satisfont pas. Unité d’action ne signifie pas action unique : il peut y avoir des actions secondaires. cf. définition de Jacques Scherer : il y a unité d’action si : 1. On ne peut supprimer aucune des intrigues secondaires sans que le sens ne soit incompréhensible 2. Toutes les intrigues accessoires prennent naissance dès le début et se poursuivent jusqu’au dénouement 3. Le développement de toutes les intrigues est en germe dès l’exposition 4. Chaque intrigue accessoire exerce une influence sur le déroulement de l’intrigue principale. (à ce moment, Le Cid n’y satisfait pas puisque l’amour de l’Infante pour Rodrigue n’a pas d’influence sur l’amour Rodrigue-Chimène) III.B.2 L’exposition Il faut que le premier acte contienne tous les éléments nécessaires à la compréhension de la pièce. Dans Tartuffe, l’exposition ne s’achève qu’au troisième acte car Molière diffère sciemment l’arrivée du perso principal pour « préparer la venue du scélérat » dira-t-il. L’exposition peut prendre la forme d’un dialogue entre un perso principal et un perso secondaire (le plus souvent) : Horace, Dom Juan, Andromaque, Iphigénie, Athalie (Racine introduit souvent ses pièces d’un « oui » inaugural qui donne l’impression que le spectateur surprend une conversation entamée). On peut avoir aussi le monologue d’un perso principal (Cinna), un dialogue entre deux perso principaux ce qui est plus rare (Nicomède) ou entre deux perso secondaires (Rodogune –Corneille– Le Bourgeois Gentilhomme). III.B.3 Le nœud On ne peut mesurer l’apport de cet élément essentiel qu’en comparant la tragédie classique à la tragédie humaniste, essentiellement lyrique où l’événement est chanté comme dans le poème tragique. Leur construction n’est autre que la mise en écho de plaintes alternées (d’où l’importance des Chœurs) La tragédie politique Corneille. Action complexe où le dessein politique est confronté au dessein amoureux. On observe une évolution au cours de son œuvre, du Cid à Polyeucte le destin du héros se confond avec celui de l’État Dégradation de cet idéal dès Cinna où la politique est corrompue. La servitude à l’État est héritée de la morale chevaleresque. Les héros (hommes ou femmes) n’hésitent pas entre leur honneur et leur amour et une fois engagés dans une voie, ils ne le regrettent jamais. Le problème de la conciliation prouesse / amour se pose déjà au Moyen-Âge avec Chrétien de Troyes, l’amour l’emporte dans Érec et Énide, la prouesse dans Le Chevalier au Lion. La tragédie de la passion Racine. Action très simple de Bérénice : 10 Toute l’invention consistait à faire quelque chose de rien […] pour attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la violence des sentiments et de l’élégance de l’expression. (préface de Bérénice) La passion arrache ces perso d’eux-mêmes. Phèdre parle de « fureur » La tendresse de l’amour courtois n’a plus sa place. Force de la fatalité. L’action tragique chez Racine, c’est l’aveu. (MCH) L’intrigue farcesque Le drame se situe dans l'univers familial, la souffrance des personnages prête au rire. Le ressort dynamique le plus utilisé étant le contretemps. La farce crée le gag mais est également un révélateur puisqu'elle fait ressortir le caractère profond du perso. III.B.4 Le dénouement Ses exigences Le dénouement doit avoir lieu au dernier acte et renseigner le spectateur sur le sort des personnages. La tragédie étant l'imitation d'une action complète où plusieurs personnages concourent, cette action n'est point finie que l'on sache en quelle situation elle laisse ces mêmes personnes. (Racine, préf. de Britannicus) Dans le Cid, le sort n'est pas entièrement décidé : le mariage de Rodrigue et Chimène est projeté mais pas fait. Dans Britannicus, Racine ayant fait mourir Britannicus en V4, il doit encore en quatre scènes régler le sort de Burrhus, Agrippe, Narcisse, Junie et Néron d'où la lenteur des quatre dernières scènes qu'on lui a reproché. Aristote réprouve les dénouements par une intervention deus ex machina. Péripétie et/ou reconnaissance. Cf Aristote. Reconnaissance célèbre : celle qui découle d'un syllogisme dans Les Choéphores d'Eschyle où Électre se dit "Il est venu qqn qui me ressemble. Or seul Oreste me ressemble. C'est donc lui qui est venu" Reconnaissance et liesse générale dans l'Avare. Le rocambolesque de la situation est souligné par Anselme : Oh Ciel quels sont les traits de ta puissance ! Et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles. Ceci fut critiqué par …Musset !! …et nous savons du reste Que ce grand maladroit qui fit un jour Alceste Ignora le bel art de chatouiller l'esprit Et de servir à point un dénouement bien cuit (Musset, Une soirée perdue) Fin heureuse ou fin funeste ? Le dénouement habituel de la comédie est le “happy end”, ceci peut justement être détourné par les dramaturges, cf. Peines perdues Shakespeare. Toutes les pièces de Molière sauf Dom Juan se terminent par le mariage du jeune couple. Au début du XVII ème siècle, le terme de tragédie est réservé aux pièces qui se terminent dans le malheur. Les dénouements heureux n’ont leur place que dans la tragi-comédie, genre crée en 1582 par Robert Garnier avec Bradamante. D’Aubignac est contre cet état de fait, pour lui Une pièce de théâtre ne porte ce nom de tragédie seulement en considération des incidents et des personnes dont elle représente la vie et non pas à raison de la catastrophe. (Pratique du Théâtre, 1657) 11 III.B.5 La vraisemblance Le respect de la vraisemblance hante le siècle classique. D’après Corneille, ce principe peut s’appliquer à la comédie qui met en scène des perso de la vie quot mais pas à la tragédie, peuplée d’être hors du commun. Les certitudes de l’histoire L’Histoire est le garant de la vraisemblance mais d’ap Corneille, si les actions qui composent la tragédie sont fidèles à l’Histoire, elles sont vraies, si elles lui ajoutent certains éléments, elles apparaîtront vraisemblables et si elles la falsifient elles doivent être « nécessaire » (= motivées) Les beautés de la mythologie J’ai tâché de conserver la vraisemblance de l’histoire, sans rien perdre des ornements de la fable (Racine, préf. de Phèdre) Racine préfère les beautés de la mythologie aux certitudes de l’histoire : sur ses 11 tragédies seules Alexandre, Britannicus, Bérénice et Mithridate empruntent leur sujet à l’histoire. III.B.6 La durée La tragédie doit s’efforcer de s’enfermer autant que possible dans le temps d’une seule révolution du soleil ou de ne le dépasser que de peu (Aristote, Poétique) Mais cette exigence s’oppose à celle de vraisemblance Il n’y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie et quelle vraisemblance y a-t-il qu’il arrive en un jour une multitude de choses qui pourraient à peine arriver en plusieurs semaine (Racine, préf. de Bérénice) La durée « convenable » d’une pièce est celle qui permet le déroulement logique de l’action. Aussi ne nous arrêtons point ni aux douze, ni aux vingt-quatre heures, mais resserrons l’action du poème dans la moindre durée qu’il nous sera possible, afin que sa représentation ressemble mieux et soit plus parfaite. Pour résoudre le problème, deux techniques -celle de Corneille, fait coïncider le temps de l’action et le temps de l’acte et place le temps excédentaire dans l’entracte (exemple le combat de Rodrigue contre les Mores entre le 3 ème et le 4ème acte) -celle de Racine, l’action débute au paroxysme de la crise Nous voici, hélas, à ce jour détestable (Jocaste, La Thébaïde I1) III.C Les modalités de la représentation III.C.1 Le lieu Du décor multiple au décor unique Au XVIIème siècle, utilisation du décor simultané, trois toiles peintes (une au fond de la scène et deux sur les côtés) représentent 3 lieux assez proches. L’espace scénique Là aussi, l’unité de lieu entre en conflit avec le respect de la vraisemblance. Dans Polyeucte, l’action se déroule principalement dans une antichambre commune aux appartements de Félix et de sa fille, ce qui rend vraisemblable les rencontre amoureuses entre Pauline et Polyeucte ainsi que les entrevues politique entre Félix et Sévère. Chez Racine, la sortie de l’espace scénique équivaut souvent à la mort cf. Andromaque, Iphigénie, Bazajet, Phèdre. L’espace dramaturgique Espace de l’action imaginaire (le palais de Thésée) 12 Le vêtement Les comédiens jouaient en costume d’époque, d’où la rareté des allusions aux habits dans le texte sauf lorsque ceux-ci portent l’inscription du malheur Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent ! (Phèdre, Phèdre I3) III.C.2 Actes et liaisons de scènes Division héritée des antiques. Comme il est nécessaire de moucher les bougies toutes les ½ heures afin d’éviter que l’atmosphère ne soit trop enfumée, les actes ne doivent pas dépasser cette durée. Chaque acte doit se terminer sur un suspense, il doit Laisser une attente de quelque chose qui se doive faire dans celui qui suit (Corneille, Premier discours) D’Aubignac fixe les limites du nombre de scènes d’un acte, entre 3 et 8. Les scènes doivent sembler s’enchaîner de façon non arbitraire (contrairement au théâtre médiéval) : liaison de vue, de présence ou éventuellement de bruit, ce que Corneille déconseille. III.D Les personnages Caricature des personnages types du théâtre dans L’impromptu de Versailles de Molière. III.D.1 Les rôles tragiques Rois et héros Selon Corneille, le roi peut n’être que roi s’il ne s’occupe que de la conservation de son trône (Auguste dans Cinna), que homme s’il ne s’occupe que de sa passion si celle-ci ne met pas l’état en péril (Grimwald dans Pertharite), juge s’il règle les intérêts des autres (Don Fernand dans le Cid) Ces fonctions peuvent être cumulées, ainsi Félix dans Polyeucte assume les trois fonctions. Disparition du personnage protatique De protase, personnage qui n’est là que pour écouter l’exposé de la situation. Il est inutile dans la tragédie classique car tous les perso connaissent la situation. Le confident Fonction d’écoute ; très importante dans la tragédie classique exemple, Œnone dans Phèdre, Elvire dans Le Cid. Sa présence limite la place des apartés. Corneille avait horreur des apartés qu’il n’utilise que dans Le Menteur. Dans Britannicus les deux confidents, Narcisse et Burrhus jouent un rôle dramatique essentiel de mauvais et bon conseilleur. III.D.2 Les rôles comiques Que la nature [humaine] soit donc votre étude unique Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique (Boileau, Art Poéyique) Le tableau des mœurs Molière représente sur scène la société de son temps, d’où la difficulté selon lui : Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez[…] Mais lorsque vous peignez des hommes, il faut peindre d’après nature. On veut que ces portraits ressemblent, et vous n’avez rien fait si vous n’y faite pas reconnaître les gens de votre siècle. (“Dorante” (=Molière) La Critique de l’École des Femmes) Molière ne tente jamais d’analyser les causes des défauts des hommes. Devise de la Comédie : Castigat ridendo mores “C’est en riant qu’elle corrige les mœurs” (Santeul, contemporain de Molière) Le jeu moliéresque S’inspire des farceurs du Pont-Neuf et des Comédiens italiens dirigés par Scaramouche, mime incomparable. Dans la Commedia dell’arte, chaque comédien jouait toujours le même rôle, la représentation était un patchwork de passages appris et astucieusement combinés. 13 A partir de 1666 avec Le Misanthrope, le jeu change, le comique est moins farcesque. Malade, Molière exploite son physique pour l’Avare ou le Bourgeois Gentilhomme. Comédie et farce Dans la farce aucun perso ne nous apitoie, « Tel est le trait pertinent qui permet de différencier la farce de la comédie » ( MCH). Dès l’époque romantique, le public est sensible à cet aspect inquiétant du comique moliéresque Quelle mâle gaieté, si triste, si profonde Que lorsqu’on vient d’en rire ; on devrait en pleurer ! (Musset) Après la mort de Molière, la farce tombe dans le discrédit. Il faudra attendre le XX ème siècle pour qu’elle retrouve son prestige avec Chaplin, Les Marx Brothers, Ionesco ou Beckett. III.D.3 Vers une conception nouvelle des rôles Rôles tragiques et comiques sont nettement différenciés dans le théâtre classique. Corneille exprime son scepticisme sur le bien-fondé de la répartition noblesse/tragédie, peuple/comédie. Je ne crois pas que, bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie. (Premier discours) Pour lui c’est l’action qui détermine avec pertinence le caractère de la pièce, non le rang des perso. Corneille, très en avance sur son temps, émet l’idée que la tragédie serait peut-être plus émouvante si la distance établie par le rang entre le héros et le spectateur était abolie. (MCH) Dans Amphitryon de Molière qui n’est plus qu’une simple histoire d’adultère, l’absence d’Alcmène au dénouement, le silence d’Amphitryon marquent la défaite des Dieux en même temps que leur éviction de la scène des temps modernes. III.E Le langage dramatique III.E.1 L’hypertrophie de la parole Le langage occupe une place majeure dans le théâtre classique Au théâtre, parler c’est agir (d’Aubignac, la Pratique du théâtre) La particularité du théâtre français consiste peut-être en ce que tout y est dit (Jorge Lavelli, mise en scène de Polyeucte, 1986) Le rythme ample, la majesté de l’alexandrin classique exerce sur le spectateur d’alors une véritable fascination, pour ce public pourtant si attaché à la vraisemblance, il n’apparaît pas artificiel que le langage fût si éloigné de la langue parlée. Le spectateur du XX ème siècle, lui perçoit l’alexandrin comme un emblème de la beauté irréaliste de la scène. III.E.2 Tirades et stichomythies Le goût des tirades est hérité de l’antiquité. Les stichomythies conviennent aux moments de forte tension cf. Le Cid RODRIGUE Ô miracle d’amour ! CHIMENE Ô comble de misères ! RODRIGUE Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères ! CHIMENE Rodrigue qui l’eût cru ? RODRIGUE Chimène, qui l’eût dit ? CHIMENE 14 Que notre heur fût si proche, et si tôt se perdît ? Ressemble à un chant d’amour. III.E.3 Le récit Corneille prend toujours soin d’en justifier la nécessité. Il doit être également motivé sur le plan psychologique La place du récit A l’exposition, le récit joue un rôle explicatif, cf. récit d’Oreste à Pylade dans Andromaque. Il se situe rarement au milieu de la pièce, dans Horace il est fragmenté pour ne pas trop ralentir l’action. Les plus longs récits se situent en fin de pièce, ils content souvent une bataille, cf. récit de Rodrigue de sa victoire sur les Mores dans le Cid. Un des récits le plus célèbre est celui que fait Théramène de la mort d’Hippolyte dans Phèdre. Les types de récits Dans Phèdre, récit de récit. Hippolyte narre le récit que lui faisait Théramène des exploits de Thésée, cela souligne la dette symbolique d’Hippolyte à son père. Chez Racine, le perso qui raconte est dans un état subhallucinatoire. Récit de songe : souvent ils ont une fonction de prolepse (rêve prémonitoire) cf songe d’Athalie, songe de Pauline dans Polyeucte. Le confident tente généralement de détromper le héros quant à l’interprétation du songe. Récits et jeux de scènes. Chez Molière, le temps du récit (par exemple la lecture d’une lettre) est l’occasion de montrer les réactions mimées des perso. L’École des femmes, Arnolphe se décompose au fur et à mesure qu’Horace lui lit la lettre qu’il a reçue d’Agnès et qui le transporte de joie, contraste de l’attitude des deux perso (Horace ne s’aperçoit pas du changement d’humeur d’Arnolphe) d’où comique. III.E.4 Le monologue Pour qu’il apparaisse naturel, les auteurs lui donnent souvent la forme d’un dialogue fictif. Le monologue cornélien Il est généralement le temps de maturation nécessaire à la décision. Sa place dans l’architecture d’ensemble de la pièce est chargée de signification. Les stances, une forme particulière de monologue Forme très à la mode au théâtre de 1630 à 1660. Corneille y a souvent recours tandis que Racine ne les utilisent que pour La Thébaïde. Constituées de strophes régulières construites sur un même modèle rythmique. Le monologue racinien Lui donne la plupart du temps l’aspect d’un dialogue fictif. Il saisit le personnage de l’intérieur ce qui permet au spectateur de pénétrer l’intimité du perso. La distance qui sépare le public du héros tragique est momentanément abolie, ainsi Thésée redevient-il père plus que roi lorsqu’il vient de maudire son fils et qu’il est au comble du désespoir. Polyphonie des monologues moliéresque. Ils sont souvent l’occasion d’un jeu sur l’artifice de la situation théâtrale. Exemple, monologue d’Harpagon qui a perdu son argent et qui s’adresse au public Que de gens assemblés ! Ils me regardent tous et se mettent à rire… La tragédie, plus illusionniste que la comédie au XVIIème siècle, feint d’ignorer totalement la présence du public. 15 Dans Amphitryon, Sosie imite la voix d’Alcmène, dans le Malade Imaginaire, Argan utilise plusieurs registres, ces monologues sont polyphoniques. III.F Nature du plaisir tragique III.F.1 Pas de sang sur la scène Les bienséances Il est interdit de montrer du sang sur scène au XVII ème siècle, ce qui ne correspond pas aux préceptes d’Aristote qui voit dans l’événement pathétique la source essentielle du plaisir. Cet événement est Une action qui fait périr ou souffrir, par exemple les agonies exposées sur scène Le goût change à l’époque classique Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie : il suffit que l’action en soit grande que tous les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. (Racine, préf. de Bérénice) Ce goût s’oppose à celui de l’époque précédente, notamment au théâtre élisabéthain, la scène shakespearienne est, selon Voltaire « un lieu de carnage ». Le corps occulté La mort n’a lieu qu’en coulisses. L’Athalie de Racine se tue sur scène mais expire en coulisses. Le récit-écran Si la vue du sang déplait, son évocation dans le discours est une source de pathétique fort appréciée. Le mot sang est maintes fois évoqué dans le récit de Théramène de la mort d’Hippolyte. C’est par son regard que le spectacle effroyable est offert aux spectateurs. L’épée, objet emblème L’objet ensanglanté, fréquent dans la tragédie, fonctionne comme une métonymie de la mort. (MCH) CHIMENE Ôte-moi cet objet odieux (= l’épée qui a servi à tuer son père) Qui reproche ton crime et ta vie à mes yeux (Corneille, Le Cid) L’épée contient toujours une menace de mort imminente lorsqu’elle apparaît sur scène, cf dans Phèdre lorsque celle-ci supplie Hippolyte de la tuer. III.F.2 Un plaisir paradoxal L’action comique et tragique ont en commun d’être des situations d’échec. Mais le tragique est la destruction d’une force considérée, partiellement du moins comme bonne. Dans la comédie, le plaisir ressenti est une « fantaisie de triomphe » selon l’expression de Charles Mauron, dans la tragédie, c’est le plaisir de pleurer et d’être attendri (Racine préf. de Bérénice) Les deux ressorts tragiques, pitié et crainte La catharsis, cf Aristote qui raisonne déjà comme Freud en termes d’économie libidinale. Il faut également faire intervenir le processus dénégatif mis en jeu par l’illusion. Le plaisir de la tragédie procède de ce que nous savons bien que c’est une fiction […] Si nous arrivions à croire un moment les meurtres et les trahisons réels, ils cesseraient à l’instant de nous causer du plaisir. (Stendhal, Racine et Shakespeare) Pour être parfait, le personnage doit avoir les qualités propres à susciter pitié et terreur, c’est pour cela que Racine considère Phèdre comme un personnage parfait puisqu’elle n’est selon lui Ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente 16 Un nouveau ressort tragique, l’admiration de la vertu Ce principe, en excluant de la scène toutes les personnes tout à fait vertueuses, bannit en principe les personnages de martyrs. Or Polyeucte et Rodrigue qui inspirent la pitié mais non la crainte (que leur châtiment s’abatte sur nous puisqu’il est immérité) ont néanmoins beaucoup plût. Pour Corneille l’admiration de la vertu peut être un ressort du plaisir ressenti. Les deux dernières pièces de Racine, Esther et Athalie qui offrent une opposition très marquée entre les bons et les méchants, montrent que les goûts du public commencent à changer. 17 IV LE DRAME Naissance à la deuxième moitié du XVIIIème siècle. C’est de lui que naîtra la « pièce » contemporaine. Son esthétique où prédomine le goût du spectacle a définitivement ruiné l’esthétique classique de la pureté. (MCH) IV.A Le drame bourgeois IV.A.1 Que deviennent les genres trad. au XVIIIème s. ? La tragédie, un genre caduc. cf St Preux, La Nouvelle Héloïse, ennui dvt la trag. Beaumarchais pense que la trag. est immorale car fatalité pas de choix pas de culpabilité possible car pas responsable de ce qui arrive. De plus : Il n’y a moralité ni intérêt au théâtre sans un secret rapport du sujet dram. à nous (Beaumarchais, Essai sur le genre dramatique sérieux.) [La représentation est] ce grand art de parler aux yeux (Voltaire) L’effet de geste prime désormais sur la déclamation. On voit que le genre de la trag. est bel et bien mort avec Le roi s’amuse de Hugo en 1832 : - C’est le bouffon Triboulet qui mène le jeu -Opp° entre phrases en alexandrins / médiocrité des perso. Une comédie spirituelle cf Ctq de Turcaret (Lesage) Désormais, on sourit plus qu’on ne rit. Rôle des sous-entendus, des quiproquos. 1737, Les Fausses confidences, chaque personnage est un tricheur. Marivaux écrit bcp pr les comédiens italiens car leur jeu est fait de stratagèmes et de mascarades. Principale source de comique : la satire sociale, les petits sont victimes des grands. La comédie, on le voit, a su se transformer pour infléchir le comique vers le spirituel. MCH Dans la préface de L’enfant Prodigue, Voltaire fait part de son désir de créer un « genre mixte » car C’est ainsi que la vie des hommes est bigarrée. IV.A.2 Position médiane du drame Diderot en 1758 dans Discours sur la poésie dramatique définit le “genre sérieux”. Le drame ne mélange pas comédie et tragédie mais il leur emprunte de multiples modalités de ton. IV.A.3 Le piège des contradictions Une moralité touchante Le XVIIIème siècle médite sur la vertu. Beaumarchais assigne un but moral à ses pièces, il déclare Les larmes qu’on verse au théâtre, sur des maux simulés qui ne font pas le mal de la réalité cruelle sont bien douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. (Un mot sur La Mère Coupable) Le réalisme illusionniste Saisir les perso dans leur réalisme, ils ont un passé, une famille. Les conditions ! Combien de détails importants, d’actions publiques et domestiques, de vérités inconnues, de situations nouvelles à tirer de ce fonds ! (Diderot, Entretiens sur « le Fils Naturel ») 18 Changement de statu du perso car Un personnage n’est plus un despote à qui l’on subordonne ou l’on sacrifie tous les autres ; il n’est point une espèce de pivot autour duquel tournent les événements et les discours de la pièce.(Sébastien Mercier) Ils abolissent le vers pour être plus proche du langage parlé même si On n’écrit presque jamais comme on parle (Marivaux, Avertissement des Serments Indiscret). Diderot est l’inventeur du 4ème mur. La multiplication des péripéties Diderot veut conserver l’unité d’action pour que l’intérêt du spectateur soit toujours en éveil. L’action théâtrale ne se repose point ; et mêler deux intrigues c’est les arrêter alternativement l’une l’autre (Diderot, Entretiens sur « Le Fils Naturel ») Malgré cela, multiplication des péripéties, cf Eugénie Beaumarchais. IV.A.4 Le goût du spectacle Vient de l’engouement pour l’opéra. Charmes du chant (dès le XVII ème s. avec Psychée de Molière, Corneille, Quinault & Lulli) -Comédie à vaudeville avec couplets chantés sur des airs à la mode, début XVIIIème. - “ ariette chant avec musiques créées pour cela. Costumes et décors Importance du vêtement (contrairement aux classiques). Le vêtement devient un moyen de saisir le personnage et surtout sa condition. Le geste Diderot y consacre un chapitre du Discours sur la poésie dramatique, ch. XXI, “De la pantomime”, nbses didascalies dans ces pièces. Le Père de famille : simultanéité des scènes avec Cécile et du Père de famille qui commencent le 2 ème acte. pantomime discours Musique & Danse Idée que danse et théâtre sont deux univers proches, développement au XX ème s. La danse est à la pantomime comme la poésie est à la prose, ou plutôt comme la déclamation naturelle est au chant.(Diderot Entretiens sur « Le Fils Naturel ») IV.B Le Mélodrame, le théâtre du peuple IV.B.1 Un avatar du drame bourgeois Offre “le spectacle de la vertu persécutée”, Beaumarchais. Influencé par la mode du roman noir. Sens étymologique, drame chanté Genre de drame dans lequel les paroles et la musique au lieu de marcher ensemble, se font entendre successivement (Rousseau, Fragments d’observations sur « l’Alceste » de Gluck 1766) IV.B.2 Le manichéisme des personnages Une jeune fille vertueuse, un protecteur désintéressé, un traître odieux. Ces personnages, figés dans un rôle, ne sont pas capables d’évolution (MCH) IV.B.3 Des situations stéréotypées Souvent en 3 actes. La pièce doit présenter la naissance de l’amour du jeune couple, l’intervention du traître et le dénouement. Exemple, L’Auberge des Adrets, Victor Ducange, 1823. Robert Macaire est un bandit qui veut briser un mariage à tout prix jusqu’au crime. Il se fait tuer par 19 son complice. Juste avant, accès de repentir ce qui est incohérent mais conforme aux lois du genre. Autres pièces, Mille francs de récompense (Hugo), Coelina. Ce genre verra son existence refusée par le Dictionnaire général des théâtres. IV.C Le drame romantique Redécouverte de Shakespeare via Stendhal, Racine et Shakespeare 1823. Préface de Cromwell, Hugo. Les théoriciens du drame romantique devancent les dramaturges. Apogée en 1830-1835. IV.C.1 Le refus des règles Il n’y a pas d’autres règles que les lois générales de la nature (Hugo, préf. de Cromwell) Stendhal : La tragédie romantique [=le drame] est une tragédie en prose qui dure plusieurs mois et se passe dans des lieux divers (Racine et Shakespeare II) La durée Dans Hernani, le pardon de Charles Quint, inconcevable au début, relève d’une maturation psy que souligne Hernani : Qui donc nous change tous ainsi ? Il est beau de voir Othello, si amoureux au premier acte, tuer sa femme au 5ème acte ; si ce changement a eu lieu en trente-six heures, il est absurde et je méprise Othello (Stendhal, Racine et Shakespeare) Caractère subjectif d’une telle lecture : Shakespeare avait volontairement resserré le temps dans Othello pour souligner la soudaineté de l’accès délirant. Un espace symbolique Lorenzaccio, 35 changements de décor. Hugo considère l’espace comme un personnage muet Le lieu où une telle catastrophe s’est passée en devient un témoin terrible et inséparable (Préf. de Cromwell) L’unité d’action La seule admise […] parce qu’elle résulte d’un seul fait, ni l’œil ni l’esprit humain ne sauraient saisir plus d’un ensemble à la fois (Hugo, préf. de Cromwell) Contrairement au drame bourgeois, les péripéties sont motivées dans le drame romantique. Seul Musset abandonne totalement l’unité d’action, dans Lorenzaccio on a trois oppositions à Alexandre dont les intrigues se nouent en même temps ; celle de Lorenzaccio, celle des Strozzi, celle de la Marquise Cibo. Dans Les Caprices de Marianne, il n’y a pas de lien entre les scènes. IV.C.2 Les ambitions de la préface de Cromwell Le drame ce n’est pas [Corneille, Racine, Molière, Voltaire, Beaumarchais] mais c’est tout cela à la fois ou pour mieux dire, ce n’est rien de tout cela (Hugo préf. de Cromwell) Un drame lyrique et épique Selon Hugo, on peut distinguer 3 âges de la poésie, poésie lyrique (Genèse), épique (Homère), drame (Shakespeare) Le drame s’abreuve à la source lyrique et épique pour les transcender (MCH) Le mélange du comique et du pathétique Contradiction des personnages, Ruy-Blas est un « ver de terre amoureux d’une étoile » Ruy-Blas II2. Mais le mélange est surtout théorique, le comique n’intervient que rarement, dans Cromwell et la scène III8 de Marion de Lorme. Le roi s’amuse est trop sombre malgré les pirouettes de Triboulet. 20 IV.C.3 Le goût du sublime Le drame historique L’Histoire, traitée sur un mode épique constitue pour les romantiques un réservoir inépuisable d’événements grandioses. MCH. Dans la préface des Burgraves, Hugo met sur un même plan « la chronique, la légende et l’Histoire » Il veut mettre en œuvre la fatalité (renoue en ce sens avec le classicisme) et en examinent les effets sur 4 générations. Faire de toute cette famille comme le symbole palpitant et complet de l’expiation (préf. des Burgraves) Drame conçu comme une trilogie en hommage à l’Orestie. Des personnages qui font frémir Tous les héros romantiques pourraient reprendre à leur compte ces propos de Don Carlos s’adressant à Charlemagne Verse-moi dans le cœur, du fond de ce tombeau Quelque chose de grand, de sublime et de beau ! (Hernani IV2) “frémir” est un terme-clef dont l’occurrence est très élevée. Violence de l’amour, Doña Sol à toutes les tentatives d’Hernani pour la dissuader de le suivre répond toujours « Je vous suivrai » I2. Personnages grands par l’âme et petit par la condition. Ruy-Blas se définit lui-même comme Ce misérable fou qui porte avec effroi Sous l’habit d’un valet les passions d’un roi La mort est inéluctable, ils meurent sur scène avec dignité. Pas de référence au corps. Doña Sol au moment de mourir Ciel ! Des douleurs étranges ! Même ressort que le théâtre classique, pitié et crainte. Vers/prose Hugo, contrairement à Dumas, Vigny ou Musset bannit la prose. Le vers est : une des digues les plus puissantes contre l’irruption du commun (préf. de Cromwell) Mais plus de souplesse que l’alexandrin classique. Ses pièces en prose, Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo, tyran de Padoue seront boudées par le public. Modernité de la prose de Musset : monologue de Lorenzaccio IV9, discours non construit = distorsion du langage qui annonce les contemporains. 21 V LA PIECE CONTEMPORAINE Préparation de la révolution dramaturgique du milieu du XXème s depuis 1880 : -Abandon de l’unité d’action cf Musset “ la conception illusionniste -Transformation de l’espace théâtral Plus de genres théâtraux strictement limités ce qui entraîne la généralisation du terme neutre de “pièce”. V.A Les cause des bouleversements survenus sur la scène française de 1880 à nos jours V.A.1 Le modèle de l’Orient Rôle primordial du corps. 1895, Lugné-Poe porte à la scène Le Chariot de terre cuite, célèbre pièce du répertoire sanskrit révélation La fragmentation de l’action dans le théâtre indien Le théâtre sanskrit de l’époque classique, Kalidosa (1er siècle AVJC) tout est symbole. Les acteurs miment le rôle en chantant et dansant et un récitant commente l’action. L’action est moins importante que les moyens de l’exprimer. Le théâtre chinois, un spectacle complet Pantomimes, acrobaties, escrime opposé au théâtre illusionniste, jeu stylisé à l’extrême. Nô et hallucination Fondateur, Zeami XIVème siècle. Divertissement populaire puis aristocratique. 2 Protagonistes, -le waki “celui du coin” spectateur, voyant -le shite : produit du rêve du waki. C’est lui qui fait l’action. Histoire stéréotypée : le waki arrive dans un lieu, le shite lui en raconte l’histoire. Ionesco utilise le personnage du waki (le rêveur) dans le Piéton de l’air et Adamov dans Si l’Été revenait. Double représentation de l’action dans le théâtre de poupées japonaises et dans le théâtre d’ombres de Java Lorsque le Nô devient aristocrate, apparition du théâtre de poupées. 3 manipulateurs pour une grande poupée, et un récitant qui prend les expressions du visage que devrait avoir le perso de la poupée. Ceci inspirera Beckett et Ionesco. Théâtre d’ombre de Java : le manipulateur, le dalang est visible en ombres chinoises ainsi que les poupées derrière une toile, l’illusionnisme est donc totalement exclu. Ceci inspirera Genet pour Les Paravents. Il y a donc un désir du théâtre contemporain de faire du théâtre un spectacle complet. En Orient, les symboles sont dictés par un code strict ce qui n’est pas le cas en Occident d’où plus de liberté et nécessité d’une interprétation des symboles par le public. V.A.2 L’Expressionnisme Les arcanes de l’inconscient Strindberg crée ses perso (fin du XIXème ) en s’inspirant de la nouvelle psychologie, expériences de Charcot et Bernheim. Thème de prédilection du théâtre expressionniste : recherche du double. Le nom du héros (personer) n’est pas précisé car il recherche son identité, il croit devoir expier une faute obscure et cela l’entraîne jusqu’à la folie. Il est tourmenté par d’ignobles créatures, des ombres (bifigurer). Strindberg influence Adamov. 22 Influence du phénomène pictural L’Expressionnisme est pictural avant d’être littéraire ou cinématographique avec des peintres comme Munch, Kandisky, Matisse. Dans le théâtre expressionniste, les scènes ne s’enchaînent plus de façon logique et l’acte, facteur d’unité a disparu pour être remplacé par le tableau. Plus d’actes. Simplement une suite de scènes, avec un point culminant. L’avantage qui en résulte est une bien plus grande liberté et un rapprochement sensible vers l’art cinématographique, par la juxtaposition des milieux les plus différents. Le drame de l’homme moderne y est plus facilement matérialisé. (Yvan Goll, Comœdia 1924) Rétrospectivement, on considère que Büchner fut un précurseur avec Woyseck (1836) où les scènes se succèdent de façon hétérogène). Ce mouvement est resté longtemps méconnu en France ; Le Songe d’Artaud en 1928 passera presque inaperçu. Ce n’est qu’avec la mise en scène de Jean Vilar de La Danse de mort en 1945 que la France découvre vraiment Strinberg. V.A.3 L’espace théâtral et ses métamorphoses Les rapports acteurs-spectateurs sont bouleversés ainsi que la nature de l’illusion par la nouvelle conception de l’architecture théâtrale. Abandon du théâtre à l’italienne = théâtre à scène fermée conçu en Italie à la Renaissance. Au XIXème s., l’utilisation de décors en trompe-l’œil peut laisser croire que la scène est le monde réel (cf Naturalistes) ou au contraire, un monde magique (cf Symbolistes). Aussi, dès le début du XX ème, on assiste à un retour à une scène ouverte de type élisabéthain ou antique. C’est Antoine qui le premier critiqua le théâtre à l’italienne suivi par Jarry et les Surréalistes qui mirent aussi en question l’illusionnisme. Rôle des metteurs en scène En 1895, Adolphe Appia dans La Mise en scène du drame wagnérien, condamne la scène à l’italienne. En 1911, il fit construire « la cathédrale de l’avenir » lieu unique où il n’existe ni scène, ni rideau, qui oppose un gradin pour les spectateurs à un vaste espace où l’on peut disposer des praticables qui modèlent l’espace scénique. Gordon Craig en 1920 dans l’Art du théâtre souhaite une scène à la fois architecturée et mobile en utilisant des paravents qui comportent chacun plusieurs panneaux articulés dans les deux sens. Évolution de plus avec Jean Genet dont les panneaux ont une valeur narrative : ils sont couverts de graffiti tout au long de la représentation. Progrès techniques et nouveautés architecturales Innovations techniques lumineuses et sonores au XXème s. La mise en scène devrait être de caractère cinématographique. Éclairage violent des visages qui correspondrait aux plans rapprochés et plongée de ces visages dans le noir parfois. Le reste de la scène devrait être gagné par l’ombre au fur et à mesure que progressent les propos (Duras, Théâtre I 1965) Mais le théâtre souhaite se différencier du cinéma en soulignant la présence vivante de l’acteur et en recherchant un plus grand contact acteur-spectateur. On a alors plusieurs types de scènes qui se mettent en place : -Scène de type architecturée : salle et scène dans le prolongement l’une de l’autre, acteurs et spectateurs face à face -Théâtre en rond : acteurs entourés par le public -Théâtre à scène annulaire : la scène se déploie autour des spectateurs -Théâtre à scènes simultanées : les salles sont en perspective, ce qui incitera certains metteurs en scène à faire descendre le théâtre dans la rue (après mai 1968) V.B Vers une dramaturgie nouvelle : de 1880 à 1950 Avec Tête d’or (Claudel) et Ubu roi (Jarry) on assiste à une rupture d’avec le théâtre traditionnel. Dorénavant, le théâtre ne prétend plus imiter le réel. Après ces grandes réalisations, Artaud et Brecht se mettent à théoriser sur une dramaturgie nouvelle. 23 V.B.1 Le théâtre naturaliste Le refus d’embellir Edmond Rostand avec Cyrano de Bergerac en 1897 et L’Aiglon en 1900, donne un dernier sursaut au drame romantique fait de grandes passions et de nobles sentiments. Dans Lettre à la jeunesse en 1881, Zola part en guerre contre cet irréalisme. Il prône un théâtre qui montre la société sans complaisance. Un décor réaliste Loin d’être novateur, Zola est en fait très proche des exigences de Diderot. Le souci de vérité du théâtre Naturaliste ne va pas sans outrances, pour Les Bouchers de F. Icres le metteur en scène Antoine accroche sur scène de véritables quartiers de bœuf. Incompatibilité des exigences réalistes et de la scène Zola déplore la pauvreté du théâtre de son temps dans Le Naturalisme au théâtre en 1881. D’autre part il n’a que mépris pour le vaudeville de Labiche ou Feydeau. Labiche lui-même souligne la futilité de ce genre en prêtant ironiquement ces paroles à un de ses perso Oh ! Dieu ! je les ai en horreur [les vaudevilles] ! C’est toujours la même chose, le vaudeville est l’art de faire dire oui au papa de la mademoiselle qui disait non. (Un jeune homme pressé, 1848) V.B.2 L’onirisme des symbolistes Mouvement qui naît vers 1890. Pelléas et Mélisande de Maeterlinck en 1892 en est le chef d’œuvre au théâtre. L’atmosphère est perpétuellement étrange, tout ce passe ici comme dans un rêve. V.B.3 Ubu roi, la première pièce moderne Pièce qui provoqua scandale et émoi car la grossièreté y est à peine déguisée (cf premiers mots du père Ubu, « merdre ! ») Jarry, héritier de Rimbaud et de Lautréamont ne fait aucune concession au public. Ubu roi est directement inspiré de Macbeth mais en le parodiant. D’une farce de potache, Jarry a crée ce qu’il appelle un « drame en prose » (même si la pièce n’a rien d’un drame). Sa pièce sera considérée à juste titre comme la première pièce d’avant-garde. La subversion permanente Démantèlement du langage MERE UBU : […] elle est au moins l’égal de la Vénus de Capoue PERE UBU : Qui dites-vous qui a des poux ? L’orthographe est aussi mise à mal (“phynance”). Jarry, en bon héritier de Rabelais, se plait à parodier les formes dramatiques antérieures (scènes de songe prémonitoire, scènes macabres chères aux romantiques, scènes de guerre, scènes politiques). Parodiant le modèle épique, Jarry crée une geste d’Ubu avec Ubu cocu, Ubu enchaîné en 1900, L’Almanach illustré du père Ubu en 1901 et Ubu sur la butte en 1906. Naissance d’un type Ubu est laid, sale, grossier, bête, couard, méchant…Pour souligner l’aspect caricatural de ses perso, Jarry délimite sur la nomination 3 groupes de perso : -Père et Mère Ubu, parfois appelés les Ubs -Le roi de Pologne Venceslas et ses fils Boleslas, Ladislas, Bougrelas -L’empereur de Russie Alexis et ses hommes, Lascy, Leczinski, Sobieski, Rensky 24 Un espace emblématique L’action […] se passe en Pologne c’est-à-dire Nulle part (Jarry au terme d’un Discours à la première représentation) Tout réalisme est radicalement banni de la scène. Refusant tout décor construit, Jarry propose de créer des décors « héraldiques » Toute partie du décor dont on aura un besoin spécial, fenêtre qu’on ouvre, porte qu’on enfonce est un accessoire et peut être apporté comme une table ou un flambeau. (ibid.) Le théâtre ne cherche plus à reproduire la réalité mais à représenter la condition humaine de façon burlesque. V.B.4 Les fantaisies surréalistes Largement inspirés des théories de Freud, les surréalistes donnent dans leur théâtre la première place à l’insolite. Ce théâtre ne repose plus sur l’adhésion du spectateur. Le théâtre surréaliste, apprécié seulement par un petit nombre d’initiés, se heurta à l’incompréhension générale. Il fallut attendre le succès du théâtre des années cinquante pour qu’on le redécouvrît (MCH) Les Mamelles de Tirésias Apollinaire dans cette pièce, abandonne toute logique dans la construction dramatique Mariant souvent sans lien apparent comme dans la vie la musique la danse l’acrobatie la poésie la peinture (Prologue des Mamelles de Tirésias) Victor ou les enfants au pouvoir Roger Vitrac dans cette pièce de 1928 met en scène un enfant de 9 ans qui a la taille d’un adulte, donc un perso délibérément faux. Le Surréalisme comme le Symbolisme débarrasse la dramaturgie de la notion périmée d’unité, principe d’ordre incompatible avec l’exploration de l’inconscient. V.B.5 L’ancien et le nouveau chez Claudel Dès Tête d’or il affirme « la comparution de l’homme nouveau » Le Classicisme Il y a chez cet admirateur de Rimbaud, une foi profonde dans le pouvoir du verbe qui mène à Dieu. Le vers sert à représenter le rapport inexplicable de l’instinct muet et du mot proféré (lettre à Albert Mockel 1891) Chez Claudel, la passion amoureuse s’exprime avec force cf L’Annonce faite à Marie. Modernité La scène de ce drame est le Monde (didascalies inaugurales du Soulier de Satin) La pièce est divisée en journées et la continuité spatio-temporelle est fragmentée en scènes qui peuvent être simultanées ou se dérouler en des endroits et à des moments très différents. Claudel, affichant le même mépris que Jarry pour le réalisme, accentue les conventions théâtrales Les machinistes feront les quelques aménagements nécessaires sous les yeux même du public pendant que l’action suit son cours. Au besoin, rien n’empêchera les artistes de venir donner un coup de main […] Il faut que tout ait l’air provisoire, en marche, bâclé, incohérent, improvisé dans l’enthousiasme ! [...] L’ordre est le plaisir de la raison mais le désordre est le délire de l’imagination. (préface du Soulier de Satin) V.B.6 Artaud ou l’apothéose du corps Expose ses théories dramatiques dans Le Théâtre et son double en 1938. 25 En finir avec le théâtre de texte Artaud remet en cause la dramaturgie occidentale qui ne voit pas le théâtre sous un autre aspect que celui du théâtre dialogué. (“La mise en scène et la métaphysique”, Le Théâtre et son double) Il rêve de retrouver les modes d’expression de certaines pantomimes directes où les gestes ne représentent pas des idées mais des attitudes. Dans La Pierre philosophale, les acteurs miment l’action en silence. En général, dans ses pièces toute liberté créatrice est laissée à l’acteur. Deux conceptions de la cruauté. Les deux pantomimes d’Artaud illustrent les deux tendances de la cruauté qui coexistent dans son œuvre . Une cruauté sanguinaire baigne La Pierre philosophale. Dans Il n’ y a plus de firmament, l’angoisse de fin du monde s’exprime de façon allégorique. La Lune risque de tomber et l’annonce de cet événement dont les conséquences vont être catastrophiques pour l’humanité, joue le rôle de catalyseur pour révéler toute la violence humaine. Le théâtre ne pourra redevenir lui-même, c’est-à-dire constituer un moyen d’illusion vraie, qu’en fournissant au spectateur des précipités véridiques de rêve, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non pas supposé et illusoire mais réel (“le théâtre de la cruauté”, Le Théâtre et son double) Ses théories dramaturgiques ont joué un rôle capital dans l’évolution ultérieure du théâtre par exemple, les spectacles de happening. Mais Jacques Derrida remarque que ce théâtre est difficilement jouable car Artaud ne veut pas que son théâtre soit une re-présentation mais qu’il saisisse la vie dans ce qu’elle a de non-représentable. Le théâtre épique Brecht fustige violemment le théâtre aristotélicien, terme synonyme chez lui d’illusion. Dans le théâtre épique, les perso se présentent directement eux-mêmes et non dialogue. Un récitant commente l’action, il décrit à certains moments les pensées et les perso. Parfois, il peut anticiper et prévenir le public du dénouement. Grâce à cette spectateur a l’esprit libre pour juger le déroulement de l’action. de théâtre à travers le mobiles des prolepse, le Fragmentation de l’action, du langage, du décor La structure de Mère Courage en 1939, est dominée par un principe d’alternance. L’action dans son agencement est atomisée. Brecht prône de plus, l’utilisation de projections cinématographiques. Le cinéma doit être utilisé comme une succession de tableaux. Rôles nouveaux dévolus au spectateur et à l’acteur Le spectateur doit être un observateur qui déchiffre un message, il est inclus dans l’événement théâtral. Le comédien qui renonce à la métamorphose intégrale dispose de trois procédés qui l’aideront à distancier les paroles et les actions du personnage à représenter 1. La transposition à la troisième personne 2. La transposition au passé 3. L’énoncé d’indications scéniques et de commentaires (Brecht, Nouvelle technique d’art dramatique) Ceci pour détruire l’illusion de l’acteur afin que le spectateur puisse se distancier lui aussi. Un plaisir nouveau est né : l’illusion de ne pas être dupe de l’illusion. Brecht et Artaud partent en guerre contre le théâtre occidental pour des raisons opposées. Tous deux exigent la participation du spectateur, mais si Artaud attend de lui une fusion totale avec l’âme des acteurs, Brecht quant à lui demande une attitude réflexive. V.C La révolution dramaturgique des années cinquante, son héritage V.C.1 Fécondité des années cinquante 26 Période d’enthousiasme créatif, selon Adamov Nous étions les auteurs, les acteurs les metteurs en scène de l’avant-garde opérante, face au vieux théâtre dialogué condamné (L’Homme et l’enfant –autobiographie– 1968) Nouvelle vague d’auteurs, Genet, Ionesco, Adamov, Vauthier, Beckett. Le public découvre Genet avec Les Bonnes en 1947 mis en scène par Louis Jouvet. En 1949, La Cantatrice Chauve fut considérée comme un canular. Mais après ces débuts méconnus par le public, les jeunes auteurs furent récompensés, Beckett par le prix Nobel en 1969 et Ionesco entre à l’Académie française en 1970. Ces auteurs cultivent l’insolite, introduisent l’incohérence au sein du langage. Mais ce nouveau théâtre (à la différence du nouveau roman qui a son manifeste en 1963 avec Pour un nouveau roman) n’a pas de théoriciens sauf un peu Ionesco avec Notes et contre-notes. V.C.2 La tour de Babel D’après leur interprétation de Freud, la vérité que l’homme clame au grand jour est svt démentie par une autre refoulée. Pour reconnaître l’existence de ces deux niveaux psychiques, les auteurs jouent souvent sur deux niveaux d’énonciation. Il faudrait savoir que lorsqu’on désire une chose, c’est aussi (et surtout) son contraire que l’on désire (Ionesco, Notes et contre-notes) Les autres sciences humaines ont entamé elles aussi les certitudes sur la fiabilité du langage (la logique, la linguistique). Les auteurs dramatiques entendent donc montrer que le drame de l’homme est de ne pas pouvoir communiquer. C’est pourquoi leurs perso sont des clochards, (Beckett) des « solitaires » (Ionesco) des vieillards sourds… La Cantatrice Chauve, une pièce exemplaire 1950 : multiplication des “erreurs” de langage exemple « de l’eau anglaise ». Les phrases se succèdent en se contredisant. (l’idée de cette pièce lui a été donnée par la méthode Assimil ou les conversations sont fausses et absurdes) MME SMITH : Elle est trop grande et trop forte […] Elle est trop petite et trop maigre. Ionesco qualifie sa pièce de « tragédie du langage » Le final souligne ceci, les Smith et les Martin inversent leurs rôles ce qui prouve à quel point leurs répliques sont dépourvues de sens. Une conception nouvelle de la dénomination Perso en quête d’identité, désignés par un vague nom commun. « Un homme » dans Acte sans paroles de Beckett ou Striptease de la Jalousie d’Arrabal, « Elle » et « Lui » dans Délire à deux de Ionesco. Je suis en train de devenir personne, même pas un numéro (un perso de Les Amants du métro, Tardieu) La perte du nom dans le théâtre contemporain, apparaît comme le symbole de la solitude du héros, que personne ne reconnaît dans un nom et qui ne s’y reconnaît pas lui-même. (MCH) Chez certains, à la suite de Jarry, le nom est un système classifiant. Contrairement à tout cela, Sartre et Camus1 tout en prônant l’absurde, conserve au langage sa fonction traditionnelle. Ceci étant dit, on peut peut-être l’expliquer par leur volonté de faire passer un message philo. V.C.3 Transformation du langage dramatique Les auteurs contemporains utilisent de + en + le langage dans ses fonctions phatique et métalinguistique. Fonction phatique et métalinguistique Les perso jouent parfois avec les mots sans se préoccuper du sens car le but est de prolonger l’entretien le plus longtemps possible. cf Vladimir et Estragon dans En attendant Godot. 1 Existentialisme = l’existence précède l’essence 27 Ils vont se lancer et se relancer quelques mots ni trop vite ni trop lentement, comme des balles de tennis. Ils prononcent les mots du dictionnaire avec le maximum d’impersonnalité. (Tardieu, indications scéniques de L’ABC de notre vie) Ce qu’il me faut, ce n’est pas le sens des mots, c’est leur volume et leur corps mouvant (Le perso de Pierre dans L’Invasion d’Adamov) Les formes du dialogue Je trouvai vexant que moi qui avais si bien démontré l’impossibilité de toute conversation, je fusse obligé d’écrire, tout comme un autre, de simples dialogues. […] Je cherchai […] des phrases clefs qui, apparemment se rapporteraient à la vie quotidienne, mais au fond, signifieraient “tout autre chose” (Adamov s’expliquant sur la genèse de l’Invasion dans Ici et Maintenant, 1964) De même, Ionesco brise la structure traditionnelle du dialogue avec Les Chaises ; deux protagonistes hallucinés qui parlent avec des êtres invisibles, d’où périodes de silence pdt lesquelles ces êtres parlent. Les monologues du théâtre contemporain sont très différents de ceux du théâtre classique le perso se perd cf Macbett* le perso essaie d’y voir + clair * « La répétition mécanique des deux monologues ridiculise les propos, tout en soulignant le caractère conventionnel du procédé. » (MCH) On va encore plus loin avec Peter Handke qui a créé une forme mixte proche de l’essai voire du poème les comédiens se partagent à leur guise les textes d’Outrage au public ou de Prédilection. Dans le théâtre d’Ionesco, de Beckett, d’Adamov ou de Tardieu, on a souvent une opposition entre des monologues interminables et des séries de courtes répliques. Mais cette mise en question du langage n’est pas unanimement effectuée, on ne la trouve ni chez Brecht, ni chez les auteurs américains comme Tennessee Williams ou Arthur Miller. Pour eux, l’aliénation n’est pas au niveau du langage mais au niveau politico-social. V.C.4 Un temps détraqué Des perso désorientés La pendule de La Cantatrice chauve « sonne tant qu’elle veut » Sommes-nous samedi ? Ne serait-on pas plutôt dimanche ? Ou lundi ? Ou vendredi ? (Estragon dans En attendant Godot, Beckett) Technique d’écriture : la parathèse « suite d’énoncés contradictoires qui apparaît comme la négation d’un ordre temporel au sein du langage »(MCH) Abandon de la chronologie Jusque là, le temps était tjrs respecté, L’Illusion Comique était une exception. En revanche, dans le théâtre contemporain, la notion de chronologie n’a plus de signification cf Le Jardin des délices d’Arrabal où le casque de Teloc lui permet de voir le passé et l’avenir. Apparition de perso nés d’une fantasmagorie cf Amédée de Ionesco, apparition du couple Amédée Madeleine comme quand ils étaient jeunes et qu’ils s’aimaient encore : ils visualisent le passé qu’Amédée et Madeleine ont intériorisé. La répétition -Répétition de l’acte I à l’acte II de En attendant Godot. -Répétition du meurtre du professeur sur un autre élève dans La Leçon d’où disparition de la notion de dénouement cf Fin de partie, Clov pourra t-il quitter Hamm ? A la fin, il reste à le fixer avec ses valises, sans se décider. Mais les répétitions dans le théâtre contemporain n’engendrent pas le rire. 28 V.C.5 Rôle du corps Le néosurréalisme de Ionesco. Les corps sont occultés par des vêtements noirs. Ionesco affuble ses perso de formes surprenantes, homme sans tête dans Le Maître, métamorphoses dans Rhinocéros etc. Le travestissement, un cérémonial chez Genet Quête de l’identité corporelle qui passe par le vêtement. Les Bonnes débute par une séance de déshabillage qui est un mime de préparatif de meurtre. Déguisement des clients du bordel dans Le Balcon. La cruauté chez Beckett et Adamov Le corps crie le malheur et exhibe ses souffrances. Corps-déchet de Nagg et Nell qui pourrissent dans une poubelle dans Fin de Partie. Ils sont les héritiers du théâtre de la cruauté d’Artaud. Le monde de Beckett est un monde de vieillards aveugles, boiteux, etc. Cruauté de sang chez Adamov. Le corps est victime d’une double persécution individuelle et sociale. cf Le Mutilé qui perd ses membres dans La Grande et la Petite Manœuvre. Les perso d’Arrabal sont sadiques et monstrueux car chez lui : horreur et violence apparaissent à la fois comme un exutoire fantasmatique et comme une volonté d’agresser le public. (MCH) Tandis que le sujet de la tragédie c’est le rapport de l’homme avec les forces des dieux ou de la passion, c’est la lutte qui souvent, certes, détruit le héros mais le grandit, le sujet de ces œuvres contemporaines, c’est le rapport de l’homme à son corps, le combat dérisoire qui le diminue et le déchoit (MCH, Langage et corps fantasme dans le théâtre des années cinquante : Beckett, Ionesco, Adamov) V.C.6 La mise en espace du corps Un espace emblématique La salle du trône dans Le Roi se meurt de Ionesco reflète l’état de santé du roi. L’espace scénique présente les mêmes stigmates que le corps (MCH) La chambre de l’Invasion d’Adamov envahie par des papiers épars figure le désordre dans l’esprit du héros. Le modèle de la danse La danse a précédé le théâtre en terme d’audace. A partir des années cinquante, les dramaturges se réfèrent à ce modèle, cf Arrabal 1957 parle d’ « orchestration théâtrale » pour Dieu tenté par les mathématiques où on a une alternance de ballets d’objets et de scènes de mime. La danse du théâtre contemporain n’est plus un ornement ou la représentation d’une scène de danse. Cela peut, par exemple symboliser moments de paroxysme au sein du couple, la scène d’amour de Les Amants du Métro de Tardieu est figurée par une valse. Le mimodrame ou le triomphe du discours didascalique Cette primauté donnée au corps est à l’origine du changement dans l’écriture dramatique. Le discours didascalique est aussi important que celui des perso, cf Capitaine Bada de Vauthier le texte est typographié sur deux colonnes, à gauche les didascalies à droite les dialogues. L’écriture dramatique se recherche alors du côté du scénar, d’ailleurs Beckett, Ionesco, Vauthier ont déjà écrit des scénarios de film. 29 CONCLUSION On assiste actuellement à un ébranlement de la notion de genre, cf titres des pièces de Ionesco Cantatrice chauve “anti-pièce“, Les Chaises “farce tragique“. Il déclare dans Notes et contrenotes avoir tenté d’opposer le comique au tragique pour les réunir dans une synthèse […] théâtrale nouvelle. Mais […] ces deux éléments ne se fondent pas l’un dans l’autre, ils coexistent, se repoussent l’un l’autre en permanence ; se mettent en relief l’un par l’autre ; se critiquent, se nient. Il recommande d’ailleurs pour la mise en scène de La Leçon Sur un texte burlesque, un jeu dramatique Sur un texte dramatique, un jeu burlesque De plus, c’est la notion même de théâtre qui est remise en question L’écriture dramatique contemporaine se rapproche parfois de l’écriture romanesque (MCH) D’où l’évolution de la critique théâtrale qui ne se contente plus d’étudier le texte et seulement le texte. Larthomas a souligné l’inscription de la mise en scène dans l’écriture dramatique dans Le Langage dramatique, sa nature, ses procédés.