1
INTRODUCTION
La mise en place d'une taxe sur les mouvements internationaux de capitaux a
été proposée en 1972 par l'économiste américain, Prix Nobel en 1981, James Tobin.
Il a en cela été inspiré par les travaux de John Meynard Keynes : en 1936, Keynes
proposait la levée d'une taxe sur la spéculation à court terme dans le but de la freiner
et de renforcer l'investissement de capital à long terme. Pour James Tobin, un tel
impôt sur la spéculation financière répond à un triple objectif. En premier lieu, il doit
permettre une plus grande stabilité du marché monétaire par le frein à la spéculation
quotidienne déstabilisatrice, cette stabilité accrue devant elle-même permettre de
diminuer les risques de crises financières. Ce système accorde également une plus
grande autonomie aux gouvernements pour établir une politique monétaire profitable
: une partie de la tutelle sur les marchés serait rendue aux décideurs politiques car
ce sont eux qui sont chargés de l'application de la taxe, ce qui augmente leur
influence sur les marchés financiers. Enfin, une telle taxe rapporterait de l'argent, qui
pourrait être utilisé (même s'il est très difficile d'estimer les chiffres) pour des objectifs
supranationaux, comme la coopération au développement.
Cependant, l'idée de la taxe Tobin est toujours, trente ans après son
apparition, un simple projet. Derrière son apparente simplicité, dans le principe et
dans la mise en œuvre, la taxe Tobin ne fait en effet guère l'unanimité, aussi bien
chez les économistes que les financiers ou encore les hommes politiques du monde
entier. Les critiques concernant l'application en l'état de cette taxe sont nombreuses
et les propositions alternatives se multiplient car, au fond, nombreux sont ceux qui
approuvent l'idée de freiner la spéculation financière, mais dans une forme évoluée
par rapport au projet de Tobin. La réalité de la taxe Tobin est donc des plus
complexes.
Avant d'aborder le contenu et les objectifs de la taxe Tobin, il est nécessaire
de rappeler qu'elle s'inscrit dans un contexte particulier, celui de la libéralisation
financière. Par la suite, nous verrons que cette taxe fait l'objet de prises de position
très diverses dans le monde entier, prises de position qui amènent à se demander si
la taxe Tobin est aujourd'hui réellement applicable.
2
I. LE CONTEXTE DANS LEQUEL S’INSCRIT LA TAXE
TOBIN : LA LIBERALISATION FINANCIERE
Avant même d’exposer les fondements de la taxe Tobin, il est primordial de la
rattacher au contexte actuel. En effet, cette taxe n’a pas été conçue comme un
simple exercice intellectuel mais a pour objectif premier d’apporter une réponse au
problèmes posés par l’organisation de la scène financière internationale.
Aujourd’hui, tous les grand pays sont engagés dans une libéralisation totale des
mouvements financiers et cette situation n’est pas sans impliquer de nouveaux
risques et une certaine opacité.
A. LES DIFFERENTES ETAPES
Cette libéralisation financière qui caractérise l’économie contemporaine s’est
imposée au monde entier à travers différentes étapes.
La première date des années 1960-1970 et correspond au refus des Etats-
Unis de ralentir leur croissance pour diminuer leurs déficits extérieurs. Ces derniers
avaient pour conséquence de faire circuler une masse croissante de dollars en
dehors des Etats-Unis ce qui a eu pour effet de jeter le doute sur la capacité de la
Banque Centrale américaine à échanger tous ces dollars contre de l’or, au prix de 35
dollars l’once fixé par les accords de Bretton-Woods. Plutôt que de s’ajuster, les
Etats-Unis ont choisi unilatéralement de dévaluer le dollar en 1971 et de faire éclater
le système de changes fixes en 1973. Les grandes devises se retrouvent donc en
concurrence sur le marché financier international mais les Etats-Unis savaient que le
marché financier plus dévelopet très attractif profiterait de cette concurrence et
préserverait la position dominante du dollar et assurerait la poursuite des flux
nécessaires au financement de leurs déficits extérieurs.
La deuxième étape de la libéralisation des capitaux s’est produite au début
des années 80 où les Etats-Unis, encore en proie à des déficits extérieurs et
budgétaires importants, ont offert la possibilité aux investisseurs internationaux de
financer la dette publique américaine en leur ouvrant le marché des titres financiers
publics.
A un niveau plus technique, on trouve également à la fin des années 70, le
début du recours aux taux d’intérêt comme arme économique et le résultat se fait
sentir très rapidement. Ainsi, l’inflation américaine contamine le monde entier à
travers l’énorme masse de dollars qui circulaient en dehors même des Etats-Unis
c’est-à-dire les eurodollars mais aussi les pétrodollars. En effet, dans les années 60,
3
on constate une sortie massive de dollars du territoire américaine et ce pour deux
causes majeures.
Tout d’abord, les soviétiques, en raison de la situation politique internationale de
guerre froide, préfèrent rapatrier des Etats-Unis les avoirs qu’ils possédaient en
dollars et le financement de la guerre du Vietnam implique également une sortie
massive de dollars, non plus sous forme de dépôt mais d’IDE en Europe.
Les banques européennes qui reçoivent ces pôts y voient alors l’occasion
d’accorder des crédits en dollars sans être soumises à aucune réglementation, ni
réserves obligatoires puisque les banques centrales européennes considéraient que
cette création monétaire n’était pas de leur ressort. Cette riode correspond à la
première phase de l’émergence d’une sphère financière privée puisque l’ensemble
des Etats semblent avoir été complètement dépassés dans leurs prérogatives.
Les eurodollars ont en fait créé un précédent, en ce qui concerne la création
et la circulation des dollars en dehors de leur territoire d’origine et surtout
indépendamment de la FED, que l’on va retrouver dans le phénomène des
pétrodollars. En effet, la stratégie de l’OPEP qui a aboutit à deux crises majeures a
également généré un énorme surplus de quelques 360 milliards de dollars entre
1974 et 1981. La moitié de cette manne pétrolière va être déposée sous forme de
dépôt en Europe dans des banques qui vont donc utiliser ces dépôts à court terme
pour en faire des crédits à long terme.
Pour attirer ces deux types de dépôts, que ce soit les eurodollars ou les pétrodollars,
les banques européennes vont se livrer une guerre en règle en offrant une forte
rémunération à travers des taux d’intérêts élevés. Le commerce des taux d’intérêts
qui jusqu’alors était relativement marginal devient une source de profit majeur, voire
même supérieure à toutes les autres.
L’étape suivante dite « étape des reaganomics »concerne la possibilité
donnée aux acteurs financiers de pouvoir également s’installer ils le souhaitent
pour concurrencer les acteurs financiers locaux ce qui complète la possibilité de
promener ses capitaux dans le monde entier à partir de son territoire d’origine.
En fait, tout un chacun peut désormais emprunter ou prêter là où il le souhaite.
La dernière étape principale correspond au développement de la finance
directe. Alors que les banques jouaient un rôle majeur auparavant en utilisant les
dépôts à court terme pour en faire des crédits à long terme, la finance connaît
revirement fondamental. En effet, désormais, les entreprises et les particuliers
obtiennent leur financement sur les marchés financiers en transformant leur besoin
de financement en titres et les banques ne jouent plus qu’un rôle de gestion de
portefeuille auprès de leurs clients. Ce développement de la finance directe est
passée par deux étapes :
4
La volonté des banques de se désengager de la dette c’est-à-dire de
se débarrasser des créances qu’elles détenaient sur les pays insolvables en les
transformant en titres de créances avec des taux d’intérêts élevés ce qui leur a
permis d’enlever de leur bilan des titres qui menaçaient l’équilibre financier.
La déréglementation financière qui est passée par plusieurs
mouvements parmi lesquels on trouve sur un plan national la libéralisation des
institutions bancaires et la création du second compartiment financier pour les
entreprises et les particuliers qui peuvent dès lors s’y financer et sur le plan
international, une libéralisation progressive de la circulation des capitaux et la
limitation des coûts de placement impliquées par les nouvelles technologies de
l’information et de la communication .
Ces différentes étapes ont donc conduit progressivement la majorité des pays
à s’engager, à des degrés divers, dans une libéralisation totale des mouvements de
capitaux.
B. LES AVANTAGES DE LA LIBERALISATION
En théorie, la libre circulation des capitaux a des avantages incontournables.
Elle est sensée favoriser le bon fonctionnement des économies notamment en
permettant une utilisation des capitaux disponibles on en a besoin c’est-à-dire
l’allocation optimale des capitaux. Ainsi, les investisseurs ont la possibilité de
financer des projets a priori utiles et efficaces. Les pays qui proposent de bons
projets d’investissement mais qui ne disposent pas suffisamment de capitaux
nationaux peuvent quand même les lancer et soutenir leur croissance.
Cette possibilité de placement au niveau mondial permet également aux tenteurs
de capitaux de diversifier leurs risques en plaçant leurs ressources dans des endroits
différents au lieu de concentrer toute leur capacité en un seul endroit.
De même la libre circulation des capitaux permet aux pays qui disposent d’un surplus
d’épargne de le transférer vers les pays qui en manquent et en ont besoin.
Cette libéralisation profite à un certain nombre d’acteurs.
En tout premier lieu, les détenteurs de capitaux profitent de cette liberté pour placer
leur épargne à l’étranger. C’est ainsi qu’en 1996 en France, les investissements
directs et de portefeuille à l’étranger étaient supérieurs de 350 milliards de francs à
ceux reçus par la France soit l’équivalent de 4.5% du PIB.
La libre circulation des capitaux profite également aux gouvernements puisqu’à court
terme, elle représente la possibilité pour un pays d’emprunter à l’étranger et donc par
la même d’adoucir les fluctuations économiques.
5
Confronté à un ralentissement de la croissance lié à la faiblesse de la
consommation et de l’investissement, le gouvernement Bérégovoy a ainsi laissé filer
le déficit budgétaire et l’a financé en partie grâce aux capitaux étrangers.
La libre circulation des capitaux concerne aussi les besoins à long terme des Etats.
C’est notamment le cas des pays en voie de développement qui ont besoin de
recevoir des financements extérieurs pour faciliter leurs politiques de
développement : ces pays ont ainsi pu bénéficier de 1300 milliards de francs de
financement privés en 1996.
C. LA SITUATION ACTUELLE
Ce processus de libéralisation des capitaux est arrivé aujourd’hui à
l’effacement des quatre frontières financières c’est-à-dire :
les frontières géographiques : car les capitaux peuvent désormais
traverser les frontières des Etats-nations.
les frontières institutionnelles : auparavant des frontières séparaient
très clairement les différentes activités des institutions financières. Ce n’est plus le
cas aujourd’hui car elles ont tendance à s’estomper : ainsi, les banques vendent des
polices d’assurance et des plans de retraite alors que les assureurs achètent des
prêts grâce au développement du marché secondaire des prêts.
les frontières fonctionnelles : car auparavant chaque produit
financier correspondait à un mode de financement alors qu’aujourd’hui les produits
financiers voient leurs spécificités disparaîtrent (obligations convertibles en
actions…)
les frontières sectorielles : il y avait une distinction claire entre les
institutions financières qui se préoccupaient de finance et les entreprises industrielles
qui se concentraient sur la production. Or, aujourd’hui des firmes industrielles ont
créé des ensembles financiers importants.
Cet effacement de toutes ces frontières, dont les effets interagissent les uns
sur les autres, introduit une grande complexité dans la finance internationale et dans
sa régulation.
1 / 42 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !