Céline Gaudin
Conférence d’économie de Cyrille Stevant
de change. Ceux qui assurent ce risque ne sont autres que les spéculateurs ; en conséquence, la
spéculation est consubstantielle aux échanges internationaux.
Certains considèrent que le volume des transactions est une indication du degré de spéculation
d’un marché, particulièrement celui des changes. Or, selon Patrick Artus, « les volumes des
transactions sur un marché sont liés à la chaîne de market-makers qui retransmettent l’ordre d’un
client final. Ceci n’a rien à voir avec la spéculation ». Dès lors, la taxe Tobin aurait pour effet de
réduire la liquidité du marché. Or, il n’existe aucun lien empiriquement démontré entre la liquidité
et la stabilité d’un marché.
La taxe Tobin est inspirée par le postulat keynésien de liaison durable des investissements avec
leurs actifs. Dans ce cas, les opérations de court terme sont fustigées comme relevant davantage de
la spéculation. Or, les transactions sur le marché des changes sous-tendent tous types d’opérations :
tourisme, services, etc. Dans ce cadre, les capitaux n’ont pas besoin d’être placés durablement en
devises pour couvrir des opérations économiques réelles.
L’analyse des crises qui ont frappé au cours des années 1990 les pays dits émergents, met en
évidence que les crises sur le marché des changes ne sont pas la cause mais la conséquence de
déséquilibres structurels de ces économies, qui engendrent des pertes de confiance des acteurs
économiques.
Qui paierait la taxe ? A priori l’industrie financière, mais les mécanismes de marché lui
permettent de reporter, à l’image de la TVA, son coût sur les utilisateurs finaux des marchés des
changes. En fin de compte, la taxe aurait un coût pour les opérateurs économiques et donc un
impact sur l’économie réelle qu’elle est censée préserver.
III – … ou bien une alternative salutaire au comportement erratique des marchés
financiers.
Tout récemment encore, avec le débat alter-mondialiste, ou bien lors de la conférence sur le financement
du développement, organisée par les Nations Unies à Monterrey au Mexique en mars 2002, certains
économistes ont étudié, adapté, remis à jour les grands principes de la taxe. Voici les arguments développés
par ses partisans :
L’argument selon lequel toute entrave à la libre circulation des capitaux serait facteur de
distorsion et d’affaiblissement des économies nationales, n’est pas valide. En effet, le Chili, qui a
instauré une série de mesures pour décourager le flux à court terme a connu une plus grande
stabilité monétaire et plus d’investissements à long terme que ceux de l’Amérique Latine qui ont
choisi d’éliminer toutes les barrières à la circulation des capitaux.
L’objection selon laquelle les transactions des changes seraient détournés au profit des paradis
fiscaux – « les îles caïmans remplaceraient Londres » - n’est pas valide. En effet, les pays de
l’OCDE ont toujours eu moyen de contraindre les législations de ces « paradis » -cf lutte contre le
blanchiment d’argent et les délits d’initiés. Par ailleurs le transfert des fonds au niveau international
étant très centralisé, et étroitement contrôlé par les banques centrales, des marchés organisés tels le
LIFFE (London International Financial Futures Exchange) et une poignée d’instituts de règlements
tels le Fedwire ou le Clearing House Information Payment System (Chips) pourraient s’associer au
FMI afin de réduire le rôle des « paradis Tobin » à la portion congrue. On peut aussi envisager une
réforme de la charte du FMI qui interdirait aux récalcitrants l’accès aux prêts multinationaux.
La variante de Paul-Bernd Spahn : pour atteindre les deux objectifs de la taxe, il faut deux
outils différents. Pour faire simple, pendant la période normale de transaction, une taxe faible
(0,01%) qui assure des revenus permanents, et en période de surchauffe, un niveau de taxation
nettement plus élevé qui dissuade les transactions en courte période et « refroidit » le marché. Dans
cette variante, plus besoin d’opérer une distinction entre vils spéculateurs et investisseurs à long
terme : ceux qui veulent faire des plus-values très rapidement en se jetant dans la brèche de la crise
sont dissuadés, les investisseurs à long terme voient leur acquis garantis, et les investisseurs en
général sont garantis d’un climat économique plus stable.
Beaucoup d’autres valeurs sont en jeu, qui doivent prendre le pas sur la question de
l’efficacité économique - les relations de pouvoir Nord-Sud, la redistribution des richesses,
l’autonomie, la Justice, l’émancipation des pays en voie de développement. Le débat autour de la
taxe Tobin questionne aussi fondamentalement le postulat de la « maximisation du bien-être
général » dans le cadre d’un marché ouvert.