Quant à l’argument selon lequel toute entrave à la libre circulation des capitaux serait facteur de
distorsion et d’affaiblissement des économies nationales, l’expérience montre qu’il n’en est rien.
Ainsi, le Chili, qui a instauré une série de mesures pour décourager les flux à court terme, a connu
une plus grande stabilité monétaire et plus d’investissements à long terme que ceux des pays
d’Amérique latine qui ont choisi d’éliminer toutes les barrières à la circulation des capitaux et se sont
retrouvés à la merci de capitaux certes abondants, mais capricieux. Le Mexique, par exemple, en
passant sans avertissement du statut de meilleur élève des marchés à celui de cancre, a subi de
plein fouet le contrecoup de la violence des flux monétaires. Malgré toutes les promesses de
prospérité, la majorité de la population a vu son niveau de vie s’effondrer. Comme l’écrit M. James
Tobin ,
En somme, en réduisant les fluctuations des taux et en permettant aux gouvernements une plus
grande autonomie de gestion, la taxe Tobin aurait un effet stabilisateur sur le marché monétaire.
Restent, bien sûr, les modalités pratiques d’application : quel taux établir ? Quelles transactions
imposer ? Comment administrer la taxe ? Comment en répartir les revenus ? Quelles exemptions
prévoir ? Comment empêcher la fraude et l’évasion fiscale ?
Le taux d’imposition doit être suffisamment élevé pour que la taxe produise les effets escomptés,
mais suffisamment bas pour éviter de semer la panique et décourager ceux qui chercheraient les
moyens de la contourner. Le taux suggéré serait de l’ordre de 0,25% ou 0,15 % (voire de 0,05 %), et
serait imposé tant sur les transactions simples que sur les produits dérivés — transactions à terme,
swaps, options — liés à des opérations de change. Au taux de 0,25 %, près de 290 milliards de
dollars seraient dégagés ; au taux de 0,1 %, la taxe permettrait de générer 166 milliards de dollars en
un an ; même un taux aussi bas que 0,05 % dégagerait quelque 100 milliards de dollars. Les chiffres
sont bien entendu entourés d’incertitude, car par définition le montant global des opérations de
change, devrait baisser. Reste à savoir dans quelles proportions.
Serait-il nécessaire de créer un nouvel organisme chargé d’administrer la taxe ? M. Tobin suggère
que les gouvernements, travaillant en étroite collaboration avec le Fonds monétaire international, en
seraient les principaux gestionnaires. Pour ce qui est des revenus, les pays industrialisés, dont on
estime qu’ils recevraient 86 % du total, en reverseraient une partie aux organisations internationales
qui s’en serviraient pour le financement d’opérations de maintien de la paix, la lutte contre la
pauvreté et contre la dégradation de l’environnement, ou d’autres "biens publics". Les pays en voie
de développement, eux, pourraient conserver l’ensemble des revenus de la taxe pour leur usage
propre.
Quant à l’objection selon laquelle les transactions de change seraient détournées au profit de paradis
fiscaux — "" —, elle ne résiste pas à l’analyse. On l’a vu au sujet
de la lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue ou dans le domaine des délits d’initiés : les
pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont
toujours eu les moyens de contraindre les paradis fiscaux à modifier leurs législations. Par ailleurs, le
transfert de fonds au niveau international étant très centralisé, et étroitement contrôlé par les
banques centrales, des marchés organisés tels le LIFFE (London International Financial Futures [and
Options] Exchange) et une poignée d’instituts de règlement tels Fedwire ou Clearing House
Information Payment System (Chips), une coopération entre ces organismes réduirait le rôle des
"paradis fiscaux Tobin" à la portion congrue. Enfin, d’autres systèmes d’encouragement et de
dissuasion sont possibles, en particulier une réforme de la charte du Fonds monétaire international
qui interdirait aux récalcitrants l’accès aux prêts multinationaux.
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