monde qui a connu son indépendance au XIXe siècle, un pays usurpateur
qui s’est étendu sur
les territoires d’autres nations, vite industrialisé, « sur-exploité » (Allende), libéralisé selon la
rigoureuse méthode imposée par la CIA après le coup d’Etat du général Pinochet. Ce qui nous
intéresse ce ne sont pas les guerres de la politique, les impérialismes et la constitution des
grandes coalitions : mais au contraire, nous accordons plus d’importance à la vie des gens et
le Chili est un pays de résistance. Son histoire est contestataire. Sa culture est de gauche. Du
Sud au Nord, les résistances se sont constituées : résistance des Selk’Nam, dans l’Extrême
Sud, Selk’Nam à qui les colonisateurs anglais coupaient les oreilles pour les revendre à la
sauvette une poignée de livres-sterlings
, résistance des Mapuches dans la région du Bio-Bio,
Mapuches combattant aujourd’hui encore les grandes multinationales qui ravagent leurs
paysages et empiètent sur leurs terres. Enfin, de La Serena à Arica, le Nord du Chili a connu
des mouvements syndicaux et anarchistes d’une telle envergure que le massacre de l’école de
Santa Maria
a transporté ses échos jusqu’à nous, est devenu un symbole de lutte, et d’espoir
dans la lutte.
Aller au Chili, rencontrer Ramon Griffero, réfléchir sur le théâtre d’avant-garde, est le
signe d’un amour profond pour le théâtre : le théâtre qui agite les consciences, qui bouscule
les individus, qui remet en cause le présent sans oublier le passé. Il se trouve que Ramon
Griffero est lié à ces deux auteurs déjà évoqués : Meyerhold et Fassbinder. Dès sa deuxième
pièce, Altazor Equinoxe (1981)
, le dramaturge et metteur en scène chilien s’est placé sous
l’égide de Meyerhold et a fait vœu de relancer le grotesque dans son théâtre, de s’inscrire en
tout cas dans une ligne claire : celle des « bouffons
», du jeu pur, du théâtre total (c’est-à-dire
organisant la synthèse des arts). En effet, une des citations placées en exergue de sa pièce est
Voir le recueil du jeune poète Vicente José Cociña publié en 2009 aux éditions Luciernaga : A partir de y no
también (A partir de plutôt qu’aussi), p. 38 : “Chile que robó a Perú, Chile que robó a Bolivia, Chile que negó a
Argentina, Chile que usurpó Isla de Pascua. De noche sólo quedarán los ladridos de tus perros callejeros”.
« Chili qui a volé le Pérou, Chili qui a volé la Bolivie, Chili qui n’a pas reconnu l’Argentine, Chili qui a usurpé
l’île de Pâques. De nuit ne resteront que les aboiements de tes chiens errants ».
Voir pour cela l’excellent roman du musicien et écrivain Patricio Manns intitulé El corazon a contraluz (1996)
et traduit en français sous le titre Cavalier seul, Phébus, 1999.
Massacre qui eut lieu à Iquique en 1907 (un an avant la naissance d’Allende) quand l’armée écrasa dans le sang
un conflit social étendu à toute la région du Tarapaca.
Texte écrit en français : http://www.griffero.cl/obra2.htm
Voir le livre de Florence Dupont : Aristote ou le vampire du théâtre occidental, Aubier, 2007. Livre dans lequel
est revendiqué un « retour des bouffons ».