grand parallélipède blanc auquel les personnages s’adossent, sur lequel ils dansent, et
derrière lequel il se cachent ; et un rideau noir translucide en arrière plan qui divise
l’espace scénique en deux. Derrière ce rideau se déroulent les différentes scènes qui
sont supposées avoir lieu dans la maison d’hôte de l’immigré grec. Une caméra et des
luminaires qui s’y allument lors du jeu servent à filmer ces scènes dont une partie nous
est montrée simultanément sur le meuble blanc. Les autres personnages, n’étant pas
supposés assister à ces scènes, restent devant le rideau comme si aucune autre action
n’a lieu. La projection sur le meuble blanc souligne ainsi l’empathie du savoir
spectatoriel par rapport aux savoirs des autres personnages sur scène. Une deuxième
caméra est utilisée devant le rideau entre les mains des différents personnages,
masculins ou féminins, qui jouent le rôle de Jorgos. Le rideau noir sert d’écran à ces
scènes qui traduisent le point de vue du grec, unique élément concret de lui dont nous
disposons.
Garcia ajoute une dimension spectaculaire au drame qu’est Le Bouc de Fassbinder.
Des chansons modernes que les actrices chantent en live, ou d’autres sur lesquelles
elles bougent les lèvres ou elles dansent, servent une triple fonction. Elles expriment
une décontraction comique ou plutôt attractionnelle dans le drame du quotidien
fassbinderien. Elles racontent aussi le propos de l’auteur par un choix intelligent de
diverses chansons. Finalement, elles soulignent avec les différents costumes et
accessoires utilisés l’atemporalité du bouc qui devient dès lors moderne.
Le trop plein d’éléments qu’utilise Garcia dans le but de faire une nouvelle adaptation
de la pièce anonyme reste composé de pièces divergentes qui ne se collent pas et
manquent d’homogénéité, de cellule matricielle. La simplicité du traitement filmique
de Fassbinder, qui dégageait l’authenticité et la cruauté de son chef d’œuvre, est
malheureusement remplacée par un surcadrage excessif d’éléments théâtraux qui lui
enlèvent son identité. On perd le désespoir et la prostration que le film de Fassbinder
dégageait en ses spectateurs, et que Wim Wenders avait résumé avec quelques mots : «
Ce qu’il y a de cruel dans ce film, c’est que dans le moindre détail, le plaisir en est
totalement absent. Le découpage fait penser à un téléspectateur qui, un samedi soir,
passerait d’une chaîne à l’autre avec découragement et que chaque changement de
chaîne rendrait plus furieux et plus triste. »
Si la nouvelle mise en scène du Bouc par Ledicia Garcia ne garde pas l’esprit que
Fassbinder avait donné à son œuvre, elle arrive néanmoins à constituer un spectacle
qui reflète toute la xénophobie de notre société actuelle.
Patrick Tass!