Croire Aujourd`hui – Février 2009 L`affaire Williamson Par Bernard

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Croire Aujourd’hui – Février 2009
L’affaire Williamson
Par Bernard Lecomte (*)
L’affaire Williamson, comme il est convenu de l’appeler, a fait la Une des journaux
pendant trois longues semaines qui resteront, pour l’Eglise, un véritable cauchemar.
Rappelons les faits : le samedi 24 janvier, le Vatican fait savoir que Benoît XVI
s’apprête à lever l’excommunication des quatre évêques intégristes sacrés en juin 1988
par Mgr Lefebvre. Un décret signé au nom du pape par le cardinal Giovanni Battista Re,
préfet de la Congrégation pour les évêques, est publié ce jour-là, qui confirme la
nouvelle.
Mais ce geste d’ouverture du pape est aussitôt occulté par un énorme scandale
provoqué par l’un de ces quatre évêques, Richard Williamson, dont les déclarations
négationnistes sèment la consternation et font le tour du monde : le 21 janvier, lors
d’une émission diffusée par la télévision suédoise SVR, Williamson a déclaré : « Je
crois qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz. (…) Je pense que 200 000 à 300 000 juifs
ont péri dans les camps de concentration, mais pas un seul dans les chambres à gaz ».
Dès le dimanche 25 juillet, comme une traînée de poudre, l’information se répand
dans de nombreux médias qui font aussitôt l’amalgame : « Le pape a réintégré dans
l’Eglise un évêque négationniste ». Les premières déclarations d’hommes d’Eglise –
comme le cardinal Philippe Barbarin, le cardinal André Vingt-Trois, Mgr Jean-Michel
di Falco – ne parviendront pas à endiguer l’émotion provoquée par la nouvelle. Il faudra
trois semaines pour que l’Eglise, à force de gestes forts ou symboliques, parvienne à
faire entendre sa propre désapprobation, et à contrecarrer l’amalgame médiatique
provoqué par les déclarations de Richard Williamson.
« Ut unum sint »
L’Eglise ne se grandit jamais quand elle exclut. Le cas s’est souvent produit dans
l’histoire. Appelée à réaliser l’unité des enfants de Dieu, l’Eglise incarne une religion
qui, comme l’étymologie l’indique, a vocation à relier (religere) les hommes, et non à
les diviser ou à les opposer. A la tête de l’Eglise, le pape a pour première responsabilité
de veiller et d’œuvre à l’unité du peuple chrétien – Jean-Paul II ne cessera de la rappeler
pendant son pontificat, et pas seulement dans son encyclique Ut unum sint (« Qu’ils
soient un »).
Il n’est donc pas surprenant que Benoît XVI ait multiplié les efforts, au nom de cet
impératif apostolique, pour faire revenir dans le giron de l’Eglise officielle les anciens
« lefebvristes ». Que ces efforts aient provoqué quelques grincements, notamment au
sein de l’Eglise de France qui fut particulièrement meurtrie par les différents épisodes
de la rupture avec les intégristes, cela n’est pas contestable. Le 2 juillet 2007, la
publication par Benoît XVI d’un motu proprio libéralisant la messe dite « tridentine » –
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improprement appelée « messe en latin » – avait montré, sans réserves, la volonté
papale de mettre fin au schisme de la Fraternité Saint Pie X.
La démarche du pape n’avait fait qu’accélérer un processus né au moment même de
l’excommunication de 1988. Car cet acte grave avait été décrété « latae sententiae »,
c’est-à-dire « du fait même de la faute commise », de façon automatique, dès lors que
Mgr Lefebvre procédait au sacre de quatre évêques en dehors de l’autorité canonique de
l’Eglise. Le pape de l’époque, Jean-Paul II, avait tout fait pour éviter d’en arriver à ce
point de non retour. Il avait été aidé dans ces efforts par celui qui était à l’époque le
préfet de la Congrégation pour le doctrine de la foi, le cardinal Joseph Ratzinger. En
vain : le jeudi 30 juin 1988, à Ecône, dans le Valais suisse, Mgr Lefebvre procédait au
sacre de « ses » quatre évêques. Le schisme était consommé, comme le confirmera
formellement, le lendemain, un décret du cardinal Gantin, alors préfet de la
Congrégation des évêques.
L’acte d’excommunication fut donc un acte de nature disciplinaire. Il n’a pas
sanctionné un clivage théologique irrémédiable ou une rupture philosophique définitive.
Si les intégristes se caractérisent bien, grosso modo, par leur rejet du concile Vatican II,
il faut rappeler que Mgr Lefebvre avait signé les différents actes du Concile, à
commencer par la réforme liturgique, par obéissance au pape qui promulguait ces textes.
Clin d’œil de l’histoire : quand Mgr Lefebvre fait du nouveau missel de Paul VI, en
1969-70, son cheval de bataille idéologique, un professeur de théologie nommé Joseph
Ratzinger, qui enseigne à Ratisbonne, peste, lui aussi, contre cette réforme liturgique
trop brutale.
A cette époque, Lefebvre n’est pas plus « extrémiste » que les cardinaux les
plus conservateurs de la Curie, tels Ottaviani ou Siri. C’est sa propre obstination qui
l’oppose de plus en plus durement au pape. Il faut d’ailleurs souligner que ses sujets de
contestation de la ligne générale de l’Eglise vont beaucoup évoluer dans le temps,
jusqu’à se concentrer, sous Jean-Paul II, sur le dialogue interreligieux caractérisé par la
réunion d’Assise et le rapprochement avec les juifs symbolisée par la visite à la
synagogue de Rome (1986). On est loin, alors, du missel de Paul VI.
Ainsi, le vrai faux schisme intégriste ne demandait qu’à être résorbé. Mgr Bernard
Fellay, le supérieur général de la Fraternité Saint Pie X qui a succédé à Mgr Lefebvre à
la tête du mouvement, a fait preuve, depuis deux ans, de quelques gestes de bonne
volonté, et déclare que le dialogue avec le pape est « nécessaire ». Lui non plus ne
s’attendait pas, apparemment, à la provocation de son collège Williamson.
Or celle-ci est grossière et manifeste. En niant publiquement et spectaculairement
l’existence des chambres à gaz, Richard Williamson jette l’opprobre sur Benoît XVI,
accusé par les médias du monde entier de vouloir réintégrer dans l’Eglise des gens fort
peu recommandables. Il blesse aussi la communauté juive internationale, dont
l’indignation est aussi vive que légitime. Il déstabilise enfin la grande majorité des
catholiques du monde entier, qui considèrent avec méfiance les intégristes, et avec
horreur les négationnistes.
Une seule cuiller de soupe…
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C’est de ce côté que la réaction va se faire virulente. Ce sont les catholiques euxmêmes, notamment les laïcs, qui vont exprimer sur les ondes, dans les journaux et dans
les blogs leur indignation d’être assimilés à quelques extrémistes irresponsables qui
n’engagent aucunement le peuple chrétien. « Vous pouvez troubler un aquarium avec
une cuillérée de soupe, dit un proverbe slave, mais allez faire l’inverse ! »
La levée de boucliers est spectaculaire. Nombre de catholiques, notamment,
réaffirment solennellement leur attachement à la politique de rapprochement avec les
juifs, ceux que Jean-Paul II appela leurs « frères aînés », et que Benoît XVI en personne
va s’employer, en quelques déclarations bien senties, à rassurer méthodiquement sur ses
intentions et ses convictions. Autour du pape, plusieurs responsables de la Curie se
démarquent ostensiblement de cet évêque négationniste auquel ses propres amis de la
Fraternité Saint Pie X demandent de se rétracter : Mgr Williamson est même suspendu
par ceux-ci de ses activités pastorale en Argentine !
Vers le 12 février, les choses deviennent plus claires, le brouhaha médiatique
s’estompe, la tempête s’éloigne. L’homme par qui le scandale est arrivé n’est plus
défendu par personne. Le débat sur les vrais enjeux de l’intégrisme peut reprendre : si
les lointains disciples de Mgr Lefebvre veulent accepter la main que le pape leur a
tendue, il va falloir qu’ils éclaircissent leur position par rapport au Concile. A entendre
les propos inchangés des quatre évêques concernés sur Vatican II, ce travail-là prendra
encore du temps…
Mais un autre débat surgit, du cœur même de la catholicité, sur la responsabilité
personnelle du pape Benoît XVI dans cette douloureuse affaire, qui a durablement altéré
l’image de l’Eglise. Chacun a gardé en tête l’incroyable embrasement du monde
musulman après une imprudence sémantique du pape lors de son discours à l’Université
de Ratisbonne en septembre 2006. C’est la deuxième fois que le chef de l’Eglise
catholique est pris en flagrant délit de maladresse médiatique. Sans les deux cas, le pape
n’est pas soupçonnable de manœuvre politique ou de confusion intellectuelle, mais il est
bien responsable, dans les deux affaires, de la mauvaise communication globale du
Vatican.
Cette communication déficiente ne vient pas des hommes eux-mêmes, mais du
fonctionnement de la structure curiale, maintes fois dénoncée par les observateurs :
manque de coordination entre les responsables des dicastères, l’entourage proche du
Saint-Père et la Sala Stampa ; faiblesse des « courroies de transmission » de la pensée
du pape au-delà des deux piliers que sont Radio Vatican et l’Osservatore Romano, etc.
L’affaire Williamson aura remis en tête, au Vatican, l’indispensable réforme de la Curie.
Mais elle aura aussi forcé les hauts responsables de l’Eglise à réfléchir à l’évolution
du monde dans lequel ils évoluent. Certes, il n’est pas question que l’Eglise cède à
toutes les modes en matière de communication. Mais l’institution la plus grande et la
plus ancienne du monde devra davantage tenir compte, dans l’avenir, de la
mondialisation et de la numérisation de l’information : l’impact et le respect de la parole
du Pape et de ses futurs successeurs est à ce prix.
(*) Auteur du livre « Les secrets du Vatican » (Perrin, janvier 2009)
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