Où les espèces répondent-elles aux changements climatiques? Rôle de l’endémisme et
des marges des gradients environnementaux pour la diversification écologique des
végétaux.
L’écologie contemporaine est implicitement basée sur l’hypothèse que les phénotypes des
espèces répondent aux changements de leur environnement. Ces réponses s’expriment soit
au niveau d’une différenciation des populations d’une même espèce, soit au niveau d’une
macroévolution des traits à travers différentes espèces. Cependant, des travaux récents
indiquent que cette hypothèse n’est pas forcément fondée. Par exemple, les espèces
soumises aux changements climatiques se redistribuent d’ordinaire dans l’espace, elles
migrent avec le climat. Celles qui restent sont rapidement exterminées par des espèces
invasives préadaptées à ce nouveau climat. Par conséquent, la niche climatique des espèces
reste d’ordinaire très rigide, même au cours de millions d’années (par exemple Prinzing et al.
2001 Proc. R. Soc. B). Toutes les réponses adaptatives des phénotypes sont donc
remplacées par des migrations et des invasions. De ce fait, il n’est pas évident de comprendre
comment les phénotypes des espèces peuvent répondre aux nouveaux climats.
Récemment, plusieurs hypothèses ont été proposées pour résoudre ce paradoxe. Elles
suggèrent que, dans des conditions particulières, une adaptation ou plasticité adaptative serait
quand même possible:
(1) Une réponse du phénotype aux changements climatiques est plus probable aux marges
des gradients climatiques. Deux scénarios ont été proposés: 1.1. La réponse apparaît aux
marges postérieures, là où des conditions pour des espèces en place deviennent plus
extrêmes, parce qu’il manque des espèces préadaptées envahissantes qui pourraient
empêcher une adaptation des espèces présentes. 1.2. La réponse apparaît aux marges
antérieures des gradients, là ou les espèces sont en train d’immigrer, à cause d’un effet
fondateur pendant l’établissement de nouvelles populations.
(2) La réponse du phénotype dépend du degré d’endémisme des espèces. Deux scénarios
ont été proposés: 2.1. Les endémiques répondent plus car les génotypes adaptés aux
conditions locales ne sont pas dilués par des génotypes qui arrivent d’ailleurs. 2.2. Les
endémiques répondent moins car elles ne profitent pas d’un apport de génotypes venant de
régions ayant un climat qui ressemble aux nouvelles conditions sur place.
Les deux hypothèses seront étudiées chez des Angiospermes. Pour l’étude sur le niveau
intra-espèce, on a besoin d’un système simple, avec un faible nombre d’espèces, endémiques
et non-endémiques, et soumis à des gradients et changements climatiques très nets. Ces
conditions sont parfaitement réalisées dans la flore des îles subantarctiques Kerguelen. Sur le
terrain, l’étudiant(e) caractérisera des gradients climatiques et édaphiques, récoltera les
différentes espèces, et mettra en place une culture de plantes jusqu’à la deuxième génération
pour vérifier l’héritabilité du phénotype. Au laboratoire, l’étudiant(e) mesurera les structures
végétatives et reproductives; il caractérisera les phénotypes biochimiques et leur réponse aux
conditions environnementales (métabolomique: polyamines, régulateurs de croissance
répondant aux stress abiotiques; par ex., Hennion et al. 2006; Heat Shock Proteins en
collaboration).
Pour l’étude sur le niveau macroévolutif, on a besoin d’un pool d’espèces riche, permettant de
suivre l’évolution des traits le long de nombreuses lignées évolutives. On profitera de la flore
régionale la mieux connue en termes de relations phylogénétiques, de traits d’histoires de vie
et de distribution le long des gradients environnementaux: la flore de l’Europe Centrale.
L’étudiant(e) reconstruira les caractères des espèces ancestrales, i.e. leurs positions le long
des gradients environnementaux, leur degré d’endémisme dans certains types d’habitats, et
leur endémisme géographique. Il identifiera des changements macroévolutifs des histoires de
vie et de certains caractères écophysiologiques. Enfin il testera si l’endémisme des ancêtres,
ou leur position le long des gradients environnementaux, influencent l’évolution de l’histoire de
vie ou de l’écophysiologie des descendants.
Ce sujet de thèse s’inscrit dans le cadre de l’ATIP CNRS qu’Andreas Prinzing vient d’obtenir
pour 3 ans (2006-2009), «Ecologie de la diversification», et qui s’attachera notamment à
étudier les conditions écologiques de la diversification évolutive des plantes au sein des
habitats et les conséquences pour le fonctionnement des communautés et des écosystèmes.