CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS CHAIRE PSYCHANALYSE – SANTÉ – TRAVAIL CERTIFICAT DE SPÉCIALISATION DE PSYCHOPATHOLOGIE DU TRAVAIL Diagnostic et prise en charge des patients Responsable scientifique Christophe Dejours Conseillère pédagogique Marie Pezé Ouverture en 2008-2009 1 Les pathologies mentales associées au travail sont de plus en plus fréquentes. Dans la plupart des cas les formes cliniques de décompensation étaient déjà connues de longue date, et c’est alors seulement leur incidence accrue qui marque la période actuelle. Quelques formes toutefois sont nouvelles. Les problèmes cliniques conduisent les travailleurs malades aux consultations des médecins du travail, en priorité mais aussi des médecins généralistes, des psychologues du travail et des psychiatres. Il faudrait ajouter à cette liste le cas particulier des délégués qui, dans les entreprises, participent aux Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et sont impliqués dans la prévention et dans les actions qui concernent la santé mentale au travail. Ces praticiens, pour la plupart, éprouvent des difficultés non seulement dans la prise en charge des malades, mais en amont déjà, au niveau du diagnostic. Pourquoi ? Parce que le diagnostic ne peut pas en rester ici au recensement des symptômes et des syndromes. Le diagnostic doit aussi être étiologique, parce que c’est l’étiologie qui est décisive pour orienter l’action rationnelle en matière de soins. Or c’est au niveau de l’enquête étiologique que les connaissance médicales, psychologiques et psychiatriques conventionnelles sont insuffisantes. Lorsque dans une décompensation psychopathologique le malade rattache la crise actuelle aux contraintes de son travail dont il dit qu’il ne peut plus les endurer comme il le faisait auparavant, qu’est ce qui dans la symptomatologie actuelle ressortit à la situation de travail, qu’est-ce qui vient de sa vulnérabilité psychique personnelle, qu’est-ce qui résulte d’éventuels conflits dans l’espace privé ? Pour répondre à ces questions qui se posent dans la pratique ordinaire avec chaque nouveau patient, il faut mobiliser des connaissances spécifiques dont les unes relèvent des sciences du travail, dont les autres relèvent des sciences sociales. Des recherches interdisciplinaires ont été menées depuis 20 ans sur ces questions entre cliniciens du travail d’un côté, ergonomes, sociologues, économistes, juristes, linguistes, anthropologues, philosophes de l’autre. Ces travaux ont permis de procéder à une intégration des multiples dimensions du rapport entre santé mentale et travail, dans une théorisation cohérente sous le nom de « psychodynamique du travail ». Les résultats de ces recherches ont donné naissance à de nombreuses réunions scientifiques internationales qui ont été organisées depuis 1997 par le CNAM (la dernière en date 2 étant celle du 25 janvier 2008), et à la création d’une revue internationale, « Travailler » indexée sur les bases de données depuis 1998, publiée par le laboratoire de Psychologie du travail et de l’Action du CNAM (Equipe d’Accueil 3203). Une longue expérience de l’enseignement universitaire et post-universitaire a été accumulée dans le domaine de la santé mentale au travail qui a conduit à la création en 2005 d’une nouvelle chaire au CNAM consacrée à ce domaine (Chaire Psychanalyse-Santé-Travail). Les praticiens qui sont convoqués dans leur pratique par ces nouvelles questions psychopathologiques, sont devenus extrêmement nombreux et éprouvent le besoin d’une formation spécialisée et prolongée auquel les colloques et congrès rassemblant un public en trop grand nombre, ne répondent pas de façon idoine. 3 OBJECTIFS Le premier objectif de ce « certificat de spécialisation » consisterait donc à transmettre les connaissance permettant aux praticiens d’orienter leurs investigations cliniques dans le domaine spécifique de l’étiologie des pathologies mentales associées au travail. Le deuxième objectif du certificat de spécialisation de psychopathologie du travail concerne la prise en charge des malades. L’expérience montre que la praticien isolé, que ce soit dans le bureau de consultation du service de santé au travail, ou dans le cabinet du psychiatre, n’est pas en mesure de faire face aux problèmes multidimensionnels de la prise en charge du malade : intervention auprès de l’entreprise et de la direction des ressources humaines, auprès du médecin du travail, auprès du médecin agréé de la sécurité sociale, auprès du juriste ou du conseil, auprès de l’inspection du travail, etc. La prise en charge de ces malades est pluridimensionnelle et implique l’action concertée de plusieurs spécialistes en médecine, en psychopathologie, en droit. Des consultations spécialisées sur le modèle initialement développé par les équipes de Marie Pezé à Nanterre, et de Marie-Pierre Guiho-Bailly à Nantes, Cholet puis à Angers, commencent à essaimer en France, pour faire face à la demande constante de soins. L’enseignement proposé dans le certificat de spécialisation s’appuie sur l’expérience clinique accumulée depuis plusieurs années par les consultations d’Ile de France (Nanterre, Créteil, Ambroise Paré à Garches, l’Elan Retrouvé à Paris) et sur les praticiens qui ont rôdé le dispositif au cours d’expériences pilotes qui ont d’ailleurs été retenues pour modèle dans les recommandations formulées par la Commission Violence-Travail-Santé, au Ministère de la santé en 2005 (réf p 113-130), dans le cadre du Plan Violence-Santé de la loi d’orientation 2004. En raison des spécificités de la prise en charge des malades souffrant de troubles psychopathologiques en rapport avec le travail, l’équipe enseignante associera des spécialistes en psychiatrie, psychanalyse, psychologie, médecine du travail, inspection médicale du travail, droit (magistrats, avocats, inspecteurs du travail). 4 La formation sera constituée de : l’apport théorique par des enseignants-chercheurs des études de cas à partir de consultations filmées et de dossiers médicaux par des praticiens intervenant dans le réseau souffrancetravail. un stage pratique auprès d’une structure de soins spécialisée, fonctionnant en réseau multidisciplinaire1. 1 Des équivalences pourront être accordées aux professionnels exerçant déjà dans les structures de soin, sur décision du conseil pédagogique. 5 PUBLICS VISÉS - Praticiens possédant un titre national d’exercice professionnel en médecine, psychologie, droit (médecins généralistes, médecins du travail, médecins inspecteurs du travail, inspecteurs du travail, avocats, magistrats). - Travailleurs sociaux, délégués de CHSCT, étudiants dans les différentes spécialités indiquées ci-dessus : l’admission sera faite sur dossier, lettre de motivation et complétée éventuellement par un entretien avec un enseignant. 6 PROGRAMME D’ENSEIGNEMENT PSYCHOPATHOLOGIE DU TRAVAIL Diagnostic et prise en charge des patients Les modules 1 à 8 représentent 4 crédits. L’UE portera le titre de « Eléments de théorie » Les modules 9 à 15 représentent 6 crédits. L’UE portera le titre de « Pratique clinique et prise en charge pluridisciplinaire ». Le stage pratique sera de 200 heures. UE : « ÉLÉMENTS DE THÉORIE » (4 crédits). 1 - Éléments de psychodynamique et psychopathologie du travail (8 heures) : - Histoire des idées de la psychopathologie à la psychodynamique du travail. - La psychopathologie du travail aujourd’hui en France et à l’étranger - La « centralité du travail » dans le domaine de la santé mentale 2 - Les rapports entre organisation du travail et santé mentale (8 heures) : - Le concept d’organisation du travail - Les nouvelles formes d’organisation du travail, et leurs incidences psychologiques. - Les composantes psychiques du travail individuel et du travail collectif. - Travail et théorie de la reconnaissance. 3 - Les données cliniques et psychopathologiques récentes (1) (4 heures) : - Les pathologies de surcharge - Le problème des décompensations somatiques (T.M.S et Karôshi) - Éléments de clinique et de théorie psychosomatique. 7 4 - Les données cliniques et psychopathologiques récentes (2) (4 heures) : - Les pathologies post-traumatiques - Les pathologies du harcèlement - Les nouvelles formes de dépression et les passages à l’acte suicidaires 5 - Le diagnostic en pratique (4 heures) : - L’entretien clinique : principes spécifiques à l’investigation en psychopathologie du travail - Le diagnostic différentiel - Questions soulevées par l’évolution des troubles et par l’impact des débats dans l’espace public sur le gauchissement des symptomatologies (le langage des décompensations). 6 - L’analyse étiologique (1) (4 heures) : - Les contraintes pathogènes et le rôle de l’organisation du travail - les conditions sociales de la santé mentale au travail - les conditions favorables à la sublimation dans le travail - les incidences du genre sur l’accès à la sublimation et sur les contraintes psychiques du travail - Approche critique de la notion de « harcèlement » au travail dans l’analyse étiologique des décompensations. 7 - L’analyse étiologique (2) (4 heures) : - Les notions de « terrain », de « prédisposition », de « vulnérabilité » psychiques - Place de la vulnérabilité dans la théorie du sujet en sciences humaines au travail - Approche critique du modèle du stress psycho-social pour l’analyse étiologique des décompensations en psychopathologie du travail. 8 - L’analyse étiologique (3) (4 heures) - La division entre travail et hors-travail - Les tâches domestiques : méthode d’analyse, principaux concepts - Travail domestique et travail de reproduction - Les interdépendances entre travail de production et travail de reproduction - L’intégration de ces données dans l’analyse étiologique. 8 UE : PRATIQUE CLINIQUE ET PRISE EN CHARGE PLURIDISCIPLINAIRE (6 crédits) 9 - Prise en charge des patients (1) (8 heures) : - Les dispositifs existant, les ressources, les moyens - Les limites de l’action de soin et de prévention au niveau des praticiens et au niveau des institutions - Les dispositions réglementaires et légales et leur évolution. 10 - Prise en charge des patients (2) (8 heures) : - Les princeps de l’action interdisciplinaire en réseau - L’ajustement des objectifs de soin en fonction des configurations cliniques et professionnelles - Le problème spécifique des urgences psychopathologiques - Les problèmes posés par les risques de violence. 11 - Prise en charge des patients (3) (8 heures) : - Problèmes posés par le suivi à terme des patients - Les aménagements de la prise en charge dans la durée. - Questions soulevées par la reprise de travail. 12 - Prise en charge des patients (4) (8 heures) : - L’intervention sur le terrain de l’entreprise - L’action des CHSCT - Les questions relatives à la prévention dans le domaine de la santé mentale au travail. 13 - Les cadres juridiques et la constitution du dossier médico-psychologique (8 heures) - Les prérogatives de l’employeur - Le contrat de travail 9 - L’exécution de bonne foi du contrat de travail - Directives européennes - Jurisprudences 14 - Expertises et certificats médicaux (8 heures) - Le secret professionnel dans la prise en charge en réseau - Le secret partagé. Questions déontologiques. - La rédaction des certificats et des expertises. 15 - Problèmes épistémologiques (8 heures) - Incidences des nouvelles formes cliniques en psychopathologie du travail et des innovations en matière de prise en charge sur l’exercice de la médecine et de la psychologie clinique. - Retour critique sur la notion d’aliénation en psychiatrie et dans les sciences du travail - Rôle et place des professionnels de soins dans l’élaboration des politiques publiques du travail. SOIT AU TOTAL : 96 heures 10 PRÉCISIONS ET COMMENTAIRES GÉNÉRAUX. Le sous-titre du Certificat de spécialisation mentionne la prise en charge des « patients ». Le terme connote effectivement le fait qu’il s’agit de sujets qui s’adressent aux consultations spécialisées, ou sont adressés à ces consultations par des médecins, parce qu’ils sont en état de décompensation psychopathologique. Le terme « patient », d’origine anglo-saxonne, s’est imposé progressivement dans le champ de la clinique psychiatrique, à la place de celui de « malade ». Il est donc convoqué ici, à ce titre et doit y être maintenu. Il s’agit d’autre part de « prise en charge » et non de seulement de « traitement ». Cette expression est dans ce cas justifiée non seulement par l’usage, mais aussi parce qu’elle admet l’intervention de spécialistes qui ne relèvent pas exclusivement du corps médical. Cette clinique nouvelle appelle en effet la collaboration de plusieurs autres métiers, notamment de spécialistes possédant des compétences dans le champ juridique, car toute prescription médicale a ici des incidences vis-à-vis du contrat de travail et surtout de l’avenir des patients vis-à-vis de l’aptitude d’une part, vis-à-vis de la protection de leurs droits d’autre part : médecins inspecteurs du travail, inspecteurs du travail, avocats et magistrats spécialisés en droit du travail, travailleurs sociaux, etc. Non seulement ces « prises en charge » exigent la coopération de plusieurs métiers, mais c’est aussi pour formaliser la nature des liens entre professionnels que ce certificat est créé, en particulier en ce qui concerne les questions fort complexes relatives au secret professionnel et à la déontologie médicale. Il y a effectivement un problème de solvabilité. Pour la plupart, les délégués des CHSCT qui suivront cette formation bénéficieront d’un financement par leur entreprise, pour les former à l’assistance aux patients qui reprendront leurs fonctions après la décompensation, et plus encore pour leur donner des outils nouveaux en vue d’agir dans le domaine de la prévention. Les managers et les DRH ne sont pas, en première instance, invités à cette formation, parce qu’elle concerne d’abord la prise en charge des patients qui ne relève pas des DRH et suppose un changement de posture très important par rapport à leurs fonctions. Cela étant, ladite formation pourra recevoir des DRH et des managers s’ils ont des raisons précises pour suivre cette formation. Le public cible est donné de façon indicative. Mais tout autre public peut être admis, sur la base de la lettre de motivation d’une part, d’un entretien avec l’équipe pédagogique d’autre part. En ce qui concerne le flux, on souhaite que le groupe ne soit pas trop important, en particulier à cause du suivi des stages qui représente une charge lourde pour les enseignants. CONTENU : L’apport médico-épidémiologique est prévu dans la formation, mais y occupe une place limitée, parce qu’à l’heure actuelle, il y a fort peu de données disponibles. Les apports concernant les nouvelles formes d’organisation du travail sont dûment prévues dans la formation, bien entendu (cf module N° 2). Les relations entre médecins et responsables RH sont déjà largement envisagées en certificat de spécialisations pour les médecins du travail, au cours de leur formation en Faculté de médecine. Il en sera bien entendu question au cours de 11 l’enseignement et dans le suivi des stages, mais sans redondance par rapport à ce qui est enseigné en Faculté de médecine. COMPETENCES VISÉES : Elles sont cliniques : - connaissances sur les principaux syndromes et maladies en rapport avec les contraintes de travail, - compétences dans le domaine des entretiens et de l’investigation clinique des formes de décompensations psychopathologiques. théoriques : sur les relations entre organisation du travail et santé mentale. pratiques : sur les modalités de la prise en charge stricto sensu, sur la formalisation des relations entre professionnels des différents métiers impliqués dans la prise en charge, sur le respect des contraintes déontologiques, sur la rédaction des certificats et autres documents d’expertise à destination de l’entreprise, des juristes, des tribunaux (prud’hommes, civil, pénal). VALIDATION : - Elle comporte l’assiduité aux cours - La supervision de stage pratique - La rédaction d’un mémoire de stage comportant une partie théorique sur l’un des problèmes soulevés par la pratique. ARTICULATION AVEC LES FORMATIONS EXISTANTES Peuvent s’inscrire à cette formation, les auditeurs ayant acquis le diplôme de psychologue du travail du CNAM, le master de travail social, le diplôme d’ergonome et tout autre auditeur pouvant justifier par son CV, ou par ses diplômes de connaissances dans le champ des sciences de l’homme au travail, d’une part, d’une implication dans le champ de la santé mentale au travail d’autre part. MODALITÉS PROPRES À LA FORMATION Il s’agit de nouveaux enseignements de FC qui auront lieu en temps ouvrable, par sessions de deux journées consécutives, avec en tout 6 sessions sur l’année universitaire. DEPLOIEMENT REGIONAL Pour l’heure le certificat de spécialisation sera ouvert à Paris. Il y aura certainement une proportion importante d’auditeurs venant de province, ou de l’étranger. L’ouverture du certificat de spécialisation est envisageable à moyen terme seulement, dans certaines régions ou existent d’ores et déjà des centres de consultations spécialisées rattachés à des CHU. Mais en tout état de cause, cette extension ne pourra pas être envisagée avant 3 ans, temps nécessaire pour tester l’efficacité du dispositif vis-à-vis de la demande sociale. 12 ÉQUIPE PÉDAGOGIQUE : François BALLOUHEY (Président de la Cour d’Appel de Versailles, chambre sociale), Paul BOUAZIZ (Avocat), Maître COUDRAY (Avocat), Philippe DAVEZIES (enseignant-chercheur), Christophe DEJOURS (Psychiatre), Lise GAIGNARD (Psychanalyste), Brigitte FONT LE BRET (psychiatre), Éric HAMRAOUI (Philosophe), Pascale MOLINIER (Psychologue, EnseignantChercheur), Jean-Louis OSVATH (Inspecteur du travail), Marie PEZÉ (Psychologue-Pychanalyste, Expert auprès des Tribunaux), Naïma RHIYOURI (Magistrate), Rachel SAADA (Avocate), Nicolas SANDRET (Médecin Inspecteur du travail), Joseph TORRENTE ( psychiatre), Avec les praticiens responsables de la quinzaine de Consultations Souffrance et Travail en France. 13