SUISSE Le Temps I Suisse I Article «A trop dénoncer l'UDC, les médias romands ont pu faire son jeu» AFFICHES. La mise en question de la campagne de l'UDC a été très forte en Suisse romande, alors que les médias alémaniques ont aujourd'hui tourné la page, remarque le politologue Andreas Ladner. Andreas Ladner: «Les journaux alémaniques ont pris une distance avec les provocations de l´UDC lors de la campagne.» Photo: Keystone Denis Masmejan Jeudi 1 novembre 2007 L'attitude des médias dans la campagne électorale qui s'achève fait débat. A supposer qu'on puisse les considérer globalement, ont-ils fait le jeu de l'UDC en en parlant trop? Ont-ils diabolisé à l'excès le parti de Christoph Blocher et les moutons noirs de ses affiches? Sont-ils passés à côté des enjeux liés aux propositions de fond des différentes forces politiques? Ces interrogations alimentent le courrier des lecteurs. Mais pas seulement: le site Commentaires.ch, animé par le journaliste Philippe Barraud, y a consacré quelques contributions. Philippe Barraud s'est opposé sur ce thème à Jacques Pilet la semaine passée sur les ondes de La Première, dans l'émission Médialogues. Le point de vue d'Andreas Ladner, professeur de sciences politiques à l'Institut des hautes études en administration publique (IDHEAP), à Lausanne. Le Temps: Quelle image se dégage globalement selon vous de la couverture médiatique de la campagne électorale? Andreas Ladner: Je me rappelle encore une émission de la radio romande cet été où il était question d'une campagne anormalement calme. La situation a rapidement changé, et la campagne est devenue très intense. Les médias l'ont couverte de manière complète. Si l'on tient compte des différents médias et des sites internet, le citoyen a vraiment eu accès à une information très large. Mais les médias, du moins en Suisse romande, ont aussi commencé à faire campagne en dénonçant celle de l'UDC. - Au point de faire le jeu de ce parti, comme on l'entend souvent? - Oui, je pense que la couverture médiatique globalement défavorable à l'UDC en Suisse romande a pu servir cette formation. La publicité politique porte beaucoup plus si on en parle dans la partie rédactionnelle d'un journal. Les partis n'ont plus l'accès direct aux médias qu'ils possédaient quand les journaux leur étaient liés: il leur faut donc désormais attirer l'attention, faire en sorte qu'on parle d'eux. En somme, la méthode de l'UDC est très banale. Et la manière dont les médias ont réagi à cette campagne a probablement renforcé la détermination d'une partie de l'électorat à voter UDC, des gens qui ne se reconnaissent pas dans les médias. Une élection ne se gagne pas comme une votation en obtenant une majorité, mais en faisant le plein de voix non seulement dans son camp mais aussi à la marge. La tonalité de la couverture médiatique de la campagne de l'UDC a ainsi pu contribuer à augmenter le nombre de voix obtenues par l'UDC. Cela dit, ni le rôle des médias ni l'argent dont ont disposé les démocrates du centre pour leur campagne n'expliquent à eux seuls leur succès. Les autres partis n'ont pas grand-chose à gagner à en rester à cette explication. Il faudra bien un jour se confronter aux idées et aux contenus politiques défendus par l'UDC. - Les moutons noirs des affiches de l'UDC ne méritaient-ils pas autant d'attention de la part des médias? - Je ne veux surtout pas justifier la campagne de l'UDC. Mais à force de la dénoncer, on risquait de produire l'effet qu'on voulait éviter. Faut-il parler le moins possible d'un procédé que l'on condamne afin d'essayer de l'empêcher d'atteindre son but? La réponse est difficile, je le reconnais, mais il faut se poser la question. Les médias romands semblent connaître maintenant ce que les médias alémaniques ont vécu quand l'UDC a commencé à progresser. A l'époque, la question du style et des méthodes de l'UDC, celle des limites du tolérable étaient très présentes en Suisse alémanique. Aujourd'hui, beaucoup moins. Durant la campagne, des journaux alémaniques comparables au Temps n'ont guère insisté sur cet aspect. Je pense qu'ils sont devenus plus sensibles au souci de ne pas faire de la publicité sans le vouloir à ce parti. Peut-être maintenant comprennent-ils mieux aussi que les médias romands ce qu'est l'UDC. - Les médias audiovisuels sont légalement tenus à un équilibre rigoureux, mais la presse écrite a le droit de s'engager dans une campagne. Est-ce cela qui n'est pas compris par le public? - Non, je ne crois pas. Il est légitime que les médias s'engagent, et le fait qu'ils ne soient pas suivis dans les urnes est plutôt un signe de bonne santé démocratique. Mais ce qui est important, c'est que les partis aient la possibilité de présenter leurs idées dans les médias. - Les médias sont attaqués à gauche par ceux qui leur reprochent de se laisser utiliser par l'UDC et à droite par ceux qui critiquent leur tonalité trop uniforme de centre gauche. N'est-ce pas le signe que les médias remplissent leur fonction critique? - L'argument me laisse sceptique. D'un point de vue démocratique, il devrait y avoir de la place pour les propositions de tous les partis. Celles de l'UDC sont sousreprésentées, ou elles ne sont pas toujours rigoureusement présentées. Je pense à ce qu'a dit Christoph Blocher sur l'exclusion des socialistes du Conseil fédéral. Il s'est affirmé favorable à la concordance, mais a relevé qu'en réponse aux attaques contre la représentation de l'UDC au gouvernement, il faudrait se poser la question de la présence des socialistes. On ne peut pas résumer en disant que Christoph Blocher veut sortir les socialistes du Conseil fédéral. Je me souviens aussi que le matin après la publication du rapport de la commission de gestion, des journalistes m'ont immédiatement appelé et leur première question était: va-t-il se retirer? L'après-midi, on voyait déjà quel intérêt l'UDC pouvait retirer de l'affaire. © Le Temps, 2007 . Droits de reproduction et de diffusion réservés. Acheter les droits de reproduction de cet article.