la psychodynamique du travail des

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LA PSYCHODYNAMIQUE DU TRAVAIL DES
INFIRMIERES AUPRES DE PATIENTS
TETRAPLEGIQUES
LE NOC LOIC
INFIRMIER
Diplômé des Hautes Etudes en Pratiques Sociales
CMRRF KERPAPE
PLAN DE LA COMMUNICATION
1 INTRODUCTION
2 LA PSYCHODYNAMIQUE DU TRAVAIL : ELEMENTS THEORIQUES
Rester normal
La Reconnaissance
3 ANALYSE DU TRAVAIL INFIRMIER PAR LA PSYCHODYNAMIQUE DU TRAVAIL
« Guérir quand même »
Proximité corporelle
Le collectif de travail
Une faible technicité
Pénibilité des soins
Elaborer un sens aux activités soignantes
La capacité thérapeutique de l’équipe infirmière
Transdisciplinarité
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patients tétraplégiques » 03052001
1
INTRODUCTION
Le handicap génère pour tous ceux qui y sont confrontés un sentiment de malaise.
Les infirmières qui travaillent en centre de rééducation fonctionnelle auprès de
patients atteints de tétraplégie naviguent en permanence entre l’espoir utopique de
« tout vouloir réparer » et la souffrance engendrée par l’impossibilité d’atteindre leur
idéal soignant classiquement symbolisé par la « guérison » des patients.
Cette recherche présente le vécu subjectif de ces travailleurs du soin, confrontés au
réel du travail. Des entretiens compréhensifs et des éléments d’analyse de la
psychodynamique du travail montrent le vécu de leur rapport au travail de soin.
A partir d’une souffrance initiale liée à la première confrontation au « monde du
handicap » l’organisation du travail des infirmières permet l’élaboration d’un collectif
de métier.
L’analyse psychodynamique du travail étudie comment les travailleurs prennent soin
de leur fonctionnement psychique, de leur santé mentale dans un environnement pas
toujours favorable à son épanouissement : le travail, en analysant d’une part les
relations entre plaisir et souffrance et d’autre part l’organisation du travail. Je me suis
attaché à analyser à partir du discours des infirmières
d’un service de blessés
médullaires les éléments qui contribuent à ce que le travail soit une source de plaisir
ou au contraire générateur de souffrances.
LA PSYCHODYNAMIQUE DU TRAVAIL
Le « travail » vaste sujet : l’étymologie du terme est latine « tripalium » : instrument
de torture. Le travail est originellement un instrument de torture donc par définition
générateur de souffrances. Jusqu’à l’époque classique le mot travail exprime des
idées de fatigue, peine, tourment, déplaisir et obligation pénible. Il y a une
cinquantaine d’années des chercheurs voulurent établir une clinique des maladies
mentales directement imputables au travail. En dépit de quelques résultats dont la
névrose des téléphonistes par Le Guillant il s’avéra que le travail provoquait peu de
pathologies mentales spécifiques. La question devint : comment font les travailleurs
pour rester normaux dans les conditions qu’ils vivent au travail ?
Ce changement est du à l’équipe du laboratoire de psychologie du travail du
Conservatoire National des Arts et Métiers dirigée par Christophe Dejours. Ce
champs théorique est issu de la rencontre de la psychiatrie, la psychanalyse,
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l’ergonomie et la sociologie compréhensive. Selon DEJOURS1 le travail ne doit pas
se confondre avec l’activité, la tâche et encore moins l’emploi : « Le travail, c’est
l’activité coordonnée déployée par les hommes et les femmes pour faire face à
ce qui, dans une tâche utilitaire, ne peut être obtenu par la stricte exécution de
l’organisation prescrite. » Travailler c’est donc faire face ensemble à ce qui n’est
pas prévu, c’est produire mais aussi vivre ensemble au sein d’une organisation de
travail qui est : «la division du travail, le contenu de la tâche ( …) le système
hiérarchique, les modalités du commandement, les relations de pouvoir, les
questions de responsabilité. »2
Il convient donc d’admettre que dans toute activité existe une part non négligeable
qui fait échec à l’organisation prescrite la plus élaborée soit elle. Le réel investit par la
créativité du psychisme des acteurs montre leur « patte » dans la réalisation du
procès de travail. Cet investissement subjectif est nécessaire voir vital à la réalisation
de la tâche demandée. L’absence de cet investissement limite le travail au strict
respect des consignes et se traduit par le phénomène de « grève du zèle » : le
travailleur
exécute scrupuleusement le schéma prévu par l’organisation en y
investissant aucune ressource personnelle : le blocage se produit très rapidement.
Pour que le travailleur se mobilise dans ce qu’il convient malgré tout d’appeler une
transgression ou pour le moins un fonctionnement à la limite des règles prescrites il
doit recevoir en retour la reconnaissance de sa contribution effective au procès de
travail. L’attente de reconnaissance est d’ordre symbolique et non uniquement
financière.
RESTER NORMAL
Pour la psychodynamique la question est comment font les travailleurs pour rester
normaux dans les conditions de travail qu’ils vivent ? Cette normalité n’implique pas
l’absence de souffrance. La psychodynamique du travail dans une démarche
compréhensive s’intéresse aux processus psychiques mis en œuvre par un sujet
dans le cadre de sa rencontre avec le travail, processus débouchant sur le plaisir ou
la souffrance pathogène. « Le vécu subjectif de ce décalage, de cette
discontinuité peut prendre différentes formes telles que la douleur morale, les
1
2
C. DEJOURS (1995) Le Facteur Humain Paris PUF QUE SAIS JE ? N° 2996 p 44
C. DEJOURS (1993)Travail usure mentale , Paris Bayard éditions, p. 27
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sentiments d’incomplétude, de manque, de honte, de dépit, de jalousie,
d’ennui. »3
« La souffrance au travail, c’est le vécu qui surgit lorsque le sujet se heurte à
des obstacles insurmontables et durables, après avoir épuisé toutes ses
ressources pour améliorer l’organisation réelle de son travail vis-à-vis de la
qualité et de la sécurité. En d’autres termes la souffrance pathogène
commence lorsque le rapport du sujet à l’organisation du travail est bloqué. » 4
Face à cette souffrance les travailleurs ne restent pas inactifs : interviennent alors
des processus de défense du psychisme
que sont les stratégies collectives de
défense. Ces stratégies collectives de défense furent mises en évidence en premier
lieu dans les métiers dangereux tels que le secteur du bâtiment travaux publics, la
pétrochimie, le nucléaire. Plusieurs auteurs en identifièrent dans le secteur sanitaire
dans des équipes éducatives, aides soignantes et infirmières. Ces stratégies
collectives de défense se manifestent sous diverses formes : déni de la réalité,
silence sur le travail effectué, minimisation des risques voire leur déni, élaboration
de règles informelles en dehors du cadre du travail prescrit, tricherie permanente par
rapport aux procédures et désignation d’ennemis communs.
Ces stratégies permettent aux travailleurs de poursuivre leur activité en dépit des
contraintes sans pour autant les amoindrir. Pour que ces stratégies existent il faut
que le collectif de travail élabore un consensus de règles défensives ou chaque
individu apporte sa contribution.
Ce collectif de travail fonctionne sur la base d’un espace de discussion ou le groupe
définit des règles de métier. Ces « règles de métier » étudiées par Damien CRU ne
sont pas écrites elles ne s’érigent pas sous la forme d’un règlement, elles sont
implicites et appropriées voir intériorisées par les membres du collectif de travail.
Leur élaboration est permanente au fil de l’évolution du collectif de travail, leur
transmission est assurée des anciens vers les jeunes en terme de techniques
instrumentales, « langue » commune de métier, éthique du métier et relations
sociales propres au collectif de travail.
3
D. LE BOUL, R. CANINO (1994) La souffrance au travail Paris, CNAM
C. DEJOURS. P. MOLINIER (1994) Le travail comme énigme Revue Sociologie du travail 38,
n° hors série 94, p. 147
4
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4
LA RECONNAISSANCE
Le principal moteur de l’homme et de la femme au travail est la reconnaissance.
Reconnaissance de sa contribution à l’efficacité de l’organisation du travail, qui
donne un sens à la souffrance liée au travail : « La construction de l’identité est
largement tributaire de la reconnaissance du travail accompli .»5
La reconnaissance passe par l’émission de jugement portés sur le travail et non sur
la personne : jugements d’utilité, de beauté et de distinction.
Le jugement d’utilité peut se baser sur différents domaines : économique, technique
ou social, mais en premier lieu, ce jugement est qualitatif. Le jugement d’utilité
technique est émis par la hiérarchie, les pairs et parfois les clients. DEJOURS pose
un préalable en disant que dans le domaine du travail : « La confiance relève du
respect de la promesse d'un jugement équitable sur la façon dont ego gère son
rapport avec le réel de la tâche. Ce jugement est équitable si les arguments
pris en compte portent effectivement sur le faire (l'activité) et s'ils ne sont pas
distordus par des arguments hétéronomes relevant de la stratégie d'autrui
concernant le pouvoir et la domination. » 6
« La véritable reconnaissance fait référence au témoignage explicite traduisant
un jugement favorable porté sur le travail réel »7 pour « Rapatrier cette
conquête obtenue dans le registre du faire, du côté de l'accomplissement de
soi et de la construction de la personne ou de l'identité . »8
Le jugement de beauté est en général émis par les pairs, collègues. Il s’agit d’arriver
à : « La conformité du travail, de la production, de la fabrication ou du service
avec les règles de l'art. Ce jugement, qualitativement, confère à ego
l'appartenance au collectif ou à la communauté d'appartenance. »9
Pour la distinction, l’émetteur des jugements doit : « Apprécier ce qui fait la
distinction, la spécificité, l'originalité voire le style du travail. En contrepartie
ce jugement confère à ego la reconnaissance de son identité singulière ou de
son originalité, c'est-à-dire de ce par quoi ego n'est précisément identique à
5
P. MOLINIER (1996) « Féminité et entrée dans le monde du travail » in « Travailler », Sous la
direction de A. BIRRAUX et C. DEJOURS Revue Adolescence, n° 28, Paris Bayard
6
C. DEJOURS (1995) Le facteur humain, Paris, Presses Universitaires de France p. 60
7
M.C. CARPENTIER-ROY (1995) Corps et Ame. Psychopathologie du travail infirmier
Montréal Liber Editions
8
C. DEJOURS (1995) Le facteur humain Ibid p. 62
9
C. DEJOURS (1995) Le facteur humain Ibid p. 61
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5
nul autre. Là encore, ce jugement est essentiellement proféré par autrui dans la
ligne horizontale de la parité. »10
Si il n’y a pas de reconnaissance : « Si la dynamique de la reconnaissance est
paralysée, la souffrance ne peut plus être transformée en plaisir, elle ne peut
plus trouver de sens. Elle ne peut dans ce cas que s'accumuler et engager le
sujet dans une dynamique pathogène conduisant à terme à la décompensation
psychiatrique ou somatique. »11
2 LA PSYCHODYNAMIQUE DU TRAVAIL INFIRMIER
Avant d’aborder l’analyse psychodynamique du travail des infirmières je vous
propose d’examiner brièvement quelques éléments importants pour la suite.
En premier lieu :le choix professionnel et de son origine. Selon de nombreux auteurs
les moteurs de ce choix sont : altruisme et besoin de réparation narcissique :
« Toutes les professions à caractère relationnel ont ceci en commun qu’elles
satisfont les propres besoins du sujet en lui offrant la possibilité d’être utile
mais aussi en lui permettant ainsi de se (re)construire une identité en
développant son estime de soi. L’identité professionnelle construira à son tour
l’identité personnelle en mal de réalisation. »12
Le second élément à prendre en compte est la relative impréparation professionnelle
des nouvelles diplômées dont la formation ne prépare que très imparfaitement à
l’exercice auprès de patients handicapés. Souvenez vous de votre première
rencontre avec le handicap lourd
et mes propos seront plus parlants. HART et
MUCCHIELLI13 estiment qu’une des conséquences de cette impréparation est la
vulnérabilité.
« La vulnérabilité des infirmières est d'autant plus grande qu'elles n'ont pas
tous les ressorts défensifs identitaires habituels. Il est en effet remarquable
que la formation qu’on leur donne agisse plutôt pour "casser leurs défenses
que pour les développer. »
La première rencontre avec une personne présentant un handicap lourd tel qu’une
tétraplégie n’est pas un souvenir banal, David LE BRETON dit à ce sujet :
10
C. DEJOURS (1995) Ibid p. 62
C. DEJOURS (1993) Ibid p. 230
12
P. CANOUI et A. MAURANGES (1998) ) Le syndrome d’épuisement professionnel des
soignants. De l’analyse du burn out aux réponses. Paris, Masson p.166
11
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6
« L'homme handicapé est un homme au statut intermédiaire, un homme de
l'entre-deux. Le malaise qu'il engendre tient également à ce manque de clarté
qui entoure sa définition sociale. Il n'est ni malade, ni en bonne santé, ni mort,
ni pleinement vivant, ni en dehors de la société, ni à l'intérieur, etc.
Son
humanité ne fait pas de doute et pourtant il déroge à l'idée habituelle de
l'humain.»14 « Dans la relation avec lui s'interpose un écran d'angoisse ou de
compassion dont l'acteur valide s'efforce bien entendu de ne rien révéler. »15
L’acteur soignant s’efforce de ne rien révéler de son trouble, de sa gêne, de sa peur
en définitive. Le mot peur revient souvent dans le discours relatif à la première
rencontre. Cette peur initiale est rarement verbalisée et n’a pas d’issue or, s’il n’y a
pas de gestion de cette peur initiale qui est une émotion réactionnelle le soignant est
conduit « à s’isoler de la souffrance de l’autre par une attitude d’indifférence,
donc de tolérance à ce qui provoque la souffrance. »16
Lors des premiers soins, dans l’interaction avec le patient handicapé, les savoirs
acquis en formation initiale ne sont plus très utilisables, ils ne sont plus aussi
protecteurs qu’ils l’étaient ailleurs. Le handicapé n’est pas un patient qui souffre d’un
organe particulier, que l’on peut séparer de sa personne, il est un problème global,
complexe, inconnu donc inquiétant. Pour les soignantes la réaction initiale est
identique, un constat de mise en insécurité de ses compétences professionnelles et
de sa personne : « Qu’est ce que je viens faire ici… Je ferais pas ma carrière là…je
vais peut être pas rester» une fois le choc initial digéré viennent les inquiétudes sur
sa professionnalité : « Tu as la crainte de mal faire »…
Cette insécurité professionnelle est selon Christophe DEJOURS : « source de
perplexité ( …) d’angoisse et de souffrance qui prend la forme d’une crainte
d’être incompétent, de ne pas être à la hauteur ou de se révéler incapable de
faire face convenablement à des situations inhabituelles ou erratiques, où,
précisément leur responsabilité est engagée. »17
« On se doit d’être compétent et, pour le devenir d’être tout puissant, ce qui se
vérifierait par la guérison des malades. L’objectif inconscient sous-jacent est
13
J. HART et A. MUCCHIELLI (1994) « Les racines de la culture affective des établissements
de santé » Revue Gestions Hospitalières n°332, janvier 1994
14
D. LE BRETON (1992) La sociologie du corps, Paris, Presses universitaires de France, p. 95
15
D. LE BRETON (1992) Ibid p. 92
16
C. DEJOURS (1998) Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale » Paris, Le
Seuil, p. 53
17
C. DEJOURS (1998) Ibid p.33
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7
d’acquérir la certitude sans cesse renouvelée d’être aimé : prisonnier du
regard des autres, le soignant (…) se sent exister. »18
« GUERIR QUAND MEME »
La guérison en voilà une source de doute : dans la santé en général, la guérison du
patient est le symbole objectif de l’efficacité du travail soignant vecteur de
reconnaissance donc d’identité professionnelle et personnelle. Hélas on ne guérit
pas d’une tétraplégie on y survit et ceci constitue une négation de l’idéal soignant,
qui est bien souvent le moteur du choix de métier. L’expression « guérir quand
même » signe bien cette définition négative de l’idéal : « soigner pour guérir », il faut
donc trouver un nouveau sens aux soins, dans le cadre d’un tête à tête permanent
avec des personnes très stigmatisées qui renvoient l’ampleur des limites des
activités soignantes. Si l’écart est trop important entre cet idéal du moi et la réalité, il
n’est pas possible au groupe soignant de mettre en commun le vécu de leur travail
et d’envisager une structuration de règles de métier : la dynamique de la
reconnaissance est en panne. Tout ceci
amène les acteurs à éprouver une
dépréciation de soi, connotée de culpabilité facteur de dépression. « Faute
d'espérer réparer, on est parfois poussé à abandonner la partie. »19
PROXIMITE CORPORELLE
Nos sociétés fonctionnent sur l’évitement du corps d’autrui. Ici le corps, sa nudité,
ses manifestations, le toucher
omniprésents. La gêne
et les intrusions (sondages, EMS etc) sont
est une émotion permanente. Pour décrire les soins de
nursing et la toilette en particulier le qualificatif « soin normal » revenait sans cesse,
accompagné d’un silence sur le déroulement de ce soin. Ceci permet de mettre en
évidence deux phénomènes défensifs : afficher sa propre normalité face à des
patients étiquetés « anormaux » en regard des représentations sociales liées au
handicap. Deuxièmement, les soignants ne veulent pas raconter l’exécution de ces
actes qu’ils doivent réaliser de façon pluri-quotidienne. En les banalisant dans une
routine qui leur évite de s’engager trop, affectivement, mentalement et au plan de
l’organisation du travail, on peut faire l’hypothèse qu’ils font une économie
d’investissement qui leur permet de tenir dans la répétition et que les décrire
minutieusement, les réinvestir amoindrirait voire détruirait cette construction
défensive.
18
19
P. CANOUI et A. MAURANGES (1998) Ibid, p.168
C. GARDOU (1997) Professionnels auprès de personnes handicapées Toulouse Eres, p. 237
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8
Le « prendre soin » cher à Walter HESBEEN est constitué d’une multitude de petites
choses difficilement médiatisables. Ces « petites choses » ne sont ni spectaculaires
ni encore moins rapidement identifiables dans le contexte actuel de l’hôpital. La mise
en valeur de l’utilité sociale est d’autant plus difficile que la profession infirmière
préfère communiquer sur le registre des soins technicisés car, les petites choses
sont trop proches des « petits rien ». Selon de nombreux auteurs les mouvements
sociaux des infirmières de l’automne 1988, étaient l’émanation d’une demande de
reconnaissance tant matérielle que symbolique de l’utilité sociale du métier
d’infirmière.
LE COLLECTIF DE TRAVAIL
Le propos des infirmières convient de la formation d’une « habitude », « l’habitude »
ne signifie pas que le sujet est à l’aise dans la situation, et encore moins que celle ci
lui apporte des réponses satisfaisant à ses aspirations psychiques. L’habitude ici
mentionnée est vraisemblablement un système de protection ou plutôt de défense de
soi. Le collectif de travail infirmier se construit à deux niveaux : l’intégration et la
différenciation. Les infirmières décrivent une intégration au groupe infirmier
relativement aisée, basée sur la transmission des règles d’apprentissage des
spécificités du métier. Dans le cadre de l’équipe les « anciennes », expérimentées,
assurent la formation des nouvelles et les mettent en garde contre les difficultés
qu’elles vont rencontrer, ceci permet aux jeunes diplômées de ne pas se sentir
« incapables » de mener leur tâche à bien. En cas de difficulté particulièrement
déstabilisatrice, elles savent pouvoir trouver au sein de l’équipe un espace
permettant l’expression de leur vécu. L’exposition aux autres de sa souffrance est
toujours contingente de conditions qui limitent ou favorisent son expression,
l’expérience des anciennes, les « Maîtresses d’apprentissage du métier » permet
l’échange sur les sujets générateurs de souffrances. Les infirmières pointent la
différence entre l’intégration d’un nouveau soignant dans l’équipe infirmière et
l’absence d’accueil : « Chez les aides soignants, c’est toujours : tu te chopes le tétra
le plus lourd du service ! »
Nous sommes face à l’affirmation de la différenciation des groupes professionnels et
la manifestation d’une opposition défensive. Pour le groupe infirmier il y a nécessité
d’obtenir l’adhésion de la nouvelle soignante au collectif car un service est souvent
le théâtre d’une rivalité entre groupes professionnels. L’encadrement des nouvelles
sert à construire un collectif de travail plus fort. En permettant aux nouvelles de
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bénéficier de leur expérience et par la mise en discussion des problèmes les
anciennes permettent de s’engager sur le chemin d’une identité professionnelle plus
élaborée donc vecteur de défense du métier.
UNE FAIBLE TECHNICITE
Interrogées sur l’aspect technique de leur métier les infirmières disent : « ici c’est pas
technique oh non c’est pas technique du tout, ça n’a rien à voir avec le rôle infirmier
qu’on voit au niveau technique des hôpitaux ». La technologie est peu présente
dans les soins alors qu’elle est très présente dans d’autres secteurs de
l’établissement. Par ailleurs les patients sortent de services de réanimation hypertechnicisés.
Il ne faut pas perdre de vue que dans les représentations sociales attachées au
métier l’attribut principal du rôle d’infirmière est de prodiguer des soins techniques.
Un jour de crise ouverte une patient asséna ces propos : « Etre infirmière ici c’est
nul ! en réanimation là c’est du boulot ! ». Pour l’émetteur de ce jugement la
hiérarchisation des services hospitaliers est une réalité basée sur le degré de
technicité et le nombre de machines présentes dans le service.
CARPENTIER-ROY20 montra que la technicité est très importante et ne
déshumanise pas l’activité soignante :
« Où la technologie est très présente, elle est (…) une source de valorisation
passant par la médiation d’une responsabilité accrue, d’une plus grande
autonomie et d’une reconnaissance implicite des connaissances. (…) plus
encore aux soins intensifs où la technologie sophistiquée est un médiateur
important entre l’infirmière et le patient, cette technologie renforce le contenu
significatif de la tâche et ne déshumanise ni les soins ni le travail. »
CARPENTIER ROY estime que pour les infirmières le nombre et le volume d’actes
n’est pas la principale source de charge psychique et d’insatisfaction : « Souffrance
et plaisir sont avant tout tributaires de contenu significatif de la tâche ».21
Le contenu significatif de la tâche est caractérisé par le sens donné à ces actes de
soins, leur origine, leur source, les représentations qui s’y attachent, les satisfactions
apportées tant pour le soignant que le bénéficiaire de cet acte, la valeur qui lui est
reconnue, en d’autre terme la reconnaissance du travail effectué et les
conséquences de cette reconnaissance pour le soignant.
20
21
M.C. CARPENTIER-ROY (1995) Ibid p. 61
M.C. CARPENTIER ROY (1995) Ibid p. 67
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Les éléments rapportés par les infirmières montrent une dévalorisation des actes de
soins dispensés et donc une perte du contenu significatif de la tâche qui a pour
conséquence une non reconnaissance du travail effectué.
PENIBILITE DES SOINS
« La nature même des soins qu’on dispense fait notre malheur ! » disait une
infirmière. Quelle est donc cette nature pourvoyeuse de malheur ? Pour se forger
une idée exacte de cette nature il suffit de se remémorer certaines séances de soins
autour d’une paire de fesses « mangées » par une escarre. L’odeur, les bruits, la
vue, tout y est. Ajoutez y quelques sondages, quelques doigtiers évacuateurs et vous
avez un exemple correct du caractère pénible des soins infirmiers dans ce type de
pathologie. En rapport avec ces soins « particuliers » Ray GOLD (cité par Jean
PENEFF22) envisage une hiérarchie morale des métiers basée sur la dévalorisation
de ceux qui traitent les rebuts de l’activité humaine ou les produits sales. L’image de
l’infirmière est ici attachée à ces soins, voir « entâchée », et il est envisageable que
sa position au sein de l’ensemble des activités de rééducation en soit affectée, en
terme de reconnaissance et de légitimité institutionnelle. L’élément majeur qui permet
de dominer « Ton dégoût » est à rechercher au niveau du sens que les soignants
donnent à leurs actions : « C’est l’horreur, mais c’est nécessaire et vital » ; « Je
pense qu’il faut voir tout ce côté là pour accepter »
ELABORER UN SENS AUX ACTIVITES SOIGNANTES
Lorsque se pose la question du sens, une des difficultés majeure est que le sens
n’existe pas de façon spontanée, il n’est pas à l’affiche des manuels
d’enseignements et est imprescriptible. Le sens ne se décrète pas il se construit,
s’élabore dans la mesure où certaines conditions sont réunies. Le sens est une
création collective. Selon LHUILLIER 23: « Il est toujours co-construit dans un
double mouvement d’investissements de désirs inconscients et de validation
sociale. La quête de sens renvoie à la question de la place faite au désir dans
ses articulations avec l’énergie pulsionnelle et à la sublimation comme
expression socialisée de la pulsion. La sublimation ne peut s’accomplir que si
l’engagement rencontre une reconnaissance sociale et si l’objet qui oriente le
J. PENEFF(1992) L’hôpital en urgence Paris Métailié
D. LHUILLIER (1996) « Motivation ; chercher l’enzyme ou construire le sens ? » Revue Le
journal des psychologues, mars 1996, n°135
22
23
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désir est validé et apprécié à travers un système de valeurs propre à une
société, une communauté de travail, une équipe. »
Nous sommes dans un contexte de sublimation, mécanisme de défense du moi, ou
l’objet soin « dévalorisant initial » est investi d’une valeur socialement positive (le
bien être apporté), et ainsi ne doit plus être une entrave trop importante sur le chemin
de la satisfaction liée au travail et donc d’une identité soignante satisfaisante, facteur
favorisant la structuration de l’identité personnelle.
RELATION D’AIDE
Selon Pierre CANOUI et Aline MAURANGES
24
qui citent
H. LAZURE : « La
relation d’aide vise l’un ou l’autre des objectifs suivants chez la personne
aidée : traverser une épreuve, résoudre une situation de vie actuellement ou
potentiellement problématique, trouver un fonctionnement personnel plus
satisfaisant et détecter le sens de l’existence ». Un Infirmière disait à ce
sujet :« Si tu restes professionnelle ça devrait bien se passer, quand tu restes à ta
place tu te fais moins bouffer ». Le fait de « rester pro » est la marque d’une volonté
affichée d’instauration d’une certaine distance avec le patient qui doit permettre de
mieux gérer ses propres émotions, de mieux analyser les situations pour optimiser
les interventions. Cette construction se fait au sein d’un espace de discussion.
LA CAPACITE THERAPEUTIQUE DE L’EQUIPE INFIRMIERE
Selon Pascale MOLINIER25 : « La capacité thérapeutique des infirmières n’est
pas un savoir être individuel. Il s’agit avant tout du savoir faire d’une équipe
qui s’acquiert notamment par le truchement de la ruse du « papotage »…la
capacité thérapeutique d’une équipe infirmière est une capacité collective,
sans laquelle les individus n’ont pas la possibilité de développer leurs
compétences personnelles et de les mettre au service d’une réelle qualité de
soins .(…) Au cœur de la capacité thérapeutique des infirmières, il y a … la
mémoire et la transmission du quotidien » : la posture la mieux supportée par Mr
A. le côté ou poser tel objet, l’aliment mal digéré par Mme V. ; les mots à ne surtout
pas employer devant Mr C. ; l’utilisation de telle technique pour permettre à Mr K. de
se sonder :
mille et un petits savoirs souvent qualifiés de sans importance. Or
l’ensemble de ces informations constitue la mémoire d’une équipe, son référentiel
24
P. CANOUI et A. MAURANGES (1998)Ibid p 54
P. MOLINIER (1997) « Un éclairage psychodynamique de la notion de compétence. A partir
d’une analyse de la coopération infirmière » Revue Education permanente n° 132/1997 p.150
25
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d’efficacité et influence grandement la qualité de sa capacité thérapeutique, à la
condition impérative que cette mémoire soit partagée. Un élément majeur apparaît
dans le discours des « Anciennes » infirmières qui, fortes de leurs expériences et de
leur capacité thérapeutique collective élaborent des défenses destinées à protéger
les nouvelles « Jeunes collègues » face au risque permanent d’être « Démolie par
leurs émotions ». Le passage de relais vers une collègue face à une difficulté se fait
dans le cadre de l’espace de discussion constitué par l’équipe ou la maîtrise
technique revendiquée s’associe à une liberté de parole de ses membres les unes
par rapport aux autres. La permanence d’une équipe maintient la mémoire collective
et favorise une efficacité thérapeutique gage de reconnaissance. Cette stabilité est
également nécessaire pour structurer les règles de
métier, dont la mémoire
collective est un des éléments de base. La psychodynamique du travail postule la
transformation de la souffrance en plaisir par le biais de la reconnaissance,
l’efficacité thérapeutique est le premier vecteur de la
reconnaissance que les
infirmières peuvent attendre. Un des moyens de limiter la souffrance réside dans la
recherche de cette efficacité thérapeutique obtenue par la mise en place d’un espace
collectif de discussion qui, outre la reconnaissance produit des règles de métier tant
techniques que sociales, éthiques et langagières.
TRANSDICIPLINARITE
Il existe une multidisciplinarité de la prise en charge, c’est à dire une juxtaposition
d’actions de soins et d’actions sociales qui mettent en jeu des intervenants issus de
formations disciplinaires différentes. Il n’est pas simple d’arriver à obtenir un
fonctionnement de type transdisciplinaire, qui constitue une forme de coopération, au
sens ou l’entend la psychodynamique du travail. Les oppositions sont fréquentes
entre les soignants et certains autres professionnels surtout en ce qui concerne le
projet de sortie du patient. Cette sortie marquant la validation sociale du travail
accompli par l’établissement durant les mois que nécessite la réadaptation. Il y a
une coordination indispensable au fonctionnement institutionnel mais pas de
coopération, dans le sens d’une volonté de travailler ensemble en s’accordant sur
des objectifs et des règles de travail communes. L’opposition se fait souvent sur le
registre pratique versus idéal.
Les soignants revendiquent une connaissance fine de la vie des patients dans ses
différentes composantes du quotidien basée sur la proximité durant de longs mois et
la connaissance sensible du patient à travers la relation corporelle. Le toucher est au
LE NOC LOIC AIRR 2001 BAGNERES « La psychodynamique du travail des infirmières auprès de
patients tétraplégiques » 03052001
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premier plan facteur de connaissance: « Nous on le vit quotidiennement on les
touche : c’est au toucher que tu te rends compte de ce que vont devenir les gens tu
le sens bien» Les soignants opposent leur savoir pratique à la réinsertion idéalisée
que leur propose
le service chargé de programmer le retour à domicile. Le fait
d’avoir côtoyé touché, porté sur le plan physique et moral le patient crée de part
cette proximité du quotidien une somme de connaissances, relatives aux « petits rien
du quotidien », difficiles à transmettre aux autres intervenants. Ces connaissances
forment vraisemblablement le socle vital sur lequel le patient peut construire ses
capacités à prendre en charge ses déficits et définir des attentes raisonnables vis à
vis de l’entourage accompagnant. Les cultures de métiers différentes entre les deux
pôles (soignant et social) ne favorisent pas une mise en commun fructueuse des
informations de chacun. Par ailleurs les priorités en terme d’objectifs
sont
hiérarchisées et sans doute imprégnées par l’échelle de valeur des différents métiers
ou les soignants ne figurent pas en tête de liste. Les soignants estiment que bien
souvent les échecs du processus de retour à domicile du patient ne sont pas en lien
avec des causes socio-économiques mais bien le fait de problèmes de prise en
charge des soins quotidiens, des « petits riens » mal compris et sous estimés qui
bien souvent génèrent de grosses complications. La solution résiderait peut être
dans l’émergence d’un espace de discussion commun aux différents métiers.
En conclusion je dirais que parler des difficultés rencontrées au quotidien par les
soignants n’est pas toujours aisément entendable mais en faire l’économie est un
risque majeur pour les services de soins. L’approche qualitative du vécu du travail
soignant que représente la psychodynamique du travail doit permettre aux équipes
soignantes d’influer sur l’organisation du travail pour « prendre soin » de leur santé
psychique afin de pouvoir continuer à prendre en charge celle de leurs patients.
Voilà j’en ai terminé avec cet exposé et j’espère que ces quelques minutes vous
permettront au quotidien de : transformer la souffrance, construire un sens à vos
actions soignantes et y trouver des formes de plaisirs quotidiens. Merci de votre
attention.
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