Le New Labour & La « Troisième Voie Tony Blair, le New Labour & La « troisième voie » ( Notes de synthèse ) Document préparé par : A. KRIKEB Paris le 13/01/04 1 Le New Labour & La « Troisième Voie Table des matières 1 FAIRE FACE AUX NOUVEAUX DEFIS ..................................................................................................................... 3 2 LE SYSTEME POLITIQUE BRITANNIQUE & LE PARTI TRAVAILLISTE ...................................................... 6 2.1 2.2 2.3 3 LA TROISIEME VOIE : LA VOIE DE LA REFORME…? .................................................................................... 10 3.1 3.2 3.3 3.4 3.5 3.6 3.7 4 LA GAUCHE, LA DROITE ET LE « CENTRE ACTIF » .................................................................................................... 10 LES ELEMENTS DOCTRINAIRES DE LA « TROISIEME VOIE » ...................................................................................... 11 LE ROLE DE LA SOCIETE CIVILE ............................................................................................................................... 12 LE SENS DE L’EGALITE ............................................................................................................................................ 13 LA « PROTECTION SOCIALE POSITIVE » ................................................................................................................... 13 LA POLITIQUE ECONOMIQUE ................................................................................................................................... 14 LA RETRAITE : UNE NOUVELLE CARRIERE ............................................................................................................... 15 LE BLAIRISME : LA « TROISIEME VOIE » MISE EN PRATIQUE ................................................................... 15 4.1 4.1.1 4.1.2 4.1.3 4.2 4.3 4.4 4.5 4.6 4.7 5 LE PARTI TRAVAILLISTE DE 1900 A NOS JOURS ......................................................................................................... 6 LA REFORME DE LA « CLAUSE IV » .......................................................................................................................... 8 LA NAISSANCE DU « NEW LABOUR » ........................................................................................................................ 8 LE « NEW LABOUR » ET LA CULTURE D’ENTREPRISE .............................................................................................. 16 Stakeholding versus Shareholding ..................................................................................................................... 16 Etat, Individus et Entreprise : Une responsabilité partagée ............................................................................. 17 La compétitivité ................................................................................................................................................. 17 LE « NEW DEAL » : EMPLOI ET ALLOCATIONS CONDITIONNELLES .......................................................................... 18 LA REPARTITION DES REVENUS ............................................................................................................................... 19 L’ENSEIGNEMENT ET LA FORMATION ...................................................................................................................... 19 LA REFORME DE L’ETAT-PROVIDENCE .................................................................................................................... 19 LA POLITIQUE SECURITAIRE .................................................................................................................................... 20 LA NOUVELLE ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ................................................................................................. 21 DISCUSSION CRITIQUE ............................................................................................................................................ 21 5.1 5.2 5.3 OBLIGATION ET AUTORITARISME ............................................................................................................................ 21 ENJEUX ET LIMITES DE LA POLITIQUE SOCIALE........................................................................................................ 22 EN CONCLUSION… .................................................................................................................................................. 23 6 ABECEDAIRE ............................................................................................................................................................... 24 7 BIBLIOGRAPHIE NON EXHAUSTIVE… ............................................................................................................... 26 2 Le New Labour & La « Troisième Voie 1 Faire face aux nouveaux défis Issue des élections du 21 avril 2002, à la fois chargées de symboles et d’espoir et dans un pays où près du quart des personnes – interrogées – se disent proches des idées de l’extrême droite1, le gouvernement se devait, sur le terrain des réformes sociales et institutionnelles, d’envoyer un signal fort sans quoi il courrait le risque de passer aux yeux de l’opinion comme celui qui aurait trahi le formidable élan populaire. Depuis, la France semble connaître une ferveur réformatrice particulière. Certaines de ces réformes, à l’image de la réforme des retraites, n’ont en effet que trop tardées ; d’autres initiées par les gouvernements précédents, sans être totalement remises en cause, subissent de profondes « adaptations », on peut citer la loi sur les 35 heures ou la réforme de la sécurité sociale à venir. Plus récemment encore et suite au rapport de la commission sur la laïcité, le gouvernement se prépare à légiférer. Bien qu’une telle décision semble faire l’objet d’un large consensus au sein de la classe politique, reste qu’une loi sur la laïcité risquerait, si elle est mal traduite sur le terrain, de se muer en une véritable machine à exclusion. Car en donnant ainsi corps à une référence légale sous la forme d’une loi sensée gommer les différences par l’interdiction tous les signes religieux ostensibles avec des mesures coercitives d’accompagnement pour la faire respecter, signera d’implicitement l’échec du modèle d’intégration à la française en creusant une ligne de fracture, inutile, par rapport à laquelle la quasitotalité des citoyens qui se considéraient jusque-là pleinement intégrés au sein de la communauté nationale, seront sommés de se déterminer en mettant en balance leurs engagements sincères pour un idéal républicain et leurs convictions spirituelles les plus profondes. Mais ce qui frappe le plus l’observateur au regard de l’action gouvernementale, c’est incontestablement un certain manque de lisibilité et une absence de doctrine politique clairement identifiée qui puisse la sous-tendre, voir à ce sujet l’épisode du vote du budget, la malheureuse gestion du différent né du non-respect du Pacte de stabilité, les contradictions et les carences du financement du système de santé mises en lumière par le drame de la canicule ou plus récemment la politique de la recherche publique pour les prochaines décennies et les exemples sont légion. Cela se traduit sur le terrain par un message politique confus et démobilisateur et une perte de repères qui risque d’être préjudiciable à la partie noble et respectable de la classe politique, celle attachée aux valeurs de la démocratie, de la république, de la solidarité, de la tolérance et des droits humains. Et si, c’était là le véritable message du 21 avril ? La France, à l’instar des autres grands pays, vit une période de profondes mutations. Mutations sociales avec entre autre l’émergence d’une génération issue de l’immigration, jusque là marginalisée et qui dorénavant aspire à jouer rôle qui légitimement lui revient au sein de la communauté nationale ; Mutations politiques avec la recomposition du paysage politique et la poussée des extrêmes qui développent un discours de haine dans un environnement devenu, hélas, de plus en plus réceptif ; Mutations économiques, car depuis la chute du mur de Berlin, le libéralisme et la mondialisation règnent sans partage sur le monde ; Mutations technologiques qui depuis une décennie ne cessent de redessiner notre quotidien et de nos rapports aux autres. Toutes ces mutations s’accompagnent de nouveaux défis. Défis auxquels tous les gouvernements seront contraints de faire face. Malheureusement, devant des problématiques souvent inédites et d’une ampleur inhabituelle, les solutions du passé se révéleront vites inadaptées, il faudra alors imaginer des nouvelles solutions à la fois novatrices et radicales, en explorant des voies jusque là insoupçonnées dans l’espoir de trouver des réponses à ces grandes questions parmi lesquelles : - Le vieillissement rapide de la population et ses répercussions sur la pérennité du système des retraites, et de santé publique avec la nécessité de prise en charge des personnes du troisième et du quatrième âge. Par extension, cela nous obligera tôt ou tard va à revoir notre attitude vis-à-vis du travail et de la retraite, qui ne devrait plus forcément signifier cessation de toute activité. De même, que de la maîtrise des flux migratoires inéluctables du fait du déficit de main d’œuvre. - Le combat contre l’insécurité et la délinquance juvénile par une meilleure éducation et des actions de préventions conçues sur la durée pour et avec les concernés. La contrepartie serait une plus grande 1 “22% des Français adhèrent aux idées du Front National’’ - Le monde du mercredi 10 décembre 2003. 3 Le New Labour & La « Troisième Voie responsabilisation, dans le cadre d’un nouveau contrat qui devra embrasser des domaines aussi variés que l’éducation, le travail, les loisirs, la promotion individuelle…etc. - L’évolution des structures de la famille traditionnelle avec l’apparition de familles monoparentales ou recomposées, de l’union libre et des couples « pacsés », n’est sous doute pas le moindre de ces défis auquel la société devra faire face si elle veut préserver son équilibre et sa cohésion. - La réforme de l’Etat-providence. Une telle réforme nécessitera une redéfinition des valeurs républicaines les mieux établies telles la solidarité nationale, l’égalité, la liberté individuelle et collective, l’aide aux plus démunis. - L’avènement des nouvelles technologies de l’information et leur impact sur nos habitudes de vie, de travail et de consommation. Comme toutes les nouvelles inventions, leur méfait ou leur bienfait dépendra de l’usage que nous en ferons. - Rendre à la politique sa valeur première : « servir et non se servir ». Pour cela, quelles seront les nouvelles sources de légitimation face à la désaffection grandissant pour la chose politique et la montée de l’abstention. Ne pourrait-on pas alors ressusciter l’antique Agora, où la politique n’a jamais été aussi proche du citoyen et le citoyen de la politique, et ce sans préjudice de temps, de lieu ou de fortune ? Et dans ce domaine, les nouvelles technologies de l’information et de communication auront indéniablement un rôle à jouer. - L’homme politique devra aussi tenir compte l’émergence d’une forte aspiration à la gouvernance de proximité. Car, c’est à la fois une aspiration démocratique légitime et une impérieuse nécessité dictée par l’Europe de demain qui sera celle des grands ensembles régionaux. La décentralisation ne devrait plus alors être considérée comme une faveur du prince mais un impératif de préservation et de survie. - Les questions environnementales préoccupent de plus en plus de personnes qui commencent à prendre conscience du fait que nous vivons une période charnière. D’où l’adhésion à la nécessité de mesures vigoureuses pour préserver l’équilibre écologique fragile de notre planète qui, faut-il le rappeler, n’est le monopole d’aucun individu ni d’aucun courant politique. - La promotion d’un développement durable, avec le partage équitable des ressources en veillant à ce que le bien-être de quelques-uns ne se fasse pas égoïstement au détriment de celui de la grande majorité des « autres ». Cela ne peut aller sans une juste redistribution des richesses, un transfert de technologies efficace vers les pays du sud et un soutien effectif à une démocratie véritable et à une meilleure gouvernance dans ces pays. Ces sujets, et bien d’autres, doivent être constamment au centre de nos préoccupations. En Grande-Bretagne, le gouvernement travailliste du Premier ministre Tony Blair met en pratique depuis 1997 l’idée qu’une autre voie politique est possible, entre la vieille social-démocratie qui n’arrive plus à faire sa mue et s’adapter aux nouvelles exigences d’un monde plus libre et plus ouvert, et la nouvelle droite décomplexée pour qui le retour au conservatisme social dans un monde soumis au dictat de la mondialisation et à la flexibilité économique est la seule solution possible. Cette nouvelle voie popularisée sous le nom de « troisième voie » n’est pas nouvelle en soi. En effet, de tous temps les hommes politiques ont cherché une voie politique médiane pouvant servir de voie de synthèse. L’originalité de l’expérience britannique tient au fait que pour la première fois, nous assistons à une expérience grandeur nature, de la mise en pratique d’idées nouvelles directement sorties du secret des laboratoires pour se confronter aux dures lois du real politik. Car au moment où les clivages droitegauche s’estompent au profit d’une uniformisation économique et idéologique, le risque serait grand qu’une absence d’alternative crédible capable de répondre aux nouveaux défis, laisse le champ libre à des forces extrêmes qui n’hésiteront à imposer leur vision d’un monde apocalyptique, d’où l’impérieuse nécessité d’explorer d’autres voies de réformes. 4 Le New Labour & La « Troisième Voie Dans une démarche à la fois novatrice et volontariste « la troisième voie » tente d’assimiler ce que chacune des idéologies politiques traditionnelles de gauche et de droite a à offrir de positif et de viable, sans pour autant s’assimiler ni à l’une ni à l’autre. Elle met ainsi l’accent sur la promotion de l’individu en donnant à chacun le moyen de réaliser son potentiel ou comme l’écrit Tony Blair : « Non pas le pouvoir du peuple en général, mais le pouvoir à chacun de réaliser son potentiel ». De même qu’elle encourage la société civile à se prendre en charge, en tentant de réhabiliter l’action de solidarité et d’entraide dans des sociétés où leur sens se perd, et le nombre croissant de sans abris et les tragiques événements de l’été dernier sont là pour nous le rappeler. Il est en effet vrai que l’apport de l’état dans de pareilles situations ne peut être qu’en terme de mesures d’ajustement par la mise en place de lits supplémentaires dans les hôpitaux, de mesures d’aide et d’accompagnement à domicile ou des procédures d’alertes et d’interventions plus efficaces, mais nullement celui d’insuffler les valeurs de solidarité, qui reste très largement du ressort de la société. Et jusqu'à l’Egalité, valeur centrale de la république qui n’échappe à une relecture. Car au-delà de l’égalité de tous devant la loi, les droits et les devoirs, qu’en est t-il de la dimension sociale et humanitaire de ce mot ? L’égalité ne serait-elle pas avant tout « Intégration », comme le proclame la « troisième voie ». Elle est alors définie par opposition à l’inégalité, et plus précisément à l’inégalité des chances, et par extension à l’exclusion du flux des opportunités. Selon cette nouvelle vision, l’Etat ne devrait plus alors viser l’égalité économique absolue, et ce au profit de l’égalité de chances prise au sens effectif dans l’offre de l’enseignement, de la formation et de l’emploi. Ainsi, ni individualiste, ni collectiviste, la « troisième voie » se définirait en terme d’individus inscrits dans le cadre d’une communauté, c’est la définition d’une relation nouvelle entre l’individu et la société, et la conciliation du réalisme économique (le libéralisme) et de la justice sociale. Bien évidemment, comme toute action politique partisane, celle du Premier ministre britannique Tony Blair n’est pas exempte de critiques et ses mesures qu’elles soient d’aide sociale, de retour à l’emploi ou de combat contre l’insécurité, sont pour certaines mal perçues par l’opinion. Néanmoins, et pour ce qu’il nous est donné de d’observer, la société britannique semble mieux armée pour réussir sa mutation, et ce grâce à une compétitivité économique accrue, un niveau de chômage parmi les plus bas d’Europe, une politique de décentralisation reconnue et efficace, une politique étrangère décomplexée et une visibilité sur la scène internationale que beaucoup lui envient. De là, sans être tenu pour autant d’y adhérer complètement, une telle démarche politique mériterait que l’on s’y intéresse, ne serait-ce que pour nourrir notre inspiration. 5 Le New Labour & La « Troisième Voie 2 Le Système politique britannique & le Parti Travailliste 2.1 Le parti travailliste de 1900 à nos jours Le parti travailliste anglais a été fondé en février 1900, lors d’une conférence qui s’est tenue au London’s Memorial Hall sur le thème de la représentation travailliste, et qui donna naissance au Labour Representation Committe (LRC) auquel n’étaient à l’origine affiliées que les organisations syndicales et les corporations ouvrières. La même année, le LRC réussi à faire élire deux de ses représentants au parlement britannique. Il faudra néanmoins, attendre 1924 pour voir le premier gouvernement véritablement travailliste sous la présidence de Ramsay Mac Donald, le leader de la LRC. Investit dans des conditions difficiles et face à une chambre à majorité conservatrice, le gouvernement MacDonald ne dura que quelques mois, courte période qu’il mettra à profit pour faire passer un certain nombre de lois sociales sur l’habitat, l’éducation, le chômage et la sécurité sociale. Le second gouvernement MacDonald voit le jour en pleine crise économique d’octobre 1929, et fut rapidement confronté à de grandes difficultés. Malgré ses tentatives de redresser la situation en mettant en place des mesures économiques énergiques pour tenter d’atténuer les effets conjugués de la hausse vertigineuse du chômage et de la crise financière, son gouvernement ne résista pas longtemps devant l’ampleur de la crise. Tout au long de la seconde guerre mondiale - de 1940 à juillet 1945- à la demande de Winston Churchill, le parti travailliste fut membre de la coalition gouvernementale aux côtés du parti conservateur. A la fin de la guerre Churchill, grand vainqueur, appela à de nouvelles élections générales. Le résultat du parti travailliste fut au-delà de toute espérance, puisqu’il réussit à gagner 393 sièges après une compagne menée sous le slogan : « La Grande-Bretagne ne doit plus retourner à la pauvreté et au chômage des années 30 ». En effet, le Royaume-Uni termine la seconde guerre mondiale victorieux mais ruiné ! Et c’est au gouvernement dirigé par Clément Attlee, premier gouvernement travailliste à disposer d’une majorité aux communes, que revient la tâche de rendre le pays à la vie civile. Il le fera en mettant en œuvre un programme ambitieux de réformes économiques et sociales dans l’esprit de celui du gouvernement MacDonald, adossé à un autre important programme de nationalisations. Il va jeter les bases du « welfare-state » à la britannique. Malgré ces succès, l’année 1951 verra le retour au pouvoir d’un gouvernement conservateur dirigé par Winston Churchill. Ce dernier se rendra populaire en lançant de grands programmes de construction qui vont donner un coup de fouet à l’économie, réduire l’austérité et ouvrir une longue période de prospérité et de croissance continue. Pourtant, dès le tournant des années 60, les Britanniques vont découvrir que si le Royaume-Uni a sensiblement progressé depuis la fin de la guerre, il l’a néanmoins fait plus lentement que le reste des pays d’Europe continentale, pourtant plus éprouvés par les destructions. Ce constat sera pour beaucoup dans l’arrivée au pouvoir, en octobre 1964, d’une jeune équipe travailliste avec à sa tête Harold Wilson. Dès son investiture, il va s’atteler à relancer la planification et à développer les secteurs de la recherche et de la technologie, mais son refus de dévaluer la livre sterling lui ôtera toute marge de manœuvre dans la gestion de l’économie. Et malgré un remarquable redressement de l'économie en 1968 et 1969, l’image modernisatrice de Wilson se retrouve définitivement ternie, notamment auprès de la classe ouvrière, débouchant sur la défaite électorale du 18 juin 1970. Son successeur, le Premier ministre conservateur Edward Heath, qui gouvernera de 1970 à 1974, sera l’artisan de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun. Toutefois, sa gestion autoritaire sera à l’origine de nombreux conflits sociaux, lui coûtera son poste lors d’élections anticipées suscitées en pleine grève des mineurs. Le second gouvernement Wilson s’attellera dès le départ à remettre le pays au travail, non sans concessions importantes aux mineurs et aux travailleurs du secteur public dans le cadre d’un accord global avec les syndicats (le contrat social). Sous son gouvernement, la Grande-Bretagne connaîtra des taux d’inflation dépassant les 24%, contrecoups de la surchauffe inflationniste de l’économie mondiale 6 Le New Labour & La « Troisième Voie et du premier choc pétrolier, qui vont laisser les travaillistes sans ressources. Ces difficultés pousseront Wilson à la démission en avril 1976 cédant son poste à John Callaghan, et qui à son tour sera battu aux élections de mai 1978, ouvrant ainsi grande la voie à 13 années de règne de conservateur à leur tête Margaret Thatcher. Elle sera triomphalement réélue aux élections de juin 1983, et ce malgré une forte période de déflation avec une chute de la production manufacturière de 15% entre 1979-1982 et une augmentation du chômage de 1 220 000 (5% de la population active) à 3 050 000 (12,8%) sur la même période. En juin 1987, elle remporte sa troisième victoire électorale avec quasiment la même aisance, et ce grâce à une situation économique nettement meilleure. Suivra alors une ponctuée d’un certain nombre de réformes qui seront mal reçues par la population, à l’exemple de la fameuse poll-tax. Elle persistera, sans concession dans cette voie, malgré un échec retentissant aux européennes de 1989, et un nombre de partielles désastreuses, jusqu'à ce qu’elle soit démise de la tête de son propre parti en 1990, et remplacée par John Major dans un climat de grande confusion et de profondes divisions. John Major parvient à ramener une certaine sérénité dans les rangs conservateurs aux prix d’un renoncement aux mesures thatchériennes les plus controversées. Ce changement d’image permet aux conservateurs de remporter une quatrième victoire consécutive en avril 1992. Mais par la suite, les difficultés ne feront que s’accentuer puisque quelques mois plus tard la Grande-Bretagne se retrouve obligée de quitter le Système Monétaire Européen (SME) à la suite du fameux « mercredi noir » du 16 septembre 1992, et la Livre redevenue flottante par rapport aux autres monnaies européennes, s’effondre de près de 15%. Les réformes entreprises pour permettre à la grande Bretagne d’entrer dans une période de croissance vertueuse ne permettent pas de redorer la réputation de « meilleur gestionnaire de l’économie » que le parti conservateur s’était acquise depuis la fin de la guerre. Les querelles intestines et les scandales auront raison du reste et précipiteront l’arrivée au pouvoir du New Labour régénéré sous la férule d’un Tony Blair triomphant, le 1 mai 1997. Lorsqu’il accède au poste de chef de gouvernement, Tony Blair n’a que 44 ans. Il est le plus jeune Premier ministre britannique depuis 1812. Il jouit d’une grande popularité au sein de sa famille politique, et qui va se maintenir tout au long des quatre années de son premier mandat. Dès les premiers mois il s’attaque ouvertement au « welfare-state », cher aux vieux travaillistes, lui substituant l’aide à l’insertion par le travail : le « work-fare », au centre de la nouvelle doctrine travailliste. Toutefois, à l’issue de son premier mandat, et malgré une injection massive de fonds publics, la plupart des services continuaient à souffrir de 25 ans de sous investissement, notamment les transports urbains et les chemins de fers et le système de santé. Pour tenter d’y remédier, son gouvernement a été contraint d’annoncer un plan triennal d’investissements publics en forte hausse. Entre temps, d’autres questions sont restées en suspend, comme l’entrée dans la zone Euro toujours pas réglée ; le scandale du dôme du millénaire non élucidé, la gestion des crises de la fièvre aphteuse et de l’ESB jugée lente et inefficace…etc. Malgré tout, cela ne l’a pas empêché d’être réélue en juin 2001, mais dans une relative indifférence avec un taux d’abstention ayant atteint record de 1918. Pour son second mandat, le Parti Travailliste s’attelle à mener à bien les réformes sociales et politiques inspirées de la nouvelle doctrine de la « troisième voie », fondées sur la promotion d’un état à la fois sociale qui responsabilise l’individu, tout en encourageant en parallèle la libre entreprise et l’entreprenariat, l’état se posant en garant de l’égalité et de la justice. Toutefois, le renouveau programmatique du parti travailliste ne pouvait se faire sans une réforme approfondie de sa doctrine, héritée de son passé de représentant des syndicats de travailleurs et gravée dans le marbre par la fameuse « Clause IV » des statuts du parti.[1,10] 7 Le New Labour & La « Troisième Voie 2.2 La réforme de la « Clause IV » Le parti travailliste anglais, à l’instar de son rival le parti conservateur, regroupe un éventail d’intérêts et de tendances qui font de lui une vaste coalition qui va du populisme le plus extrême au socialisme démocratique le plus modéré. C’est pourquoi il lui a de tout temps été difficile de formuler un corps de doctrine partagée par tous. Néanmoins, ce qui dans son programme se rapprochait le plus d’une déclaration de doctrine a sans aucun doute été la fameuse « Clause IV » des statuts de 1918. En effet, elle donnait en quelques lignes la raison d’être du parti qui était d’«Assurer aux travailleurs manuels ou intellectuels la jouissance complète du produit de leur travail et la distribution la plus équitable qui soit de ce produit sur la base de la propriété collective de moyens de production, de distribution et d’échange et du meilleur système possible d’administration et de contrôle par le peuple de tous les secteurs industriels et de services » [1]. C’est bien ce point qui donnait un caractère socialiste à la doctrine travailliste, et le manifeste de 1945 qui prévoyait un programme minimum de nationalisation en découlait en droite ligne. Pendant longtemps cette clause resta la référence suprême du parti, tuant dans l’œuf toute velléité de réformes, au point qu’après le troisième échec électoral successif de 1959, Hugh Gaitskell, le jeune chef du parti travailliste, proposa sa suppression pure et simple afin, disait-il, de mieux répondre aux nouvelles aspirations nées de l’évolution de la société. Pour s’adapter à cette évolution, le parti travailliste devait renoncer aux nationalisations lourdes du type de 1945 au profit de politiques de planification destinées à mieux contrôler les leviers essentiels de l’état et de l’économie. Il devait également ne plus viser l’égalité économique absolue au profit de l’égalité des chances prise au sens effective dans l’offre d’enseignement et de formation. La proposition de Gaitskell fût rejetée et la clause IV restera inchangée. Après son élection en 1994 à la tête du parti, Tony Blair fera tout pour réformer l’appareil du vieux parti travailliste afin de l’adapter à la nouvelle vision de la social-démocratie réformée. Il va engager une remise en question profonde des dogmes entamée dans les années 80, elle va culminer avec l’abandon de la Clause IV le 29 avril 1995. Avec cette réforme, la nouvelle Clause tourne résolument le dos à toute notion de nationalisation en mettant en avant la volonté de se situer au-delà de l’opposition traditionnelle secteur privé - secteur public. Dans sa nouvelle formulation elle fait une large place à la nouvelle doctrine du parti travailliste, qui est dorénavant de promouvoir « Une économie dynamique au service de l’intérêt général, dans laquelle l’esprit d’entreprise du marché et la rigueur de la concurrence s’allient aux forces du partenariat et de la coopération pour produire la richesse dont le pays a besoin et donner à tous la chance de travailler et de prospérer dans le cadre d’un secteur privé florissant et d’un secteur public de grande qualité, où tous ce qui est essentiel à l’intérêt général doit appartenir à la collectivité où être responsable devant elle » [2]. Bien que moins précise, cette nouvelle formulation met bien en exergue l’idée de coopération qui trouve son expression politique dans ce que le gouvernement appelle le « partenariat public/privé », ainsi que la promotion de l’individu en offrant à chacun la possibilité de développer son « potentiel », et ce conformément aux enseignements de la « troisième voie ». 2.3 La naissance du « New Labour » A l’origine le « Labour Party » a été créé non pour reformer la société mais pour aider le monde du travail à obtenir sa reconnaissance et empêcher les classes possédantes d’utiliser l’appareil législatif à leur profit. Le parti était donc un amalgame de plusieurs sensibilités politiques et syndicales chacune avec des objectifs politiques et corporatistes parfois très éloignés les uns des autres. Il existe toutefois un fond de doctrine commun qui, à l’image de la clause IV, cimente le mouvement pour former une base idéologique commune qualifiée de « Labourism ». Les historiens des mouvements politiques britanniques, estiment que le labourism est à la fois une doctrine et une éthique [1]. En tant que doctrine il met l’accent sur l’idée d’égalité, notamment égalité des chances et de justice sociale, non seulement en faveur des ouvriers mais aussi pour tous les « petits ». Ces idées entraînent des applications programmatiques bien concrètes : Une fiscalité progressive ; un enseignement public gratuit ; un service de santé public abordable ; une intervention de l’état pour coordonner et impulser les services indispensables à une société juste et qui ne naissent pas spontanément des forces du marché ; la mise en œuvre du « welfare-state » pour concilier une économie libre avec une certaine protection sociale. Pour 8 Le New Labour & La « Troisième Voie mener ces politiques, les travaillistes ont été jusque dans les années 70 relativement centralisateurs, et ce malgré leurs promesses successives de dévolution en faveur des régions périphériques. Le « labourism » c’est aussi une éthique. En effet, la majorité des premiers dirigeants travaillistes étaient issus de la classe ouvrière organisée (syndicats, clubs ouvriers, corporations…), et leurs motivations pour rejoindre le parti étaient moins une revendication personnelle ou une réflexion intellectuelle qu’un réflexe moral dicté par l’expérience directe ou indirecte de la misère et de l’exploitation nées de la révolution industrielle du XIXème siècle. D’où l’accent mis sur la fraternité et la prospérité privée ou collective : « le progrès n’est bon que s’il est partagé par tous ». Ce puritanisme encore très présent chez les militants, déconcerte de plus en plus la partie « nouvelle » de la classe ouvrière qui croit fermement à la promotion individuelle. C’est à cette dernière aspiration que tentera de répondre Tony Blair. C’était la première fois depuis l’élection de Gaitskell en 1955 que le « Labour Party » choisissait délibérément en Tony Blair un leader qui se classait lui-même à la droite de parti. Cette aile à laquelle appartiennent la plupart des grands ministres du gouvernement, n’hésitait pas à proclamer que pour parvenir à reconquérir le pouvoir, le « Labour » devrait se résigner à ne pas remettre en cause les grandes mesures de la période thatchérienne, comme les privatisations et les reformes syndicales. Aussi Tony Blair, moins de neuf mois après son accession à la tête du labour faisait-il adopter par un congrès spécial, la nouvelle version de la Clause IV. Cette nouvelle version, comme nous l’avons vu, fait officiellement du « New Labour » un parti démocratique et social ; un parti gestionnaire et réformiste de centre gauche qui vise essentiellement quatre objectifs [1] : Une économie dynamique ; Une Société juste ; Une démocratie ouverte ; Et un environnement sain. De l’existence d’éléments de continuité dans sa politique gouvernementale par rapport à celles de ses prédécesseurs conservateurs, on ne doit pas selon Tony Blair conclure à la confusion idéologique. Il s’en explique devant la chambre des lords, en déclarant qu’« il n’y avait aucune confusion. En revanche, il y a la volonté de donner un sens réaliste au monde moderne, ce monde dans lequel la fidélité à un idéal est essentielle, mais ou l’idéologie peut être mortelle. Dans ce monde là, les citoyens ne demandent à leurs gouvernements ni dogme, ni thèse, mais un sens aigu du dessein national, adossé sur des valeurs claires ». Cette démarche, inspirée par la doctrine de la « troisième voie », peut se résumer en terme de fidélité à des valeurs fondamentales qui doivent servir de boussole comme : la solidarité, la justice, la liberté, la tolérance et l’égalité des chances, mais dans le même temps, adaptabilité maximum sans aucune précondition idéologique ni veto préalable sur les moyens. On retrouve bien ce pragmatisme paroxysmique dans cette phrase : « Ce qui compte c’est ce qui marche… Seuls les valeurs comptent et les moyens mis en œuvre pour les satisfaire ne doivent être jugés qu’a leur efficacité ». Par exemple ce qui marche en terme économique, c’est le réalisme et une gestion stable, dès lors peu importe que l’acceptation du rôle du marché, la discipline budgétaire ou la flexibilité de l’emploi aient une réputation de droite. Anthony Giddens, le directeur de la prestigieuse London School of Economics and Political Science, théoricien de la « troisième voie » et l’un des principaux inspirateurs de la politique de Tony Blair, tente de situer politiquement cette nouvelle doctrine, par rapport aux deux grandes idéologies politiques de droite et de gauche : « La méthode de la troisième voie, écrit-il, ne consiste pas à chercher un compromis entre solutions de droite et de gauche, mais à trouver une réponse aux changements capitaux de notre civilisation »[4]. Ainsi, bien que Tony Blair n’ait pas totalement renié l’héritage économique des conservateurs, il cherche néanmoins à en limiter les excès, en faisant appel à une nouvelle approche de la justice sociale fondée sur le sens de la responsabilité de chacun et en rupture avec la société d’assistance au profit de l’insertion : « A hand up, not a hand out » (Une aide, non une aumône). Mais cela, n’est pas sans soulever quelques critiques, notamment de la part de Mandelson et Liddle, deux autres théoriciens du 9 Le New Labour & La « Troisième Voie New Labour qui demandent à ce que : « Le New Labour rejette sans appel la vision thatchérienne selon laquelle seuls les individus poursuivant leurs intérêts personnels permettront de créer une GrandeBretagne prospère et satisfaite ». Allier justice sociale et réalisme économique, aspirations individuelles et obligations sociales telle est la nouvelle doctrine du New Labour. 3 La troisième voie : La voie de la réforme…? 3.1 La gauche, la droite et le « centre actif » Avec la fin du socialisme comme théorie économique, une des lignes de division majeures entre gauche et droite a disparu et plus personne aujourd’hui n’a de véritable alternative à proposer au capitalisme libéral. Les discussions qui subsistent portent sur la question de savoir jusqu’où et par quels moyens le capitalisme peut être « gouverné » et régulé. Entre temps, ces dernières décennies ont vu l’émergence de nouvelles problématiques qui ne rentrent pas exclusivement dans l’un ou l’autre des schémas politiques traditionnels. Parmi celles-ci, on citera les questions environnementales et de développement durable qui doivent être la priorité de tous, tant elles déterminent la survie de l’espèce humaine entière ; l’évolution et la transformation des structures sociales et familiales avec la prépondérance de familles monoparentales et l’apparition de nouvelles formes d’unions (libre, PACS…etc) ; les changements produits par les nouvelles technologies dans notre quotidien; le vieillissement de la population ; la perte d’identité culturelle et personnelle face à la culture mondialiste…etc. Cette nouvelle situation offre par son côté inédit, une chance historique pou l’émergence d’une véritable nouvelle voie politique. Anthony Giddens appuie cette idée en affirmant que si le dans le contexte d’une traditionnelle division droite-gauche, le centre politique ne peut avoir comme signification que le compromis, un « milieu » entre deux voies plus tranchées, en revanche, il en va bien autrement dans un nouveau contexte où la gauche et la droite ont moins de signification que par le passé, et l’idée d’un « centre actif » ou d’un « centre radical » peut alors être considérée plus sérieusement. [5] Cette vision se trouve confortée par le constat que dans l’ensemble des pays occidentaux, le vote ne correspond plus aux divisions de classe ; on est ainsi passé d’une polarisation droite-gauche à un paysage plus complexe. L’axe économique utilisé pour séparer les électeurs selon les positions socialistes et capitalistes a perdu de sa pertinence tant personne aujourd’hui ne s’oppose plus au système d’économie de marché, tandis que les contrastes entre libéraux et autoritaires et entre « modernes » et « traditionalistes » ont augmenté. Les partis sociaux-démocrates n’ont en effet plus de « bloc de classe » conséquent sur lequel reposer. Comme ils ne peuvent plus s’appuyer sur leurs anciennes identités, ils doivent en créer de nouvelles dans un environnement social et culturel plus divers. Anthony Giddens écrit dans son livre, « The Third Way : the renewal of social democracy », que « le moment leur est favorable car le néolibéralisme est de plus en plus contesté. Les néolibéraux doutent, et il est important de comprendre pourquoi. La raison principale est que ses deux composantes – le fondamentalisme marchand et le conservatisme – entretiennent des relations tendues. Le conservatisme implique toujours une approche prudente et pragmatique du changement économique et social. La continuité de la tradition est centrale dans l’idée de conservatisme (...) La philosophie du marché libre adopte une attitude assez différente, affichant ses espoirs dans l’avenir à travers une croissance économique sans fin produite par la libération des forces du marché » [4]. Ainsi, au niveau de l’individu, les néolibéraux lient les forces d’un marché sans entrave à une défense des institutions traditionnelles, particulièrement la famille et la nation. Il en découle que si l’initiative individuelle doit être privilégiée dans la sphère économique, les obligations et les devoirs doivent l’être dans celle de la famille et dans le cadre national, et d’où une sorte de contradiction et de cloisonnement entre les sphères publique-nationale et privéefamiliale, cloisonnement pas toujours bien vécu. Quant à la sociale démocratie, elle concevait le capitalisme marchand comme la source de bon nombre de maux qui ne pouvaient être atténués ou vaincus que par l’intervention de l’Etat dans l’espace marchand, en mettant en place un Etat-providence auquel seront assignés trois objectifs essentiels : maintenir des prestations sociales pour aider à la survit de familles qui n’ont aucune source de revenue ; créer une société plus égalitaire en mettant en place des 10 Le New Labour & La « Troisième Voie stratégies de redistribution des richesses ; et protéger les individus tout au long du cycle de vie. En résumé, voici le tableau comparatif des deux plus importantes doctrines tel que donné par Anthony Giddens [4]: La sociale démocratie classique (la vieille gauche) Le thatchérisme ou néolibéralisme (la nouvelle droite) Engagement de l’Etat dans la vie économique et sociale L’Etat domine la société civile Collectivisme Gestion keynésienne de la demande et corporatisme Rôle limité des marchés : économique mixte ou sociale (de marché) Plein emploi Egalitarisme fort Etat providence universel, protégeant les citoyens « du berceau à la tombe » Modernisation linéaire Faible conscience politique Internationalisme S’inscrit dans le cadre du monde bipolaire Gouvernement minimal Société civile autonome Fondamentalisme marchand Autoritarisme moral et individualisme économique puissant Marché du travail libre comme tous les autres Acceptation de l’inégalité Nationalisme traditionnel Aide sociale en dernier recours Modernisation linéaire Faible conscience écologique Théorie réaliste de l’ordre international S’inscrit dans le cadre du monde bipolaire La « troisième voie » se doit donc de trouver son chemin entre l’une et l’autre de ces doctrines en tentant de les assimiler sans pour autant s’assimiler ni à l’une ni à l’autre, mais bien de les transcender. Et qui peut mieux que Tony Blair, nous éclairer sur ce point si délicat, lorsqu’il écrit au sujet de la nouvelle doctrine du New Labour qu’« Il s’agit d’une troisième voie parce qu’elle se situe de manière décisive à la fois au-delà de la gauche traditionnelle, attachée à un Etat au rôle étendu, aux impôts élevés et sensible aux intérêts des travailleurs, et de la nouvelle droite qui traite l’investissement public, voire souvent, les notions mêmes de sociétés et d’effort collectif, comme de maux à éradiquer. » [6] 3.2 Les éléments doctrinaires de la « troisième voie » L’expression « troisième voie » semble être apparue au début du siècle, et avoir été popularisée par les groupes de droite dès les années 20, quoiqu’elle ait surtout été utilisée par les sociaux-démocrates et les socialistes. De faite, au lendemain de la seconde guerre mondiale, les sociaux démocrates se voyaient explicitement comme cherchant une voie distincte du capitalisme marchant américain et du communisme soviétique. Au moment de sa refondation en 1951, l’Internationale socialiste parlait explicitement d’une troisième voie dans ce sens. Les sociaux-démocrates suédois semblent avoir utilisé plus souvent encore l’expression « troisième voie ». La dernière version de celle-ci date de la fin des années 1980 et se réfère à un important renouveau programmatique. La récente appropriation de la « troisième voie » par Bill Clinton et Tony Blair a rencontré un accueil assez mitigé de la part des sociaux-démocrates continentaux qui jugent qu’elle s’apparente plus à une version réchauffée du libéralisme, et que Tony Blair n’a fait que reconduire la politique mise en œuvre par Margaret Thatcher. Reste que selon ses promoteurs, le but ultime de la politique de la « troisième voie » consiste à aider les citoyens à se frayer un chemin à travers les révolutions majeures de notre temps. Elle défend aussi l’idée d’une attitude positive envers la mondialisation – tout en étant conscient des risques d’effets destructeurs sur les économies locales- en estimant que le protectionnisme n’est ni raisonnable ni désirable et n’a pour finalité que de créer un monde égoïste avec le risque d’un affrontement entre blocs économiques. Elle continue d’avoir aussi pour objectif la justice sociale. Ayant abandonné le collectivisme, la 11 Le New Labour & La « Troisième Voie politique de la « troisième voie » entend définir une relation nouvelle entre l’individu et la communauté, en repensant les droits et les obligations des uns envers les autres. Elle se donne pour devises : « Pas de droits sans responsabilités » : Cette devise doit s’appliquer à tous et pas seulement aux bénéficiaires de la protection sociale par exemple. Sans quoi, il ne s’appliquera qu’aux pauvres et aux nécessiteux – comme cela tend à être le cas dans les politiques de droite. « Pas d’autorité sans démocratie » : dans une société où les traditions et les coutumes perdent de leur force, la démocratie reste la seule source de légitimité qui permet de rétablir l’autorité. « Le conservatisme philosophique » : cela suggère une attitude pragmatique envers le changement auquel il ne faudra pas s’opposer, mais tout en adoptant le principe de précaution vis-à-vis des nouvelles avancées scientifiques et technologique par la connaissance de leurs retombées, à l’exemple des organismes génétiquement modifiés, du clonage reproductif, du nucléaire... etc. La « troisième voie » met aussi très fortement l’accent sur la promotion de « l’individu » en tant qu’élément de base de la communauté. Ainsi sans aller jusqu'à dénoncer le collectivisme, elle considère que l’individualisme institutionnel ne signifie pas égoïsme, et qu’il ne présente pas de menace pour la solidarité sociale mais que cela implique simplement la nécessité de chercher de nouveaux moyens pour produire de la solidarité sans pour autant contraindre la liberté individuelle. « La cohésion sociale, écrit Giddens, ne peut être garantie par une action du sommet à la base de la part de l’Etat ou encore par l’appel à la tradition… nous devons endosser plus activement les responsabilités dues aux conséquences de ce que nous faisons et des modes de vie que nous adoptons. Le thème de la responsabilité ou de l’obligation mutuelle, était déjà présent dans la sociale-démocratie à l’ancienne, mais de manière marginale, puisque submergé par le concept de protection collective. Aujourd’hui nous devons trouver un nouvel équilibre entre responsabilité individuelle et collective » [5]. La « troisième voie » fonde donc sa doctrine politique sur une relecture des valeurs qui fondent la démocratie pluraliste : L’égalité par l’offre faite à chacun de développer son potentiel La liberté comme autonomie et promotion de l’individu La protection des faibles tout en les encourageant à prendre leur avenir en main Le pluralisme cosmopolite et l’acceptation de la mondialisation Pas de droits sans responsabilité Pas d’autorité sans démocratie Le conservatisme philosophique avec l’adoption du principe de précaution 3.3 Le rôle de la société civile La promotion d’une société civile dynamique est un aspect fondamental de la politique de la « troisième voie ». Ces promoteurs observent que le déclin civique dans nos sociétés est bien réel et se manifeste dans de nombreuses sphères, de même que la perte du sens de la solidarité dont souffrent certains foyers urbains qui connaissent des taux de criminalité élevés. L’Etat peut et doit jouer un rôle majeur dans le renouveau de la culture civique, mais pas seul. L’Etat et la société civile devraient agir de concert, chacun facilitant mais aussi contrôlant l’action de l’autre. La notion de « communauté d’entraide » pourrait être réhabilitée comme moyen et source de solidarité locale. L’Etat devrait engager directement des ressources pour soutenir des initiatives proposées par les groupes locaux qui les prennent en charge. De même qu’il devrait encourager l’entreprenariat social, en apportant directement du capital et en prenant des mesures incitatives pour attirer l’investissement des entreprises privées, de proposer des programmes de formation et de promotion de l’initiative locale, comme les programmes de micro-crédits qui ont montré leur aptitude à stimuler l’économie locale. 12 Le New Labour & La « Troisième Voie Toutefois, la société civile, selon la doctrine de la « troisième voie », n’est pas toujours une source spontanée d’ordre et d’harmonie. Il incombe donc à l’Etat de protéger les individus des conflits d’intérêts qui se présentent en permanence dans celle-ci. L’Etat ne peut et ne doit donc pas se confondre avec la société civile. La prévention du crime et la diminution de la peur du crime sont étroitement liés à la régénération de la communauté. La majorité des crimes sont souvent l’œuvre de petits délinquants, et le sentiment d’insécurité est largement suscité par un environnement urbain et des liens sociaux dégradés. Cependant, la multiplication des délits mineurs ou d’autres formes de désordre public finit par avoir un effet cumulatif. C’est là où un travail de prévention, de sensibilisation et de pédagogie peut se révéler porteur, cela avec d’autant plus d’efficacité que les citoyens sont associés à cette démarche. Pour encore plus d’efficacité, des partenariats entre les organismes gouvernementaux, le système judiciaire, les associations locales et les organisations communautaires doivent être ouverts à tous les groupes économiques et ethniques. Le sens de l’égalité La nouvelle politique de la « troisième voie » définie l’égalité comme intégration et l’inégalité comme exclusion. L’intégration renvoie dans son sens le plus large à la citoyenneté, aux droits civils et politiques ainsi qu’aux devoirs qui s’imposent à tous les membres de la société. Elle renvoie également à la capacité à saisir les opportunités et à participer activement à la sphère publique. Quant à l’exclusion, deux formes se font jour : La première est l’exclusion de ceux qui sont au bas de l’échelle, coupés qu’ils sont du flot des opportunités que la société peut leur offrir. Et haut de l’échelle, on voit apparaître une sorte d’exclusion volontaire : «la révolte des élites », c’est la seconde forme d’exclusion. Elle prend la forme d’un retrait des institutions publiques de la part des groupes les plus aisés qui choisissent ainsi de vivre séparés du reste de la société. Cette exclusion au sommet de l’échelle sociale n’est pas seulement aussi nuisible pour la sphère publique et la solidarité collective que celle qui touche les couches inférieures de la société, elle lui est étroitement liée. Ainsi, limiter l’exclusion volontaire des élites peut s’avérer donc tout aussi primordiale si l’on veut aider à intégrer ceux qui sont en bas de l’échelle. Cela passe par la réappropriation de l’espace public qui doit apparaître comme un élément fondamental de la réintégration des élites dans la société. La « troisième voie » défend l’idée qu’un des moyens d’y parvenir serait de promouvoir une nation cosmopolite : des individus qui se sentent appartenir à une même communauté nationale seront plus volontiers portés à contracter des engagements mutuels avec les autres membres de cette communauté. A l’instar de l’exclusion des élites, l’exclusion des plus démunis tend à se nourrir d’elle-même. Toutes les mesures susceptibles de rompre le cycle de la pauvreté devraient être poursuivies ; comme aider les adultes à acquérir des compétences et des qualifications professionnelles et à d’autres de remettre à niveau de leurs aptitudes. Investir dans l’éduction apparaît aussi comme un impératif de cette politique et une condition première de la « redistribution des possibilités ». Toutefois, une société d’intégration devrait assurer aux individus dans l’incapacité de travailler un minimum de ressources. Ainsi, la « troisième voie » préconise le remplacement des programmes conventionnels de lutte contre la pauvreté par des initiatives plus centrées sur la communauté, à la fois plus efficaces et accordant davantage de place à la participation démocratique [4]. 3.4 3.5 La « protection sociale positive » Pour la « troisième voie », l’Etat-providence tel qu’il fonctionne aujourd’hui est foncièrement non démocratique dans la mesure où il repose sur une distribution unilatérale des bénéfices du haut vers bas. De plus, si ces motivations premières sont la protection et la prise en charge, il n’accorde toutefois pas assez de place à la liberté individuelle. Certains de ses organismes se révèlent bureaucratiques, aliénants et inefficaces, et les prestations sociales qu’il fournit ont parfois des effets pervers qui nuisent à la réalisation même des objectifs auxquels elles sont destinées, comme créer des situations de dépendance chez des personnes qui finissent par s’en accommoder, rendant souvent la réforme des institutions de protection sociale d’autant plus difficile en raison même des intérêts qu’elle a fini par engendrer. Pour remédier à ces carences, elle préconise un programme de réformes radicales avec pour point de départ l’idée que l’adhésion de tous à l’égard des politiques sociales est liée au fait que « les classes privilégiées ont constaté qu’elles avaient elles-mêmes intérêts à participer à la prise en charge des 13 Le New Labour & La « Troisième Voie risques des personnes défavorisées ». D’où la démarche qui consiste à prôner une « protection sociale positive » à laquelle les individus eux-mêmes ainsi que d’autres organismes non étatiques apporteraient leur contribution. En effet, dans la doctrine de la « troisième voie », le principe que la protection sociale n’est pas un concept essentiellement économique, mais c’est aussi un concept psychologique qui se rapporte avant tout au bien-être des individus, et qui ne saurait donc être le fruit des seules prestations sociales et des avantages économiques. La ligne directrice de toute reforme viable devrait alors s’articuler autour de l’investissement dans le capital humain à chaque fois que cela est possible, plutôt que le financement direct des mesures de soutien économique. Le but avoué étant de substituer à l’ « Etat-providence », « l’Etat-investisseur social », lequel opérerait dans le contexte d’une société encourageant une « protection sociale positive » en faisant jouer aux organismes associatifs du tiers secteur un rôle plus important dans le financement des services sociaux, et la distribution des prestations du haut vers le bas devrait être remplacée par des systèmes de distribution plus localisés. Un tel objectif pourrait être atteint en intégrant le financement de la protection sociale à des programmes de développement dynamique de la société civile. Et si un apport de ressources financières est nécessaire à la lutte contre la pauvreté, celui-ci doit cependant avoir pour mission essentielle de soutenir les initiatives locales. En somme, les dépenses dans la protection sociale, comprise comme une protection sociale positive, ne seront pas seulement financées et distribuées par l’Etat, elles résulteront également d’un partenariat entre l’Etat et d’autres organismes, y compris les entreprises. Dans une société où règne l’assistance sociale positive, le contrat entre les individus et le gouvernement change de nature : l’autonomie et le développement de la personnalité individuelle y apparaissent désormais comme des priorités majeures. C’est pourquoi la reforme de la politique sociale ne doit pas réduire l’Etat-providence à un simple filet de sécurité. Car seule un système de protection sociale profitant à la majorité de la population peut faire naître une moralité citoyenne partagée par tous. Lorsque la « protection sociale » ne revêt qu’une connotation négative et vise trop exclusivement les pauvres, elle finit par créer des fractures dans la société. Le bien-être dans son sens premier concerne aussi bien les riches que les pauvres. Pour les tenants de la « troisième voie », le concept de la protection sociale positive devrait ainsi apporter de nouveaux remèdes aux problèmes que connaissent les sociétés modernes : combattre la misère par l’autonomie ; la maladie par la santé dynamique ; l’ignorance par l’éducation tout au long de la vie ; les conditions de vie dégradantes par le bien-être ; le désœuvrement par l’initiative, car ils estiment qu’en laissant les gens s’installer dans l’assistanat, on finit par les exclure du reste de la société. 3.6 La politique économique La « troisième voie » se place clairement du côté de ceux qui préconisent, sur plan économique, des mesures incitatives et un certain libéralisme en encourageant les personnes à entreprendre et à créer, à charge pour l’Etat de leur offrir les conditions propices à cela. Ce dernier n’intervenant dans la sphère économique que pour assurer les grands équilibres économiques lorsque ceux-ci sont menacés. Ainsi les investissements de l’Etat dans les industries en difficultés peuvent certes pourvoir à leur maintien en activité pendant que les ajustements nécessaires sont mis en œuvre, mais les interventions de plus large portée risquent d’avoir des effets contre-productifs et même désastreux. Cette politique économique ne doit négliger aucune des priorités comme l’éducation, les mesures incitatives, la culture d’entreprise, la flexibilité, la décentralisation, et la promotion du capital social. Giddens écrit que « La mission du gouvernement et de l’Etat, n’est pas de nourrir, loger et habiller les citoyens, mais de sécuriser les conditions leur permettant d’être capables par eux-mêmes d’acquérir tout ce qui est nécessaire à une vie civique digne de ce nom » [4]. Il est donc claire que sur le plan économique la « troisième voie » se veut très réaliste, en faisant sienne l’idée que pour qu’un système économique performant perdure et apporte du travaille et de la richesse, il faut qu’il soit compétitif, et pour cela accepter que la flexibilité s’applique à la fois à la production, au capital et aux marchés du travail. En revanche, il ne serait question de la pousser trop loin sans se soucier des coûts sociaux. La flexibilité ne doit pas, par exemple, constituer une solution là où règne le chômage à large échelle, et le nombre élevé de chômeurs de longue durée. Il revient donc aux dirigeants de promouvoir une flexibilité au cas par cas. Quant à la redistribution de richesses et le problème des inégalités, les sociaux-démocrates ont traditionnellement recours à une solution directe et moralement implacable : « prenez aux riches pour donner aux 14 Le New Labour & La « Troisième Voie pauvres » ; formule que ne renie pas la « troisième voie », qui y voient une manière possible de résorber certaines inégalités : « Les sociaux-démocrates modernes, écrit Anthony Giddens, doivent reconnaître le rôle capital qu’une imposition progressive peut jouer dans la redistribution des revenus ». [4] 3.7 La retraite : Une nouvelle carrière Le récent débat sur la réforme des retraites a fait resurgir le fait que la plupart des sociétés industrialisées se retrouvent confrontées à une population vieillissante avec toutes les conséquences qui en découlent. Par exemple, rien que pour le cas du financement des retraites, des économistes estiment que tous les engagements pris par la majorité des pays industrialisés pour tenter de juguler la question ne sont pas en mesure d’être financés, même si une croissance économique soutenue est au rendez-vous dans les prochaines années. Considéré sous ce seul aspect, le problème se révèle inextricable. Pour « troisième voie », la problématique ne devrait pas seulement se réduire à des questions du genre : Qui doit payer ? A quel niveau ? Et par quel moyen ? Mais qu’il faudrait développer une réflexion nouvelle en direction des personnes âgées et la manière dont leur statut s’est modifié du fait de l’évolution de la société. Elle considère que de nos jours et dans des sociétés de plus en plus dynamiques et presque entièrement informatisées, le vieillissement ne devrait plus être considéré comme une fatalité ou un handicape qui n’appel qu’inactivité et résignation, mais bien comme un processus ouvert aussi bien sur le plan physique que psychologique. L’idée d’une pension accordée dès l’age de la retraite peut dans certain cas apparaître comme une source de dépendance sociale et d’assistanat, car bien que parfois nécessaire, elle connote néanmoins l’incapacité et l’assistance. En effet, lorsque l’age de la retraite fut fixé à 60 ans ou 65 ans, la situation des personnes âgées était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. En 1900, l’espérance de vie moyenne d’un jeune homme de 20 ans dans les pays occidentaux ne dépassait pas 62 ans. La « troisième voie » préconise alors de supprimer l’imposition d’un age fixe de départ à la retraite et de commencer par considérer les personnes âgées comme une ressource précieuse par tant d’expériences accumulées dans tous les domaines, plutôt que comme un problème que la société devrait à tout prix résoudre. Car une société qui cantonne les personnes âgées dans la retraite, comme un ghetto isolé, ne peut être tenue pour une société d’intégration et la vieillesse ne saurait être considérée comme un age où les droits vont sans les responsabilités. 4 Le blairisme : la « troisième voie » mise en pratique « Ce qui menace l’état nation aujourd’hui, ce n’est pas le changement mais le refus de changer dans un monde de plus en plus ouvert et interdépendant ». Tony Blair [6] Le Premier ministre britannique, Tony Blair, est sans doute la première personnalité politique de ce rang à tenter de mettre en pratique, et sur une telle échelle, les préceptes doctrinaires de la « troisième voie » tels qu’énoncés par Anthony Giddens et les théoriciens de la nouvelle social-démocratie. Ainsi écrit-il quant aux objectifs de celle-ci : « La troisième voie entend moderniser la social-démocratie. Elle se veut passionnée par son engagement en faveur de la justice sociale et des objectifs de centre gauche ; tout en se montrant flexible, innovatrice et capable de se donner les moyens de réaliser ses objectifs ».[6] Le pragmatisme politique est donc l’un des traits de caractère le mieux affirmé de cette doctrine, car en se voulant « capable de se donner les moyens de réaliser ses objectifs », elle fait sienne une démarche politique décomplexée vis-à-vis des courants traditionnels, auxquelles elle ne cherche pas tant à s’opposer qu’à se démarquer en les dépassant, en partant d’une relecture du contexte dans lequel nous vivons :« La troisième voie n’est pas une tentative de casser la différence entre droite et gauche, elle s’intéresse aux valeurs traditionnelles dans un monde qui a changé. Et elle tire sa vitalité de l’unification de deux grands courants de pensé de centre gauche – le socialisme démocratique et le libéralisme. Les libéraux ont défendu la primauté de la liberté individuelle dans l’économie de marché ; les sociaux-démocrates ont mis en avant la justice sociale, avec l’Etat pour principal acteur. Or, il n’y a pas nécessairement de conflit entre ces deux conceptions, nous acceptons en effet que l’Etat soit un des 15 Le New Labour & La « Troisième Voie moyens d’atteindre nos buts, sans que ce soit le seul, et surtout pas comme une fin en soi ». [6] La troisième voie se veut comme une réponse politique aux nouveaux défis que sont : La montée en puissance des marchés mondiaux et d’une culture globale L’avancée technologique et l’augmentation des compétences et de l’information comme déterminants de l’emploi et des nouvelles activités. La transformation du rôle des femmes dans la société moderne Des changements intervenus dans la nature de la pratique politique elle-même De fait, et dès sont accession au pouvoir en 1997, le gouvernement New Labour sous la direction du Premier ministre Tony Blair, s’est attelé au lancement de réformes tous azimuts dans les domaines : économique, social et politique. Dans le domaine économique il a diminué les charges des entreprises pour favoriser la reprise ; et introduit un salaire minimum pour soutenir les bas salaires ; tout en affirmant l’indépendance à la banque d’Angleterre en lui fixant comme priorité le contrôle de l’inflation ; il confie aussi la politique monétaire à un comité indépendant le CPM – Le Comite de Politique Monétaire [3]. En matière budgétaire, le gouvernement décide d’appliquer la « règle d’or » qui veut que sur la durée moyenne d’un cycle il n’emprunte que pour investir et non pour financer les dépenses de court terme, faisant en sorte que toute dépense publique doit « servir les réformes et apporter des résultats » et assurer la stabilisation économique : « La stabilité constitue une condition indispensable à des niveaux élevés de croissance et d’emploi » [Projet de Budget 99]. Sur le plan social et éducatif, il y a la mise en œuvre d’un important programme de lutte contre le chômage, le New Deal, destiné aux jeunes sans emploi ; l’augmentation substantielle du budget de l’éducation. Afin de résorber l’insécurité grandissante, le gouvernement n’hésite pas à parier sur les effets de stabilisation et de prévention qui découlerait du renforcement des communautés, tout en préconisant des mesures sévères contre la délinquance juvénile. Le gouvernement travailliste s’est aussi engagé dans la réforme des institutions avec la réforme de la chambre des lords ou le lancement de décentralisation, « Devolution », des pouvoirs en faveur des parlements régionaux en Ecosse et au Pays de Galle, et du gouvernement autonome d’Irlande du Nord. [3] 4.1 Le « New Labour » et la culture d’entreprise « Les gouvernements ne doivent pas plus essayer de diriger les entreprises ou d’anticiper les décisions commerciales qu’adopter le laisser faire en se disant que les marchés ont toujours raison » Programme électoral travailliste - 1997. 4.1.1 Stakeholding versus Shareholding Au cours de leurs 13 années de règne de 1979 à 1997, les conservateurs ont étendu les principes du libéralisme économique à presque tous les secteurs de la vie économique et sociale. Voulant se démarquer du thatchérisme, Tony Blair tenta d’impulser une autre orientation à sa politique en donnant un sens tangible à la doctrine de la « troisième voie » entre libéralisme et Etat social [2]. Un des indices forts de cette volonté, bien que de peu d’incidence, fût sans doute l’introduction de la notion de « Stakholding » - participation -, en opposition à ce qui était central dans le thatchérisme, le « Shareholding », c'est-à-dire l’actionnariat populaire. Avec la « Stakholding society » (une société de partenariat), l’entreprise est perçue comme une communauté d’intérêts qui regroupe outre les actionnaires, les salariés, les clients et les fournisseurs. Ainsi, le principe du « Stakeholder economy » traduit par « Economie de participation », traduit l’idée que pour qu’une économie soit dynamique, il faut que l’ensemble de la population participe à son bon fonctionnement : « Si les gens, écrit Tony Blair, ne sentent pas qu’ils ont un intérêt dans la société, ils ne se sentent pas responsables à son égard et ne sont guère motivés à œuvrer à son succès » [2]. L’économiste Will Hutton précise que « le but de l’exercice est de conserver les avantages de la propriété privée tout en remodelant la façon dont elle fonctionne ». Ainsi, le principe même d’une économie de participation à savoir, la nécessité d’impliquer l’ensemble de la population dans la production des richesses nationales, demeure bien dans le cœur du projet des nouveaux travaillistes. 16 Le New Labour & La « Troisième Voie 4.1.2 Etat, Individus et Entreprise : Une responsabilité partagée La « troisième voie » pose comme un préalable le fait que l’individu soit au centre de la politique économique et sociale, tout en l’encourageant à avoir une démarche active et d’entreprenariat. Le New Labour considère ouvertement que le meilleur moyen pour l’Etat de lutter contre l’exclusion sociale, revient à donner aux citoyens les moyens de s’aider eux-mêmes, axe principal du programme « Welfareto-Work » ou « Workfare », qui lui aussi vient s’opposer au « welfare state » défendu par les conservateurs tout comme par les travaillistes traditionnels. Pour y parvenir, il s’engage à mettre fin à la culture de dépendance et aux aides sociales directes et sans conditions par l’introduction de mesures d’encouragement à l’emploi ; la création d’un salaire minimum en avril 99°; la mise en place du programme de lutte contre le chômage des jeunes ; la création d’un crédit d’impôt - « Working famillies Tax Credit » - destiné aux familles monoparentales. Cette panoplie de mesures incitatives a son prix, elle exige que la coopération des individus ne soit pas une option, mais qu’elle doit être obligatoire. De faite, la majorité de ces mesures de promotion s’accompagnent souvent de mesures coercitives à l’adresse des plus récalcitrants, comme le préconise ouvertement Peter Mandelson et Roger Liddle, dans leur livre : « The Blair Revolution » : « Il est urgent que la Grande Bretagne mette en place un nouveau contrat entre la société et les jeunes (…) pour les aider à trouver leurs marques dans le monde des adultes, mais avec les sanctions contre ceux qui refusent de saisir la chance qui leur est offerte de remplir leur part du contrat ». On assiste ici à un renversement de l’approche travailliste traditionnelle selon laquelle l’Etat se devait de protéger les catégories sociales les plus vulnérables contre les effets pervers du système capitaliste. Désormais, les désordres sociaux engendrés par la dérégulation de l’économie se trouvent sévèrement réprimés, et le slogan : « Pas de droits sans responsabilité » est là pour le rappeler à ceux qui en douteraient encore. Dans son discours aux Communes du 09 septembre 1999, Gordon Brown, affirmait que « La Grande-Bretagne doit se défaire du stérile conflit centenaire entre l’esprit d’entreprise et la justice sociale, entre la gauche, qui défendait le Bien de la société aux dépens de l’économie, et la droite qui prônait la santé économique aux dépens de la santé sociale et qui bien souvent ne réalisait ni l’une ni l’autre » [2]. Cette tentative de se situer au-delà de l’opposition gauche/droite, même dans le domaine économique, de réconcilier deux approches jusque-là inconciliables, implique une redéfinition implicite du message social-démocrate dans lequel l’accent est désormais mis sur l’idée de justice plutôt que sur le terme plus connoté « d’égalité ». Les modernisateurs travaillistes font le pari de poser un lien de cause à effet entre compétitivité économique et équité financière, entre efficacité et justice sociale. 4.1.3 La compétitivité Le gouvernement travailliste ne se prive pas de souligner que les entreprises doivent adapter leurs stratégies concurrentielles aux réalités de la nouvelle « économie de la connaissance ». C’est dans ce but qu’il a pris des mesures tendant à favoriser les passerelles entre les institutions de recherche universitaires et le monde de l’industrie. Les nouveaux travaillistes ont rejeté les appels à la renationalisation des industries privatisées par le gouvernement conservateur, à l’exemple des chemins de fer que l’opinion souhaitait voir revenir sous le giron de l’Etat après les piètres performances que l’on sait. Dans la même veine, ils ont repris à leur compte la politique conservatrice consistant à faire entrer des capitaux privés dans le secteur public à travers les projets connus sous le nom « d’Initiatives de financement privé (PFI) », financés par les pouvoir publics à hauteur de £3,5 Mds par an. Une bonne part de cet argent ira à la modernisation de services existants, comme l’entretien des hôpitaux [3]. Le secteur privé britannique se trouve ainsi fortement impliqué dans les investissements dans le secteur public. En effet, non content d’investir dans les infrastructures d’enseignement et de santé, il s’est aussi lancé dans la gestion directe de certaines écoles et de plusieurs zones de rénovation urbaine jusque là du domaine exclusif des pouvoirs publics. En laissant ainsi entrer une part de plus en plus importante de capitaux privés dans des secteurs réservés, Tony Blair espère injecter une dose d’efficacité et de réactivité dans des environnements souvent décrits comme moribonds, tout en concédant que si « L’interventionnisme d’antan n’a pas fonctionné et ne le pouvait pas, mais il en va de même pour la confiance naïve dans les vertus du marché » [6]. 17 Le New Labour & La « Troisième Voie 4.2 Le « New Deal » : Emploi et allocations conditionnelles Une des mesures phares du gouvernement de Blair, est la mise en place d’un programme de lutte contre le chômage des jeunes. Pour saisir la véritable portée, il faudrait revenir au fond de la doctrine économique travailliste qu’est le keynésianisme. Pour les Keynésiens, le chômage est dans une large mesure « involontaire », en ce sens que les chômeurs sont censés disposés à reprendre un travail au salaire en vigueur dès que l’occasion s’en présente. Pour initier une politique expansionniste et susciter une création d’emploi, sans pour autant donner naissance à des pressions inflationnistes causées par une raréfaction de la main d’œuvre, il faut en premier lieu mobiliser les chômeurs de longue durée, souvent réfractaires à toute cherche active d’un emploi ou à s’insérer dans le marché du travail. Une telle politique, pourrait ensuite être élargie à d’autres catégories de personnes en difficultés et privées d’emploi, telles que les parents isolés avec des enfants en bas age, les handicapés qui vivent d’allocations, les préretraités pour manque de travail… etc. L’objectif premier étant de pousser les gens à rechercher activement du travail afin de sortir de situations d’assistanat, ce qui est souvent le cas des jeunes qui manquent de qualifications ou des chômeurs de longue durée [3]. C’est dans cette optique qu’a été lancé le programme « New Deal », à l’adresse prioritairement des jeunes chômeurs âgés de 16 à 18 ans. D’après ce programme, lorsqu’un chômeur y est éligible, c'est-à-dire avoir pour cela des allocations chômage pendant au moins les six derniers mois, il bénéficie en premier lieu d’un programme d’aide à la recherche d’emploi s’étalant sur quatre mois. Si au bout de ce laps de temps, la recherche d’emploi n’a pas abouti, la personne considérée est alors dans l’obligation de choisir l’une des quatre options suivantes : [2] 1. Travailler dans une entreprise qui a signé un contrat « New Deal », ce qui généralement lui permet de recevoir pendant six mois une subvention de £60 par semaine et par jeune embauché. Le jeune chômeur peut aussi recevoir directement une aide s’il souhaite pour cela s’établir comme travailleur indépendant; 2. Si leur niveau d’instruction apparaît comme un sérieux obstacle à tout emploi éventuel, les jeunes bénéficiaires ont droit à une période de formation pouvant aller jusqu'à un an ; 3. Le jeune chômeur a aussi la possibilité de demander à effectuer un travail d’intérêt général dans une association de protection de l’environnement ; 4. Finalement, si aucune des options précédentes n’a abouti, il peut choisir de travailler pour un organisme de bienfaisance. Dans les trois dernières options, les bénéficiaires du programme continuent de percevoir leur allocation chômage. Si à l’échéance, un jeune chômeur n’a toujours pas retrouvé du travail, il continuera à toucher les allocations chômage. Mais si auparavant, il a refusé de choisir entre l’une des options mises à sa disposition, il les perdra et aucune autre option lui permettant simplement de continuer à toucher les indemnités de chômage n’est envisagée. D’autres programmes pour des tranches d’ages supérieures ont aussi été mis au point, mais jusque là sur une base facultative. Les familles n’ont pas été oubliées non plus, puisque des mesures spécifiques leurs sont destinées, avec particulièrement la création d’un crédit fiscale pour les familles au travail (CFFT) qui vise à garantir à toute famille dont au moins un des membres travaille à temps plein un revenu de £214 par semaine, auquel vient s’ajouter une allocation supplémentaire de garde d’enfant au bénéfice des salariés les moins bien payés. Ces derniers sont aussi bénéficiaires d’ajustement des taux planchés en matière d’impôts et de cotisations sociales. Ainsi, selon la nouvelle doctrine travailliste, toute personne valide doit travailler, ou du moins faire la preuve d’une démarche active de recherche d’emploi, afin que nul ne vive sur les deniers publics ou profite impunément de l’argent des contribuables et ce sans contrepartie. Les retraites ne sont pas en reste, ainsi pour pallier l’insuffisance de la retraite de base, le gouvernement a proposé la création d’une seconde pension dite « participative », qu’il souhaite obligatoire, et qui serait gérée en partenariat avec le secteur privé. A coté de cela, il est demandé aux fonctionnaires de se transformer en travailleurs sociaux pour aider leurs administrés à trouver un travail et leur donner la possibilité de mettre à profit leurs compétences [3]. 18 Le New Labour & La « Troisième Voie 4.3 La répartition des revenus De 1978 à 1990, l’inégalité des revenus des ménages a beaucoup plus augmenté au Royaume-Uni que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE. L’aggravation de ces inégalités tient essentiellement à la décision de Margaret Thatcher d’indexer le montant des allocations sociales sur la courbe des prix et non plus sur celle des revenus et de mener une politique de privatisation des services publics tout en menant une lutte de front contre les syndicats pour plus de flexibilité et moins de protection. A la suite de cette politique, la part du public dans le PIB britannique en 1999, n’était que de 40,8%, soit un taux parmi les plus faibles en Europe, contre 47,6% pour la moyenne européenne dont 47,1% pour l’Allemagne, 54,1% pour la France et 60,2% pour la Suède (données 1999) [3]. De faite, la situation s’était tellement dégradée, particulièrement au sein de la classe ouvrière, au point que Tony Blair déclara en 1996 : « Je crois à une plus grande égalité, si le prochain gouvernement travailliste ne parvient pas à élever le niveau de vie des plus pauvres à la fin de son mandat alors il aura échoué ». Et dès son accession au pouvoir, il mit en place un certain nombre de mesures sociales dont la création d’un salaire minimum. Résultat : 20% des ménages les plus défavorisés y ont gagné environ 10% de revenu supplémentaire, et les plus favorisés moins de 1%. L’institut d’études fiscales (IFS) a calculé que de 1997 à 2002, en moyenne annuelle et hors inflation, le gouvernement Blair a augmenté les dépenses publiques de 4,7% pour la santé (contre 3,11% pour les ministres conservateur), 3,8% pour l’enseignement (1,5%), 1,5% pour la sécurité sociale (3,5%) et a réduit le budget des armées de 0,6% contre 0,2% pour le gouvernement conservateur. Les fortes augmentations enregistrées dans les deux domaines de la santé et de l’éducation sont obtenues au détriment d’autres postes budgétaires, notamment la défense et le service de la dette. (Données extraites du document [3], et avant le début de la guerre d’Irak où les forces britanniques sont fortement engagées.) L’enseignement et la formation Dans un document officiel datant de 1998, on pouvait y lire en tête des propositions en matière d’instruction la phrase suivante : « Apprendre constitue la clé de la prospérité ». Pour l’instruction des adultes, la principale initiative consiste à promouvoir la formation continue, en cherchant par-là à casser le lien systématique et exclusif entre l’apprentissage et l’école, et en faisant valoir que l’instruction se poursuit tout au long de la vie et non exclusivement au début de celle-ci. La même année, il a aussi été lancé le projet « Université pour l’industrie » (UFI), avec pour mission de mettre en ligne de toutes les données sur les programmes d’enseignement et de formation disponibles dans les différentes régions. Ce projet est complété par un service téléphonique « Direct Enseignement ». Pour donner aux individus l’opportunité de suivre les cycles de formation continue, il a été procédé à la création de comptes individuels de formation (ILA) et l’été 1999 a vu la création du « Conseil de l’Apprentissage et de la Formation » chargé de la coordination des divers programmes d’enseignement et de formation destinés aux individus âgés de plus de 16 ans qui se trouvent exclus à la fois de système scolaire et des cycles de formations professionnels. Un autre projet pilote d’allocation de maintien dans le système scolaire a été mis en place afin d’inciter financièrement les jeunes de 16 ans à poursuivre un cursus d’enseignement à plein temps, tandis que dans les zones réputées difficiles, une approche plus active est préconisée en faisant participer sur le plan local les secteurs privés aux activités scolaires, essentiellement par le biais de zones d’actions éducatives, où au moins dans un cas une société du secteur privé est devenue directement responsable de l’administration d’une école [3]. Le financement de ces mesures n’a pas été aisé puisqu’une première tentative de création d’un fond national de formation, financé par une taxe de 0.5% sur les salaires et payées par les employeurs, a bien été lancée mais face à l’opposition du patronat, cette proposition fut progressivement abandonnée au profit d’un financement public. 4.4 La réforme de l’Etat-providence Depuis 1945, la majorité des allocations sociales en Grande-Bretagne ont été non soumises à conditions. La nature obligatoire de certaines mesures préconisées, à l’exemple du programme du « New Deal », soulève un certain nombre de questions concernant les rapports toujours conflictuels entre obligation et droits individuels dans la philosophie sociale-démocrate. Naturellement, la motivation liée à l’obligation de prendre un emploi ou de recevoir une formation à la place des allocations dépend 4.5 19 Le New Labour & La « Troisième Voie beaucoup de la présence de solutions de remplacement efficaces et variées. Dans sa recherche de la stabilité pour l’économie et du centre en politique, le gouvernement travailliste s’est imposé des contraintes très strictes en matière de fiscalité et des dépenses publiques. Elles l’ont empêché de se lancer dans bon nombre de politiques de redistributions traditionnelles chères aux parties de gauche. Le nouveau travaillisme de Tony Blair rejette par principe et pour diverses raisons d’ordre politique, économique et moral, le recherche d’une meilleure égalité par la redistribution active de revenus, tout en mettant en place des structures qui n’ont qu’un but, celui d’encourager les titulaires de bas revenus à augmenter leur potentiel de rémunération à travers leurs propres efforts. L’amélioration de la situation des plus défavorisés doit venir des incitations offertes aux employeurs et de leurs retombées plus ou moins directes sur les employés. Le souci d’améliorer le sort des plus défavorisés coexiste donc avec des politiques qui reflète une certaine tolérance, et même un encouragement actif, pour l’enrichissement continu des favorisés. Malheureusement, Une telle combinaison, si elle n’est pas bien maîtrisée, risque de déboucher sur des inégalités encore plus marquées, quoique l’on puisse considérer ce système comme plus « méritocratique ». La stratégie du nouveau travaillisme face à la pauvreté, aux défavorisés et à l’exclusion sociale a donc pour caractéristique centrale de reposer sur le travail et les politiques publiques visant à encourager, et même dans certains cas à contraindre, les individus à prendre ou à conserver un emploi. Cette politique implique que soient légèrement redessinées les frontières de l’activité de l’Etat. Ainsi, au lieu d’assurer aux chômeurs un généreux filet de sécurité, le nouveau travaillisme estime que son rôle consiste à stimuler leur retour sur le marché du travail. La formation continue, doit être prise en charge par les individus et les employeurs et non par les seuls pouvoirs publics. Pour ce qui est de la propriété publique ou privée, comme les investissements dans l’industrie, les services, y compris dans le secteur de l’éducation, ils sont à rechercher pour grande partie dans le secteur privé. Quoique l’on pense de ce mélange, il apparaît très éloigné de la social-démocratie classique. Le nouveau travaillisme a disjoint les objectifs traditionnels de la social-démocratie que sont la promotion de l’égalité et l’élimination de la pauvreté. 4.6 La politique Sécuritaire En Angleterre et au pays de Galle le taux des infractions enregistrées entre 1950 et 1997 a été multiplie par dix, et certains délits spécifiques comme les vols de voitures ont été multipliés par trente sur la même période. L’arrivée aux affaires du New Labour et Jack Straw au ministère de l’intérieur n’a en apparence pas modifié les orientations politiques concernant la sécurité et la lutte contre la criminalité des précédents gouvernements conservateurs. La loi intitulée « Crime and Desorder Act » de 1998 est le premier texte législatif d’importance concernant la justice pénale élaboré par le gouvernement travailliste. Les mesures coercitives et essentiellement répressives proposées illustrent l’application de la stratégie de la « tolérance zéro » importée des Etats-Unis. Cependant le souci de récupérer les jeunes délinquants en leur donnant une seconde chance avec un système d’avertissement gradué, de leur proposer des formations, de substituer à certaines peines de prison, la réparation de dommages causés dans un but pédagogique ou de mettre en place des centres de détention spécialisés pour la réinsertion sociale est partout présent. La prévention prend dans ce domaine le pas sur la punition, même si des mesures répressives très sévères sont envisagées en cas de non-respect des décisions judiciaires par les contrevenants. De plus l’ajout de circonstances raciales aggravantes à toute une série de délits était une réponse à la revendication d’une politique anti-discriminatoire censée rassurer les minorités ethniques. Mais toutes les mesures du gouvernement Blair n’ont pas reçu l’assentiment de la population et de la classe politique britannique et ont été violemment dénoncées pour certaines, à l’exemple du recours jugé trop fréquent aux cameras de surveillance couplées à des bases de données informatiques dans la plupart des grands centres urbains ou l’encouragement de l’industrie de la sécurité privée dont le chiffre d’affaire globale explosa de £135 millions en 1976 à prés de £3 milliards de livres à la fin des années 1990 et employant près de 250 000 personnes. La prise de positions très tranchées de Jack Straw en faveur de l’emprisonnement préventif des psychopathes dangereux et des pédophiles, lui a attiré les foudres des milieux psychanalytiques et des associations spécialisées dans la réinsertion des délinquants. Les observateurs estiment que ces projets, qui avaient peu de chance d’aboutir sur le plan juridique, 20 Le New Labour & La « Troisième Voie étaient en fait destinés à l’opinion publique et aux médias puisqu’ils servent essentiellement à asseoir l’image du Premier ministre dans son rôle de garant de la sécurité public. 4.7 La nouvelle architecture institutionnelle Un des fondements de la « troisième voie » consiste à rapprocher les institutions du citoyen, et sur ce point, tout le monde s’accorde pour affirmer que le premier mandat du gouvernement Blair constitue une période de bouleversement institutionnel sans précédent. De faite, les deux premières années du gouvernement du New Labour ont vu la naissance d’une multitude de réformes : La législation sur la décentralisation (Devolution), la loi sur les Droits de l’Homme, la réforme de la chambre des lords, la reforme électorale, municipale et parlementaire, la loi sur la liberté d’information…etc. Bien que sur certains points, les évènements du 11 septembre, la guerre en Irak ou les impératifs de lutte contre le terrorisme aient durci les actions de contrôle de l’information et la politique d’asile. Sur la question des droits de l’homme, le soutien travailliste à cette cause fait partie intégrale de sa conversion idéologique aux valeurs de l’individualisme libéral. Il fallut néanmoins attendre le programme de 1997, pour le voir prendre clairement l’engagement d’incorporer la convention européenne de droits de l’Homme dans la législation britannique, et ce à partir du mois d’octobre 2000. Quant à la conversion du parti travailliste à la cause de la reforme institutionnelle dans les années 90, si elle comporte une dimension pragmatique, elle repose aussi sur des principes. La naissance du New Labour a vu l’individualisme libéral remplacer peu à peu le collectivisme et le socialisme centralisateur en tant qu’idéologie dominante au sein du parti. Pendant l’ère Thatcher le système de gouvernement britannique est devenu trop centralisé, de même que le dirigisme de son gouvernement a engendré toute une série de violations des droits civiques, comme celles du droit syndical et de la liberté d’information. On comprend alors aisément pourquoi dès son accession au pouvoir le New Labour a hâté les réformes institutionnelles. C’est la raison pour laquelle la décentralisation (Devolution) occupe une place de choix dans l’ensemble des reformes institutionnelles. Son but originel était de libérer les énergies politiques et de créer un système politique équilibré qui intègre les nations et les régions de la Grande-Bretagne. On a alors vu la mise en place de parlements régionaux en Ecosse et aux Pays de Galle, avec pour principal bénéfice l’établissement d’un système plus démocratique et plus proche du peuple grâce à une participation locale accrue. Pour rendre ce processus irréversible, il a été décidé la création d’une nouvelle cour quasi-constitutionnelle, la « Privacy council Judicial Committee » dont l’objectif est de surveiller, contrôler et renforcer le processus de décentralisation. 5 Discussion critique 5.1 Obligation et autoritarisme Les critiques dirigées à l’encontre la « troisième voie » font souvent mention de l’absence de toute idéologie et de toute doctrine solide et cohérente pouvant sous-tendre son action, en ajoutant que son « balancement pragmatique » entre le socialisme populiste et le libéralisme conservateur est assimilable à de l’opportunisme. Ces critiques estiment que le côté novateur et révolutionnaire de la « troisième voie » n’est pas authentique, n’étant en réalité qu’un mélange mal assorti de mesures empruntées à des systèmes politiques aussi variés que différents : l’indépendance de la banque centrale, copié sur le modèle allemand ; les politiques actives du marché du travail, comme on en trouve en Suède ; l’accroissement des dépenses de l’Etat en faveur des services publics combiné à une participation du secteur privé, comme le fait la démocratie Chrétienne ; la hausse des allocations aux actifs pour compenser les très bas salaires des moins qualifiés et hostilité à la réglementation du marché du travail, copiées sur les Etats-Unis. Pour eux la notion de « troisième voie » ne se définie qu’en creux, c’est-à-dire par rapport au présupposé selon lequel, il n’y aurait eu jusqu’ici que deux autres voies, le capitalisme et le socialisme. Sur le plan purement doctrinaire, si les idées de la « troisième voie » se nourrissent, en premier lieu, de la tradition sociale-démocrate chère au parti travailliste, on y trouve également les idées de conservateurs éclairés, à l’image de Harold Macmillan qui, dès les années vingt, écrivait sur l’idée d’un salaire minimum dans un livre au titre révélateur, « The Middle way » que : « l’instauration d’un salaire minimum légal constituerait un grand pas en avant qui emporterait 21 Le New Labour & La « Troisième Voie l’adhésion et le soutien de la plus grande partie du pays. Ce serait une mesure de justice sociale hissant au niveau de l’humainement tenable les malheureuses familles qui vivent actuellement dans des conditions qui déshonorent la communauté nationale. Ce serait une mesure de sagesse économique, car cela agirait comme un facteur de stabilisation en fixant un seuil minimum au marché des biens de consommation » [2]. Ce que ne renierait pas le plus fervent défenseur d’une politique de gauche. Le projet de la « troisième voie » a aussi été présenté comme la combinaison d’une économie libérale et d’une politique social-démocrate : Accepter les impératifs des marchés globaux en y ajoutant certains éléments de bien-être social. C’est ce qui explique qu’elle ait séduit d’abord ceux qui font partie de la nouvelle « classe globale », ayant largement accès aux bienfaits de la mondialisation, située plutôt dans la classe moyenne supérieure, jeune et gagnant bien sa vie. On peut alors légitimement se poser la question de la manière dont une politique inspirée par cette doctrine serait perçue par des gens n’ayant pas de tels privilèges. En outre, dans toutes les mesures préconisées, et plus encore dans le programme phare du retour à l’emploi des jeunes, qu’est le « New Deal », un esprit critique, n’y manquerait pas de déceler une certaine tendance à l’autoritarisme : Les réformes de l’Etat providence ne préconisent pas seulement l’épargne obligatoire, mais aussi la nécessite de travailler pour tous ceux qui sont aptes à le faire avec des mesures coercitives en direction des éléments réfractaires. 5.2 Enjeux et limites de la politique sociale L’une des questions essentielles auxquelles le gouvernement travailliste s’était trouvé vite confronté, était comment créer un progrès économique durable sans pour autant sacrifier la cohésion sociale du pays, ni les institutions qui garantissent les libertés. Tony Blair a souhaité faire disparaître le principe de l’assistance sociale sans contrepartie, et souvent sans contrôle, aux personnes défavorisées et souvent les plus vulnérables, tant le système en vigueur depuis un demi-siècle était devenu un gouffre financier absorbant le tiers des dépenses publiques. Son but en faisant disparaître cette culture de l’assistance, et en encourageant le retour au travail des assistés, est que l’Etat réussisse à dégager les fonds ainsi épargnés pour d’autres actions telles que l’éducation, la santé ou les transports publics. Les citoyens britanniques se trouvent désormais liés à l’Etat par un nouveau pacte social qui leur donne des droits mais qui leur impose aussi des devoirs assez stricts. Le principal devoir de l’Etat est de lutter contre la pauvreté, celui du citoyen de travailler pour s’assumer et subvenir aux besoins de sa famille. Tony Blair souligne qu’il faut libérer les citoyens du piège de la pauvreté et de la dépendance afin de les conduire vers la dignité et l’indépendance. L’introduction du salaire minimum en 1999 en est un symbole fort. Cependant son montant (3,6£ de l’heure) est bien inférieur à ce qu’exigeaient les syndicats de l’ordre de 4,5£ de l’heure [3]. Destinée à améliorer la situation d’au moins deux millions d’employés sous-payés, cette mesure exclut une partie de la population : les jeunes de 16 à 18 ans exerçant une activité professionnelle. L’intégration sociale par le travail est un des thèmes favoris de Tony Blair. Une formation solide adaptée favorisera l’obtention d’un emploi et permettra une meilleure intégration sociale. Mais cette formule n’est pas accessible à tout le monde, et surtout pas aux catégories des chômeurs âgées qui ont souvent du mal à se recycler par la formation. De plus cette « formation intégratrice » du travail se trouve confrontée au défi et contraintes de la mondialisation, dans le cadre d’une redistribution internationale du travail, et dont les effets ne sont pas dénoncés avec suffisamment d’énergie. En effet, la mondialisation de l’économie financière et productive est présentée dans la doctrine de la « troisième voie » comme une « réalité » indiscutable, un facteur désormais déterminant de toute politique et sociale, et au-delà, du mode de vie de tous les citoyens du marché global qui fini par imposer alors des lois implacables, la flexibilité dans tous les secteurs de l’économie pour plus compétitivité et de performance, car selon Tony Blair : « le mouvement d’intégration croissante de l’économie mondiale (…) implique qu’il n’est plus possible pour la Grande-Bretagne de supporter des déficits budgétaires et un régime fiscal en contradiction flagrante avec ceux des autres pays industrialisés. Une de nos exigences sera de créer une ambiance suffisamment séduisante pour attirer au Royaume-Uni des entrepreneurs étrangers » [10]. Ainsi au brouillage des repères, s’ajoute le dumping social et la montée des individualismes. Ceci nous amène à l’idée de la gestion des compétences, autre thème cher à Tony 22 Le New Labour & La « Troisième Voie Blair. Cette idée englobe la notion d’employabilité selon laquelle chacun doit être en mesure d’entretenir ses aptitudes à travailler, se former et s’adapter et ce dans un environnement en perpétuelle évolution. Dans ce contexte les victimes risquent d’être nombreuses. Certaines catégories, par leur formation, leur expérience ou leur age éprouvent déjà des difficultés à entrer dans ces modes de fonctionnement, elles seront indubitablement condamnées à la précarité, au chômage et à l’exclusion. Concernant le programme « New Deal », bon nombre de ceux qui sont orientés vers le marché du travail par les allocations conditionnelles sont relativement peu qualifiés et vivent dans des zones où l’offre de travail est déjà faible. Et la plupart des mesures d’insertion dans les zones prioritaires se concentrent sur la qualité de la vie dans ces zones et sur des mesures tout spécialement destinées à rendre les individus plus aptes à l’emploi, au lieu de privilégier la création délibérée d’emplois par le biais des dépenses publiques, et l’octroi de subventions aux chefs d’entreprises pour les attirer dans ces localités [3]. En conclusion… Pour ses opposants, les reformes du gouvernement Blair ne sont pas aussi novatrices qu’elles ont pu sembler au premier abord, et qu’elles sont loin de répondre aux aspirations d’une reforme institutionnelle radicale. Pour eux l’action du New Labour se place clairement dans une perspective électoraliste, en s’interdisant de prendre certains risques comme celui de perdre le soutien électoral des classes moyennes ou bien d’effrayer une communauté des affaires soupçonneuse à l’égard des travaillistes dont la compétence en matière de politique économique est souvent mise en doute D’autres critiques vont même jusqu'à déceler des incohérences entre le discours et la pratique. Le discours officiel fait constamment appel aux idées de démocratisation, de pluralisme et d’inclusion, or en pratique les nouveaux travaillistes se montrent avant tout pragmatiques, voir pour certains opportunistes et dirigistes. Keith Dixon écrit que pour mieux faire accepter aux électeurs, une mondialisation comme « nécessité historique », et une réorganisation sociale bâtie autour du travail obligatoire pour tous et à n’importe quel prix, arguments peu électoralement porteurs il faut le dire, « les dirigeants du parti travailliste ont été obligés de réinventer une mystique politique pour s’assurer le soutien de l’électorat (…) Le recours aux mots ``communautarisme``, au langage des nouvelles solidarités arrimées aux devoirs et aux responsabilités, sera donc de plus en plus fréquent. C’est le cadre qui permet d’introduire les notions blairistes d’harmonie sociale (ou de partenariat) et d’évacuer les notions de lutte ou de conflit, associés dans l’orthodoxie néo-travailliste aux``idéologies dépassées`` » [10]. 5.3 Ce qui dérange le plus dans le projet de Tony Blair, ce sont les moyens employés par le gouvernement pour lutter contre l’exclusion, à savoir le système de droits et de responsabilités, et nombreux sont ceux qui s’inquiètent de l’accent mis sur les mesures punitives en déclarant, pour qui « Une société décente se doit de donner un minimum de droits même à ceux qui n’ont pas saisi la chance qui leur était offerte. En effet on peut se demander ce que les nouveaux travaillistes comptent faire des individus récalcitrants. On peut considérer que les abandonner à leur sort en les privant de toute aide revient à les criminaliser» [2]. En définitive si la troisième voie est capable d’évoluer vers un engagement substantiel de justice sociale et une transformation de la culture économique actuelle, alors son potentiel est immense. Cela implique toutefois de se débarrasser du consensus économique conservateur actuel fondé sur l’austérité fiscale, la flexibilité croissante du marché du travail et la mondialisation sans entraves, alors qu’on retrouve dans le discours de Tony Blair confirmation que la mondialisation est considérée comme inévitable et même souhaitable. Les nouveaux travaillistes ne remettent donc nullement en cause l’économie de marché et le projet travailliste consiste donc à moraliser l’économie de marché plus que de la combattre. Cela suppose que le marché est susceptible d’être moralisée, et que le capitalisme est capable d’intégrer des valeurs autres que le profit [3]. 23 Le New Labour & La « Troisième Voie 6 Abécédaire Petit abécédaire non exhaustif, des idées reçues … a. Social-démocratie Socialisme allemand, de tendance réformiste par extension socialisme réformiste (Petit Robert). La social-démocratie veut étendre les principes de la démocratie à la sphère privée (entreprises et familles) pour réduire la prétendue inégalité de pouvoir entre patrons et salariés ou entre hommes et femmes, adultes et enfants. L'exemple le plus élaboré de social-démocratie est le modèle suédois. b. Socialisme Ensemble de doctrines préconisant une appropriation collective des moyens de production. Parmi les nombreuses variantes du socialisme, on distingue le socialisme utopique du socialisme scientifique. Les socialistes utopiques, présent surtout en France au XIXème siècle, préconisent des communautés idéales et irréelles, ou souhaitent une société gouvernée par des élites comme la Société de savants et d'industriels de Saint-Simon. Le socialisme scientifique, ou marxisme, repose sur une méthode se réclamant de la science : le matérialisme historique et dialectique. L'évolution des sociétés ne peut s'expliquer que par la lutte des classes qui, elle-même, provient des contradictions qui existent entre l'infrastructure économique, qui évolue sous l'effet des techniques, et les superstructures mentales et institutionnelles, qui reflètent la domination d'une classe. Le capitalisme est fatalement condamné à disparaître, en raison de ses contradictions, et doit lui succéder un nouveau système dominé par la classe ouvrière. La phase transitoire de dictature du prolétariat est une phase de socialisme, qui précède la phase finale ou communisme, qui doit voir apparaître une société d'abondance, ("à chacun selon ses besoins"), dans laquelle l'Etat va dépérir de lui-même, puisqu'il n'aura plus de besoin d'être, les contradictions entre classes ayant disparu. L'échec des pays socialistes marxistes, évident depuis les événements de l989 et la chute du mur de Berlin, et depuis la transition de ces pays vers le marché, pousse les partisans du socialisme à chercher d'autres formes de socialisme "à visage humain". Mais ces formes atténuées de socialisme ne résolvent pas le dilemme centralisation- liberté. c. Capitalisme Système économique (encore appelé économie de marché) caractérisé par trois éléments essentiels: - des agents économiques libres et responsables, c'est-à-dire des ménages libres de leur comportement en matière de consommation, et des entreprises privées, libres de leur combinaison productive et de leur production, les uns et les autres étant responsables; ils subissent les conséquences de leur comportement, en particulier au niveau de leur patrimoine, - un processus de coordination et de correction des actions individuelles : le marché, qui suppose la liberté des contrats et des prix, véhiculant les informations nécessaires aux entrepreneurs. - une loi qui reconnaît l'existence et la transmission des droits de propriété et des droits de créance indispensables au déroulement des libres échanges, et conformes au principe de la liberté individuelle. Dans ce système, l'Etat intervient pour faire respecter la loi et garantir la liberté, mais il ne se substitue pas aux initiatives privées. En pratique, nombreuses sont les économies de marché qui ne respectent pas les règles fondamentales du système, soit parce que l'Etat sort de son rôle et se fait lui-même producteur, soit parce qu'il gène le fonctionnement des marchés (blocage des prix) ou la liberté de décision des ménages et des entreprises. L'expérience montre que de telles "sociétés d'économie mixte" sont amenées, tôt ou tard, à rétablir les règles essentielles de l'économie de marché. d. Libéralisme D'une manière générale, le libéralisme reconnaît la primauté de l'homme sur la société et garantit les libertés individuelles contre tous les pouvoirs. Cette doctrine ne pouvait manquer d'avoir des prolongements économiques essentiels : le libéralisme économique va lui aussi mettre la liberté des comportements humains au-dessus de toute autre considération. Le libéralisme économique repose d'abord sur la liberté, et en particulier sur la liberté des agents économiques (ménages et entreprises) qui 24 Le New Labour & La « Troisième Voie doivent pouvoir prendre les décisions de leur choix, par exemple procéder aux échanges économiques qu'ils souhaitent avoir. Cette liberté des comportements individuels s'exerce dans le cadre d'institutions, en particulier le marché, qui réalisent les arbitrages nécessaires. Dans ces conditions, la recherche par chacun d'une situation optimale (maximum de satisfaction, moindre effort) va conduire à une situation générale efficace, à condition que chacun respecte la "règle du jeu". C'est ici qu'intervient l'autre composante fondamentale du libéralisme, la responsabilité : les agents économiques ne sont libres de leurs actes que s'ils acceptent de subir la responsabilité de ceux-ci et leurs conséquences, y compris, par exemple, sur leurs patrimoines. Dans un système libéral, l'usage de la force est réservé à l'Etat pour régler les problèmes qui ne peuvent être négociés (ordre public). Mais l'Etat renonce à se substituer aux agents économiques ou à brimer leur activité. e. Taylorisme Le Taylorisme représente une tentative d'organisation rationnelle du travail, dans le but d'augmenter la productivité. C'est l'américain Frederick Taylor (1856-1915) qui a mis au point ces techniques fondées sur une division et une spécialisation des tâches. Taylor observe les travailleurs, décompose les opérations effectuées, les chronomètres. Il étudie aussi la disposition des postes, l'outillage, les communications. L'avantage apparent de ces méthodes est de permettre d'importants gains de productivité, ce qui bénéficie à la fois à l'entreprise (moindre coût) et aux travailleurs (hausse des revenus), voire aux consommateurs (baisse des prix). Cependant les inconvénients peuvent être réels si les tâches sont trop parcellisées : le travailleur trouvera moins d'intérêt à sa tâche, surtout si elle est répétitive; quand le travail devient "en miettes", le travailleur en perd de vue la signification, il comprend mal son rôle dans la production, ou le lien entre travail effectué et rémunération. Cela peut se répercuter gravement sur la productivité. Les modes actuels de gestion des entreprises, qui visent à développer la décentralisation dans l'entreprise (décision prise au plus bas niveau possible), l'information et la participation, les équipes autonomes de travail, etc., ont pour objet de lutter contre cette division excessive des tâches et contre ses inconvénients. f. Keynésianisme Courant de pensée, inspirée par l'économiste anglais Jean.-Maynar. Keynes (1883-1946), auteur de la célèbre "Théorie Générale de l'emploi de l'intérêt et de la monnaie" (1936). Keynes et ses successeurs croyaient que l'économie de marché était fondamentalement instable, et, en particulier, qu'elle tendait en général vers la situation d'équilibre de sous- emploi, c'est-à-dire de chômage durable. Pour résoudre les difficultés des économies de marché, il faut alors impérativement que l'Etat intervienne régulièrement dans l'activité économique (comme si les imperfections de l'Etat étaient moindres que celles du marché). Le Keynésianisme est donc à l'origine de tous les courants interventionnistes qui ont dominé la pensée occidentale des années 30 aux années 70 et qui continue à inspirer encore bien des hommes politiques. Pour Keynes, l'économie marche au pas de la dépense globale (consommation et investissement). Quand le chômage augmente, c'est qu'il n'y a pas assez d'argent dépensé. Il suffit pour l'Etat de relancer la demande globale, par exemple par des dépenses publiques supplémentaires (sans augmenter les impôts, ce qui rend les recettes keynésiennes électoralement attrayantes). De même, en période d'inflation, il suffit de faire l'inverse, c'est-à-dire de freiner l'activité, par exemple par des augmentations d'impôts. Ce contrôle de la demande globale par le maniement des dépenses ou des recettes du budget permet, d'après les keynésiens, de régler l'essentiel des problèmes économiques. La politique keynésienne pousse sans cesse, au prétexte de relancer l'activité, à une augmentation inconsidérée des dépenses publiques et de l'intervention de l'Etat. Cela conduit à une fiscalité accrue qui atteint des niveaux insupportables, ou à un financement monétaire et donc inflationniste des dépenses de l'Etat. g. Thatchérisme Programme de politique économique mis en œuvre par Margaret Thatcher – Premier ministre Britannique de 1979 à 1990. Il s’agissait d’effectuer un retour au libéralisme économique en restaurant les lois du marché et en réintégrant l’Etat dans sa fonction initiale de garant de l’ordre et de la sécurité 25 Le New Labour & La « Troisième Voie publique. Ce programme fut mis en place grâce au rejet des politiques macro-économiques de type keynésien et par une vaste campagne de privatisation des entreprises nationalisées, (le secteur public étant par nature considéré comme non rentable, car fonctionnant hors des règles de la concurrence) et de réduction des prélèvements obligatoires. h. Troisième Voie C’est l’option idéologique qui comprend tous les courants de pensée refusant à la fois le système capitaliste et le système socialiste. Ses partisans jugent possible l’application d’un «tiers système» combinant à la fois les avantages des deux systèmes, tout en évitant leurs inconvénients. Concrètement, la troisième voie implique souvent l’absence de doctrine, et propose un traitement des problèmes politiques et économiques au cas par cas (d’où un pragmatisme certain) ; mais ce n’est pas une situation stable et ces économies mixtes évoluent vers toujours plus d’étatisme – et donc vers le socialisme – ou reconnaissent, un jour ou l’autre, les implications du marché. 7 Bibliographie non exhaustive… Voici une liste non exhaustive de livres, dont je me suis très largement inspiré pour préparer ce sujet, mon seul mérite est celui de la synthèse. Ce document peut-être librement utilisé, à la seule condition que les références citées ci-dessous soient reprises. [1] Le système politique britannique de W. Churchill à Tony Blair - Jacques Leruez. - 328 (410).1 LER [2] Comprendre la Grande-Bretagne de Tony Blair, Bilan d’une alternance politique - Emmanuel AVRIL & Richard DAVIS [3] L’Angleterre de Tony Blair, Dossier de la revue Esprit, juillet 2002 [4] La Troisième Voie, le renouveau de la sociale démocratie – Anthony Giddens. [5] La troisième Voie et ses réponses aux critiques, Anthony Giddens. [6] La troisième Voie, une politique nouvelle pour le nouveau siècle, Tony Blair. [7] La crise de l’Etat-Providence, Pierre Rosanvallon, Essai, Edit. Seuil [8] Sans épines, la rose : Tony Blair, un modèle pour l'Europe ? / John Crowley. [9] La pauvreté dans l’abondance, J. M. Keynes, Ed. gallimard [10] Dans les soutes du « blairisme », Keith Dixon, Manière de Voir N°72 – Dèc2003-Jan2004 Pour une bibliographie plus complète, allez-y faire un tour à la BPI, et bonne lecture … http://ssbib.ck.bpi.fr/cgi-bin/bestn?id=&act=2&data=1 Quelques liens pour démarrer… [11] http://www.labour.org.uk/ : Le site du New Labour, bien documenté et très convivial [12] http://www.lse.ac.uk/Giddens/ : Le site de la “London School of Economics and Political Science” dirigée par Anthony Giddens. Bon point de départ pour découvrir la troisième voie [13] http://www.progressive-governance.net/ un think-tank qui publie les contribution d’hommes politiques, on citera Tony Blair, Thabo Mbeki, Gerhard Schröder, Bill Clinton un bon moyen pour accéder directement à la pensée de ceux qui gouvernent le monde. Pour aller plus loin … [14] http://www.worldpress.org/library/ngo.htm L’index International avec liens direct vers tous les think-tanks qui comptent dans le monde. Le saint des saints des faiseurs d’opinions et du monde de demain. 26