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Proposition de sujet pour le dernier devoir commun
(ou bac blanc)
Corpus :
Madame de LA FAYETTE, La Princesse de Clèves (1678)
Guy de MAUPASSANT, Une Vie (1883).
Marguerite DURAS, Le Ravissement de Lol V. Stein (1964).
TEXTE A
La Princesse de Clèves est centré sur un personnage féminin et sur ses débats
intérieurs. Après avoir présenté les personnages les plus illustres du royaume, la
narratrice décrit la jeune héroïne, lors de son arrivée à la cour du roi de France Henri II.
Il parut alors une beauté à la Cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire
que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu l'on était si
accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame
1
de
Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait
laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite
étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans
revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa fille ;
mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à lui
donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s'imaginent qu'il suffit de
ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Madame de
Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l'amour ;
elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en
apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et
leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements
2
; et elle lui faisait voir,
d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu
donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. Mais elle
lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême
défiance de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur
d'une femme, qui est d'aimer son mari et d'en être aimée.
Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fût dans
une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui
était extrêmement glorieuse
3
, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa
seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le vidame alla au-devant
d'elle ; il fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec
raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a
jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins
de grâce et de charmes. Madame de LA FAYETTE, La Princesse de Clèves (1678)
1
Vidame : officier qui remplaçait les seigneurs ecclésiastiques dans certaines fonctions.
2
Engagements : liaisons amoureuses.
3
Glorieuse : consciente de son rang, de sa supériorité.
2
TEXTE B
Une Vie raconte les désillusions affectives d’une jeune fille de province. A peine sortie
du couvent où elle a été élevée, Jeanne rêve d’un grand amour et imagine l’homme idéal,
celui qu’elle attend. L’extrait se situe au début du roman, au crépuscule d’un jour de
vacances.
Et elle se mit à rêver d’amour.
L’amour ! Il l’emplissait depuis deux années de l’anxiété croissante de son approche.
Maintenant elle était libre d’aimer ; elle n’avait plus qu’à le rencontrer, lui !
Comment serait-il ? Elle ne le savait pas au juste et ne se le demandait même pas. Il serait
lui, voilà tout.
Elle savait seulement qu’elle l’adorerait de toute son âme et qu’il la chérirait de toute sa
force. Ils se promèneraient par les soirs pareils à celui-ci, sous la cendre lumineuse qui
tombait des étoiles. Ils iraient, les mains dans les mains, serrés l’un contre l’autre, entendant
battre leurs cœurs, sentant la chaleur de leurs épaules, mêlant leur amour à la simplicité suave
des nuits d’été, tellement unis qu’ils pénétreraient aisément, par la seule puissance de leur
tendresse, jusqu’à leurs plus secrètes pensées.
Et cela continuerait indéfiniment, dans la sérénité d’une affection indescriptible.
Et il lui sembla soudain qu’elle le sentait là, contre elle ; et brusquement un vague frisson de
sensualité lui courut des pieds à la tête. Elle serra ses bras contre sa poitrine, d’un mouvement
inconscient, comme pour étreindre son rêve ; et, sur sa lèvre tendue vers l’inconnu, quelque
chose passa qui la fit presque défaillir, comme si l’haleine du printemps lui eût donné un
baiser d’amour.
Tout à coup, là-bas, derrière le château, sur la route, elle entendit marcher dans la nuit. Et
dans un élan de son âme affolée, dans un transport de foi à l’impossible, aux hasards
providentiels, aux pressentiments divins, aux romanesques combinaisons du sort, elle pensa :
« Si c’était lui ? » Elle écoutait anxieusement le pas rythmé du marcheur, sûre qu’il allait
s’arrêter à la grille pour demander l’hospitalité.
Lorsqu’il fut passé, elle se sentit triste comme après une déception. Mais elle comprit
l’exaltation de son espoir et sourit à sa démence.
Alors, un peu calmée, elle laissa flotter son esprit au courant d’une rêverie plus raisonnable,
cherchant à pénétrer l’avenir, échafaudant son existence. Avec lui elle vivrait ici, dans ce
calme château qui dominait la mer. Elle aurait sans doute deux enfants, un fils pour lui, une
fille pour elle. Et elle les voyait courant sur l’herbe, entre le platane et le tilleul, tandis que le
père et la mère les suivraient d’un oeil ravi, en échangeant par-dessus leurs têtes des regards
pleins de passion. Guy de MAUPASSANT, Une Vie, chapitre I (1883).
TEXTEC
Le Ravissement de Lol V. Stein est un roman qui met en scène une héroïne, évoquée
par le titre, dont la vie change brusquement au cours d’un bal. En voici l’incipit.
Lol V. Stein est née ici, à S. Tahla, et elle y a vécu une grande partie de sa jeunesse. Son
père était professeur à l'Université. Elle a un frère plus âgé qu'elle de neuf ans je ne l'ai
jamais vu on dit qu'il vit à Paris. Ses parents sont morts.
Je n'ai rien entendu dire sur l'enfance de Loi V. Stein qui m'ait frappé, même par Tatiana
Karl, sa meilleure amie durant leurs années de collège.
Elles dansaient toutes les deux, le jeudi, dans le préau vide. Elles ne voulaient pas sortir en
rangs avec les autres, elles préféraient rester au collège. Elles, on les laissait faire, dit Tatiana,
elles étaient charmantes, elles savaient mieux que les autres demander cette faveur, on la leur
3
accordait. On danse, Tatiana ? Une radio dans un immeuble voisin jouait des danses
démodées - une émission-souvenir - dont elles se contentaient. Les surveillantes envolées,
seules dans le grand préau ou ce jour-là, entre les danses, on entendait le bruit des rues, allez
Tatiana, allez viens, on danse Tatiana, viens. C'est ce que je sais.
Cela aussi : Lol a rencontré Michael Richardson à dix-neuf ans pendant des vacances
scolaires, un matin, au tennis. Il avait vingt-cinq ans. Il était le fils unique de grands
propriétaires terriens des environs de T. Beach. Il ne faisait rien. Les parents consentirent au
mariage. Lol devait être fiancée depuis six mois, le mariage devait avoir lieu à l'automne, Lol
venait de quitter définitivement le collège, elle était en vacances à T. Beach lorsque le grand
bal de la saison eut lieu au Casino municipal.
Tatiana ne croit pas au rôle prépondérant de ce fameux bal de T. Beach dans la maladie de
Lol V. Stein.
Tatiana Karl, elle, fait remonter plus avant, plus avant même que leur amitié, les origines de
cette maladie. Elles étaient là, en Lol V. Stein, couvées, mais retenues d'éclore par la grande
affection qui l'avait toujours entourée dans sa famille et puis au collège ensuite. Au collège,
dit-elle, et elle n'était pas la seule à le penser, il manquait déjà quelque chose à Lol pour être
elle dit : là. Elle donnait l'impression d'endurer dans un ennui tranquille une personne qu'elle
se devait de paraître mais dont elle perdait la mémoire à la moindre occasion. Gloire de
douceur mais aussi d’indifférence, couvrait-on très vite, jamais elle n’avait paru souffri,.
ou être peinée, jamais on ne lui avait vu une larme de jeune fille. Tatiana dit encore que Lol
V. Stein était jolie, qu'au collège on se la disputait bien qu'elle vous fuît dans les mains
comme l'eau parce que le peu que vous reteniez d'elle valait la peine de l'effort. Lol était
drôle, moqueuse impénitente et très fine bien qu'une part d'elle-même eût été toujours en allée
loin de vous et de l'instant. Où ? Dans le rêve adolescent ? Non, répond Tatiana, non, on aurait
dit dans rien encore, justement, rien. Était-ce le cœur qui n'était pas là ?
Marguerite DURAS, Le Ravissement de Lol V. Stein, Ed. Gallimard (1964).
Dissertation
Pensez-vous que les romans doivent proposer une analyse psychologique des
personnages qu’ils mettent en scène ?
Pour répondre à cette question, vous pourrez vous appuyer sur les extraits fournis,
ainsi que sur les œuvres romanesques que vous connaissez.
***
Introduction
On pourrait par exemple débuter en se référant à la diversité des cas présents dans le corpus ou bien
procéder de la manière vue en cours (1èreS).
On doit ensuite poser le sujet, dont la problématique est déjà explicite.
Il faut enfin annoncer le plan.
Développement
I L’analyse psychologique : un pilier incontournable du roman « classique » ou
« traditionnel »
Une des attentes ordinaires du lecteur de roman est de trouver dans la fiction un ensemble
d’éléments, d’ « ingrédients » , qui vont conférer au récit et à ses personnages leur crédibilité, leur
vraisemblance, qui vont leur donner corps pour ainsi dire passage obligé pour un certain plaisir de la
lecture. L’analyse psychologique (de même que les descriptions, l’attribution aux personnages d’un
passé, d’une identité… ) a été une réponse apportée par les auteurs à cette attente.
1) Qu’est-ce que l’analyse psychologique ? Il s’agit avant tout d’attribuer au personnage un caractère ,
des pensées et des sentiments ou émotions… bref, lui donner une intériorité qui permette au lecteur de
croire qu’il a affaire à autre chose qu’une simple créature de papier. Dans l’extrait de La Princesse de
Clèves, on voit comment la romancière modèle ses personnages, en les dotant d’une apparence
physique comme c’est le cas pour la fille lorsqu’il est question de « La blancheur de son teint et ses
4
cheveux blonds » mais aussi d’un caractère : la mère n’est pas du tout présentée physiquement, mais
ce sont sa « vertu » et son « mérite » « extraordinaires » qui sont retenus. Dans ce cas, l’évocation
n’est cependant pas assez approfondie pour qu’on puisse parler d’analyse. Ce n’est pas le cas dans
l’extrait du roman de Maupassant, la rêverie sentimentale de Jeanne se développe en une page
entière : l’auteur entre dans les nuances, décrit les mouvements de l’âme, s’attarde sur les réactions…
On a donc bien là un exemple de ce que l’on appelle analyse psychologique.
2) Quelles formes cette analyse peut-elle prendre ? Le texte de Maupassant nous montre comment le
narrateur omniscient est capable de pénétrer l’intimité des pensées et des émotions du personnage. Ce
type de point de vue permet également de proposer de véritables portraits psychologiques. Balzac a
fréquemment recours au portrait psychologique, en association avec le portrait physique et
vestimentaire ; on peut penser, parmi bien d’autres, au portrait de Balthazar Claës dans La recherche
de l’absolu : les traits psychologiques (espoirs, soucis, intelligence exceptionnelle…) y sont associés à
des traits physiques (regard, rides…). Un autre procédé fréquent de l’analyse psychologique est le
recours au monologue intérieur. Le romancier Edouard Dujardin passe pour en avoir été l’initiateur,
dans Les Lauriers sont coupés, en 1888
4
. La même année, Pierre et Jean, de Maupassant, donne des
exemples caractéristiques de ce procédé (parmi d’autres, le passage où Pierre commence à soupçonner
l’adultère passé de sa mère). Flaubert, avant eux, avait aussi exploré cette voie.
3) Le rôle de l’analyse psychologique : l’illusion réaliste
5
. Contrairement au conte, ancré dans le
merveilleux et les personnages se limitent à des types dépourvus de profondeur psychologique, le
roman « classique » a donc cherché à créer des individualités dotées de leur « épaisseur humaine ». Un
des plaisirs appréciés par le lecteur dans l’illusion réaliste qui naît d’un roman est celui de la
rencontre : rencontrer des hommes et des femmes auxquels il se compare, s’identifie, ou qui au
contraire lui répugnent… Des hommes ou des femmes ordinaires (le père Goriot, Emma Bovary,
Jeanne, Pierre et Jean…) ou d’autres aux existences un peu plus exceptionnelles (Julien Sorel,
Augustin Meaulnes, la Princesse de Clèves, Langlois dans Un Roi sans divertissement de Giono…).
Le plus court chemin pour parvenir à ce but est sans doute, pour l’auteur, l’analyse psychologique,
quelle que soit la technique d’écriture qu’elle emprunte : elle semble doter le personnage d’un esprit et
d’un cœur, sans lesquels il ne serait qu’un objet froid et peu attrayant.
II Mais ne peut-on pas se passer de l’analyse psychologique ?
Lorsqu’on observe l’histoire littéraire, on constate que la psychologie des personnages et l’analyse
psychologique ne sont pas une constante dans le roman. L’auteur et le lecteur semblent donc pouvoir
s’en passer.
1) Ce que montre l’histoire du roman. Si l’on considère La Princesse de Clèves comme le premier
roman d’analyse psychologique, cela implique que les romans antérieurs (ceux du Moyen Âge
6
, ceux
de l’époque baroque…) ne faisaient pas appel à celle-ci. La psychologie y était en effet seulement
ébauchée : même si, dès Chrétien de Troyes, on accorde par exemple une place importante au thème
de l’amour, celui-ci ne fait pas l’objet d’une analyse véritable des personnages qui l’éprouvent. Les
auteurs naturalistes, quant à eux, ont assez ouvertement rejela psychologie (Zola, qui lui préfère
l’étude de la physiologie
7
) ou du moins l’analyse psychologique en tant que telle (Maupassant, qui se
refuse à la « psychologie pure »
8
). Les auteurs du Nouveau Roman, à partir des années 1950,
renoncent eux aussi : « les personnages, tels que les concevait le vieux roman (et tout le vieil appareil
qui servait à les mettre en valeur) ne parviennent plus à contenir la réalité psychologique actuelle »,
4
Voici un extrait de la définition que Dujardin donnait lui-même du monologue intérieur : « Discours sans
auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de
l’inconscient, antérieurement à toute organisation logique...» (Le Monologue intérieur, 1931).
5
L’analyse psychologique a bien sûr d’autres rôles, qui se situent sur des plans plus particuliers (exemplarité
morale chez Madame de La Fayette, le quasi lyrique dans les romans sentimentaux tels que Dominique de
Fromentin, etc) mais leur évocation n’entre pas directement dans l’argumentation menée ici.
6
Au Moyen Âge, il a existé durablement une mode du roman allégorique les qualités et défauts de l’homme
étaient personnifiés, devenant l’objet d’une réflexion sur la psychologie humaine. Le procédé est bien éloigné de
l’analyse psychologique à laquelle le lecteur est habitué depuis le XIXème siècle.
7
Voir par exemple sa préface de Thérèse Raquin : « Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments
et non des caractères. »
8
Dans la préface de Pierre et Jean, il déclare, avec les « partisans de l’objectivité » : « la psychologie doit être
cachée dans le livre comme elle est cachée en réalité sous les faits dans l’existence. »
5
écrivait Nathalie Sarraute dans L’Ère du soupçon. Selon elle, le romancier doit chercher à
« dépersonnaliser ses héros ». Dans les cas extrêmes, comme chez Robbe-Grillet
9
, c’est le personnage
lui-même, et pas seulement sa psychologie, qui perd son statut central dans le roman, au profit des
lieux et des choses.
2) Les limites de l’analyse psychologique. Les motifs pour lesquels l’analyse psychologique peut être
rejetée sont divers. Lorsqu’elle prend notamment la forme du portrait, elle peut devenir lourde et
ennuyeuse, comme une description. C’est ainsi que Diderot, dans Jacques le fataliste, exprime, à
travers les propos de Jacques, le peu de goût qu’il a pour le portrait et qu’il se dispense de donner une
profondeur caractérielle et émotionnelle à ses personnages. Le critique Antoine Albalat, en 1921,
s’attaquait aussi à la lourdeur, et à l’inefficacité ! de la « fausse psychologie »
10
. Les tenants du
Nouveau Roman, pour leur part, considèrent que l’auteur et le lecteur du XXème siècle en savent trop
(ou trop peu) sur la psychologie et même sur la personne humaine pour que l’analyse traditionnelle
soit encore acceptable. « Depuis Proust, Joyce et Freud, le lecteur en sait trop long sur la vie
psychologique. Il a tendance à croire qu’elle ne peut plus être révélée, comme au temps de Balzac, par
les personnages que lui propose l’imagination de l’auteur » déclarait encore Nathalie Sarraute dans
L’Ère du soupçon.
Ainsi, non seulement il semble possible de se passer de l’analyse psychologique, mais les cas
évoqués ici tendent à la présenter comme nuisible à l’écriture romanesque ou bien tout simplement
impossible.
III La dimension psychologique : une richesse du roman parmi d’autres
N’est-il pas cependant simpliste de se poser caricaturalement pour ou contre le recours à la
psychologie dans le roman ? S’il n’est pas question d’encenser l’analyse psychologique pour elle-
même, ne doit-on pas se rendre à cette évidence : il est à peu près impossible dans une œuvre
romanesque de refuser totalement l’évocation de l’esprit et du cœur de l’homme ?
1) Chassez la psychologie, elle revient au galop. Il faut en effet croire que l’évocation – sinon
l’analyse psychologique fait partie des tendances « naturelles » du romancier. Ses détracteurs eux-
mêmes y retournent d’une manière ou d’une autre. Si nous rapprochons deux parties de notre
argumentation, nous voyons que Maupassant, qui prône une psychologie « cachée », n’hésite pas à
pratiquer le monologue intérieur qui revient finalement à faire de la psychologie apparente !
Marguerite Duras, dont le texte proposé dans le corpus montre la froideur typique du Nouveau Roman,
ne peut s’empêcher d’y glisser cette phrase : « Elle donnait l'impression d'endurer dans un ennui
tranquille une personne qu'elle se devait de paraître mais dont elle perdait la mémoire à la moindre
occasion. » Ne s’agit-il pas de psychologie ? Quant à Nathalie Sarraute, lorsqu’elle accorde une place
prépondérante à ce qu’elle appelle les tropismes
11
, ne propose-t-elle pas une autre forme de
psychologie ? Elle évoquait, nous l’avons vu, Freud et Proust. Or, la psychanalyse a elle aussi pu être
utilisée pour de nouvelles formes de psychologie dans le roman, comme c’est le cas dans plusieurs
romans de Pierre Jean Jouve, par exemple Paulina 1880. L’œuvre de Marcel Proust, elle, est d’une
certaine manière une immense immersion dans la psychologie de la mémoire.
La psychologie s’exprime donc souvent sous d’autres formes que l’analyse en tant que telle mais
manifeste sa présence dans l’immense majorité des romans.
2) La psychologie s’inscrit parmi un ensemble d’orientations romanesques. On comprend dès lors que
la psychologie fait bien partie des composantes du roman composante majeure ou au contraire
9
Alain Robbe-Grillet : un des principaux auteurs et théoriciens du Nouveau Roman, mort en 2008.
10
« La fausse psychologie (celle des trois quarts de nos débutants) n’est qu’une sorte de perpétuel commentaire
appliqué aux démarches et aux gestes des personnages. On apprécie, au lieu de raconter ; on juge, au lieu de
peindre ; on explique, au lieu de montrer. Tout ce qui devrait être mis en scène est mis en narration. On fait de la
philosophie prosaïque, on raffine l’insignifiance, on coupe les cheveux en quatre, et pendant ce temps
l’observation, la vérité humaine se perdent en route. » (Antoine Albalat, Comment il ne faut pas écrire).
11
Voici la définition qu’elle en donne dans la préface de L'Ère du soupçon : « Ce sont des mouvements
indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de
nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir. Ils
me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrète de notre existence. (...) Tandis que nous
accomplissons ces mouvements, aucun mot - pas même les mots du monologue intérieur - ne les exprime, car ils
se développent en nous et s'évanouissent avec une rapidité extrême, sans que nous percevions clairement ce
qu'ils sont (...) ».
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