cheveux blonds » – mais aussi d’un caractère : la mère n’est pas du tout présentée physiquement, mais
ce sont sa « vertu » et son « mérite » « extraordinaires » qui sont retenus. Dans ce cas, l’évocation
n’est cependant pas assez approfondie pour qu’on puisse parler d’analyse. Ce n’est pas le cas dans
l’extrait du roman de Maupassant, où la rêverie sentimentale de Jeanne se développe en une page
entière : l’auteur entre dans les nuances, décrit les mouvements de l’âme, s’attarde sur les réactions…
On a donc bien là un exemple de ce que l’on appelle analyse psychologique.
2) Quelles formes cette analyse peut-elle prendre ? Le texte de Maupassant nous montre comment le
narrateur omniscient est capable de pénétrer l’intimité des pensées et des émotions du personnage. Ce
type de point de vue permet également de proposer de véritables portraits psychologiques. Balzac a
fréquemment recours au portrait psychologique, en association avec le portrait physique et
vestimentaire ; on peut penser, parmi bien d’autres, au portrait de Balthazar Claës dans La recherche
de l’absolu : les traits psychologiques (espoirs, soucis, intelligence exceptionnelle…) y sont associés à
des traits physiques (regard, rides…). Un autre procédé fréquent de l’analyse psychologique est le
recours au monologue intérieur. Le romancier Edouard Dujardin passe pour en avoir été l’initiateur,
dans Les Lauriers sont coupés, en 1888
. La même année, Pierre et Jean, de Maupassant, donne des
exemples caractéristiques de ce procédé (parmi d’autres, le passage où Pierre commence à soupçonner
l’adultère passé de sa mère). Flaubert, avant eux, avait aussi exploré cette voie.
3) Le rôle de l’analyse psychologique : l’illusion réaliste
. Contrairement au conte, ancré dans le
merveilleux et où les personnages se limitent à des types dépourvus de profondeur psychologique, le
roman « classique » a donc cherché à créer des individualités dotées de leur « épaisseur humaine ». Un
des plaisirs appréciés par le lecteur dans l’illusion réaliste qui naît d’un roman est celui de la
rencontre : rencontrer des hommes et des femmes auxquels il se compare, s’identifie, ou qui au
contraire lui répugnent… Des hommes ou des femmes ordinaires (le père Goriot, Emma Bovary,
Jeanne, Pierre et Jean…) ou d’autres aux existences un peu plus exceptionnelles (Julien Sorel,
Augustin Meaulnes, la Princesse de Clèves, Langlois dans Un Roi sans divertissement de Giono…).
Le plus court chemin pour parvenir à ce but est sans doute, pour l’auteur, l’analyse psychologique,
quelle que soit la technique d’écriture qu’elle emprunte : elle semble doter le personnage d’un esprit et
d’un cœur, sans lesquels il ne serait qu’un objet froid et peu attrayant.
II – Mais ne peut-on pas se passer de l’analyse psychologique ?
Lorsqu’on observe l’histoire littéraire, on constate que la psychologie des personnages et l’analyse
psychologique ne sont pas une constante dans le roman. L’auteur et le lecteur semblent donc pouvoir
s’en passer.
1) Ce que montre l’histoire du roman. Si l’on considère La Princesse de Clèves comme le premier
roman d’analyse psychologique, cela implique que les romans antérieurs (ceux du Moyen Âge
, ceux
de l’époque baroque…) ne faisaient pas appel à celle-ci. La psychologie y était en effet seulement
ébauchée : même si, dès Chrétien de Troyes, on accorde par exemple une place importante au thème
de l’amour, celui-ci ne fait pas l’objet d’une analyse véritable des personnages qui l’éprouvent. Les
auteurs naturalistes, quant à eux, ont assez ouvertement rejeté la psychologie (Zola, qui lui préfère
l’étude de la physiologie
) ou du moins l’analyse psychologique en tant que telle (Maupassant, qui se
refuse à la « psychologie pure »
). Les auteurs du Nouveau Roman, à partir des années 1950,
renoncent eux aussi : « les personnages, tels que les concevait le vieux roman (et tout le vieil appareil
qui servait à les mettre en valeur) ne parviennent plus à contenir la réalité psychologique actuelle »,
Voici un extrait de la définition que Dujardin donnait lui-même du monologue intérieur : « Discours sans
auditeur et non prononcé par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de
l’inconscient, antérieurement à toute organisation logique...» (Le Monologue intérieur, 1931).
L’analyse psychologique a bien sûr d’autres rôles, qui se situent sur des plans plus particuliers (exemplarité
morale chez Madame de La Fayette, rôle quasi lyrique dans les romans sentimentaux tels que Dominique de
Fromentin, etc) mais leur évocation n’entre pas directement dans l’argumentation menée ici.
Au Moyen Âge, il a existé durablement une mode du roman allégorique où les qualités et défauts de l’homme
étaient personnifiés, devenant l’objet d’une réflexion sur la psychologie humaine. Le procédé est bien éloigné de
l’analyse psychologique à laquelle le lecteur est habitué depuis le XIXème siècle.
Voir par exemple sa préface de Thérèse Raquin : « Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments
et non des caractères. »
Dans la préface de Pierre et Jean, il déclare, avec les « partisans de l’objectivité » : « la psychologie doit être
cachée dans le livre comme elle est cachée en réalité sous les faits dans l’existence. »