Service du Dr BILLARD

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Neurologie, cognition et apprentissages de l’enfant : de la théorie à la pratique clinique
QUE PEUT-ON ATTENDRE DE LA REEDUCATION CHEZ UN
ENFANT CEREBRO-LESE PORTEUR D’UNE ATTEINTE NEUROCOGNITIVE.
Dr V. LEROY-MALHERBE
Service du Dr BILLARD
Hôpital de KREMLIN-BICETRE
Le modèle de fonctionnement du cerveau, mieux connu chez l’adulte que chez
l’enfant, est une base de réflexion de la neuropsychologie actuelle. Il existe une
répartition fonctionnelle bien repérée entre cerveau droit (représentant de
l’espace et de l’approche analogique) et cerveau gauche (représentant du
langage et de la déduction par analyse), avec, pour chaque hémisphère, des
zones de fonctions spécifiques. Les études actuelles sur le petit enfant (2-4 ans)
tendent à montrer que ces particularités se déterminent assez tôt. Ce sont les
interconnections entre chacune des ces zones spécifiques qui vont se constituer
plus lentement au cours du développement, voire même ultérieurement, formant
alors des réseaux , sous bassement de fonctions plus complexes.
Ce modèle, inspiré du connexionisme de l’informatique, a bien sûr ses limites et
il n’est pas possible de déduire la symptomatologie de l’enfant de façon
univoque à partir de la localisation de la lésion. Les processus de récupération et
de développement du cerveau intègrent des données génétiques, lésionnelles
mais aussi environnementales qui peuvent optimiser ou non un capital des
fonctions potentielles.
Chez l’adulte, des cartes fonctionnelles du cerveau peuvent être tirées de la
mesure du débit sanguin cérébral ou de la consommation d’oxygène. Elles
indiquent les zones actives, inactives ou hypoactives au cours d’un acte précis
(prendre un objet, penser à quelqu’un, compter, différencier deux sons…). Ces
techniques sont prometteuses pour mieux cerner l’activité du cerveau chez le
sujet sain, chez le sujet malade et chez le sujet apprenant.
Pour comprendre un sujet atteint de troubles neuropsychologiques, on suit une
démarche qui part de la plainte, découvre le symptôme, le met en lien avec une
fonction atteinte, puis le confirme par des tests appropriés.
La plainte peut être une gêne quotidienne ou une difficulté scolaire. Chaque type
d’apprentissage nécessite de maîtriser des pré requis qui sollicitent certaines
fonctions. Par exemple, la lecture nécessite une reconnaissance préalable des
sons entendus, la capacité à faire des jeux sur ces sons (rimes, contrepèteries…),
la capacités à explorer du regard mot par mot et une ligne après l’autre, enfin la
capacité à donner du sens. Chacune de ces compétences est elle même activée
par des fonctions neuropsychologiques : l’analyse auditive pour la
reconnaissance des sons, la mémoire de travail pour les jeux de rimes (capacités
à retenir à court terme et dans l’immédiat des informations et à les manipuler
mentalement), l’attention visuelle pour la participation du regard, les fonctions
exécutives (processus de repérage d’informations pertinentes, de
séquentialisation de données, de contrôle) et la mémoire sémantique ( mémoire
des mots et de leur signification ) pour la prise de sens. Des tests cliniques
permettent de différencier chaque niveau d’atteinte mais nécessitent une
évaluation avant tout qualitative, donc beaucoup d’expérience de la part de
l’examinateur.
Ainsi, il est intéressant de considérer deux grandes catégories de fonctions
cérébrales cognitives :
- les fonctions spécifiques, comme l’analyse visuelle, auditive, tactile, le
langage, la représentation spatiale
- les fonctions transversales, comme la mémoire, le raisonnement, l’attention, la
motivation.
On voit bien qu’il est fondamental de s’appuyer sur la réalité de difficultés
scolaires pour comprendre le niveau de dysfonctionnement du cerveau du
patient, et non sur la lésion visible en imagerie. De même, l’extension visible de
la lésion n’est pas proportionnée à la difficulté ressentie sur le sujet ni à la
gravité du pronostic.
Le processus de rééducation qui peut être mis en place à la suite du diagnostic
va tenter d’aider le sujet à connaître son trouble, à le compenser et à évoluer
dans les apprentissages progressifs attendus. Pour ce faire, il peut être important
de « construire » une fonction qui apparaît défaillante. Le but est d’éviter ainsi
les discordances d’analyse de la réalité que provoquerait sinon la comparaison
d’un résultat déformé par une fonction non efficiente à celui d’un résultat juste
apporté par les fonctions efficientes Ceci est très différent des atteintes
neurologiques périphériques (atteinte des muscles ou des nerfs, donc de
« l’outil ») où l’on va chercher à se passer de la fonction défaillante. Dans une
atteinte neurologique centrale (atteinte du cerveau, donc de la « commande »), la
fonction n’est pas manquante mais viciée et perturbatrice d’un développement
harmonieux.
On comprend que cette prise en charge s’inscrit dans le temps, fait partie de
l’éducation de l’enfant donc doit être reprise dans le quotidien ; elle peut être
parfois chargée, si les fonctions défaillantes sont multiples : il faut alors faire des
choix qui tiennent compte des possibilités de la famille, du désir de l’enfant et
des éléments qui nous paraissent les plus mobilisables lors de l’examen clinique.
C’est donc toujours le fruit d’une concertation entre parents, équipe médicale,
équipe enseignante. Les parents connaissent leurs enfants « de l’intérieur » et
peuvent aider les équipes en donnant des indices issus de la vie quotidienne.
Dans la situation où la lésion neurologique a aussi provoqué une déficience
motrice, ce n’est pas tant le handicap moteur qui rend la scolarisation difficile,
que les troubles neuropsychologiques associés, pour lesquels la pédagogie
prévue par le pédagogue de l’école de quartier n’est plus la plus adaptée.
Lorsque les déficits sont multiples, il va falloir trouver le « fil conducteur » et
non pas traiter l’un après l’autre tous les déficits. C’est une prise en charge
globale, au sein d’une équipe pluridisciplinaire, qui aide au mieux ces enfants.
L’effet de la prise en charge sera évalué et permettra de valider ou non les
hypothèses émises par le clinicien.
Concernant la durée d’évolution où les progrès sont attendus, on ne peut pas
avoir de réponse toute faite, et chaque enfant a son cursus. Dans certaines
pathologies, des progrès sont possibles, 10-15 ans après la fin de la rééducation
« active ». Pour certains patients, les adaptations du milieu environnant peuvent
transformer radicalement un état de fait, l’apaisement psychique retrouvé peut
aussi influer sur certaines compétences cognitives. Mais il y a aussi des paliers
importants à passer, parfois à des âges clef, pour faire évoluer les capacités du
sujet (par exemple, si on n’a pas diversifié l’alimentation à 6 mois, l’enfant
n’aura jamais un comportement alimentaire totalement normal ; si on n’a pas
appris à un IMC à se déplacer debout seul avant 7 ans, la marche ne sera pas
acquise ultérieurement).
Les phénomènes de récupération seraient basés sur des possibilités de reprise de
fonctions par des zones cérébrales initialement non prévues pour cela et par la
mise en place de nouvelles interconnexions entre les neurones. Si les neurones
ne se multiplient plus après 21 semaines de gestation (donc in utero), la
myélinisation se poursuit jusque pendant l’adolescence et les nouvelles
connexions entre neurones peuvent s’établir par sélection de voies jusque 50
ans ! Ces phénomènes du développement cérébral permettent de compter sur
une récupération jusqu’à un âge avancé.
Mots clé : troubles neuropsychologiques, rééducation, récupération
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