Que Vlo-Ve? Série 2 No 8 octobre-decembre 1983 pages 3-21
Dossier de presse: L'Oeuvre du marquis de Sade, l'Oeuvre du divin Arétin
© DRESAT
La vérité sur le marquis de Sade est beaucoup plus simple. Derrière son libertinage
affecté, Sade pensait, Sade écrivait des choses si hardies au point de vue social, qu'il fallait
l'enfermer. C'est du Nietzschéisme avant Nietzsche, de l'anarchisme avant Proud'hon [sic]. Par la
pornographie, il avait l'espoir d'aller plus vite à la foule grossière, mais forte, friande aussi
«d'amour naturel». Et puis il faut l'écrire, la première liberté que réclamait Sade, c'était la liberté
complète de l'amour pour l'homme... comme pour la femme. Cela, on ne pouvait lui pardonner...
après le Concile de Trente. Pourtant, lui-même cherche à dessiller les yeux de cette foule, sur le
vice qui l'entoure (et Dieu sait si le vice régnait à la fin du XVIIIe siècle!) mais il le fait en
laissant dire à Saint-Fond ces ironiques paroles:
[7]
«La politique de tous ceux qui mènent un gouvernement est d'entretenir dans les citoyens
le plus extrême degré de corruption; tant que le sujet se gangrène et s'affaiblit dans les délices
de la débauche, II ne sent pas le poids de ses fers; on peut l'en accabler sans qu'il s'en doute. La
véritable politique d'un Etat est donc de centupler tous les moyens possibles de la corruption du
sujet. Beaucoup de spectacles, un grand luxe, une Immensité de cabarets... des « maisons
publiques », une amnistie générale pour tous les crimes de débauche; les voilà, les moyens qui
vous assoupliront les hommes.
— 0 vous ! qui voulez régner sur eux, redoutez la vertu dans vos empires, vos peuples
s'éclaireront quand elle y régnera, et vos trônes qui ne sont étages que sur le vice. seront bientôt
renversés; le réveil de l'homme libre sera cruel pour les despotes, et quand les vices n'amuseront
plus son loisir; [sic] II voudra dominer comme vous...»
Il va sans dire, n'est-ce pas, qu'une telle philosophie contenait trop de vérités pour être
admise par le pouvoir royal. Sade, contrairement aux encyclopédistes, n'entourait point ses
pensées, [sic] de rhétorique inutile. Aucun mot ne lui répugnait. Il haïssait l'hypocrisie en amour
comme dans la vie, prenait plaisir à fouler aux pieds les superstitions, les préjugés, les coutumes,
toutes ces Inutilités qui ne sont que complications dans l'existence de l'homme.
Ce seigneur, certainement, fut un terrible débauché dans sa jeunesse, mais sa débauche ne
dépassait pas celle de ces autres roués, ses compagnons et il n'aurait jamais eu maille à partir
avec la justice, s'il ne s'était vanté lui-même de ses exploits libertins. Au reste, marié jeune à une
femme... dont il aimait la sœur et qui s'était retirée dans un couvent, il n'eut que cinq ou six ans
pour s'amuser; car cet homme - ce pauvre homme ! - a passé vingt-sept années en prison et les
vingt-sept plus belles années de sa vie! On le promène de Vincennes à Miolans, de Miolans à
Saumur, de Saumur à la Bastille, partout.
La réputation qu'il s'est faite, par gloriole, - qu'on lui a faite aussi ! - le suit partout. En
prison, à tous, à Mirabeau comme à Ange Pitou, II apparaît comme un monstre. On l'a trop
représenté comme un homme dangereux, pour ne pas ébranler la conviction des esprits les plus
avertis. Dangereux, il l'est: pour la royauté, la police, les moralistes puritains, pour tous les
empêcheurs de danser en rond.
Sa philosophie est hautaine, sans retenue et ce n'est qu'abêti par la prison qu'il poussera
quelques cris de patriote, cris qui sonneront faux dans cette âme à laquelle viendra s'abreuver un
des plus hardis philosophes de notre époque: Nietzsche.
Chose curieuse, ce débauché, en 1779, enfermé à Vincennes n'aura qu'un amour, et un
amour platonique (ô ironie), pour une amie de sa femme : Mlle de Rousset. Le 29 février 1784, il
est transféré à la Bastille. C'est là qu'il écrit la plupart de ses ouvrages. C'est là qu'en 1789, ayant
connu la Révolution qui se préparait, le marquis de Sade commença à s'agiter. «Il eut des