DOSSIER DE PRESSE

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Que Vlo-Ve? Série 2 No 8 octobre-decembre 1983 pages 3-21
Dossier de presse: L'Oeuvre du marquis de Sade, l'Oeuvre du divin Arétin
© DRESAT
DOSSIER DE PRESSE
L'Oeuvre du marquis de Sade
L'Oeuvre du divin Arétin
Les Nouvelles, lundi 28 juin 1909
«Les Nouvelles bibliographiques»
Littérature - Critique
[…]
GUILLAUME APOLLINAIRE: L'Oeuvre du divin Arétin, œuvres choisies, comprenant
des traductions nouvelles et des morceaux traduits pour la première fols, Bibliothèque des
Curieux, 4, rue de Furstenberg, 7 fr.50.
Précédée d'une introduction où M. Apollinaire fait à la fois œuvre d'historien et de
critique, enrichie de notes, parfois savoureuses, toujours placées à propos pour préciser quelque
locution douteuse sur laquelle de précédents auteurs ont parfois trébuché jusqu'au contre-sens, ou
éclaircir l'obscurité d'une expression archaïque, c'est ici une traduction qui se recommande au
lecteur, autant par son souci de garder au texte le plus possible de son coloris et de sa vivacité,
que par la qualité de son style, clair, élégant, pittoresque. On y trouvera la première partie des
Ragionamenti qui se compose de trois Journées, sans l'Avertissement, et, sur les vingt-six
sonnets attribués à l'Arétin, les seize que, seuls, le traducteur ne juge pas apocryphes.
Vers et prose, t.XVIII, juillet-août-septembre 1909
«Notes»
[…]
Deux livres de G. Apollinaire
M. Guillaume Apollinaire, qui n'est pas seulement un poète d'avenir, vient de publier
(Bibliothèque des Curieux, 4, rue de Furstenberg), deux livres qui témoignent de ses travaux
d'érudit.
[3]
L'un, L'Oeuvre du divin Arétin, contient des traductions nouvelles et des morceaux
traduits pour la première fois. Ces traductions, ainsi que les notes et l'introduction sur la vie et les
ouvrages de l'Arétin, révèlent une compétence parfaite.
Dans l'autre livre, L'Oeuvre du marquis de Sade, Apollinaire discute la vie et la mentalité
de ce personnage; iI donne les extraits les plus caractéristiques de son œuvre et, en outre,
plusieurs morceaux inédits.
Tout cela est fort intéressant, morale à part bien entendu, car on sait que ni l'auteur de
Justine, ni celui des Sonneti lussuriosi, n'écrivaient pour la bibliothèque rose.
[…]
Louis MANDIN
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Dossier de presse: L'Oeuvre du marquis de Sade, l'Oeuvre du divin Arétin
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Mercure de France, tome 80, 1er juillet 1909
«Revue de la quinzaine»
[…]
Publications récentes
[...]
Littérature
Arétin: L'Oeuvre du divin Arétin, traduction et notes par Guillaume Apollinaire; Bibliothèque
des curieux. 7 50.
[…]
MERCURE
Mercure de France, tome 80,16 août 1909
«Revue de la quinzaine»
[…]
Lettres italiennes
[…]
Memento.- Guillaume Apollinaire: L'Oeuvre du divin Arétin, Bibliothèque des
Curieux.[...]
Ricciotto CANUDO
Le Journal, vendredi 20 août 1909
«Quelques livres»
[…]
L'OEUVRE DU DIVIN ARETIN.- Les pornographes zélés et sévères qui veillent sur nos
mœurs pourraient s'émouvoir de cette publication. En effet, le dictionnaire nous enseigne que
l'Arétin fut « l'écrivain le plus impudent, le
[4]
plus déhonté, le plus dissolu, le plus impie de l'Italie.» Cela n'a pas empêché M. Guillaume
Apollinaire de traduire avec goût quelques-uns de ses dialogues de courtisanes et de ses sonnets,
- qui expliquent, je dois le dire, l'opinion du dictionnaire. Pourtant, l'Arétin fut l'ami de Charles
Quint, de François 1er, de Léon de Médicis, du Titien et de Michel-Ange, et ils goûtaient ses
poèmes. Quelle leçon d'indulgence devraient donner aux esprits raisonnables les variations de la
morale!
[…]
Paul REBOUX
Comoedia, dimanche 29 août 1909
«La Semaine littéraire»
[…]
GUILLAUME APOLLINAIRE.- L'OEUVRE DU DIVIN ARETIN, un vol. in-8, à 7
fr.50. Bibliothèque des curieux.
Cette édition populaire de l'Arétin n'était peut-être pas des plus utiles. Nul plus que moi
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Que Vlo-Ve? Série 2 No 8 octobre-decembre 1983 pages 3-21
Dossier de presse: L'Oeuvre du marquis de Sade, l'Oeuvre du divin Arétin
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n'estime à leur juste valeur certaines œuvres que la plus élémentaire prudence conseille
d'enfermer à clef dans une bibliothèque. Dans ce genre, il existe de véritables chefs-d'œuvre qu'il
convient au premier chef de ne point négliger lorsque l'on s'intéresse aux lettres; seulement, il
faut bien le dire, la publication de ces ouvrages licencieux ne me paraît légitime que lorsqu'elle
peut satisfaire les érudits, les lettrés et les bibliophiles.
Isidore Liseux fut maître en ce genre: toutes ses éditions, tirées à 100 ou 150 exemplaires
sur papier de Hollande, vendues à un prix élevé, collation-nées avec soin et donnant le texte
original en regard, sont de véritables chefs-d'œuvre qu'il convient d'avoir dans toute bibliothèque
d'érudit. Mais l'on peut estimer, étant donnée la facilité relative que l'on a pour retrouver ces
livres chez les marchands de livres anciens, que ce tirage à 100 exemplaires fut largement
suffisant pour le nombre existant des curieux de lettres.
L'œuvre de l'Arétin, que nous offre pour 7 fr.50 M. Guillaume Apollinaire, me paraît plus
directement destinée aux collégiens de lettres. Je ne dis point que cette édition n'ait pas été revue
ni annotée avec abondance, mais je ne vois pas bien ce qu'elle peut ajouter en particulier aux
éditions de Liseux. Et tout d'abord il est facile de voir ce qu'elle en retranche; l'auteur ne nous
donne, en effet, que la moitié environ des Ragionamenti de l'Arétin.
Quant aux Sonnets luxurieux, d'une lecture, il faut bien l'avouer, assez pénible, une
réédition récente qui en fut faite, sur le texte de Liseux, mais éditée à 200 francs, paraissait
largement suffisante.
G. de PAWLOWSKI
[5]
Mercure de France, tome 81,1er septembre 1909
«Revue de la quinzaine»
[...]
Publications récentes
[…]
Littérature
Guillaume Apollinaire: Les Maîtres de l'amour: L'Oeuvre du Marquis de Sade. (Zoloé, Justine,
Juliette, La Philosophie dans le boudoir, Oxtiern ou les malheurs du libertinage, etc.). Pages
choisies comprenant une œuvre entière, des morceaux inédits et des lettres publiées pour la
première fois, tirées des Archives de la Comédie-Française. Introduction, Essai bibliographique
et Notes par Guillaume Apollinaire. Ouvrage orné de 2 gravures et d'un autographe hors texte.
Bibliothèque des Curieux. 7 50.
[…]
MERCURE
o
Arthénice, 1ère année, n 3,15 septembre 1909
«Les Livres»
[…]
L'Oeuvre du Divin Arétin.- M. Guillaume Apollinaire a traduit quelques-uns des
dialogues des courtisanes du grand poète libertin, l'ami de Charles-Quint et des lettrés de cette
époque. Mais l'auteur a traduit avec beaucoup de goût et une exquise délicatesse.
[…]
C. CANNERA
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Le Journal du Soir, samedi 18 septembre 1909
«Nos chroniques»
«Les Deux 'Divins'»
Guillaume Apollinaire, poète subtil et prosateur énergique, tente, à son tour, l'aventure de
placer en bonne lumière, les deux figures si étranges et si mal connues de ces deux écrivains qui
se décernent eux-mêmes le qualificatif de divins: Pietro Arétino (l'Arétin) et M. le Marquis de
Sade.
Aucune ressemblance pourtant, entre ces deux maîtres de l'amour qui vivaient à deux
«décadences» différentes; aucune similitude entre ces deux vies. L'une, celle de l'Arétin, s'écoule
dans une fête continuelle, nn un palais somptueux sur le Canal Grande de Venise; l'autre, celle
de M de Sade, se
[6]
passe en partie en prison; sa vie libre est bouleversée, pleine d'aventures cocasses et tragiques.
Une seule chose, à priori, pourrait sembler commune: c'est le même moyen, le même procédé,
pornographique plutôt, pour arriver à attiser la curiosité de leurs contemporains car nul doute
aujourd'hui que leur libertinage, leur «vice exprimé» ne fût qu'un prétexte pour attirer l'attention
des foules. Un moment, avec l'Ane d'or, d'Apulée, l'alchimie pensa aussi à ce stratagème pour se
faire des adeptes.
L'Arétin, Inventeur en quelque sorte de la «presse périodique », journaliste-pamphlétaire
émérite, s'intitule modestement le Fléau des Princes, le Véridique... le Divin... parce qu'il fait
trembler les souverains, les papes, les grands qui se flattent alors d'être de ses amis, mais qui
achètent fort cher son silence sur leurs turpitudes. Il est l'homme libre par la grâce de Dieu (c'est
lui qui l'écrit). Il a droit à notre admiration à cause de cela. Ne vit pas libre à sa guise qui veut. Sa
liberté, II la doit à sa plume, une plume dangereuse, pleine de fiel, d'esprit, une plume de grand
reporter, une plume de maître-chanteur. L'Arétin est un véritable Epicurien, un gros jouisseur; au
demeurant, un bon enfant, aimant à festoyer avec ses amis, amies et tous ceux qui aiment la
bonne chère et les belles-lettres. Il exploite le vice, il en tire même de beaux profits, mais cet
argent, dont ses coffres sont pleins, il sait le dépenser et, dans un geste large le jeter aux pauvres,
au peuple qu'il aime et qui le lui rend bien.
Le marquis de Sade est plus intéressant encore. D'abord, après Judas, c'est l'homme le
plus calomnié sur la terre. De tous les crimes dont les crimes dont on a daigné le couvrir, un seul
ne résiste pas à un examen conscienceux: c'est le crime de Marseille. Ce crime - si crime il y a, est d'une effroyable banalité. Il n'en est pas moins condamné à mort pour avoir au cours d'une
petite orgie, fait prendre de la cantharide à quelques courtisanes consentantes: ce crime a de quoi
faire sourire, de nos jours, tous nos débauchés. N'importe! M. de Sade est un apologiste de
l'amour naturel. Si nous rentrions sincèrement en nous-mêmes, si nous avions le courage de
certains aveux, bref, si nous baissions le masque de notre hypocrisie, nous reconnaîtrions que
nous recherchons, la nuit, avec indécence et perversité, ce que nous condamnons ouvertement le
jour. La pureté est la tunique des châtrés [sic] et des impuissants et c'est l'Eglise qui a tissé cette
tunique abominable, plus dangereuse, dans ses conséquences morales, que la tunique de Nessus
elle-même !
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Que Vlo-Ve? Série 2 No 8 octobre-decembre 1983 pages 3-21
Dossier de presse: L'Oeuvre du marquis de Sade, l'Oeuvre du divin Arétin
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La vérité sur le marquis de Sade est beaucoup plus simple. Derrière son libertinage
affecté, Sade pensait, Sade écrivait des choses si hardies au point de vue social, qu'il fallait
l'enfermer. C'est du Nietzschéisme avant Nietzsche, de l'anarchisme avant Proud'hon [sic]. Par la
pornographie, il avait l'espoir d'aller plus vite à la foule grossière, mais forte, friande aussi
«d'amour naturel». Et puis il faut l'écrire, la première liberté que réclamait Sade, c'était la liberté
complète de l'amour pour l'homme... comme pour la femme. Cela, on ne pouvait lui pardonner...
après le Concile de Trente. Pourtant, lui-même cherche à dessiller les yeux de cette foule, sur le
vice qui l'entoure (et Dieu sait si le vice régnait à la fin du XVIIIe siècle!) mais il le fait en
laissant dire à Saint-Fond ces ironiques paroles:
[7]
«La politique de tous ceux qui mènent un gouvernement est d'entretenir dans les citoyens
le plus extrême degré de corruption; tant que le sujet se gangrène et s'affaiblit dans les délices
de la débauche, II ne sent pas le poids de ses fers; on peut l'en accabler sans qu'il s'en doute. La
véritable politique d'un Etat est donc de centupler tous les moyens possibles de la corruption du
sujet. Beaucoup de spectacles, un grand luxe, une Immensité de cabarets... des « maisons
publiques », une amnistie générale pour tous les crimes de débauche; les voilà, les moyens qui
vous assoupliront les hommes.
— 0 vous ! qui voulez régner sur eux, redoutez la vertu dans vos empires, vos peuples
s'éclaireront quand elle y régnera, et vos trônes qui ne sont étages que sur le vice. seront bientôt
renversés; le réveil de l'homme libre sera cruel pour les despotes, et quand les vices n'amuseront
plus son loisir; [sic] II voudra dominer comme vous...»
Il va sans dire, n'est-ce pas, qu'une telle philosophie contenait trop de vérités pour être
admise par le pouvoir royal. Sade, contrairement aux encyclopédistes, n'entourait point ses
pensées, [sic] de rhétorique inutile. Aucun mot ne lui répugnait. Il haïssait l'hypocrisie en amour
comme dans la vie, prenait plaisir à fouler aux pieds les superstitions, les préjugés, les coutumes,
toutes ces Inutilités qui ne sont que complications dans l'existence de l'homme.
Ce seigneur, certainement, fut un terrible débauché dans sa jeunesse, mais sa débauche ne
dépassait pas celle de ces autres roués, ses compagnons et il n'aurait jamais eu maille à partir
avec la justice, s'il ne s'était vanté lui-même de ses exploits libertins. Au reste, marié jeune à une
femme... dont il aimait la sœur et qui s'était retirée dans un couvent, il n'eut que cinq ou six ans
pour s'amuser; car cet homme - ce pauvre homme ! - a passé vingt-sept années en prison et les
vingt-sept plus belles années de sa vie! On le promène de Vincennes à Miolans, de Miolans à
Saumur, de Saumur à la Bastille, partout.
La réputation qu'il s'est faite, par gloriole, - qu'on lui a faite aussi ! - le suit partout. En
prison, à tous, à Mirabeau comme à Ange Pitou, II apparaît comme un monstre. On l'a trop
représenté comme un homme dangereux, pour ne pas ébranler la conviction des esprits les plus
avertis.
Dangereux, il l'est: pour la royauté, la police, les moralistes puritains, pour tous les
empêcheurs de danser en rond.
Sa philosophie est hautaine, sans retenue et ce n'est qu'abêti par la prison qu'il poussera
quelques cris de patriote, cris qui sonneront faux dans cette âme à laquelle viendra s'abreuver un
des plus hardis philosophes de notre époque: Nietzsche.
Chose curieuse, ce débauché, en 1779, enfermé à Vincennes n'aura qu'un amour, et un
amour platonique (ô ironie), pour une amie de sa femme : Mlle de Rousset. Le 29 février 1784, il
est transféré à la Bastille. C'est là qu'il écrit la plupart de ses ouvrages. C'est là qu'en 1789, ayant
connu la Révolution qui se préparait, le marquis de Sade commença à s'agiter. «Il eut des
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démêlés—écrit M. Guillaume Apollinaire— avec M. de Launay, gouverneur de la Bastille.
«Le 2 juillet 1789, il eut l'idée de se servir, en guise de porte-voix, d'un long tuyau de ferblanc, terminé à une de ses extrémités par un entonnoir qu'on lui avait donné sur le faubourg
Saint-Antoine; il cria à diverses reprises qu'on
[8]
égorgeait les prisonniers de la Bastille, et qu'il fallait les venir délivrer. A cette époque, II n'y
avait que fort peu de prisonniers à la Bastille et il est assez difficile de démêler les raisons qui,
excitant la fureur du peuple, le poussèrent justement contre une prison presque déserte. Il n'est
donc pas impossible que ce soient les appels du marquis de Sade, les papiers qu'il jetait par la
fenêtre et dans lesquels il donnait des détails sur les tortures auxquelles on aurait soumis les
prisonniers dans le château — qui, exerçant quelque Influence sur les esprits déjà surexcités,
aient déterminé l'effervescence populaire, et provoqué finalement la prise de la vieille forteresse
royale».
Ce qui n'irait pas contre cette hypothèse, partagée par Bégis, Manuel et Henry d'Almeras,
c'est que M. de Launay, le 3 Juillet, se débarrassait du marquis de Sade que l'on transférait à
Charenton en pleine nuit.
Un décret de l'Assemblée Constituante sur les lettres de cachet lui rend (en 1790) la
liberté.
Quoique riche, il se jette à corps perdu dans la Révolution, lui offre ses services
humblement, car ce marquis est un vrai républicain. Dans son Idée sur le mode de la sanction
des lois. Il ose indiquer comment il entend que la loi proposée par les députés soit votée par le
peuple, parce qu'il faut admettre «à la sanction des lois, cette partie du peuple la plus maltraitée
du sort, et puisque c'est elle que la loi frappe le plus souvent, c'est donc à elle à choisir la loi dont
elle consent à être frappée».
Cette phrase ne devrait-elle pas porter à la réflexion nos modernes politiciens?
Humain et bienfaisant sous la Terreur, il est arrêté comme suspect et relâché l'année
suivante. En 1800, il publie un roman à clef: ZOLOE. Ce fut un énorme scandale. Resté
républicain, il attaque dans ce livre: Bonaparte, Joséphine, M. et Mme Tallien, Barras. Il fut
arrêté, enfermé à Sainte-Pélagie, puis à Bicêtre, et enfin à Charenton où il devait mourir à l'âge
de 75 ans, ayant passé 27 années dont 14 de son âge mûr, dans 11 prisons différentes.
*
*
*
Certes, la littérature du marquis de Sade n'est pas à mettre entre toutes les mains.
Pourtant, même dans ses ouvrages les plus osés, on rencontre des pages d'une philosophie
tellement hardie qu'on est en droit de se demander si cet esprit n'est pas tendu vers une époque à
laquelle nous ne sommes pas encore prêts de toucher. N'a-t-il pas dit, ce pseudo-débauché, en
parlant de son œuvre:
«Je ne m'adresse qu'à des gens capables de m'entendre; et ceux-là me liront sans danger.»
Je partage son avis.
André IBELS
[9]
L'Intransigeant, vendredi 26 novembre 1909
«Le Libraire du coin»
Poète vigoureux et tendre, infatigable conférencier, premier consul des jeunes écrivains
qui forment à eux seuls une petite nation, M. Guillaume Apollinaire est aussi un érudit. Il publie
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en ce moment, à la librairie de l'Edition, une série de Sade, Andréa de Nerciat, Mirabeau,
Giorgio Baffo, patricien de Venise, etc.
Guillaume Apollinaire a traduit les audacieux Italiens en une langue exquise et ajoute, en
marge des libertins français, des notes savoureuses.
LES TREIZE
Mercure de France, tome 82,16 décembre 1909
«Revue de la quinzaine»
[...]
Lettres italiennes
[...]
Cependant, des érudits rendent à l'Italie des services moins bruyants et plus féconds pour
la diffusion de la littérature italienne. M. Guillaume Apollinaire a fait paraître son ouvrage sur le
Divin Arétin, faisant suivre sa très intelligente et très savante préface de sa traduction de
quelques morceaux magistralement choisis. L'ouvrage de M. Apollinaire est parmi les plus
importants qu'on ait faits ces derniers temps sur la haute culture italienne. Il sort tout à fait du
cadre mesquin où se placent les vagues recueils sur le Roman Italien, le Théâtre Italien, etc.,
qu'on déverse depuis quelques années sur le marché.
M. Apollinaire a étudié l'Arétin avec un esprit pieux, que le génie du plus grand écrivain
de la Renaissance, le plus grand et le plus décrié sans nul conteste, justifie amplement. Les
calomnies de Franco, le biographe pamphlétaire qui écrivit l'immonde Sonnet où il traite
d'homosexuel le Divin, ou les traîtrises de Doni n'ont pu amoindrir l'éclat du plus grand poète
tragique et comique italien, de celui qui avec l'Orazia inspira le grand Corneille, et précéda de
deux siècles Alfieri, l'inspiré de Corneille. La littérature française manquait d'un ouvrage digne
de l'Arétin. M. Apollinaire vient de combler en partie cette lacune. Les Sonnets Luxurieux,
traduits seulement dans l'édition à cent exemplaires, sur laquelle furent faites d'ailleurs les
traductions anglaise et allemande, ont été nouvellement traduits par M. Apollinaire. Il faut le
louer d'avoir compris la portée de ce document humain non singulier, qui témoigne de
l'exubérante sensualité, charnelle et esthétique, de l'opulente Renaissance. Les notes du
traducteur ont toute l'importance d'un premier commentaire des Sonnets.
Le livre se compose essentiellement des Ragionamenti. Il faut espérer que bientôt le
remarquable «italianisant» qu'est M. Apollinaire complétera sa présentation éclairée et
méthodique de l'Arétin, en nous donnant la première
[10]
traduction de la Tragédie du Divin, et une traduction des Comédies plus satisfaisante que celle du
Bibliophile Jacob.
[…]
Riccioto CANUDO
Les Nouvelles, lundi 27 décembre 1909
«Les Nouvelles bibliographies»
[…]
Science - Philosophie
GUILLAUME APOLLINAIRE: L'Oeuvre du marquis de Sade. Bibliothèque des
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Curieux, 4, rue de Furstenberg, Paris, 7 fr. 50.
A un de ses amis qui semblait curieux de l'œuvre du marquis de Sade, M. Pierre Louys
envoya Justine, gageant qu'il ne lirait pas ce volume jusqu'au bout, et... gagna son pari.
Il faut donc remercier M. Guillaume Apollinaire du méritoire effort qu'il sut accomplir en
livrant au public le meilleur d'un écrivain, parfois fastidieux, souvent rebutant, assez mal connu,
et pourtant très intéressant à plus d'un titre. Allégés de ces longueurs, de ces redites, des crudités
trop violentes, des ennuyeuses obscénités qui ont vite fait de décourager le lecteur ordinaire, les
textes choisis par l'érudit commentateur, soulignés de notes claires, augmentés de passages
inédits, précédés d'une introduction où se trouvent impartialement jugés et nettement décrits les
travaux et la vie du célèbre marquis, nous permettent de discerner une pensée hardie, originale,
en avance sur son époque, au point de se rencontrer maintes fois avec les plus illustres
sociologues du siècle dernier, de Proudhon à Spencer et à Nietzsche.
Le Courrier français, no 6, 5 février 1910
Le divin Marquis
Le 2 juillet 1789, un pensionnaire de la Bastille ouvrait sa fenêtre qui donnait rue SaintAntoine et, se munissant d'une sorte de porte-voix, criait à tue-tête aux passants qu'on égorgeait
les prisonniers et qu'il fallait venir les délivrer. Ces appels réitérés, ainsi que les nombreux
papiers qu'il jetait dans la rue inspirèrent des craintes assez sérieuses à M. de Launay, gouverneur
de la célèbre forteresse, pour que, dès le surlendemain et nuitamment, sur un ordre du Roi, on
tranférât le tribun improvisé à l'hospice des fous de Charenton. Dix jours plus tard, la Bastille
était prise. Cet homme qui avait ameuté le peuple et qui était, en définitive, la cause de la
fameuse journée s'appelait
[11]
Donatien-Alfonse-François, comte de Sade, plus connu sous le nom de Marquis de Sade. Il avait
déjà passé une notable partie de sa vie dans les geôles de France, pour «débauche outrée».
Erotomane, il avait été accusé de forfaits singuliers commis à Arcueil dans sa maison de
campagne et à Marseille; on l'Incriminait notamment d'avoir déchiqueté à coup de canif une certaine Rose Keller dont il aurait ensuite cautérisé les blessures avec de la cire brûlante.
Comme Mirabeau, autre acteur non moins considérable de la Révolution, Sade utilise ses
loisirs forcés en écrivant des ouvrages licencieux. Mais les Erotika Biblion et le Libertin de
qualité sont loin d'avoir déchaîné dans la foule un aussi puissant concert d'imprécations que
Justine. Pourquoi donc cette différence de traitement; pourquoi la mémoire du «divin marquis»
a-t-elle été vouée à une exécration irrémédiable, alors que le nom de Mirabeau n'éveille dans
l'esprit que l'image d'une politique? Cela tient à une légende tenace qui représente l'auteur de la
Philosophie dans le boudoir comme un fou et comme un criminel. Il n'a peut-être été qu'un
logicien impitoyable -avec tout ce que ce mot comporte de diabolique - et la logique est ce qui se
pardonne le moins. Ensuite le gros public a été rebuté par l'ignominie de la lettre, ignominie, qui
marque aux yeux des lecteurs du commun, l'intérêt de l'esprit. Aussi doit-on des éloges à certains
écrivains qui nous ont restitué au véritable le portrait et la biographie du fameux pornographe, tel
[sic] que le docteur Duehren et M. d'Almeras et à M. Guillaume Apollinaire qui entreprit la tâche
difficile de faire un choix dans son œuvre inégale et touffue.
Les premiers s'efforcent d'éclairer l'individu en le replaçant dans son milieu et en
l'examinant comme phénomène historique. Le second attire l'attention sur la partie philosophique
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Dossier de presse: L'Oeuvre du marquis de Sade, l'Oeuvre du divin Arétin
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de ces romans si foncièrement obscènes. Alors les scènes de sadisme mises au compte du
marquis sont réduites à de moindres proportions; sa prétendue folie n'apparaît plus que comme
un prétexte Invoqué par la police, par Napoléon pour se débarrasser d'un homme gênant. Et c'est
la philosophie sadique qui accapare avec raison l'attention, philosophie et presque religion qui
eut son martyr en la personne même de son fondateur.
La société qu'il rêve, c'est le retour à la nature sans aucun correctif moral, sans nul frein
légal ou théologique. Tous les forfaits, dit-il, toutes les actions considérées comme capitales sous
un gouvernement monarchique ne sont d'aucune gravité dans un état républicain. Le meurtre
n'est pas un crime, non plus que le vol, non plus que les diverses pratiques ressortissant à l'Impureté. L'adultère, le vol, l'inverti, la sodomie doivent être tolérés en République. Telles sont les
idées de Dolmance, instituteur de la charmante Eugénie, dans la Philosophie dans le boudoir, et
l'un des porte-parole de Sade.
L'argumentation est très simple: c'est notre orgueil qui s'avise d'ériger en crimes le
meurtre et toute une catégorie d'actions que la Nature commet journellement et sans remords.
Notre orgueil inventa les dieux maintenant détrônés: allons jusqu'au bout de la besogne;
supprimons les vertus. C'est du reste l'intérêt bien compris de l'Etat d'entretenir parmi tes
citoyens le plus extrême degré de corruption.
[12]
Afin de recruter plus sûrement des adeptes, II a écrit Justine ou les malheurs de la Vertu
dont le titre est tout un programme. Justine est malheureuse tant qu'elle ne se résout pas à se
lancer dans les pires aventures en compagnie de filous, de proxénètes, d'appareilleuses et de
prostituées qui ont commis tous les forfaits. Dans cet ouvrage, il a entassé tout ce qu'une
Imagination en délire peut rêver de plus monstrueux et de plus paradoxal dans l'ordre de la
persivité. A chaque page, c'est une scène d'orgie ou un assassinat. On sort d'une école infâme
pour entrer dans une abbaye satanique, d'une auberge où l'on tue les voyageurs pour rentrer dans
un château que fréquentent invertis et tribades.
Pour tous ces débauchés, le plaisir impur n'est complet que si la torture le pimente; Une
femme n'est recherchée que si elle consent à se laisser tirer une «palette de sang» et, au besoin,
couper le cou. On est dans une atmosphère étrange où le crime a le parfum de la vertu et le vice
se complique d'un héroïsme étrange.
Mais ce n'est là encore qu'un aspect de l'opus sadium.
Non content de laïciser les casuistes, les Sanchez et les Liguori, Sade laïcise Torquemada.
On connaît son plan de maison publique avec ses affolantes Inscriptions: Ici l'on estropie, Ici l'on
torture, et son cimetière contigu.
Il a écrit, en outre, un manuel complet de libertinage, qui dépasse autant les petits
bréviaires licencieux du dix-huitième siècle qu'un traité de théologie dépasse un catéchisme. Les
cent vingt jours constituent une classification scientifique de toutes les passions dans leurs
rapports avec l'instinct génital: c'est une «Psychopathie sexuelle» de la ville.
Au cours des neuf mois que les libertins passent au château du duc de Blangis - château
magnifique, sis au milieu de montagnes inaccessibles, dans un paysage grave et tranquille -, on
expérimente 150 passions simples, 150 passions doubles, 150 perversions criminelles et autant
de perversions meurtrières. A la fin du livre, le lecteur a devant les yeux cette petite opération
d'arithmétique dont la simplicité enfantine et l'éloquente brièveté ne laisse pas de l'effarer.
Compte total: sur 46,30 personnes ont été massacrés pendant les orgies, reste 16.
Tels sont les livres de ce marquis de Sade qui se jeta, paraît-il, dans la débauche à la suite
d'un mariage de convenance, qui passa vingt-sept années de son existence dans onze prisons
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différentes, y compris Bicêtre et Charenton, où il mourut victime de Napoléon mais nullement
aliéné, de l'embastillé qui conviait avec tant d'ardeur le peuple des faubourgs à se ruer sur la
vieille forteresse royale et qui fut un sans-culotte émérite de la Section des Piques.
On a dit que bon nombre des hommes de 93 commencèrent l'apprentissage de l'assassinat
par la bonté. Il y eut, du moins, une exception. Chez Sade, nulle affectation de vertu, nulle
hypocrisie, nulle pudibonderie genevoise. Il n'eut pas le ridicule et la fourberie de parler
d'humanité pendant tes noyades de Nantes et les fusillades de Lyon: à cette époque de violence,
au milieu de cette grande priapée sanglante, il écrivit des livres infâmes parfaitement en
harmonie avec son temps.
[13]
II faut songer en le lisant à l'immortelle page de l'admirable Willette publiée ici même et
qui déchaîna jadis un si beau scandale: Je suis la sainte démocratie, j'attends mes amants.
Willette a traduit la vision de Sade-le-logicien. Comment pourrait-on, dès lors, s'étonner de
l'altitude des bénéficiaires de l'hypocrisie officielle? Il en sera longtemps de même et cela, d'ailleurs, ne saurait surprendre ceux qui volent autre chose dans la Révolution qu'une nouvelle
édition de Paul et Virginie, agrémentée de la musique d'il pleut, bergère...
André MARY
Comoedia, dimanche 27 novembre 1910
«La Semaine littéraire»
[…]
GUILLAUME APOLLINAIRE.- L'OEUVRE DU DIVIN ARETIN (2e partie),
un volume à 7 fr. 50. Bibliothèque des Curieux.
B. DE VILLENEUVE.- LE LIVRE D'AMOUR DE L'ORIENT (lere partie),
un volume à 7 fr. 50. Bibliothèque des Curieux.
GUILLAUME APOLLINAIRE.- L'OEUVRE LIBERTINE DES CONTEURS ITALIENS,
XVIIIe siècle (L'Abbé Casti, G. Baffo, D. Batacchi),
un vol. à 7 fr. 50. Bibliothèque des Curieux.
Ces trois volumes, publiés dans la même série, ne peuvent s'adresser qu'à un public tout à
fait spécial de bibliphiles, d'érudits ou de curieux.
Ils sont rédigés avec un soin qui fait honneur à leurs éditeurs. Je regrette toutefois qu'ils
soient vendus au public en aussi grand nombre, et à un prix trop bas.
Le chiffre de tirage et le prix d'édition adoptés par Isidore Liseux me paraissaient plus
convenables pour ce genre de publication. Remarquez bien que ce n'est pas là l'objection d'un
esprit timoré, et que je considère de pareilles publications comme Indispensables, et même très
profitables pour les lettrés et les érudits, mais de pareilles lectures demandent des transitions. Il
convient de les doser comme s'il s'agissait d'utiliser en médecine de dangereux poisons.
L'invention des poètes demande à être tempérée par l'expérience de la vie. Il faut savoir remettre
au point toutes choses lorsque l'on fait de pareilles lectures et ce n'est pas là le cas de certains
cerveaux faibles ou vides, mal préparés à lire de [sic] dernier chapitre d'un grand livre dont il
n'ont pas encore épelé les premiers feuillets.
G. de PAWLOWSKI
[14]
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La Vie Intellectuelle, 15 février 1911
«Revue du mois»
[…]
Du sadisme et du marquis de SadeFaut-il s'en louer? faut-ll s'en plaindre? est-ce un signe
de décadence? est-ce un signe de force? en tous cas, c'est un signe des temps; jamais on n'a vu
circuler dans la littérature d'aucun pays plus de revenants qu'aujourd'hui dans la nôtre. Ce n'est
pourtant pas l'indigence contemporaine qui justifie ce retour aux trésors du passé. J'inclinerais
plutôt à croire que c'est une certaine paresse qui en est responsable, une certaine débilité du
jugement, une méfiance que nous éprouvons, une incapacité que nous trouvons en nous à
distinguer aujourd'hui, parmi les œuvres vivantes, le bon du mauvais ou, plus modestement
encore, ce qui nous plaît de ce qui ne nous plaît pas. C'est pour nous dispenser de découvrir Paul
Claudel, Han Ryner et Léon Bloy que nous faisons la découverte d'Hercule de Sagget et de l'abbé
Cotin, que nous nous amuserons à découvrir un jour Colin d'Harleville et Ducis. C'est ainsi que
les revenants nous encombrent, et c'est ainsi que parmi d'autres revenants, il était à prévoir que le
fantôme terrifiant du marquis de Sade ne manquerait pas de revenir troubler le sommeil de nos
nuits et offusquer la lumière de nos jours.
Naguère, au temps de sa jeunesse, M. Bourget, dont ç'a toujours été la manie de donner
des conseils et de diriger les consciences, recommandait M. Barrés et la lecture des œuvres du
marquis de Sade. Il patronne aujourd'hui M. Sorel et les œuvres du vicomte de Bonald. A tout
âge ses plaisirs. Mais alors déjà M. de Gourmont qui n'avait pas attendu le conseil pour jeter un
coup d'œil sur l'oeuvre du fameux marquis, s'étonnait de l'inconscience de M. Paul Bourget;
lecteur consciencieux, il avait été déçu par ces livres dont on ne parlerait pas tant s'ils n'étaient
condamnés aux Enfers des bibliothèques. Depuis que, grâce à M. Guillaume Apollinaire, j'ai eu
l'occasion de lire quelques pages détachées de l'oeuvre considérable du marquis de Sade, je
partage l'avis de M. de Gourmont. Non seulement cette œuvre est crapuleuse, elle est bête; non
seulement cela répugne à la morale, cela répugne au goût; non seulement cela est contraire à la
nature, hostile à la vie, cela est contraire à la raison et hostile à la pensée. L'éditeur a essayé une
apologie du marquis de Sade. C'était son devoir d'éditeur. Or, malgré les audaces de ce pincesans-rire qu'est Guillaume Apollinaire, son apologie est timide. L'avocat n'a pas été embarrassé
seulement par la réputation de son client; il a été gêné par son client lui-même; non seulement il
ne sait trop ce qu'il veut nous en faire penser; au fond, il ne sait trop qu'en penser lui-même. M.
Apollinaire nous donne à deviner une énigme dont il ne sait pas le mot, soit qu'il l'ait oublié, soit
qu'il ne l'ait jamais su et qu'il le cherche encore, soit qu'il en sache plus d'un, qu'il en soupçonne
davantage et qu'il nous soumette son énigme, curieux de voir ce que nous en tirerons. Et c'est là,
semble-t-il, la vraie raison de ses hésitations. Car il a hésité. Tantôt il représente
[15]
le marquis comme littérateur en quête d'un sujet inédit, venu trop tard alors que les lauriers
étaient coupés, trop tard après Le Sage et Fielding pour écrire des romans d'aventure, trop tard
après l'abbé Prévost et Richardson pour célébrer la victoire finale de la vertu opprimée, trop tard,
après Crébillon et Laclos pour se faire le peintre du libertinage et de la volupté. Ce littérateur
aurait été ainsi acculé à la monstruosité par le besoin du nouveau.
Se sentant incapable de traiter d'une manière qui lui fût propre et qui témoignât de son
génie particulier, des sujets mille fois rebattus, il aurait conçu l'ingénieux projet d'en inventer un
nouveau, auquel nul ne semblait avoir songé jusque-là et de faire ainsi figure d'auteur original
sinon par sa manière du moins par sa matière. Mais ici M. Apollinaire a dû s'apercevoir qu'il ne
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sauvait son client qu'à moitié, qu'en le défendant d'avoir été un méchant homme, il ne le lavait
pas du soupçon de méchant écrivain, qu'il faisait là, en somme, et selon qu'on eût dit jadis,
l'éloge de son cœur aux dépens de son esprit et que, de ce train, on risquait de ne jamais
comprendre ce qui put faire du marquis de Sade «l'homme le plus extraordinaire qui ait jamais
paru». Car enfin, c'est une aventure banale celle de l'auteur en quête d'un sujet pour sa copie, et si
elle prête au ridicule, je ne sache pas qu'on y ait jamais rien vu d'héroïque ou qui pût nous donner
d'un auteur une plus haute idée. Au lieu que c'est le propre d'un bon écrivain que le sujet lui est
indifférent et qu'il écrit indifféremment une bonne page de prose sur un fait divers ou sur un
verset de la Genèse. Quant au grand écrivain, jamais il ne se soucie de ses sujets, car il ne les
choisit pas, et l'on dirait plutôt que ce sont les sujets qui le choisissent, car Ils s'imposent à son
choix, son choix lui est imposé, c'est-à-dire encore que ce choix est fait d'avance et préfiguré si
l'on peut dire, en lui-même, et il n'en connaît jamais l'embarras. Tout cela, M. Apollinaire le sait
mieux que moi, car après avoir tenté d'excuser le sujet que de Sade avait choisi, il se ravise tout à
coup, fait un mérite à de Sade de ce sujet qu'il s'agissait d'excuser tout à l'heure, montre qu'il n'y
a pas eu de choix, et qu'y en eût-il eu, il ne pouvait être que ce qu'il fut parce que de Sade y était
prédisposé et parce que, enfin, et pour lâcher le grand mot, «c'était dans sa nature».
Notons, pour ne rien oublier, qu'il y a une troisième explication, que M. Apollinaire ne l'a
pas omise et que, s'il ne l'a pas prise à son compte, il l'a du moins signalée. Un Allemand, un
spécialiste de la pathologie mentale, un certain médecin qui, sous les deux noms de Ivan Bloch,
qui est le sien, et de docteur Dühren, qui est son pseudonyme, s'est fait une réputation dans la
science et dans son pays, a eu l'idée saugrenue de considérer de Sade comme l'auteur de précieux
documents de pathologie sexuelle. C'est ici une idée saugrenue, car s'il y a des gens qui sont des
documents, il n'y en pas qui soient auteurs de documents; il y a des écrivains qui traitent de sujets
plus ou moins scabreux, il n'y a que des médecins ou des psychologues de profession qui les
étudient. Il est vrai qu'il y a eu toute une école qui prétendit fournir des documents et des études.
Mais l'exception a confirmé la règle, et cette prétendue école littéraire n'a jamais réuni que
quelques carabins égarés dans la littérature et dont le règne éphémère n'a laissé que quelques
anecdotes et souvenirs cocasses. Tout le mal est venu d'une confusion sur le mot, très équivoque,
d'étude. Du sens artistique de ce mot, qui est synonyme
[16]
d'esquisse, on passe au sens scientifique qui est l'équivalent de recherche, d'examen, et au lieu de
faire des portraits, des esquisses, des paysages et de donner enfin des résultats artistiques, on
s'appliqua à ne former que des fragments scientifiques et on imagina d'instituer d'illusoires
enquêtes. Personne bientôt n'en voulut, et l'école se dispersa. Il fallait la double inintelligence
d'un Allemand et d'un homme de science pour s'y méprendre aussi grossièrement, la lourdeur, la
gravité ridicule du pédant professionnel pour faire du marquis de Sade un précurseur de Zola.
Il est donc permis de négliger cette interprétation-là et d'examiner ce que vaut la
précédente, celle qui fait bon marché de la morale, qui sacrifie le cœur du marquis à son esprit,
qui représente de Sade comme un sadique et lui fait un mérite du moins d'avoir été le premier à
rêver tout haut et tout au long ce que d'autres pensent tout bas et contient à leur seule oreille, et
qui revendique pour lui la gloire d'avoir été, ce que le jargon d'aujourd'hui permet d'appeler le
premier sadique conscient. Et tout d'abord je dirai. «Que nous importe? Que nous importe et la
question de priorité et la question de sadisme? Parmentier fut le premier en Europe qui mangea
des pommes de terre. Cela lui ferait-il un mérite littéraire? Denis Papin fut le premier qui imagina la machine à vapeur; les progrès de la machine à vapeur ont fini par donner lieu à toute une
vaste littérature parfois fort belle et presque toujours d'un grandiose que l'on ignorait auparavant.
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Où a-t-on jamais vu que cela constituât pour Denis Papin un titre de gloire? Mais je n'oublie pas
que de Sade, non content de la gloire d'initiateur et du brevet d'inventeur, a mis en pratique son
invention, Je veux dire qu'il a lui-même tiré des effets littéraires de cette nouvelle passion dont il
était le Christophe Colomb. «Fort bien, dites-moi alors ce que valent ces effets littéraires,
montrez-moi ce qu'était de Sade non plus ou plutôt pas encore en qualité de sadique mais en tant
qu'écrivain.» Or, de Sade écrivain est un bien pauvre homme. S'il n'est pas un précurseur de
Zola, il est un très faible disciple de Diderot. Parmi les disciples de Diderot qui furent nombreux
et où l'on peut compter deux esprits au moins qui sont loin du médiocre, Sébastien Mercier et
Restif de la Bretonne, de Sade est certainement l'un des plus faibles et des plus ternes et des plus
insignifiants et qui font le moins d'honneur au maître. C'est un joli titre que la Philosophie dans
le Boudoir et qui promet mille choses ingénieuses légères et brillantes. Il n'en tient que de
lourdes et de plates. Le paradoxe de Diderot est un papillon; celui du marquis est un gros
papillon de nuit qu'on entend bourdonner, qu'on volt venir, comme on dit, de très loin et très
longtemps avant de le voir. Dès qu'on l'a vu, on l'a assez vu. Le paradoxe de Diderot, qui vient
inattendu comme un refrain dans la rue. tourne le coin et disparaît avec désinvolture aussitôt qu'il
s'est montré. Le paradoxe de de Sade se prélasse lourdement, se pavane comme un benêt,
s'épuise en vains efforts pour se montrer sous toutes ses faces, pour s'imposer à l'attention; il
voudrait bien être impertinent, il ne réussit qu'à être insupportable. Et, comme bien on pense, le
style vaut la pensée. Celui-ci ne vaut pas même le style des gazettes du temps. On traverse de
mornes steppes de papier imprimé sans rien trouver de bien tourné, d'élégant, de gracieux, sans
la moindre trace qui
[17]
révèle un esprit curieux, sinon un artiste, une main habile, sinon un génie profond. L'expression
est vague, flottante, indécise, incolore, l'exposé va à la dérive et malgré une apparence de rigueur
et un étalage de logique, on le sait désarticulé et sans force. Si tous les pornographes écrivaient
de ce style, nous n'aurions bientôt plus à lire que les discours de M. Bérenger et les mandements
des Evêques. On ne supporte pas une caillette qui tient bureau d'esprit. A-t-on idée d'un écrivain
qui tient bureau d'immoralité? L'immoralité en dix leçons, voilà la Philosophie dans le Boudoir
et ce sous-titre que l'on propose n'a vraiment rien de séduisant. Catéchisme pour catéchisme,
j'aime mieux l'autre, le vieux; il a du moins l'avantage d'être beaucoup moins long, car de Sade
n'a pas seulement l'imagination meurtrière, il a la dissertion mortelle, et parmi toutes les tortures
qu'il imagine pour les victimes imaginaires de sa manie, s'il a oublié celle du bâillement, c'est
qu'il l'a réservée à ses lecteurs. J'en juge sur cette Philosophie dans le Boudoir et d'après l'oeuvre
par excellence, l'opus sadicum, selon l'expression de l'éditeur, et l'on ne risque donc pas d'être
injuste en le jugeant là-dessus. Il semblé, d'après les résumés de M. Apollinaire, qu'il y ait dans
Justine et dans Juliette surtout une abondance d'aventures. Encore faudrait-il savoir si le détail en
est riche et si la différence des situations est en raison de leur multiplicité. Encore que son style
manquât de pittoresque, peut-être de Sade eût-il fait un assez bon conteur de romans d'aventures;
notre littérature en fourmille et l'on n'en est pas à regretter un Paul Féval, un Dumas père ou un
Prévôt d'Exiles de moins.
Ainsi avertis, venons-en à sa grande découverte. On a vu que les effets littéraires qu'il en tire sont
des plus piteux. Voyons encore ce qu'elle vaut par elle-même. La pomme de terre est une excellente
chose, et la gloire de Parmentier se renouvelle à chaque récolte par toute ta terre. Celle du marquis de
Sade est-elle aussi solidement assise, et que vaut la doctrine du mal pour le mal? Mon Dieu! il est bien
difficile de le dire, car la doctrine ne tient pas debout; non seulement, on n'en peut plaider la cause, la
théorie déjà ne s'en peut formuler. De Sade n'a pas épargné la peine ni le papier, c'est en des milliers de
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pages qu'il s'est évertué à exposer, plaider, formuler, enseigner, compléter, diluer. Jamais il n'a réussi à
établir la doctrine du mal pour le mal. Nul n'y a jamais réussi. Et quand M. Apollinaire donne son auteur
pour un précurseur de Nietzsche, il fait abstraction tout simplement de ce qui fait toute la différence: de
Sade n'est jamais sorti de la morale du bien et du mal, tandis que Nietzsche s'est transporté par-delà le
bien et le mal; de Sade s'est tenu obstinément à un bout de la carrière, considérant avec hostilité le bout
opposé, tandis que d'un bond Nietzsche a franchi la carrière et s'est établi en dehors. De Sade, comme un
enfant grognon qu'on met dans un coin, s'est entêté, a maintenu qu'on y est mieux qu'au milieu de la
chambre et que le mal est meilleur que le bien; Nietzsche a nié et le mal et le bien, il a soutenu, que bien
ou mal, il n'y voyait pas de différence, que cela ne tirait pas à conséquence et que ce lui était tout un ou,
comme on dit en allemand, «tout saucisse». Comment Apollinaire n'a-t-il pas vu cela? Parmi les
philosophes, dont il veut que de Sade soit un précurseur, il range aussi Herbert Spencer. Herbert
Spencer n'était pas indifférent à la morale, il a écrit sur ta morale individuelle et sociale, et, par
ce côté en effet, il ne laisse pas de ressembler à de Sade. Car de Sade, comme pr .que tous les
plumitifs de son époque, nourrissait
[18]
des projets de réforme sociale et rêvait aux moyens d'assurer le bonheur de ses compatriotes. Il
est rare que l'on soit d'accord entre sociologues et nul ne s'étonnera que de Sade, dont le plan
était de réduire de moitié le nombre de Français et d'enfermer la moitié de ceux qui resteraient
pour assouvir les passions sadiques des autres, n'ait dû s'entendre que très difficilement avec feu
M. Piot par exemple. Mais la sociologie n'est faite que des querelles des sociologues. Et il est
certain que, le bonheur une fois défini comme le définissait de Sade, les institutions qu'il
proposait étaient les plus propres à l'assurer et à en fournir les conditions élémentaires. L'Icarie
sadique vaut celle de Babet, et ce n'est pas beaucoup dire. Son utopie vaut ce que valent toutes
les utopies, et c'est dire moins que rien.
Quant aux rapports plus précis qu'il y aurait, suivant M. Apollinaire, entre de Sade et
Herbert Spencer, ils confirment tout d'abord, ce que j'ai dit, que de Sade est parfois une sorte de
moraliste sociologue, et, d'autre part, ils se bornent à ceci que, comme de Sade, Herbert Spencer,
a insisté sur la relativité des notions de bien et de mal en montrant qu'un mal sort parfois d'un
bien, qu'un bien peut quelquefois résulter d'un mal et que telle chose qui est un bien pour un tel
individu ou dans telles circonstances sera un mal pour un autre individu ou quand les
circonstances auront changé. Spencer a même été beaucoup plus affirmatif que son prétendu
précurseur, quand il s'est mis à ta remorque de Bernard de Mandeville qui écrivait dans les
premières années du dix-huitième siècle. Mandeville montre en effet qu'il y a rapport inverse
entre le bien de l'individu et celui de l'Etat ou de la Société et que le mal commis par les
particuliers, que les vices des particuliers sont un bienfait pour le public, private vices, public
benefit. On démontrerait le contraire qu'il n'y aurait rien d'essentiellement changé , que la théorie
du mal pour le mal ne serait pas devenue d'un tant soit peu plus intelligible et qu'il resterait tout
aussi impossible de la formuler. Elle est si peu faite pour les hommes que les hommes ne la
peuvent articuler. L'essayent-ils, tous les efforts se réduisent à cette absurdité: le mal est meilleur
ou vaut mieux que le bien, ou réciproquement, ce qui est également absurde: le bien est moins
bon que le mal. Il se trouve pourtant une formule célèbre de cette doctrine : Shakespeare l'a
prêtée aux sorcières de Macbeth. Mais comme ces sorcières parlent encore un langage humain,
quand elles blasphèment, elles déraisonnent et leurs paroles ne sont jamais aussi diaboliques que
leur chaudron. Quand elles déclarent fair is foul, elles réussissent à discréditer le bien et le beau,
mais quand elles ajoutent foul is fair, elles essayent d'accréditer le mal et le laid, et c'est ce
qu'elles font en l'égalant au bien ou au beau, mais c'est ce qui ne peut leur réussir puisque
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d'avance le bien et le beau sont discrédités. Quand, pour passer un ruisseau, vous avez deux
planches dont l'une est vermoulue, si vous êtes raisonnable vous ne vous servirez que de celle qui
ne l'est pas et que vous appelez la bonne; si vous êtes sadique, partisan de la théorie du mal pour
le mal, vous appliquerez à ce cas très simple la dialectique sadique, et vous ne passerez le
ruisseau qu'à la nage ou bien vous ne le passerez pas du tout, car d'une part, puisque foul is fair,
vous préférerez la planche vermoulue à la bonne et vous tomberez à l'eau, et d'autre part, puisque
fair is foul, vous direz que la bonne planche est vermoulue et vous ne
[19]
vous en servirez pas. Si vous vous en servez, votre acte dément votre jugement, ce que vous
faites prouve contre ce que vous dites. Il y a conflit. Et alors, ou bien c'est comme si vous n'aviez
rien dit, et vous sortez de la dialectique sadique pour rentrer dans le sens commun, ou bien, c'est
comme si vous n'aviez rien fait, et nous sommes avertis que les mots n'ont pas pour vous le sens
qu'ils ont communément; car s'il n'est pas possible de jamais réduire le bien au mal, nul ne peut
vous empêcher de parler un argot ou bien signifiera mal et réciproquement. Les raisonnements
de ce genre, les illogismes, les sadismes de cette force abondent dans tes œuvres du marquis de
Sade et se présentent infailliblement à chaque fois qu'il se mêle de raisonner. Qu'il s'agisse de
prouver l'excellence de l'inceste, de la sodomie, du meurtre, toujours intervient la dialectique du
fair is foul and foul is fair, et c'est avec une monotonie fatigante et mélancolique que revient le
souvenir de ce refrain, scandant les lourdes, pompeuses et prétentieuses périodes de ce sinistre
bel esprit. Mais il continue, impitoyable comme la pluie et la destinée, car il ne se rend même pas
compte de l'ennui qu'il distille.
Il a un autre argument encore, et dont il fait du moins un usage raisonné et dont il se sert
en connaissance de cause, et il est des plus misérables. S'il était permis de considérer le marquis
de Sade comme un mystificateur, je dirais qu'il mystifie Rousseau et tourne en dérision la
religion de la nature quand il justifie tous les crimes à tour de rôle en montrant qu'ils sont «dans
la nature». Mais de Sade ignore l'ironie; il est sérieux comme les botes, comme la pytnonisse en
proie au dieu, comme ses héros célébrant leurs cérémonielles orgies. Cet adorateur du mal, ce
grand pourfendeur se réfugie donc sérieusement dans le giron de la nature et c'est dans les jupes
de cette bonne dame que le contempteur des dames va s'abriter! Ah! si de Sade s'était borné à
décrire les orgies qu'il imaginait et qu'il essayait de représenter sur son théâtre à Bicêtre! Que n'at-il eu la sagesse de laisser à d'autres le soin d'exposer ses principes et de les justifier! Mais il
s'est laissé tenter lui aussi, le pied-plat, par la Circé des philosophes et, comme elle n'avait pas
besoin de le transformer pour qu'il fût ce qu'elle fait de ses adorateurs, la vieille magicienne, la
Morale s'est contentée de lui faire proclamer les plus solennelles balourdises et les plus lâches
sottises que le Mal ait jamais proférées pour un involontaire hommage au Bien.
On voit que je n'examine pas ce qu'il y a de morbide dans les œuvres du marquis de Sade;
je m'en tiens à ce qu'il y a d'absurde. La médecine ne rentre pas dans la littérature; la logique en
est. Je n'ai nulle compétence pour dire ce que c'est que le Sadisme dans le langage de la
pathologie mentale ou physique, et ce n'est pas dans une revue littéraire qu'on s'attend à en
trouver l'exposé. Je vois, en revanche, ou du moins, je crois savoir ce que c'est que le Sadisme
dans le langage de la logique, de la morale et des lettres, et c'est la théorie absurde du mal
meilleur que du bien, la doctrine insoutenable du mal pour te mal, et ce nom mérite de lui rester
parce que cette théorie informe, absurde, méritait d'être mise en forme, parce que cette doctrine
insoutenable valait d'être soutenue, parce que, si cette entreprise insensée n'avait été tentée, il
faudrait que quelqu'un tôt ou tard la tentât, et parce qu'il faut qu'il y ait des fous de même qu'il
faut qu'il y ait des hérétiques. Mais on eût souhaité
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que ce sujet ait trouvé pour le traiter un écrivain de plus de génie, une itelligence moins lâche, et
qu'au risque d'en exercer plus de séduction, le marquis de Sade n'ait pas été le méchant auteur
qu'il a été, le seul qui ait réussi à chausser un pied-plat sur un talon-rouge. On dira peut-être
qu'un bon écrivain ne choisit pas un aussi fou sujet et qu'un tel sujet ne trouve qu'un tel écrivain
qui le traite. Et ce sera encore une explication fort plausible.
Jean FLORENCE
[…]
Max JACOB, La Côte, recueil de chants celtiques anciens iédits. Texte breton revu par M. Julien
TANGUY. Paris, Paul Biraull et Clé, 1911.
Pp. 39-40, note à propos de «Le Vieux et l'amour»:
Cette pièce est fort belle: on ne peut s'empêcher de songer, en la lisant, aux
Raggionamentide l'Arétin que M. Guillaume Apollinaire a fait connaître au public français. On y
trouve ce qui constitue les chefs-d'œuvre, large humanité, pensée forte, psychologie fine, rapidité
dans la manière et cette alliance de l'esprit comique et de l'horrible, qui ne se rencontre que dans
les meilleures pièces du folklore oriental.
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