INTRODUCTION GENERALE Pour introduire notre recherche, nous allons définir l’objet de notre thèse (1), identifier nos objectifs généraux (2) et tracer les grandes étapes de notre démonstation (3). 1. OBJET DE LA THESE Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, les travaux de révision de la Constitution de 1919-1921 s’ouvrent sur des promesses substantielles de démocratisation du gouvernement représentatif1 hérité de 1831. Que deviennent ces promesses par la suite ? En privilégiant une approche pluridisciplinaire, nous nous proposons d’analyser l’évolution du droit positif belge qui régit la participation politique des citoyens et le lien entre électeurs et élus de 1831 à nos jours. Nous confronterons cette évolution du droit positif à la démocratie en tant qu’«idée de droit» telle que décrite par Georges Burdeau, à savoir «l’image que se font les membres d’une société donnée, à un moment donné, d’un ordre susceptible de promouvoir le bien commun»2 et qui conditionne «la reconnaissance de la valeur juridique des règles de conduite que postule cet ordre»3. Au terme de notre recherche, nous allons montrer que le constat posé par Bernard Manin dans son ouvrage Principes du gouvernement représentatif, selon lequel «la démocratie s’est assurément étendue, mais il est au mieux incertain qu’elle se soit approfondie »4, se vérifie dans le cas de la Belgique. Celle-ci a assurément augmenté le nombre de bénéficiaires de la participation politique mais, pour une large part, elle semble avoir perdu de vue l’approfondissement du contenu de celle-ci. A partir de 1919-1921, s’impose peu à peu la conviction selon laquelle la Belgique aurait basculé dans la démocratie grâce à l’universalisation du droit de vote. La face démocratique solaire du suffrage universel 1 Par les termes «gouvernement représentatif», nous visons le choix du mode de gouvernement consacré par le Constituant belge à partir de 1831. Nous les préférons aux termes «démocratie représentative» pour les raisons que nous exposerons infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.2.2. 2 BURDEAU G. , Traité de science politique , t. I, vol. 1, Paris, L.G.D.J. , 1980, 224. Sur ce concept : DUMONT H. , Le pluralisme juridique et l’autonomie culturelle en droit public belge , Bruxelles, Bruylant, F.U.S.L. , 1996, vol. 1, pp. 51 à 66. 3 BURDEAU G. , op.cit. , 233. 4 MANIN B. , Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996, 301. 1 (masculin) tend à plonger dans l’ombre l’héritage aristocratique hérité de 1831. Nous montrerons que, pourtant, les attentes et les promesses de démocratisation formulées à cette date étaient plus substantielles que l’abolition du suffrage censitaire. Par la suite, sous l’influence du scénario selon lequel la Belgique aurait une fois pour toutes basculé dans la démocratie depuis l’universalisation du suffrage, les promesses de démocratisation semblent tomber dans l’oubli: l’approfondissement de la démocratisation n’est plus à l’ordre du jour et certains acquis démocratiques hérités des temps passés font l’objet d’inattentions. 2. TROIS OBJECTIFS GENERAUX Trois objectifs généraux motivent notre entreprise : interroger le paradoxe de la démocratie (2.1), inquiéter les certitudes (2.2) et relier nos activités de recherche et d’enseignement (2.3). 2.1. INTERROGER LE PARADOXE DE LA DEMOCRATIE Hans Kelsen écrit en 1920 : «A la suite des révolutions bourgeoises de 1789 et de 1848, l’idéal démocratique était presque devenu une évidence de la pensée politique ; ceux-là même qui entreprenaient de s’opposer plus ou moins à sa réalisation, ne croyaient le plus souvent pas pouvoir l’oser sans faire au principe une courtoise révérence – comme s’ils l’acceptaient – ou sans s’abriter derrière un masque prudent de terminologie démocratique. Libéralisme et socialisme n’accusent pas de divergence d’idéologie à cet égard. Le mot d’ordre démocratie domine les esprits, aux XIXème et XXème siècles, d’une façon presque générale. Mais précisément pour cette raison, le mot, comme tout mot d’ordre, perd son sens précis»5. Près d’un siècle plus tard, Marchel Gauchet constate aussi «l’installation de la démocratie dans l’incontestable, quant à ses fondements, avec une projection dans l’incertitude radicale quant à son fonctionnement»6. Pour cet auteur, «(j)amais ses premiers principes n’avaient fait l’objet d’une adhésion aussi large et aussi ferme»7 et «(j)amais l’effectivité de son Préface de l’ouvrage La démocratie, sa nature, sa valeur (Paris, Dalloz, 2004, IX), paru en français en 1931. 6 GAUCHET M. , La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, 349. 5 7 Ibid. 2 exercice n’avait été autant menacée de se réduire à une coquille vide, à un pur théâtre d’ombres »8. La Belgique du XXIème siècle ne dément pas ces propos. Personne ne doute que la Belgique soit une démocratie. Partant, le caractère démocratique de la Belgique est une évidence partagée par tous. Mais dans le même temps, cette évidence peine à revêtir un contenu et des contours précis. Les données de l’Enquête européenne des valeurs menée en 20099 illustrent cette ambiguïté. Une large majorité des personnes interrogées (91%) estime positif d’ «avoir un système politique démocratique»10. Mais dans le même temps, un pourcentage non négligeable de sondés (44%) se prononce en faveur d’ «un leader fort qui ne doit pas trop se préoccuper du parlement et des électeurs»11, pourcentage qui a augmenté de près de 10% en dix ans12. De même, une majorité des répondants (61%) estiment que «les experts et non le gouvernement doivent décider sur base de ce qui semble le mieux pour le pays»13. Par ailleurs, ces chiffres «confirment (…) l’opinion courante selon laquelle le problème de la confiance vis-à-vis des institutions touche surtout les institutions politiques représentatives»14. Une majorité des personnes interrogées n’a aucune confiance, ou une confiance réduite, à l’égard du parlement (59%), du gouvernement (68%) et des partis politiques (79%)15. Le décalage entre l’évidence de la démocratie et la contingence de son contenu s’illustre aussi dans les réformes qui sont menées face à la crise de la démocratie représentative. 8 Ibid. VOYE L. , DOBBELAERE K. , ABTS K. , Autres temps, autre mœurs – Travail, famille, religion et politique : la vision des Belges, Bruxelles, Racine, 2012, 296 pp. 9 54 % jugent ce principe plutôt bien, et 37 % très bien (ABTS K. ; SWYNGEDOUW M., JACOBS D. , «Intérêt pour la politique et méfiance envers les institutions. La spirale enrayée ?» in VOYE L. , DOBBELAERE K. , ABTS K. , op.cit. , 188). Plus généralement sur la méfiance à l’égard des institutions politiques : pp. 184 à 207. 11 32 % estiment ce principe plutôt bien, 12 % très bien (ABTS K. ; SWYNGEDOUW M., JACOBS D. , op.cit. , 188). 12 En 1999, ils étaient 35 % de cet avis (ibid.). 13 50 % estiment ce principe plutôt bien, 11 % très bien (ABTS K. ; SWYNGEDOUW M., JACOBS D. , op.cit. , 188). 14 ABTS K. ; SWYNGEDOUW M., JACOBS D. , op.cit. , 184 . Dans un baromètre IPSOS établi en 2009, « la politique en général» est l’institution qui a recueilli le moins de confiance avec 49 % des sondés qui ne lui font pas confiance du tout et 36 % qui ne lui font plutôt pas confiance («Baromètre de confiance – Comment se situe le Belge vis-à-vis des institutions ?», IPSOS, mars 2009, 5). 10 15 Ibid. 3 Depuis la fin des années nonante, des réflexions et des réformes sont menées au nom du renouveau politique16 et au nom de la démocratie participative17. Plus récemment, des initiatives citoyennes telles que le G1000 veulent aller plus loin et «redonner du souffle à notre démocratie»18. Quel est le défi que nous pose cette «crise de la démocratie représentative» ? S’agit-il de la renforcer ou de la dépasser ? Enfin, la tension entre le caractère incontesté de la démocratie en Belgique et son insaisissabilité se marque aussi dans la place ambiguë qu’occupe cette dernière dans l’ordonnancement juridique belge. De manière interne, la Constitution belge ne vise pas expressément la démocratie. C’est vers le droit international qu’il faut se tourner pour trouver une formulation juridique de cette exigence. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 inscrit le «régime politique véritablement démocratique »19 dans son préambule et vise la « société démocratique» dans plusieurs de ses articles20. Il en va de même du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 dans trois de ses articles21. Plus récemment, le Traité de Lisbonne de 2007 vise la démocratie dans son préambule, l’inscrit parmi les valeurs de l’Union22 et l’identifie en tant que principe qui a «présidé à sa création, à son développement et à son élargissement»23. Mais quels contours précis revêtent ces consécrations? Comment concilier l’évidence de la démocratie en droit international et son silence en droit constitutionnel interne ? A défaut de Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimtation de la recherche : une météo démocratique sous un brouillant épais, point 1.1.1.1. 17 Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimtation de la recherche : une météo démocratique sous un brouillant épais, point 1.1.1.2. 18 G1000, L’innovation démocratique mise en pratique - Rapport final, 2012, 7. 19 Préambule de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955 ( M.B. , 19/08/1955). 20 Articles 6, 8, 9, 10 et 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (op.cit.). 21 Articles 14, 21 et 22 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, approuvé par la loi du 15 mai 1981 ( M.B. , 06/07/1983). 22 Article 2 du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, approuvé par la loi du 19 juin 2008 ( M.B. , 19/02/2009); par le décret du Parlement germanophone du 19 mai 2008 ( M.B. , 15/07/2008); par le décret du Parlement wallon du 22 mai 2008 ( M.B. , 29/05/2008); par l’ordonnance du Parlement bruxellois du 10 juillet 2008 (M.B. , 06/08/2008); par l’ordonnance de l’Assemblée COCOM du 10 juillet 2008 (M.B. , 06/08/2008); par le décret de l’Assemblée COCOF du 17 juillet 2008 ( M.B. , 26/08/2008); par le décret du Parlement flamand du 10 octobre 2008 ( M.B. , 05/11/2008, édition 2). 23 Article 21 du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 (op.cit.). 16 4 ce droit international, la Belgique ne serait-elle pas une démocratie ? Et depuis quand le serait-elle ? Dépassant ces incertitudes, la Cour constitutionnelle n’a pas hésité à se saisir de la démocratie, notamment pour reconnaître un intérêt à agir devant elle à tout électeur dont le vote risquerait d’être affecté défavorablement parce que «le droit de vote est le droit politique fondamental de la démocratie représentative»24. Tout en faisant l’objet d’évidences, la démocratie représentative belge apparaît donc traversée d’insatisfactions, de tensions et d’indécisions. Elle semble donc atteinte d’un paradoxe que nous voulons modestement contribuer à clarifier. 2.2. INQUIETER LES CERTITUDES Actuellement, deux crises semblent frapper la démocratie représentative belge. D’abord, la crise de la démocratie représentative qui, de manière plus ou moins définie, semble questionner la place des citoyens dans le modèle politique occidental hérité des XVIIIème et XIXème siècles. Cette crise semble commune aux autres démocraties occidentales25. Ensuite, la démocratie représentative belge connaît aussi depuis 2007 une crise politique, communautaire et institutionnelle qui la singulariserait. La constitution de la coalition fédérale réunie autour d’Elio Di Rupo26 et la conclusion de la sixième réforme de l’Etat27 ont, pour le moment, apaisé cette crise. Mais les regards se tournent déjà vers l’échéance électorale de 2014 : au lendemain de celle-ci, la Belgique se réveillera-t-elle renforcée ou fragilisée ? C.C. , arrêt n°26/90 du 14 juillet 1990, point 4.B.1. ; C.C. , arrêt n°31/2002 du 30 janvier 2002, point B.2.3. ; C.C. , arrêt n°30/2003 du 26 février 2003, point B.4.3. ; C.C. , arrêt n°35/2003 du 25 mars 2003, point B.10.3. ; C.C. , arrêt n°36/2003 du 27 mars 2003, point B.1.3. ; C.C. , arrêt n°90/2006 du 24 mai 2006, point B.7.2. ; C.C. , arrêt n°133/2006 du 28 juillet 2006, point B.11.2. ; C.C. , arrêt n°22/2012 du 16 février 2012, point B.4.4. ; C.C. , arrêt n°81/2012 du 28 juin 2012, point B.2.2. 25 Sur ce sujet, voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ? 26 Gouvernement – Démissions – Nominations, arrêtés royaux du 5 décembre 2011, M.B. , 06/12/2011. 27 «Un Etat fédéral plus efficace, des entités fédérées plus autonomes», accord institutionnel pour la sixième réforme de l’Etat, 11/10/2011. 24 5 Quand il s’agit d’analyser les tensions communautaires, les compromis institutionnels et les caractéristiques du fédéralisme belge, personne ne doute de la légitimité et de la pertinence de la parole des constitutionnalistes. La crise institutionnelle que vit la Belgique depuis 2010 est donc un terrain d’analyse privilégié pour le droit constitutionnel belge. Mais qu’en est-il de cette «autre» crise qui questionne les relations entre le monde politique et les citoyens? Pour une large part, elle semble échapper à leur sphère d’intérêts ou de compétences, et relever d’autres domaines tels que la science politique, la philosophie politique ou la sociologie politique. Mais n’est-ce pas en raison de la compartimentalisation des savoirs, et partant, des analyses dont elles font l’objet, que ces deux crises sont distinguées ? Et est-il certain qu’elles gagnent à être différenciées ? De manière générale, la complexité du modèle institutionnel belge invite à une dissociation des savoirs. Pour n’en prendre qu’un exemple, les compétences, les organes, les pouvoirs et la nature juridique des commissions communautaires bruxelloises relèvent manifestement du droit constitutionnel. Mais qu’en est-il de sujets tels que le lien entre représentants et représentés qui se noue au sein de ces institutions, de leur nature démocratique ou encore de l’étendue de la participation laissée aux citoyens dans les décisions politiques prises en leur sein ? Face à la complexité du fédéralisme belge, il nous semble utile d’éviter un cloisonnement hermétique des savoirs. On peut en effet se demander si ce cloisonnement n’aboutit pas au retour d’une forme de jusnaturalisme. Les juristes sont irremplaçables pour rendre compte des subtilités du modèle institutionnel belge. Mais si, dans le même temps, ce dernier n’est pas questionné en termes de démocratie, cela signifie que cette dernière est posée comme une donnée acquise et intangible, indépendante de l’évolution du droit positif qui lui donne consistance. Nous pensons au contraire qu’il est pertinent et légitime d’interroger, depuis notre point de vue de constitutionnaliste, le droit positif qui caractérise la démocratie représentative belge, en questionnant le caractère démocratique de cette dernière et non en le postulant d’entrée de jeu. Notre objectif est de tenter de croiser les regards sur la démocratie représentative belge en ne s’arrêtant ni à sa complexité, ni aux questionnements en termes de démocratie que cette complexité tend à épuiser. Nous plaidons donc pour une lecture de droit constitutionnel qui 6 «inquiète les certitudes»28 que nous avons sur la démocratie représentative belge, au premier rang desquelles la portée et l’étendue de sa nature démocratique. 2.3. RELIER RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT Dans le cadre de nos activités d’enseignement, nous constatons chez les étudiants une augmentation constante de l’attitude négative, voire désabusée, vis-à-vis de la démocratie représentative belge et de son fonctionnement, et une baisse continue de l’adhésion à son modèle29. Des données empiriques confirment cette micro-observation. Contrairement aux idées reçues, l’intérêt pour la politique et la participation politique augmentent en général30. Les jeunes générations sont cependant le maillon faible de cette progression. Dans les deux critères qui ont été mesurés par l’Enquête européenne des valeurs (intérêt pour la politique et participation politique), les jeunes se laissent devancer par leurs aînés : ils ne sont ni les plus activistes (génération intermédiaire), ni les plus intéressés par la politique (générations les plus âgées). Ils sont donc modérément intéressés par la politique, et modérément participants31. A notre avis, cette évolution est source d’interrogations : dans une société, n’est-ce pas curieux que les plus jeunes soient moins préoccupés et moins impliqués politiquement que leurs aînés ? Nous paraphrasons ici l’historien Romain Bertrand, auteur de l’ouvrage L’histoire à parts égales (Paris, Seuil, 2011, 670 pp.) , dans un entretien in Le Monde, 18/10/2012. 29 Bien sûr, nous veillons à ne pas tomber dans le piège qui menace tout enseignant : avec le temps, il vieillit alors que l’âge de ses élèves est invariant. Partant, la distanciation et l’éloignement entre eux est irrémédiable. Ils expliquent à notre avis beaucoup des constats sévères des enseignants à l’égard de l’évolution de leurs auditoires (qui seraient moins bien formés, moins disciplinés, etc.). Ces constats sévères oublient souvent que l’enseignant lui-même évolue dans ses connaissances, dans ses attentes, dans ses compétences, ce qui implique une évolution de sa perception qui n’est pas forcément imputable à son public. Dans notre cas, nos dix-sept années d’activités pédagogiques ( à un titre ou à un autre) dans le domaine du droit constitutionnel et du droit public ont toujours été participatives, ce qui permet de comparer sur cette période l’évolution des opinions d’un public en moyenne âgé de vingt ans. 30 ABTS K. ; SWYNGEDOUW M., JACOBS D. , op.cit. , pp. 175 à 179. 31 ABTS K. ; SWYNGEDOUW M., JACOBS D. , op.cit. , pp. 180 à 183. 28 7 Plus récemment, une autre enquête évalue à 66 % le pourcentage de jeunes qui sont «vraiment convaincus qu’il faut changer radicalement la société»32. Mais 69 % écartent l’idée de s’engager dans un parti politique et expriment de la méfiance à l’égard des dirigeants politiques33. En termes d’attachement à la démocratie et à ses valeurs, les chiffres deviennent, à notre avis, franchement inquiétants. Nous venons d’évoquer que près d’un Belge sur deux ne rejette pas l’idée d’un leader fort qui se passerait des électeurs et du Parlement34. Or, en affinant les résultats obtenus, l’Enquête européenne des valeurs montre «une forte stratification sociale de l’aliénation politique en fonction de l’âge»35 : «les jeunes (…) adhèrent proportionnellement plus volontiers aux thèses antidémocratiques»36. En tant qu’enseignante en droit public et droit constitutionnel, notre recherche sur la démocratie représentative belge vise aussi à tenter de trouver des réponses à formuler à nos étudiants qui semblent menacés par l’apathie et l’aliénation politiques. En particulier, il nous semble que nous, les générations qui les précèdent, avons une forme de responsabilité particulière vis-à-vis d’eux. Il semble en effet au mieux incertain que nous ayons été capables de leur construire un modèle constitutionnel «durable». Dans ce contexte, revenir sur les principes fondateurs de ce modèle, sur son évolution et sur ses caractéristiques vise à tenter de comprendre ce qui se présente au mieux comme une absurdité, au pire comme un péril. La Belgique peut compter sur une jeunesse qui, comme toutes les autres jeunesses, rêvent d’un autre monde. Mais cette jeunesse tend à ne plus percevoir la démocratie qui l’accueille, et les gouvernants qui la servent, comme des relais crédibles à ces rêves de transformation. 3. UNE DEMONSTRATION EN CINQ ETAPES Nous démontrerons notre propos en cinq étapes. 25 % s’estiment «moyennement » convaincus par cette proposition (Le Thermomètre des Belges , enquête Le Soir – RTBF – Solidaris, Le Soir, 22-23/06/2013, 10). 32 33 34 35 36 Ibid. Voy. supra point 1.1. de cette introduction. ABTS K. ; SWYNGEDOUW M., JACOBS D. , op.cit. , 208. Ibid. 8 Dans le premier chapitre (I. Une météo démocratique sous un brouillard épais), nous précisons nos objectifs, nos options méthodologiques et les limites de notre recherche37. Nous relevons les silences et les fragilités de la démocratie représentative belge actuelle, qui est travaillée par les volontés de renouveau politique et les assauts participatifs38. Nous préciserons nos principes méthodologiques39 en posant que notre recherche ambitionne d’interroger le droit positif de la participation politique en nous ouvrant largement aux autres sciences humaines telles que l’histoire, le langage, la pensée politique et la science politique40. Dans ce cadre, notre ambition est de privilégier une lecture du droit positif attentive aux enjeux idéologiques et aux effets de légitimation qui sous-tendent la notion et l’emploi du terme «démocratie» à travers le temps41. De même, nous privilégions une lecture du droit positif soucieuse de tenir compte des réalités institutionnelles qu’il régit42. Dans le deuxième chapitre, (II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?)43 nous interrogeons de manière théorique le constat de «crise de la démocratie représentative». Nous identifions les présupposés scientifiques induits par le terme de «crise»44, et les ambiguïtés historiques et théoriques de la «démocratie représentative» qui fusionne en son sein deux concepts originairement antinomiques, la «démocratie» et la «représentation»45. Cela nous permet de reformuler le point de départ de notre recherche : il ne s’agit pas tant de questionner la crise de la démocratie représentative mais bien l’évolution46 de notre gouvernement représentatif47 dans sa démocratisation48. Cette reformulation permet à la fois Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimitation de la recherche : une météo un brouillard épais. 38 Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimitation de la recherche : une météo un brouillard épais, point 1.1. 39 Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimitation de la recherche : une météo un brouillard épais, point 1.2. 40 Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimitation de la recherche : une météo un brouillard épais, point 1.2.1. 41 Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimitation de la recherche : une météo un brouillard épais, point 1.2.2. 42 Voy. infra I. Objectifs, méthodologie et délimitation de la recherche : une météo un brouillard épais, point 1.2.3. 43 Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ? 44 Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.1.1. 45 Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.1.2. 46 Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.2.1. 47 Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.2.2. 48 Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.2.3. 37 9 démocratique sous démocratique sous démocratique sous démocratique sous démocratique sous démocratique sous de mettre en question le caractère démocratique de notre gouvernement49 et d’affirmer le caractère évolutif, graduel et pluriel de la démocratie50. Il apparaît alors que l’évidence démocratique du suffrage universel n’empêche pas d’interpeller les autres principes juridiques qui fondent notre gouvernement représentatif et qui conditionnent la participation politique des citoyens en dehors de leur participation électorale périodique (le principe représentatif, le principe électif, le principe de l’indépendance entre les représentants et les représentés, l’accessibilité aux mandats en droit et en fait, les libertés politiques non électorales et le lien représentatif entre électeurs et élus)51. Pour les bonnes fins de notre recherche, seront considérés comme «aristocratiques» les principes constitutionnels et les dispositifs juridiques qui ont comme objectif, ou comme effet, de mettre le pouvoir entre les mains d’un petit nombre, à savoir une élite, quel que soit le profil de cette élite. A l’inverse, nous jugerons que sont «démocratiques» les principes qui ont comme objectif, ou comme effet, de remettre en cause le pouvoir de l’élite, soit en multipliant les bénéficiaires de la participation politique, soit en approfondissant le contenu de cette participation politique52. Pour décrire l’évolution des principes aristocratiques et démocratiques qui caractérisent le gouvernement représentatif belge, notre principale grille de lecture est historique. Dans le troisième chapitre (III. La démocratisation du gouvernement représentatif en 1831 : une promesse nécessaire), nous partons du gouvernement représentatif de 1831 et montrons que la démocratisation de celui-ci était nécessaire53. Pour comprendre au plus près l’œuvre des congressistes, nous nous attacherons d’abord à resituer leur œuvre dans son contexte en interrogeant l’histoire des anciennes provinces belges avant la Révolution de 1831, et l’importance de la représentation par intérêt avant cette date. Cela permettra de rester attentif à la tendance plus souterraine qui traverse le 49 50 51 Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.2.3.1. Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.1.3.2. Ibid. Voy. infra II. Une «crise» de la «démocratie représentative» ?, point 2.2.3.3. Voy. infra III. La démocratisation du gouvernement représentatif en 1831 : une promesse nécessaire. 52 53 10 chantier constitutionnel de 1831. Les congressistes innovent. Mais ne reproduisent-ils pas aussi des pratiques ancestrales ?54 Partir du gouvernement représentatif de 1831 n’est pas seulement utile pour remettre notre gouvernement représentatif actuel dans le contexte historique qui est le sien. Cela l’est aussi parce que cela permet de nous délester du poids que l’habitude fait peser sur notre lecture du gouvernement représentatif belge actuel. L’objectif de notre recherche est de pluraliser les angles d’analyse du caractère démocratique de notre gouvernement et de dépasser la seule localisation de celui-ci dans le suffrage universel. Mais pour nous, comme pour le lecteur, soumettre à la question le caractère démocratique de notre gouvernement se heurte à des habitudes de pensée et à des convictions puissantes. Seul un changement de cadre permet à notre avis de les dépasser. Dans cette optique, l’œuvre des congressistes de 1831 est un terrain d’analyse particulièrement fécond. Etant donné que les congressistes mettent en place un gouvernement représentatif censitaire, la tendance aristocratique de leur œuvre saute à nos yeux sans gêne ni difficulté. Comme ils ont en vue d’établir un gouvernement par quelquesuns et non par le plus grand nombre, ils consacrent le suffrage censitaire. En suivant le fil des huit principes identifiés de manière théorique dans la partie précédente, nous vérifierons si la limitation censitaire du droit de vote est le seul dispositif qu’ils mettent en place en vertu de leurs convictions aristocratiques selon lesquelles seule une élite doit être appelée à gouverner la nation. Nous montrerons que les congressistes établissent en vertu de celles-ci un écheveau cohérent et efficace de plusieurs principes aristocratiques55. Dans cette analyse, nous veillerons à assumer le caractère évolutif, pluriel et graduel du mouvement du gouvernement représentatif belge vers la démocratie dans ses complets développements. Cela n’oblige pas seulement à pluraliser l’analyse du caractère démocratique de notre gouvernement actuel mais aussi celle du régime antérieur. Dans son irrésistible dichotomie, le scénario du basculement dans la démocratie à partir du suffrage universel ne postule pas seulement l’état démocratique du résultat, mais également l’état aristocratique du point de départ. Nous établirons que, de la même manière que le caractère aristocratique du gouvernement représentatif de 1831 ne peut être limité au suffrage Voy. infra III. La démocratisation du gouvernement représentatif en 1831 : une promesse nécessaire, introduction. 55 Voy. infra III. La démocratisation du gouvernement représentatif en 1831 : une promesse nécessaire, point 3.1. 54 11 censitaire, ce gouvernement ne peut être réduit à ce caractère aristocratique. Nous verrons que l’œuvre des congressistes ne se résume pas à leurs seules options élitistes et qu’ils consacrent des principes qui peuvent être qualifiés de démocratiques56. Nous terminerons notre examen du moment fondateur de 1831 en mettant en lumière l’effet démocratique paradoxal du suffrage censitaire. A cette époque, l’espace politique défini entre électeurs et élus est un espace endogame aménagé par et pour les élites. Paradoxalement, cet espace politique témoigne d’une grande qualité démocratique, au seul bénéfice de ces élites57. Dans le quatrième chapitre (IV. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une promesse non tenue), nous nous demanderons ce qu’il advient des principes aristocratiques de 1831 lors de la révision constitutionnelle de 1919-192158. A la lecture officielle de ce deuxième moment fondateur, nous préférerons une lecture plus attentive aux non-dits de cette réforme. Comme nous le montrerons, cette époque charnière est assurément un grand moment de l’histoire démocratique belge en ce qu’il consacre le suffrage universel masculin. Mais c’est aussi un grand moment de conservation de l’ordre établi. Pour faire apparaître cette dimension, nous rappellerons le contexte politique et international de cette réforme, qui se joue à un moment où la révolution bolchevique frappe à nos portes59. Dans ce contexte tendu, nous épinglerons combien, au lendemain de la Grande Guerre, les espoirs de transformation du gouvernement représentatif sont vifs60. En réponse, les promesses de démocratisation à la veille de la révision constitutionnelle sont ambitieuses61 mais elles restent largement non tenues. Voy. infra III. La démocratisation du gouvernement représentatif en nécessaire, point 3.2. 57 Voy. infra III. La démocratisation du gouvernement représentatif en nécessaire, point 3.3. 58 Voy. infra IV. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du promesse non tenue. 59 Voy. infra IV. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du promesse non tenue, introduction. 56 60 Ibid. 1831 : une promesse 1831 : une promesse suffrage universel : une suffrage universel : une Voy. infra IV. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une promesse non tenue, point 4.1. 61 12 D’abord, le Constituant de 1919-1921 démocratise partiellement le gouvernement représentatif62. Une fois le cens aboli, la plupart des principes aristocratiques sont maintenus, voire renforcés. A cette époque, la nature aristocratique de ces principes est encore connue : c’est dans le but d’atténuer les effets réputés néfastes du suffrage universel qu’ils sont préservés. De même, nous montrerons que la représentation par intérêt qui hantait les travaux constitutionnels de 1831 fait encore l’objet de propositions démocratiques complètement oubliées à ce jour, propositions qui ne sont pas retenues par le Constituant63. Ensuite, nous établirons qu’une fois le suffrage universel (masculin) acquis, le surcroît de légitimité et de représentativité dont bénéficie le gouvernement représentatif belge contribue à effacer, en droit ou en fait, les principes démocratiques de 183164. Commence à se dessiner ici le scénario selon lequel le suffrage universel suffirait à accomplir la démocratisation du gouvernement représentatif belge : une fois ce dernier concédé, il tend à focaliser les attentions démocratiques. Enfin, nous pointerons du doigt l’effet aristocratique paradoxal du suffrage universel : à dispositif inchangé, l’universalisation du droit de suffrage modifie profondément et durablement l’espace politique défini antérieurement au seul profit de l’élite et ce, dans le sens d’un éloignement, d’une différenciation et d’une distanciation entre les électeurs et les élus. Au lendemain de la réforme, l’importance de l’affiliation partisane et le dynamisme des organisations politiques atténuent cependant de facto cet effet65. En 1919-1921, l’heure reste donc à un gouvernement réservé à un petit nombre même si l’élite traditionnelle définie par la fortune doit se serrer et céder de la place à une nouvelle élite aux contours encore flous, définie par la compétence et l’expertise66. Le cinquième et dernier chapitre (V. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une promesse oubliée) de notre recherche reprend chaque principe constitutionnel qui a été étudié précédemment lors des moments-fondateurs de 62 Ibid. Voy. infra IV. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une promesse non tenue, point 4.2. 64 Voy. infra IV. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une promesse non tenue, point 4.3. 65 Voy. infra IV. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une promesse non tenue., point 4.4. 63 66 Ibid. 13 1831 et de 1919-1921. Une fois revenus au gouvernement représentatif belge actuel, tout nous poussera à le penser en termes de «démocratie représentative». Nous veillerons pourtant à serrer de près la grille d’analyse qui a été préalablement élaborée dans un contexte plus détaché, et nous nous poserons la question déroutante suivante : au-delà de la phosphorescence démocratique du suffrage universel, que sont devenus les principes aristocratiques inscrits par les Congressistes de 1831 au cœur de notre gouvernement représentatif actuel ? A ce stade, notre recherche s’élargit aux gouvernements représentatifs fédérés, ce qui démultiplie notre objet d’étude. Nous montrerons qu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le contexte politique et international concourt à renforcer la légitimité démocratique du suffrage universel et à rejeter en dehors de la représentation parlementaire classique le modèle de la représentation par intérêt qui hante notre histoire constitutionnelle67. Contrairement aux deux momentsfondateurs de 1831 et 1919-1921, la nature aristocratique des principes constitutionnels hérités de 1831 semble perdue de vue, comme si le suffrage universel avait réussi à démocratiser notre gouvernement représentatif une fois pour toutes. Partant, les promesses de démocratisation qui avaient été formulées en 1919-1921 sont largement oubliées. D’abord, nous exposerons que les rares chantiers de démocratisation menés depuis 19191921 ne sont pas exempts d’ambiguïtés68. Ensuite, nous développerons que certains principes aristocratiques hérités de 1831 sont maintenus69 et certains autres sont rétablis : l’analyse de plusieurs dispositifs montrera une tendance du gouvernement représentatif belge à freiner le renouvellement du pouvoir et à favoriser la perpétuation des élites en place70. Dans le même temps, plusieurs indices témoignent du fait que le suffrage universel entoure d’ombres les principes démocratiques hérités de 183171. Voy. infra V. La démocratisation promesse oubliée, introduction. 68 Voy. infra V. La démocratisation promesse oubliée, point 5.1. 69 Voy. infra V. La démocratisation promesse oubliée, point 5.2.1. 70 Voy. infra V. La démocratisation promesse oubliée, point 5.2.2. 71 Voy. infra V. La démocratisation promesse oubliée, point 5.3. 67 du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une 14 Enfin, nous montrerons que, selon nous, la tendance oligarchique du suffrage universel tend à s’accentuer en raison de l’évolution qui caractérise les partis politiques, à savoir la désertion de leurs affiliés et la faible démocratisation interne de leurs structures conséquente à cette désertion72. L’analyse des principes constitutionnels, de leurs effets, de leur concrétisation légale, de certaines pratiques politiques et des débats parlementaires tend à révéler la persistance d’une conception aristocratique du gouvernement visant à mettre ce dernier entre les mains non pas de tout un chacun, mais d’un petit nombre dont le profil est défini par rapport à la professionnalisation et à l’expertise politiques73. De manière transversale, il sera montré que la construction fédérale n’est pas l’occasion d’innover sur le plan des principes qui régissent les différents gouvernements représentatifs fédérés, à l’exception de différentes initiatives du Parlement flamand. Ces nouveaux ordres représentatifs se caractérisent donc par des principes similaires au gouvernement représentatif fédéral, résultat d’une logique de reproduction et d’une conception timide de l’autonomie constitutive. Ces nouveaux gouvernements représentatifs restent donc impuissants à pousser plus avant leur démocratisation et à aménager en leur sein un espace politique propre au sein duquel la participation politique des citoyens vivrait une nouvelle jeunesse. De même, nous établirons que la complexité du modèle institutionnel belge a des répercussions sur la citoyenneté dessinée au sein du gouvernement représentatif belge, à défaut de mesures d’accompagnement idoines. A nouveau, l’emprise du suffrage universel se marque ici : sa puissance démocratique serait capable, à elle seule, de surmonter les obstacles qui freinent de facto une citoyenneté active et autonome du pouvoir qu’elle est censée serrer de près. Enfin, et toujours de manière horizontale, nous exposerons que la force de légitimation du suffrage universel est telle que même celui-ci semble faire l’objet d’un manque de soins : de Voy. infra V. La démocratisation du gouvernement représentatif à partir du suffrage universel : une promesse oubliée, point 5.4. 72 73 Ibid. 15 plus en plus souvent, les conditions dans lesquelles il est amené à s’exprimer, et les effets qui lui sont réservés, tendent à diminuer sa force démocratique. Comme le lecteur s’en rendra compte, au fur et à mesure qu’il se rapprochera du moment présent, l’emploi du terme «aristocratique» lui semblera de plus en plus gênant. Cela commencera lors de la lecture du chapitre relatif à la révision de 1919-1921. Cela s’intensifiera dans le chapitre relatif au gouvernement représentatif belge actuel. Il s’agit, à notre avis, d’une manifestation de notre habitude de penser la Belgique actuelle en termes de «démocratie représentative», et de l’influence sur l’esprit du scénario de son basculement dans «la démocratie» à partir du suffrage universel. En ce sens, cette tension de lecture nous semble d’une certaine valeur heuristique. C’est pourquoi nous n’avons pas cherché à en exempter le lecteur, malgré son inconfort. 16