Fabrique du changement : Analyse des praxis des cadres intermédiaires1 Nathalie GUILMOT Assistante de recherche Louvain School of Management Université catholique de Louvain (UCL) CRECIS (Center for Research in Entrepreneurial Change and Innovative Strategies) Alain VAS Professeur Louvain School of Management Université catholique de Louvain (UCL) CRECIS (Center for Research in Entrepreneurial Change and Innovative Strategies) Résumé : Evoluant dans un environnement en constante mutation (dérégulation, intensification de la concurrence, avancées technologiques, mondialisation, …), les organisations contemporaines doivent désormais être à même de faire face aux contraintes de changement permanent. Toutefois, vu les faibles taux de succès de mise en œuvre, il semble que le processus de changement organisationnel nécessite d’être investigué plus en détails. Jusqu’à présent, la majorité des études s’est focalisée sur les actions et les interactions menées par les dirigeants au détriment d’autres acteurs organisationnels, tels que les cadres intermédiaires. Dans cette perspective, l’originalité de cet article est d’appréhender sous un angle microscopique l’impact que les cadres intermédiaires peuvent avoir sur le résultat final du changement. Inscrit dans la lignée des travaux issus du courant de la fabrique de la stratégie, l’article a pour but de synthétiser les apports des recherches antérieures et de proposer une lecture par les pratiques des actions menées par les cadres intermédiaires en contexte de changement. En particulier, l’article propose une vision théorique des pratiques mobilisées par les cadres intermédiaires pour interagir avec leur direction (pratiques ascendantes), leurs employés (pratiques descendantes) et leurs collègues (pratiques latérales) en contexte de changement. Mots clé : Changement organisationnel ; Cadres Intermédiaires ; Pratiques ; Fabrique du changement 1 Les auteurs souhaitent remercier les personnes ayant commenté la version antérieure du papier lors des conférences à Nantes et à Marrakech en 2011. Sur base de ces commentaires, le papier a été entièrement remanié. 1 Introduction Le changement constitue dans l’univers des organisations un thème central dans la mesure où les évolutions constantes de l’environnement (dérégulation, intensification de la concurrence, avancées technologiques, mondialisation, …) au sein duquel évoluent les entreprises, conduisent à faire de la gestion des changements organisationnels une question clé de survie. En effet, le processus de changement organisationnel semble tout aussi capital pour la compétitivité à court terme que pour la survie de l’organisation à long terme (Leana et Barry, 2000). Toutefois, vu le faible taux de succès de mise en œuvre, qui s’élèvent à peine à 30% (Beer et Nohria, 2000), il semblerait que ce processus pose des défis managériaux. En particulier, Kotter et Cohen (2002) avancent que ces échecs sont généralement dus à des facteurs humains. A cet égard, de récentes études développées dans la lignée des travaux issus du courant de la fabrique de la stratégie (Balogun et Johnson, 2004, 2005 ; Jarzabkowski et al., 2007 ; Jarzabkowski et Spee, 2009) mettent en exergue le besoin de recentrer les travaux sur l’aspect humain en portant notre attention sur les actions et interactions des praticiens du processus de changement. Dans cette perspective, notre recherche porte sur l’analyse d’une catégorie d’acteurs moins traités dans la littérature (Autissier et Derumez, 2004), à savoir les cadres intermédiaires. A la fois destinataires et agents de changement, leurs interprétations et leurs actions ont un impact décisif sur la mise en œuvre du changement (Vas, 2009). L’originalité de cet article est d’appréhender la gestion du changement à la lumière de la littérature issue du courant de la fabrique de la stratégie (strategy-as-practice). En particulier, notre étude analyse l’activité quotidienne des cadres intermédiaires afin d’identifier les pratiques auxquelles ces acteurs ont recours pour interagir avec leur direction, leurs collègues et leurs employés en contexte de changement. Sur base des recherches antérieures, cet article vient enrichir la littérature portant sur le changement organisationnel en proposant une classification des pratiques des cadres intermédiaires en contexte de changement. Notre recherche débute par justifier notre choix de centrer notre analyse sur les cadres intermédiaires et poursuit en soulignant la pertinence de s’appuyer sur le courant de la fabrique de la stratégie afin d’approcher le changement sous un angle microscopique. Suite à cela, l’article parcourt les apports des recherches antérieures avant de proposer une classification des pratiques des cadres intermédiaires en contexte de changement organisationnel. Enfin, nous concluons par une discussion des limites et des implications pour les recherches futures. 2 Des Initiateurs aux Destinataires du Changement Les principaux courants de recherche portant sur le changement organisationnel se sont orientés soit vers l’étude du contenu (Gipps, 1993 ; Burke, 1994, Self et al., 2007), soit vers une compréhension des processus de changement (Webb et Dawson, 1991 ; Van de Ven et Poole, 1995 ; Self et al., 2007). Les chercheurs s’intéressant au contenu portent leur attention sur les causes et les conséquences des changements organisationnels tandis que le courant de recherche portant sur les processus s’intéresse particulièrement aux rôles des managers au cours du changement dans une perspective longitudinale (Rajagopalan et Spreitzer, 1997). Au sein de ce second courant, les recherches menées ont majoritairement porté sur l’étude de changements imposés. Par conséquent, ces dernières ont principalement mis l’accent sur l’analyse des comportements et des actions entrepris par les initiateurs du changement, à savoir le top management (Weick et Quinn, 1999 ; Boeker, 1997 ; Osterman, 2008). Récemment, divers auteurs ont souligné l’importance d’élargir les recherches aux autres acteurs impliqués dans le processus de changement, tels que les cadres intermédiaires (Huy, 2001, 2002 ; Balogun, 2003, 2006 ; Balogun et Johnson, 2004, 2005 ; Rouleau, 2005 ; Rouleau et Balogun, 2011). Dans cette perspective, nous proposons une revue de la littérature des travaux portant sur la façon dont les cadres intermédiaires participent au processus de changement. Les Cadres Intermédiaires comme Agents de Changement Depuis la fin des années 80, plusieurs auteurs ont souligné le rôle que jouent les cadres intermédiaires dans le processus de changement. Tout d’abord, selon Floyd et Wooldridge (2000), les cadres intermédiaires peuvent être vus comme des membres clés de la communauté organisationnelle étant donné qu’ils agissent en tant que médiateurs entre le top management et le reste de la communauté. Deuxièmement, le contact direct et quotidien que les cadres intermédiaires ont avec la réalité de l’organisation leur permet de prendre des décisions davantage adaptées à la situation rencontrée. A cet égard, Dutton et al. (1997) précisent que ce sont souvent les cadres intermédiaires plutôt que les dirigeants qui ont leurs mains sur le « pouls de l’organisation ». Troisièmement, les cadres intermédiaires, s’ils sont impliqués dans le processus de mise en œuvre du changement, seront mieux à même de l’interpréter lors de son déploiement (Johnson et al., 2003). De cette façon, il n’est plus question d’uniquement considérer les cadres intermédiaires comme des sources de résistance 3 au changement mais de leur attribuer également le rôle d’agents de changement (Huy, 2002 ; Vas, 2009). Enfin, Balogun et Johnson (2004) suggèrent que le rôle des cadres intermédiaires va gagner en importance étant donné la complexité croissante des entreprises contemporaines. De telles structures ne peuvent plus être gérées par un ou plusieurs individus mais nécessitent la mise en place d’un leadership global interactif où les cadres intermédiaires jouent le rôle de médiateurs entre les différents niveaux ou unités. En effet, comme le soulignent Johnson et al. (2003), l’élaboration par les entreprises de réponses rapides et innovantes pour faire face à la compétition mondiale nécessite une décentralisation des décisions au niveau le plus local. Dans cette perspective, il apparait clairement que la compréhension des actions et interactions des cadres intermédiaires exige davantage de recherches afin de mieux comprendre la mise en œuvre effective du changement dans les organisations. Vers la Fabrique du Changement En portant sur l’analyse des pratiques des cadres intermédiaires en contexte de changement, notre recherche répond à la demande issue du courant de la fabrique de la stratégie de recentrer les recherches sur les actions et les interactions des praticiens. Selon Jarzabkowski, Balogun et Seidl (2007), cette nouvelle orientation se positionne dans le contexte plus large du « tournant pratique » visant à dépasser les modèles et cadres prescriptifs pour rendre à la recherche en management et en organisation un aspect plus humain (Schatzki et al., 2001). Ce courant ne s’oppose donc pas aux approches antérieures mais vient les compléter en proposant une compréhension pratique de la pratique stratégique (Johnson et al., 2003). Ce courant nous permet ainsi d’approcher le processus de changement organisationnel en mettant désormais l’accent sur les acteurs, leurs actions ainsi que leurs interactions. Jusqu’à présent, les recherches ont en effet eu tendance à approcher l’activité managériale de façon isolée en se focalisant sur les individus au détriment des groupes et des processus multi-niveaux (Wooldridge et al., 2008). Les actions et interactions des agents du changement s’en trouvaient alors souvent délaissées. Dans cette optique, envisager le processus de changement dans une perspective microscopique permet de répondre au besoin de compréhension détaillée, en faisant le lien entre le niveau organisationnel et le niveau individuel. Ainsi, si les auteurs du « faire stratégique » considèrent que « la stratégie n’est pas quelque chose qu’une organisation possède mais quelque chose que ses membres font », alors nous pouvons considérer que le changement n’est pas quelque chose qu’une organisation décide mais quelque chose que ses membres fabriquent (Autissier et al., 2010). 4 Sur base de la description du tournant pratique proposée par Reckwickz (2002), Whittington (2006) envisage le courant de la fabrique de la stratégie (figure 1) en termes de praxis (le flux d’activités à travers lesquelles la stratégie est accomplie), de pratiques (les outils, routines et procédures servant d’appui à la mise en œuvre de la stratégie), et de praticiens (les acteurs de la stratégie). Figure 1 : Cadre conceptuel pour l’analyse de la stratégie comme pratique Praxis La stratégie en tant que flux d’activités en situation et accompli socialement, ayant des conséquences sur les orientations et la survie de l’entreprise B C Faire stratégique Pratiques Ressources cognitives, comportementales, procédurales, discursives, motivationnelles et physiques qui sont combinées, coordonnées et adaptées pour construire la pratique. Praticiens A Acteurs qui influencent la construction de la pratique à travers qui ils sont, comment ils agissent et les ressources qu’ils utilisent. Source : Seidl, Balogun et Jarzabkowski (2006) Tout d’abord, les pratiques ont fait l’objet de diverses interprétations. La première présente les pratiques comme « des types de comportements routiniers composés de plusieurs éléments interconnectés : des formes d’activités physiques, des formes d’activités mentales, des « choses » et leur utilisation, un bagage cognitif sous forme de compréhension, de savoirfaire, d’états émotionnels et de connaissances motivantes » (Reckwitz, 2002). Par la suite, Jarzabkowski (2005) a défini les pratiques comme « des outils et concepts que les gens utilisent dans leur travail stratégique». Dernièrement, Rasche et Chia (2009) ont établi que les pratiques correspondaient à un nœud de performances corporelles « routinisées ». Autrement dit, les pratiques font référence aux comportements partagés, à savoir les routines, les normes et les procédures (Whittington, 2006). 5 Deuxièmement, Reckwitz (2002) suggère que la pratique représente un terme emphatique pour décrire l’action humaine comme un tout. Selon Seidl et al. (2006), la pratique « inclut l’interconnexion entre les actions de personnes et groupes différents et dispersés, et les institutions sociales, politiques et économiques enchâssées dans lesquelles les personnes agissent et auxquelles elles contribuent ». Autrement dit, la pratique se déploie comme un réseau de connexions entre ce qui se passe dans la société et ce que le gens font (Seidl et al., 2006). Chanal (2008) précise que la pratique se situe à un niveau individuel, local, et intègre les relations entre les actions des différentes personnes. En contexte de changement, Autissier et al. (2010) nous suggèrent d’observer comment les actions engagées par les acteurs du changement forment un flux d’activités en situation ayant des conséquences (Jarzabkowski et al., 2007) sur la transformation de l’organisation. Suite à ces deux définitions, il est utile de préciser que, dans le courant de la fabrique de la stratégie, le terme pratique (au singulier) est souvent réservé pour faire référence à une activité ou à l’exécution d’un travail en pratique, par opposition aux pratiques (au pluriel) qui font quant à elles, référence aux comportements collectifs routiniers. Reckwitz (2002) et Whittington (2006) proposent dès lors d’utiliser le terme praxis au lieu de pratique (au singulier) pour faire référence aux activités en situation. Enfin, les praticiens sont les acteurs qui influencent la construction de la pratique à travers qui ils sont, comment ils agissent et les ressources qu’ils utilisent (Seidl et al., 2006). Dans la perspective de la pratique, ces acteurs sont des participants actifs de la construction d’une activité qui a des conséquences sur l’organisation et sa survie. Ils ne se limitent donc pas aux dirigeants mais sont situés à tous les niveaux de l’organisation. Les acteurs analysés dans le cadre de cette étude sont les cadres intermédiaires. En ce qui concerne ce niveau d’analyse, il est intéressant de noter qu’il n’existe pas de définition du cadre intermédiaire qui fasse l’unanimité (tableau 1). Toutefois, les auteurs ayant analysé ces acteurs partagent l’idée qu’ils occupent une position médiane dans l’organisation. Wooldridge et Floyd (1990, p. 234) les positionnent « à deux ou trois niveaux en dessous du président directeur général », sans préciser la borne inférieure. Celle-ci est précisée par Dutton et Ashford (1993) pour qui les cadres intermédiaires font référence aux « managers situés hiérarchiquement en-dessous des top managers et au-dessus du premier niveau de supervision» et par Thakur (1998) qui les situe « à un niveau en dessous du vice-président et deux niveaux au-dessus du manager de première ligne ». Huy (2002) définit quant à lui le 6 cadre intermédiaire comme « tout manager situé deux niveaux en-dessous du Président Directeur Général (CEO) et un niveau au-dessus des travailleurs et opérationnels du terrain. » Le trait distinctif des cadres intermédiaires ne réside donc pas dans la place qu’ils occupent dans l’organigramme de l’entreprise mais se situe davantage dans la proximité qu’ils ont à la fois avec le top management et les opérationnels (Balogun, 2003). Tableau 1 : Définitions des cadres intermédiaires Auteur Définition Wooldridge et Floyd (1990) « Ils se positionnent à deux ou trois niveaux en dessous du président directeur général. Ils ne font donc pas référence à la limite basse, c’est-à-dire à la référence entre les cadres intermédiaires et les cadres opérationnels. » Dutton et Ashford (1993) « Les managers situés hiérarchiquement en-dessous des top managers et au-dessus du premier niveau de supervision. » Thakur (1998) « Ils se situent à un niveau en dessous du vice-président et deux niveaux au-dessus du cadre opérationnel ou manager de première ligne. » Huy (2002) « Tout manager situé deux niveaux en-dessous du Président Directeur Général (CEO) et un niveau au-dessus des travailleurs et opérationnels du terrain. » Balogun (2003) « Ceux placés entre la sphère stratégique de l’organisation et les opérationnels. » Dans cette recherche, l’analyse effectuée se situe à la jonction des praxis et des praticiens (zone C) qui servent comme points d’entrée du courant de la fabrique du changement (figure 1) ; l’objectif étant d’identifier les patterns d’activités que les cadres intermédiaires mettent en œuvre pour remplir leur rôle d’agent de changement et modifier le cas échéant le résultat final du changement décidé par la direction. Il s’agit ainsi de considérer que le changement nait et se construit à travers un faisceau d’activités et de décisions prises au quotidien. Les Pratiques des Cadres Intermédiaires en Contexte de Changement Afin de proposer une classification des pratiques (praxis) mobilisées par les cadres intermédiaires en contexte de changement, les apports des recherches antérieures ont été comparées et assemblées. Toutefois, la variété des terminologies utilisées ainsi que la diversité des méthodologies a rendu le travail de synthèse délicat, raison pour laquelle l’étape préalable a consisté à sélectionner les recherches dont les apports peuvent être abordés en termes de pratiques (tableau 2). A cet égard, il semble utile de préciser que la sélection des recherches antérieures a été réalisée sur base des résultats qu’elles amenaient à l’égard des activités effectuées par les cadres intermédiaires en situation de changement. En particulier, les recherches utilisées dans le cadre de cet article peuvent être réparties en deux catégories : d’une part, les travaux appartenant explicitement au courant de la fabrique de la stratégie (lien direct) et d’autre part, les travaux réinterprétés sous l’angle de ce courant (lien indirect). 7 Tableau 2 : Synthèse des recherches portant sur les cadres intermédiaires en contexte de changement organisationnel Auteurs Nonaka (1988-1994) Lien avec le courant de la fabrique de la stratégie Indirect Résultats Méthodologie Contexte Agents de changement : Mobilisation des connaissances Elimination des fluctuations et chaos Intégration des points de vue du sommet et de la base Leader de leur équipe La proposition d’alternatives stratégiques innovantes La synthèse d’informations L’amélioration de l’adaptabilité de l’entreprise La mise en œuvre des stratégies de changement Rôle pivot dans la détection des nouvelles idées et l’allocation des ressources autour de ces idées Rôle central dans la communication entre les différents niveaux organisationnels Etude de cas Réorientation stratégique (Honda) Enquête auprès de 259 cadres intermédiaires incluant entrevues et observations Entreprises innovantes et orientées processus Entrevues de 30 cadres intermédiaires Environnement hyper compétitif Observations et entrevues avec plus de 200 cadres intermédiaires et dirigeants d’entreprise Etude de cas longitudinale (journaux de bord, focus groupes, entretiens en profondeur, documentation) / 26 cadres intermédiaires Etude de cas longitudinale (journaux de bord, entretiens en profondeur, documentation) / 26 cadres intermédiaires Eude de cas longitudinale (interviews, observations, documentation) Floyd & Wooldridge (1994-1997) Indirect Dutton & al. (1997) Indirect Floyd & Lane (2000) Indirect Huy (2001, 2002) Indirect L’entrepreneur L’informateur Le thérapeute Le stabilisateur (artiste équilibriste) Balogun (2003) Direct Balogun & Johnson (2004, 2005), Balogun (2006) Direct Intermédiaires du changement engagement personnel dans le changement soutien aux associés implémentation des changements nécessaires équilibre entre stabilité et changement Les cadres intermédiaires comme destinataires et agents de changement : acteurs centraux du processus de sensemaking Stensaker & Falkenberg (2007) Direct Pratiques de sensemaking Beck & Plowman, (2009) Indirect Rouleau & Balogun (2011) Direct Animer et guider le processus d’interprétation organisationnel -Encourager la divergence des interprétations au début du processus de changement. -Synthétiser les diverses interprétation en une représentation partagée du changement Rôle de sensemaking stratégique Micro-pratique : Créer un groupe uni en faveur du changement Micro-pratique : Adapter la manière de communiquer à chaque acteur impliqué dans le processus de changement Article théorique Environnement compétitif Réorientation stratégique d’une usine récemment privatisée Réorientation stratégique d’une usine récemment privatisée Mise en œuvre d’un système SAP dans une entreprise norvégienne Papier théorique 2 études de cas – 4 cadres intermédiaires Restructuration 8 Des Pratiques Ascendantes, Descendantes et Latérales Afin de pouvoir estimer l’impact que les cadres intermédiaires peuvent avoir sur chacun des niveaux organisationnels, nous avons classé les pratiques mobilisées par les cadres intermédiaires en fonction des groupes d’acteurs vers lesquels elles sont dirigées (tableau 3). En effet, de par leur position centrale, les cadres intermédiaires se retrouvent au cœur des processus d’interactions sociales. Comme Floyd et Lane (2000, pp.164-165) le soulignent, la complexité des informations et le nombre d’interactions potentielles sont nettement plus importants pour les cadres intermédiaires que pour les dirigeants ou les niveaux opérationnels. Dans cette perspective, nous proposons de classer les pratiques en trois catégories en fonction qu’elles soient dirigées vers le top management (ascendante), les employés (descendant) ou les collègues (latéral). En ce qui concerne l’influence ascendante, les recherches antérieures permettent d’avancer que les cadres intermédiaires participent à la fabrique du changement à travers deux pratiques. Premièrement, Floyd et Wooldridge (1994) soulignent que les cadres intermédiaires sont amenés à fournir des informations aux supérieurs concernant les événements internes et/ou externes à l’organisation. Concrètement, cette pratique consiste à analyser le contexte de changement et à fournir des informations généralement présentées sous la forme de «menaces» ou d’ «opportunités» ayant un impact non négligeable sur la façon dont les supérieurs vont appréhender la mise en œuvre du changement. Deuxièmement, Floyd et Wooldridge (1994), appuyé par Huy (2001), estiment que les cadres intermédiaires sont les mieux placés pour déceler les opportunités de développement du fait de leur proximité avec leur terrain combinée à une certaine prise de recul. Cet élément a également été repris par Dutton et al. (1997) qui avancent, que les cadres intermédiaires sont amenés à faire remonter des idées auxquelles la direction n’aurait pas accès ou auxquelles elle n’aurait pas porté attention. De manière plus générale, cette perspective offre la possibilité aux personnes ne faisant pas partie de la direction d’initier un changement. Elle permet ainsi d’envisager le changement organisationnel comme un processus plus émergent et pluraliste que dans l’approche traditionnelle où les initiatives de changement étaient limitées au sommet de l’organisation (Nonaka, 1994 ; Floyd et Wooldridge, 2000 ; Dutton et al., 2001). 9 Concernant l’influence que nous qualifions de latérale, au sens d’interactions entre cadres intermédiaires, deux pratiques sont à expliciter. Tout d’abord, les recherches de Balogun (2003, 2006) démontrent qu’en contexte de changement les cadres intermédiaires intensifient les interactions qu’ils ont avec leurs pairs afin de collecter des informations, poser des questions ou échanger des expériences en vue d’interpréter ce qu’on attend d’eux dans le changement. En particulier, Balogun (2003) insiste sur le fait que ces acteurs ne sont pas uniquement des agents de changement, mais également des destinataires, ayant besoin de temps pour s’approprier le projet avant de participer à sa mise en œuvre. Ainsi, lorsque la direction générale informe les cadres intermédiaires de la mise en œuvre d’un changement, ces derniers sont amenés à modifier leurs schémas de pensée de manière à y intégrer le changement et résoudre l’ambigüité, l’anxiété et le conflit inhérent à la situation. Autrement dit, ils rentrent dans un processus de sensemaking stratégique qui est défini comme un processus social par lequel les managers construisent des explications qui permettent de donner du sens, pour eux-mêmes et pour les autres, aux situations nouvelles (Balogun et Johnson, 2004 ; Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Rouleau et Balogun, 2011). Suite aux communications faites par la direction à propos du changement, les cadres intermédiaires sont généralement laissés à eux-mêmes pour se construire une interprétation de ce changement avant de la communiquer aux niveaux opérationnels (Balogun, 2007 ; Maitlis et Sonenshein, 2010). Au cours des discussions informelles qu’ils ont avec leurs pairs, en l’absence de leurs supérieurs hiérarchiques (Stensaker et Falkenberg, 2007), les cadres intermédiaires échangent ainsi des rumeurs, des histoires et des conversations en vue de se former une interprétation partagée du besoin de changer (Balogun et Johnson, 2004 ; 2005 ; Maitlis, 2005) et de redéfinir les responsabilités de chacun dans ce nouveau cadre organisationnel. Afin d’alimenter cette activité de sensemaking, les cadres intermédiaires se basent sur les discussions formelles qu’ils ont eues avec la direction mais également sur les actions de leurs supérieurs qui sont interprétées comme des signaux leur permettant de mieux comprendre le changement. A cet égard, Balogun et Johnson (2004) montrent que le changement imposé au départ par la direction, est progressivement modifié par le jeu de négociations qui s’opère entre les cadres intermédiaires eux-mêmes. 10 D’autre part, pour Balogun (2003), l’implication des cadres intermédiaires dans le processus de changement ne peut être envisagée en dehors du maintien de leur activité. Ainsi, en dehors du processus d’interprétation auquel ils participent en vue de donner du sens à la situation rencontrée et d’entreprendre un changement personnel, les cadres intermédiaires doivent continuer à assurer le bon fonctionnement de leurs équipes. En effet, il n’est pas rare de voir le top management exiger des cadres intermédiaires de maintenir (voire améliorer) les niveaux de performance des opérations courantes tout en consacrant une grande partie de leur temps à la mise en œuvre du changement aux niveaux opérationnels. Pour les cadres intermédiaires, cette pratique nécessite de choisir où centrer leur attention et leurs efforts afin de trouver un équilibre entre le présent et le futur. En réalité, leur situation d’entre-deux se traduit par une tension permanente entre le maintien de l’activité existante et la nécessité de préparer le changement. Pour ce qui est du processus descendant, la revue de littérature effectuée amène à classer l’implication des cadres intermédiaires dans le processus de fabrication du changement à travers quatre pratiques. Tout d’abord, en parcourant la littérature, il apparait que durant longtemps la responsabilité des cadres intermédiaires en contexte de changement s’est limitée à la mise en œuvre des décisions stratégiques prises par la direction. A cet égard, Floyd et Wooldridge (1994) soulignent d’ailleurs la capacité d’improvisation dont les cadres intermédiaires doivent être dotés pour mener à bien cette tâche. En effet, le processus de mise en œuvre se caractérise généralement par une série d’interventions qui ne sont qu’en partie anticipées par la direction. Les managers intermédiaires se retrouvent ainsi amenés à ajuster les décisions stratégiques de manière à ce que la stratégie de mise en œuvre du changement corresponde à la réalité organisationnelle dont ils ont conscience grâce à leur proximité avec les niveaux opérationnels. Bien que la mise en œuvre continue à caractériser le travail des cadres intermédiaires en contexte de changement, les recherches menées ces dernières années ont permis d’élargir la participation des cadres intermédiaires au processus de changement à d’autres pratiques. 11 En particulier, divers auteurs ont mis en évidence la place qu’occupent les cadres intermédiaires dans le processus communicationnel ayant lieu entre les différentes strates organisationnelles (Floyd et Lane, 2000). Selon Nonaka (1988), les cadres intermédiaires sont en charge de traduire les aspirations des dirigeants en actions concrètes auprès de leurs employés. Autrement dit, ils sont en charge de traduire le changement imposé par la direction en termes non menaçants et correspondant à la réalité opérationnelle vécue par leurs équipes. Huy (2001) est par la suite venu appuyer ce propos en insistant sur les influences que les cadres intermédiaires sont à même d’exercer du fait de leur connaissance des différents réseaux constituant l’organisation. Dans la lignée, Rouleau et Balogun (2011) précisent que les cadres intermédiaires ajustent les termes et métaphores qu’ils utilisent selon la personne à laquelle ils s’adressent. En particulier, il ressort de leur étude que les cadres intermédiaires visent, à travers un échange verbal constructif, à réconcilier les intérêts divergents émergeants des différents niveaux organisationnels. Par ailleurs, diverses études ont établi la responsabilité des cadres intermédiaires dans le processus d’interprétation de leurs équipes à l’égard du changement mis en œuvre. Selon Beck et Plowman (2009), ce processus d’interprétation repose sur la capacité des cadres intermédiaires à faire émerger les différentes perceptions des membres de leurs équipes à l’égard du changement. Pour ce faire, Maitlis (2005) suggère aux cadres intermédiaires d’animer le processus d’interprétation en encourageant les échanges d’informations et les conversations. A la suite de ces interactions, les cadres intermédiaires sont à même d’intégrer les différents points de vue dans une représentation partagée du changement à laquelle l’ensemble des acteurs organisationnels peuvent adhérer même si les raisons sous-jacentes sont différentes. Dans cette perspective, Rouleau et Balogun (2011), soulignent que la manière dont les cadres intermédiaires donnent du sens au changement et influencent les autres ne peut pas être comprise sans la prise en compte de la connaissance que ces acteurs ont des autres et de leur organisation. 12 Enfin, Floyd et Wooldridge (1994) suggèrent que les cadres intermédiaires peuvent, en fonction des activités qu’ils effectuent, faciliter ou non la mise en œuvre du changement. A cet égard, Allard-Poesi et Perret (2005) avancent qu’en laissant suffisamment d’autonomie aux membres de leur équipe, les cadres intermédiaires permettent l’expression de la créativité de leurs employés, et s’assurent de leur motivation et mobilisation dans le projet de changement. En d’autres mots, lorsque les cadres intermédiaires encouragent les discussions et favorisent l’implication des employés, la mise en œuvre du changement en sera facilitée. A travers ces échanges, les cadres intermédiaires se trouvent au cœur du flux d’émotions auquel ils répondent en offrant un soutien émotionnel à leur équipe (Huy, 2002). En effet, l’incertitude caractérisant la mise en œuvre d’un changement organisationnel a pour effet de réduire la motivation des employés et d’accentuer leur anxiété. Alors que les cadres supérieurs sont trop éloignés de la plupart des employés, les cadres intermédiaires sont les mieux à même de leur offrir un soutien émotionnel du fait de la proximité qu’ils ont avec le terrain. 13 Tableau 3 : Les cadres intermédiaires en contexte de changement organisationnel LA DIRECTION TOP MANAGEMENT TEAM Pratiques ascendantes 1) Synthétiser l’information -Communiquer l’information relative aux activités des concurrents, des fournisseurs, etc. -Evaluer les changements caractérisant l’environnement extérieur de l’organisation. 2) Proposer des alternatives -Chercher de nouvelles opportunités -Justifier et définir des nouveaux projets -Communiquer les projets à la direction CADRES INTERMEDIAIRES Pratiques latérales Cadres intermédiaires intermédiaires CréateurCadres de nouvelles idées Créateur de nouvelles 4) Assurer le maintien de l’activité 3) Entreprendre un changement idées personnel -Trouver un équilibre entre le présent et le futur -AssurerleursRrôles traditionnels -Effectuer les opérations courantes - Redéfinir leurs rôles et responsabilités - Créer une vision commune du besoin de changer 5) Implémenter les changements - Communiquer le changement aux employés -Traduire les intentions de changement en plans d’actions -Traduire les plans d’actions en objectifs individuels -Contrôler la mise en œuvre 6) Communiquer -Utiliser les réseaux internes pour diffuser l’information -Intégration des points de vue du sommet et de la base -Adapter la manière de communiquer à chaque acteur impliqué ô l e ses employés à travers le 7) Soutenir changement -Aider ses employés à donner du sens au changement d (communications é formelles et informelles) -Animer et guider le processus d’interprétation c organisationnel i -Utiliser les connaissnaces tacites pour réunir les différentes personnes autour s du projet -Gérer les résistances au changement i o 8) Faciliter le changement -Encouragernles discussions informelles et le partage n d’informations -Fournir un soutien émotionnel e -Faire évoluer l les employés dans un environnement de R ô l e d é c i s i o n n e l travail serein Pratiques descendantes EMPLOYES R ô l e d é c i s i o n n 14 R ô l e d é c i s i o n n Implications Managériales Cette revue de littérature insiste sur la nécessité d’envisager le changement organisationnel comme un processus multi-acteurs. En contexte de changement, les organisations peuvent être vues comme un réseau complexe d’activités de création de sens entre groupes et individus dont les compréhensions se croisent, s’affrontent et interfèrent les unes avec les autres (Hazen, 1993). Dans cette perspective, Rondeaux et Pichault (2011) avancent que le challenge pour les dirigeants mais surtout pour les cadres intermédiaires est de gérer cette polyphonie. En effet, de par leur position centrale dans l’organisation, les cadres intermédiaires sont les plus amenés à naviguer entre et traduire les discours hétérogènes émanant des différents niveaux organisationnels. Dans cette optique, élargir le cadre d’observation au-delà de la direction en nous intéressant aux autres acteurs organisationnels, et en particulier aux cadres intermédiaires, permet de gagner en réalisme. La recherche menée fait ressortir que la responsabilité des cadres intermédiaires ne se limite pas à la mise en œuvre des décisions stratégiques mais consiste à participer à la fabrication du changement par l’interprétation qui lui sera donnée. Plus précisément, la recherche menée met en avant que le résultat final du changement mis en œuvre dépend en grande partie de la manière dont les cadres intermédiaires interprètent le changement initié par la direction. Dans cette perspective, il semble essentiel que les dirigeants cessent de considérer les cadres intermédiaires comme de simples réceptacles du changement, pour les considérer comme de véritables agents de changement susceptibles de modifier de façon significative sa mise en œuvre. La classification proposée dans cet article permet de souligner l’enjeu des communications latérales (Balogun, 2006). En effet, sur base des communications qu’ils ont de façon quotidienne avec les autres managers et qui sortent du contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques, les cadres intermédiaires se construisent leur propre interprétation du changement. Sachant qu’il est rare que les cadres intermédiaires alignent leur interprétation du changement avec celle de la direction (Stensaker et Falkenberg, 2007), les actions qu’ils mettent en œuvre aux différents niveaux organisationnels aboutissent généralement à des résultats inattendus et susceptibles de venir modifier le résultat du changement. De manière à limiter l’écart généralement observé entre la conception et l’implémentation du changement, la direction devrait reconnaitre qu’elle ne bénéficie pas d’un contrôle optimal sur le processus de changement mis en œuvre. En particulier, Balogun (2007) suggère aux dirigeants d’être plus présents lors de la mise en œuvre du changement et de créer davantage de moments de 15 partage entre les différents niveaux organisationnels de manière à arriver à un alignement des interprétations du besoin de changement. Cet état de l’art nous a ainsi permis de mettre en avant le lien fort existant entre les pratiques des cadres intermédiaires et le processus de sensemaking auquel ils participent et qu’ils co-construisent à travers les actions et interactions qu’ils ont aux différents niveaux de l’organisation. Enfin, cet article souligne la complexité de la tâche confiée aux cadres intermédiaires. En effet, en contexte de changement, il n’est pas rare de voir les cadres intermédiaires souffrir d’une double tension : d’une part, il leur est demandé de mettre en œuvre le changement tout en assurant la continuité des activités courantes ; d’autre part, il est de leur devoir de respecter les injonctions de leur direction tout en tenant compte des difficultés ou des contraintes exprimées par leurs équipes et dont la direction n’a pas nécessairement conscience. Ainsi ne sachant pas comment satisfaire aux différentes exigences, il n’est pas rare de voir des cadres intermédiaires se comporter de façon ambivalente, ce qui risque de mettre en péril la mise en œuvre du changement. En effet, tout comme l’incohérence des mots et des actions des top managers peut ébranler le processus de création de sens des cadres intermédiaires, l’attitude ambivalente des cadres intermédiaires peut être interprétée comme un signal fort par les niveaux opérationnels et aboutir à une attitude de retrait à l’égard du changement. Afin d’éviter un tel désengagement, il importe que les dirigeants et/ou chefs de projet prennent conscience du travail effectué par les cadres intermédiaires en contexte de changement. A cet égard, la classification proposée permet de lever le voile sur la diversité des pratiques accomplies par les cadres intermédiaires qui, alors qu’elles sont difficilement mesurables, ont un impact direct sur la réussite du changement. 16 Limites et Perspectives Futures A l’instar du courant de la fabrique de la stratégie, le changement comme pratique permet de synthétiser les travaux portant sur les cadres intermédiaires en contexte de changement. En particulier, l’article propose une vision théorique des pratiques mobilisées par les cadres intermédiaires pour interagir avec leur direction (pratiques ascendantes), leurs employés (pratiques descendantes) et leurs collègues (pratiques latérales) en contexte de changement. Bien que cet état de l’art ne tienne pas compte de la logique de double interact ayant lieu entre les différentes strates organisationnelles, il permet d’articuler les trois axes d’actions des cadres intermédiaires. De plus, la question centrale reste de savoir quand ces pratiques sont mobilisées. Dans cette perspective, il pourrait être opportun d’examiner, à l’aide d’une étude de type longitudinal, de quelle façon les pratiques décrites évoluent en nature et en intensité à travers le temps. En particulier, compléter l’analyse effectuée par une étude empirique menée dans des entreprises de taille différente permettrait d’étudier l’impact (intensification, diminution) du contexte organisationnel sur les pratiques mobilisées par les cadres intermédiaires au travers des différentes phases du changement. De plus, cette analyse amène à s’interroger sur la pertinence de considérer les cadres intermédiaires comme un groupe d’acteurs homogène. En effet, les cadres intermédiaires sont animés par des intérêts différents, voire opposés, et il serait utile d’approfondir les dynamiques prenant place au sein même de ce groupe d’acteurs. Comme le précise Meyer (2006), nous devons cesser de considérer les cadres intermédiaires comme un groupe pour ou contre le changement, non seulement car leur position à l’égard du changement peut évoluer à travers le temps mais aussi parce que ces forces peuvent être présentes en même temps dans différents groupes appartenant à la strate des cadres intermédiaires. Dans cette perspective, il pourrait être opportun de focaliser les recherches futures sur les influences réciproques et les jeux de pouvoir prenant place entre les cadres intermédiaires à travers le temps. A la suite de l’étude de Hope (2010), les recherches futures pourraient notamment s’intéresser aux pratiques de nature politique que les différents groupes d’acteurs mettent en œuvre en vue d’imposer leur perception de la réalité aux autres. 17 Par ailleurs, étant donné que le changement fait aujourd’hui partie intégrante de la vie des organisations, il devient de plus en plus artificiel d’opposer les périodes de stabilité et de changement, raison pour laquelle il est difficile de séparer les pratiques liées au maintien de l’activité de celles consacrées à la mise en œuvre du changement. Dans cette optique, il serait utile d’examiner comment les cadres intermédiaires articulent ces deux catégories de pratiques. Autrement dit, à la suite de l’étude de Vie (2010), les recherches futures pourraient s’intéresser à la manière dont les cadres intermédiaires font évoluer leur fonction pour répondre aux contraintes de changement permanent. Conclusion Inscrit dans la lignée des travaux (Balogun et Johnson, 2004, 2005) mettant en exergue le besoin de plus de recherches portant sur les actions et les interactions des praticiens du changement, l’article a pour but de synthétiser les apports des recherches antérieures et de proposer une lecture par les pratiques des actions menées par les cadres intermédiaires en contexte de changement organisationnel. De façon générale, la réflexion menée a permis de démontrer qu’à travers les interactions qu’ils ont avec les autres acteurs organisationnels, les cadres intermédiaires sont susceptibles de produire un nouveau changement. En particulier, la classification proposée permet de décrire l’implication des cadres intermédiaires au processus de fabrication du changement à l’aide de huit pratiques regroupées en trois catégories en fonction des groupes d’acteurs vers lesquels elles sont dirigées. Concrètement, une distinction est réalisée entre les pratiques dirigées vers l’équipe de direction (synthétiser l’information et proposer des alternatives), les pratiques ayant lieu entre collègues (entreprendre un changement personnel et assurer le maintien de l’activité) et les pratiques mobilisées à l’égard des employés (implémenter les changements, communiquer, soutenir les employés, et faciliter le changement). 18 Bibliographie 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 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