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Fabrique du changement :
Analyse des praxis des cadres intermédiaires1
Nathalie GUILMOT
Assistante de recherche
Louvain School of Management
Université catholique de Louvain (UCL)
CRECIS (Center for Research in Entrepreneurial Change and Innovative Strategies)
Alain VAS
Professeur
Louvain School of Management
Université catholique de Louvain (UCL)
CRECIS (Center for Research in Entrepreneurial Change and Innovative Strategies)
Résumé :
Evoluant dans un environnement en constante mutation (dérégulation, intensification de la
concurrence, avancées technologiques, mondialisation, …), les organisations contemporaines
doivent désormais être à même de faire face aux contraintes de changement permanent.
Toutefois, vu les faibles taux de succès de mise en œuvre, il semble que le processus de
changement organisationnel nécessite d’être investigué plus en détails. Jusqu’à présent, la
majorité des études s’est focalisée sur les actions et les interactions menées par les dirigeants
au détriment d’autres acteurs organisationnels, tels que les cadres intermédiaires. Dans cette
perspective, l’originalité de cet article est d’appréhender sous un angle microscopique
l’impact que les cadres intermédiaires peuvent avoir sur le résultat final du changement.
Inscrit dans la lignée des travaux issus du courant de la fabrique de la stratégie, l’article a pour
but de synthétiser les apports des recherches antérieures et de proposer une lecture par les
pratiques des actions menées par les cadres intermédiaires en contexte de changement. En
particulier, l’article propose une vision théorique des pratiques mobilisées par les cadres
intermédiaires pour interagir avec leur direction (pratiques ascendantes), leurs employés
(pratiques descendantes) et leurs collègues (pratiques latérales) en contexte de changement.
Mots clé : Changement organisationnel ; Cadres Intermédiaires ; Pratiques ; Fabrique du
changement
1
Les auteurs souhaitent remercier les personnes ayant commenté la version antérieure du papier lors des
conférences à Nantes et à Marrakech en 2011. Sur base de ces commentaires, le papier a été entièrement
remanié.
1
Introduction
Le changement constitue dans l’univers des organisations un thème central dans la mesure où
les évolutions constantes de l’environnement (dérégulation, intensification de la concurrence,
avancées technologiques, mondialisation, …) au sein duquel évoluent les entreprises,
conduisent à faire de la gestion des changements organisationnels une question clé de survie.
En effet, le processus de changement organisationnel semble tout aussi capital pour la
compétitivité à court terme que pour la survie de l’organisation à long terme (Leana et Barry,
2000). Toutefois, vu le faible taux de succès de mise en œuvre, qui s’élèvent à peine à 30%
(Beer et Nohria, 2000), il semblerait que ce processus pose des défis managériaux. En
particulier, Kotter et Cohen (2002) avancent que ces échecs sont généralement dus à des
facteurs humains. A cet égard, de récentes études développées dans la lignée des travaux issus
du courant de la fabrique de la stratégie (Balogun et Johnson, 2004, 2005 ; Jarzabkowski et
al., 2007 ; Jarzabkowski et Spee, 2009) mettent en exergue le besoin de recentrer les travaux
sur l’aspect humain en portant notre attention sur les actions et interactions des praticiens du
processus de changement. Dans cette perspective, notre recherche porte sur l’analyse d’une
catégorie d’acteurs moins traités dans la littérature (Autissier et Derumez, 2004), à savoir les
cadres intermédiaires. A la fois destinataires et agents de changement, leurs interprétations et
leurs actions ont un impact décisif sur la mise en œuvre du changement (Vas, 2009).
L’originalité de cet article est d’appréhender la gestion du changement à la lumière de la
littérature issue du courant de la fabrique de la stratégie (strategy-as-practice). En particulier,
notre étude analyse l’activité quotidienne des cadres intermédiaires afin d’identifier les
pratiques auxquelles ces acteurs ont recours pour interagir avec leur direction, leurs collègues
et leurs employés en contexte de changement. Sur base des recherches antérieures, cet article
vient enrichir la littérature portant sur le changement organisationnel en proposant une
classification des pratiques des cadres intermédiaires en contexte de changement.
Notre recherche débute par justifier notre choix de centrer notre analyse sur les cadres
intermédiaires et poursuit en soulignant la pertinence de s’appuyer sur le courant de la
fabrique de la stratégie afin d’approcher le changement sous un angle microscopique. Suite à
cela, l’article parcourt les apports des recherches antérieures avant de proposer une
classification des pratiques des cadres intermédiaires en contexte de changement
organisationnel. Enfin, nous concluons par une discussion des limites et des implications pour
les recherches futures.
2
Des Initiateurs aux Destinataires du Changement
Les principaux courants de recherche portant sur le changement organisationnel se sont
orientés soit vers l’étude du contenu (Gipps, 1993 ; Burke, 1994, Self et al., 2007), soit vers
une compréhension des processus de changement (Webb et Dawson, 1991 ; Van de Ven et
Poole, 1995 ; Self et al., 2007). Les chercheurs s’intéressant au contenu portent leur attention
sur les causes et les conséquences des changements organisationnels tandis que le courant de
recherche portant sur les processus s’intéresse particulièrement aux rôles des managers au
cours du changement dans une perspective longitudinale (Rajagopalan et Spreitzer, 1997). Au
sein de ce second courant, les recherches menées ont majoritairement porté sur l’étude de
changements imposés. Par conséquent, ces dernières ont principalement mis l’accent sur
l’analyse des comportements et des actions entrepris par les initiateurs du changement, à
savoir le top management (Weick et Quinn, 1999 ;
Boeker, 1997 ; Osterman, 2008).
Récemment, divers auteurs ont souligné l’importance d’élargir les recherches aux autres
acteurs impliqués dans le processus de changement, tels que les cadres intermédiaires (Huy,
2001, 2002 ; Balogun, 2003, 2006 ; Balogun et Johnson, 2004, 2005 ; Rouleau, 2005 ;
Rouleau et Balogun, 2011). Dans cette perspective, nous proposons une revue de la littérature
des travaux portant sur la façon dont les cadres intermédiaires participent au processus de
changement.
Les Cadres Intermédiaires comme Agents de Changement
Depuis la fin des années 80, plusieurs auteurs ont souligné le rôle que jouent les cadres
intermédiaires dans le processus de changement. Tout d’abord, selon Floyd et Wooldridge
(2000), les cadres intermédiaires peuvent être vus comme des membres clés de la
communauté organisationnelle étant donné qu’ils agissent en tant que médiateurs entre le top
management et le reste de la communauté. Deuxièmement, le contact direct et quotidien que
les cadres intermédiaires ont avec la réalité de l’organisation leur permet de prendre des
décisions davantage adaptées à la situation rencontrée. A cet égard, Dutton et al. (1997)
précisent que ce sont souvent les cadres intermédiaires plutôt que les dirigeants qui ont leurs
mains sur le « pouls de l’organisation ». Troisièmement, les cadres intermédiaires, s’ils sont
impliqués dans le processus de mise en œuvre du changement, seront mieux à même de
l’interpréter lors de son déploiement (Johnson et al., 2003). De cette façon, il n’est plus
question d’uniquement considérer les cadres intermédiaires comme des sources de résistance
3
au changement mais de leur attribuer également le rôle d’agents de changement (Huy, 2002 ;
Vas, 2009). Enfin, Balogun et Johnson (2004) suggèrent que le rôle des cadres intermédiaires
va gagner en importance étant donné la complexité croissante des entreprises contemporaines.
De telles structures ne peuvent plus être gérées par un ou plusieurs individus mais nécessitent
la mise en place d’un leadership global interactif où les cadres intermédiaires jouent le rôle de
médiateurs entre les différents niveaux ou unités. En effet, comme le soulignent Johnson et al.
(2003), l’élaboration par les entreprises de réponses rapides et innovantes pour faire face à la
compétition mondiale nécessite une décentralisation des décisions au niveau le plus local.
Dans cette perspective, il apparait clairement que la compréhension des actions et interactions
des cadres intermédiaires exige davantage de recherches afin de mieux comprendre la mise en
œuvre effective du changement dans les organisations.
Vers la Fabrique du Changement
En portant sur l’analyse des pratiques des cadres intermédiaires en contexte de changement,
notre recherche répond à la demande issue du courant de la fabrique de la stratégie de
recentrer les recherches sur les actions et les interactions des praticiens. Selon Jarzabkowski,
Balogun et Seidl (2007), cette nouvelle orientation se positionne dans le contexte plus large
du « tournant pratique » visant à dépasser les modèles et cadres prescriptifs pour rendre à la
recherche en management et en organisation un aspect plus humain (Schatzki et al., 2001). Ce
courant ne s’oppose donc pas aux approches antérieures mais vient les compléter en proposant
une compréhension pratique de la pratique stratégique (Johnson et al., 2003). Ce courant
nous permet ainsi d’approcher le processus de changement organisationnel en mettant
désormais l’accent sur les acteurs, leurs actions ainsi que leurs interactions. Jusqu’à présent,
les recherches ont en effet eu tendance à approcher l’activité managériale de façon isolée en
se focalisant sur les individus au détriment des groupes et des processus multi-niveaux
(Wooldridge et al., 2008). Les actions et interactions des agents du changement s’en
trouvaient alors souvent délaissées. Dans cette optique, envisager le processus de changement
dans une perspective microscopique permet de répondre au besoin de compréhension
détaillée, en faisant le lien entre le niveau organisationnel et le niveau individuel. Ainsi, si les
auteurs du « faire stratégique » considèrent que « la stratégie n’est pas quelque chose qu’une
organisation possède mais quelque chose que ses membres font », alors nous pouvons
considérer que le changement n’est pas quelque chose qu’une organisation décide mais
quelque chose que ses membres fabriquent (Autissier et al., 2010).
4
Sur base de la description du tournant pratique proposée par Reckwickz (2002), Whittington
(2006) envisage le courant de la fabrique de la stratégie (figure 1) en termes de praxis (le flux
d’activités à travers lesquelles la stratégie est accomplie), de pratiques (les outils, routines et
procédures servant d’appui à la mise en œuvre de la stratégie), et de praticiens (les acteurs de
la stratégie).
Figure 1 : Cadre conceptuel pour l’analyse de la stratégie comme
pratique
Praxis
La stratégie en tant que flux d’activités en
situation et accompli socialement, ayant
des conséquences sur les orientations et la
survie de l’entreprise
B
C
Faire
stratégique
Pratiques
Ressources cognitives, comportementales,
procédurales, discursives,
motivationnelles et physiques qui sont
combinées, coordonnées et adaptées pour
construire la pratique.
Praticiens
A
Acteurs qui influencent la construction de
la pratique à travers qui ils sont, comment
ils agissent et les ressources qu’ils
utilisent.
Source : Seidl, Balogun et Jarzabkowski (2006)
Tout d’abord, les pratiques ont fait l’objet de diverses interprétations. La première présente
les pratiques comme « des types de comportements routiniers composés de plusieurs éléments
interconnectés : des formes d’activités physiques, des formes d’activités mentales, des
« choses » et leur utilisation, un bagage cognitif sous forme de compréhension, de savoirfaire, d’états émotionnels et de connaissances motivantes » (Reckwitz, 2002). Par la suite,
Jarzabkowski (2005) a défini les pratiques comme « des outils et concepts que les gens
utilisent dans leur travail stratégique». Dernièrement, Rasche et Chia (2009) ont établi que
les pratiques correspondaient à un nœud de performances corporelles « routinisées ».
Autrement dit, les pratiques font référence aux comportements partagés, à savoir les routines,
les normes et les procédures (Whittington, 2006).
5
Deuxièmement, Reckwitz (2002) suggère que la pratique représente un terme emphatique
pour décrire l’action humaine comme un tout. Selon Seidl et al. (2006), la pratique « inclut
l’interconnexion entre les actions de personnes et groupes différents et dispersés, et les
institutions sociales, politiques et économiques enchâssées dans lesquelles les personnes
agissent et auxquelles elles contribuent ». Autrement dit, la pratique se déploie comme un
réseau de connexions entre ce qui se passe dans la société et ce que le gens font (Seidl et al.,
2006). Chanal (2008) précise que la pratique se situe à un niveau individuel, local, et intègre
les relations entre les actions des différentes personnes. En contexte de changement, Autissier
et al. (2010) nous suggèrent d’observer comment les actions engagées par les acteurs du
changement forment un flux d’activités en situation ayant des conséquences (Jarzabkowski et
al., 2007) sur la transformation de l’organisation.
Suite à ces deux définitions, il est utile de préciser que, dans le courant de la fabrique de la
stratégie, le terme pratique (au singulier) est souvent réservé pour faire référence à une
activité ou à l’exécution d’un travail en pratique, par opposition aux pratiques (au pluriel) qui
font quant à elles, référence aux comportements collectifs routiniers. Reckwitz (2002) et
Whittington (2006) proposent dès lors d’utiliser le terme praxis au lieu de pratique (au
singulier) pour faire référence aux activités en situation.
Enfin, les praticiens sont les acteurs qui influencent la construction de la pratique à travers qui
ils sont, comment ils agissent et les ressources qu’ils utilisent (Seidl et al., 2006). Dans la
perspective de la pratique, ces acteurs sont des participants actifs de la construction d’une
activité qui a des conséquences sur l’organisation et sa survie. Ils ne se limitent donc pas aux
dirigeants mais sont situés à tous les niveaux de l’organisation.
Les acteurs analysés dans le cadre de cette étude sont les cadres intermédiaires. En ce qui
concerne ce niveau d’analyse, il est intéressant de noter qu’il n’existe pas de définition du
cadre intermédiaire qui fasse l’unanimité (tableau 1). Toutefois, les auteurs ayant analysé ces
acteurs partagent l’idée qu’ils occupent une position médiane dans l’organisation. Wooldridge
et Floyd (1990, p. 234) les positionnent « à deux ou trois niveaux en dessous du président
directeur général », sans préciser la borne inférieure. Celle-ci est précisée par Dutton et
Ashford (1993) pour qui les cadres intermédiaires font référence aux « managers situés
hiérarchiquement en-dessous des top managers et au-dessus du premier niveau de
supervision» et par Thakur (1998) qui les situe « à un niveau en dessous du vice-président et
deux niveaux au-dessus du manager de première ligne ». Huy (2002) définit quant à lui le
6
cadre intermédiaire comme « tout manager situé deux niveaux en-dessous du Président
Directeur Général (CEO) et un niveau au-dessus des travailleurs et opérationnels du terrain. »
Le trait distinctif des cadres intermédiaires ne réside donc pas dans la place qu’ils occupent
dans l’organigramme de l’entreprise mais se situe davantage dans la proximité qu’ils ont à la
fois avec le top management et les opérationnels (Balogun, 2003).
Tableau 1 : Définitions des cadres intermédiaires
Auteur
Définition
Wooldridge et Floyd (1990)
« Ils se positionnent à deux ou trois niveaux en dessous du président directeur
général. Ils ne font donc pas référence à la limite basse, c’est-à-dire à la référence
entre les cadres intermédiaires et les cadres opérationnels. »
Dutton et Ashford (1993)
« Les managers situés hiérarchiquement en-dessous des top managers et au-dessus
du premier niveau de supervision. »
Thakur (1998)
« Ils se situent à un niveau en dessous du vice-président et deux niveaux au-dessus
du cadre opérationnel ou manager de première ligne. »
Huy (2002)
« Tout manager situé deux niveaux en-dessous du Président Directeur Général
(CEO) et un niveau au-dessus des travailleurs et opérationnels du terrain. »
Balogun (2003)
« Ceux placés entre la sphère stratégique de l’organisation et les opérationnels. »
Dans cette recherche, l’analyse effectuée se situe à la jonction des praxis et des praticiens
(zone C) qui servent comme points d’entrée du courant de la fabrique du changement (figure
1) ; l’objectif étant d’identifier les patterns d’activités que les cadres intermédiaires mettent en
œuvre pour remplir leur rôle d’agent de changement et modifier le cas échéant le résultat final
du changement décidé par la direction. Il s’agit ainsi de considérer que le changement nait et
se construit à travers un faisceau d’activités et de décisions prises au quotidien.
Les Pratiques des Cadres Intermédiaires en Contexte de Changement
Afin de proposer une classification des pratiques (praxis) mobilisées par les cadres
intermédiaires en contexte de changement, les apports des recherches antérieures ont été
comparées et assemblées. Toutefois, la variété des terminologies utilisées ainsi que la
diversité des méthodologies a rendu le travail de synthèse délicat, raison pour laquelle l’étape
préalable a consisté à sélectionner les recherches dont les apports peuvent être abordés en
termes de pratiques (tableau 2). A cet égard, il semble utile de préciser que la sélection des
recherches antérieures a été réalisée sur base des résultats qu’elles amenaient à l’égard des
activités effectuées par les cadres intermédiaires en situation de changement. En particulier,
les recherches utilisées dans le cadre de cet article peuvent être réparties en deux catégories :
d’une part, les travaux appartenant explicitement au courant de la fabrique de la stratégie (lien
direct) et d’autre part, les travaux réinterprétés sous l’angle de ce courant (lien indirect).
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Tableau 2 : Synthèse des recherches portant sur les cadres intermédiaires en contexte de changement organisationnel
Auteurs
Nonaka
(1988-1994)
Lien avec le courant de la
fabrique de la stratégie
Indirect
Résultats
Méthodologie
Contexte
Agents de changement :
Mobilisation des connaissances
Elimination des fluctuations et
chaos
Intégration des points de vue du
sommet et de la base
Leader de leur équipe
La proposition d’alternatives
stratégiques innovantes
La synthèse d’informations
L’amélioration de l’adaptabilité
de l’entreprise
La mise en œuvre des stratégies
de changement
Rôle pivot dans la détection des nouvelles
idées et l’allocation des ressources autour
de ces idées
Rôle central dans la communication entre
les différents niveaux organisationnels
Etude de cas
Réorientation
stratégique (Honda)
Enquête auprès de
259 cadres
intermédiaires
incluant entrevues et
observations
Entreprises
innovantes et
orientées processus
Entrevues de 30
cadres intermédiaires
Environnement
hyper compétitif
Observations et
entrevues avec plus
de 200 cadres
intermédiaires et
dirigeants
d’entreprise
Etude de cas
longitudinale
(journaux de bord,
focus groupes,
entretiens en
profondeur,
documentation) / 26
cadres intermédiaires
Etude de cas
longitudinale
(journaux de bord,
entretiens en
profondeur,
documentation) / 26
cadres intermédiaires
Eude de cas
longitudinale
(interviews,
observations,
documentation)
Floyd &
Wooldridge
(1994-1997)
Indirect
Dutton & al.
(1997)
Indirect
Floyd & Lane
(2000)
Indirect
Huy (2001,
2002)
Indirect
L’entrepreneur
L’informateur
Le thérapeute
Le stabilisateur (artiste équilibriste)
Balogun
(2003)
Direct
Balogun &
Johnson
(2004, 2005),
Balogun
(2006)
Direct
Intermédiaires du changement
engagement personnel dans le
changement
soutien aux associés
implémentation des
changements nécessaires
équilibre entre stabilité et
changement
Les cadres intermédiaires comme
destinataires et agents de changement :
acteurs centraux du processus de
sensemaking
Stensaker &
Falkenberg
(2007)
Direct
Pratiques de sensemaking
Beck &
Plowman,
(2009)
Indirect
Rouleau &
Balogun
(2011)
Direct
Animer et guider le processus
d’interprétation organisationnel
-Encourager la divergence des
interprétations au début du processus de
changement.
-Synthétiser les diverses interprétation en
une représentation partagée du changement
Rôle de sensemaking stratégique
Micro-pratique : Créer un
groupe uni en faveur du
changement
Micro-pratique : Adapter la
manière de communiquer à
chaque acteur impliqué dans le
processus de changement
Article théorique
Environnement
compétitif
Réorientation
stratégique d’une
usine récemment
privatisée
Réorientation
stratégique d’une
usine récemment
privatisée
Mise en œuvre d’un
système SAP dans
une entreprise
norvégienne
Papier théorique
2 études de cas – 4
cadres intermédiaires
Restructuration
8
Des Pratiques Ascendantes, Descendantes et Latérales
Afin de pouvoir estimer l’impact que les cadres intermédiaires peuvent avoir sur chacun des
niveaux organisationnels, nous avons classé les pratiques mobilisées par les cadres
intermédiaires en fonction des groupes d’acteurs vers lesquels elles sont dirigées (tableau 3).
En effet, de par leur position centrale, les cadres intermédiaires se retrouvent au cœur des
processus d’interactions sociales. Comme Floyd et Lane (2000, pp.164-165) le soulignent, la
complexité des informations et le nombre d’interactions potentielles sont nettement plus
importants pour les cadres intermédiaires que pour les dirigeants ou les niveaux opérationnels.
Dans cette perspective, nous proposons de classer les pratiques en trois catégories en fonction
qu’elles soient dirigées vers le top management (ascendante), les employés (descendant) ou
les collègues (latéral).
En ce qui concerne l’influence ascendante, les recherches antérieures permettent d’avancer
que les cadres intermédiaires participent à la fabrique du changement à travers deux pratiques.
Premièrement, Floyd et Wooldridge (1994) soulignent que les cadres intermédiaires sont
amenés à fournir des informations aux supérieurs concernant les événements internes et/ou
externes à l’organisation. Concrètement, cette pratique consiste à analyser le contexte de
changement et à fournir des informations généralement présentées sous la forme de
«menaces» ou d’ «opportunités» ayant un impact non négligeable sur la façon dont les
supérieurs vont appréhender la mise en œuvre du changement. Deuxièmement, Floyd et
Wooldridge (1994), appuyé par Huy (2001), estiment que les cadres intermédiaires sont les
mieux placés pour déceler les opportunités de développement du fait de leur proximité avec
leur terrain combinée à une certaine prise de recul. Cet élément a également été repris par
Dutton et al. (1997) qui avancent, que les cadres intermédiaires sont amenés à faire remonter
des idées auxquelles la direction n’aurait pas accès ou auxquelles elle n’aurait pas porté
attention. De manière plus générale, cette perspective offre la possibilité aux personnes ne
faisant pas partie de la direction d’initier un changement. Elle permet ainsi d’envisager le
changement organisationnel comme un processus plus émergent et pluraliste que dans
l’approche traditionnelle où les initiatives de changement étaient limitées au sommet de
l’organisation (Nonaka, 1994 ; Floyd et Wooldridge, 2000 ; Dutton et al., 2001).
9
Concernant l’influence que nous qualifions de latérale, au sens d’interactions entre cadres
intermédiaires, deux pratiques sont à expliciter. Tout d’abord, les recherches de Balogun
(2003, 2006) démontrent qu’en contexte de changement les cadres intermédiaires intensifient
les interactions qu’ils ont avec leurs pairs afin de collecter des informations, poser des
questions ou échanger des expériences en vue d’interpréter ce qu’on attend d’eux dans le
changement. En particulier, Balogun (2003) insiste sur le fait que ces acteurs ne sont pas
uniquement des agents de changement, mais également des destinataires, ayant besoin de
temps pour s’approprier le projet avant de participer à sa mise en œuvre. Ainsi, lorsque la
direction générale informe les cadres intermédiaires de la mise en œuvre d’un changement,
ces derniers sont amenés à modifier leurs schémas de pensée de manière à y intégrer le
changement et résoudre l’ambigüité, l’anxiété et le conflit inhérent à la situation. Autrement
dit, ils rentrent dans un processus de sensemaking stratégique qui est défini comme un
processus social par lequel les managers construisent des explications qui permettent de
donner du sens, pour eux-mêmes et pour les autres, aux situations nouvelles (Balogun et
Johnson, 2004 ;
Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Rouleau et Balogun, 2011). Suite aux
communications faites par la direction à propos du changement, les cadres intermédiaires sont
généralement laissés à eux-mêmes pour se construire une interprétation de ce changement
avant de la communiquer aux niveaux opérationnels (Balogun, 2007 ; Maitlis et Sonenshein,
2010). Au cours des discussions informelles qu’ils ont avec leurs pairs, en l’absence de leurs
supérieurs hiérarchiques (Stensaker et Falkenberg, 2007), les cadres intermédiaires échangent
ainsi des rumeurs, des histoires et des conversations en vue de se former une interprétation
partagée du besoin de changer (Balogun et Johnson, 2004 ; 2005 ; Maitlis, 2005) et de
redéfinir les responsabilités de chacun dans ce nouveau cadre organisationnel. Afin
d’alimenter cette activité de sensemaking, les cadres intermédiaires se basent sur les
discussions formelles qu’ils ont eues avec la direction mais également sur les actions de leurs
supérieurs qui sont interprétées comme des signaux leur permettant de mieux comprendre le
changement. A cet égard, Balogun et Johnson (2004) montrent que le changement imposé au
départ par la direction, est progressivement modifié par le jeu de négociations qui s’opère
entre les cadres intermédiaires eux-mêmes.
10
D’autre part, pour Balogun (2003), l’implication des cadres intermédiaires dans le processus
de changement ne peut être envisagée en dehors du maintien de leur activité. Ainsi, en dehors
du processus d’interprétation auquel ils participent en vue de donner du sens à la situation
rencontrée et d’entreprendre un changement personnel, les cadres intermédiaires doivent
continuer à assurer le bon fonctionnement de leurs équipes. En effet, il n’est pas rare de voir
le top management exiger des cadres intermédiaires de maintenir (voire améliorer) les
niveaux de performance des opérations courantes tout en consacrant une grande partie de leur
temps à la mise en œuvre du changement aux niveaux opérationnels. Pour les cadres
intermédiaires, cette pratique nécessite de choisir où centrer leur attention et leurs efforts afin
de trouver un équilibre entre le présent et le futur. En réalité, leur situation d’entre-deux se
traduit par une tension permanente entre le maintien de l’activité existante et la nécessité de
préparer le changement.
Pour ce qui est du processus descendant, la revue de littérature effectuée amène à classer
l’implication des cadres intermédiaires dans le processus de fabrication du changement à
travers quatre pratiques.
Tout d’abord, en parcourant la littérature, il apparait que durant longtemps la responsabilité
des cadres intermédiaires en contexte de changement s’est limitée à la mise en œuvre des
décisions stratégiques prises par la direction. A cet égard, Floyd et Wooldridge (1994)
soulignent d’ailleurs la capacité d’improvisation dont les cadres intermédiaires doivent être
dotés pour mener à bien cette tâche. En effet, le processus de mise en œuvre se caractérise
généralement par une série d’interventions qui ne sont qu’en partie anticipées par la direction.
Les managers intermédiaires se retrouvent ainsi amenés à ajuster les décisions stratégiques de
manière à ce que la stratégie de mise en œuvre du changement corresponde à la réalité
organisationnelle dont ils ont conscience grâce à leur proximité avec les niveaux
opérationnels. Bien que la mise en œuvre continue à caractériser le travail des cadres
intermédiaires en contexte de changement, les recherches menées ces dernières années ont
permis d’élargir la participation des cadres intermédiaires au processus de changement à
d’autres pratiques.
11
En particulier, divers auteurs ont mis en évidence la place qu’occupent les cadres
intermédiaires dans le processus communicationnel ayant lieu entre les différentes strates
organisationnelles (Floyd et Lane, 2000). Selon Nonaka (1988), les cadres intermédiaires sont
en charge de traduire les aspirations des dirigeants en actions concrètes auprès de leurs
employés. Autrement dit, ils sont en charge de traduire le changement imposé par la direction
en termes non menaçants et correspondant à la réalité opérationnelle vécue par leurs équipes.
Huy (2001) est par la suite venu appuyer ce propos en insistant sur les influences que les
cadres intermédiaires sont à même d’exercer du fait de leur connaissance des différents
réseaux constituant l’organisation. Dans la lignée, Rouleau et Balogun (2011) précisent que
les cadres intermédiaires ajustent les termes et métaphores qu’ils utilisent selon la personne à
laquelle ils s’adressent. En particulier, il ressort de leur étude que les cadres intermédiaires
visent, à travers un échange verbal constructif, à réconcilier les intérêts divergents émergeants
des différents niveaux organisationnels.
Par ailleurs, diverses études ont établi la responsabilité des cadres intermédiaires dans le
processus d’interprétation de leurs équipes à l’égard du changement mis en œuvre. Selon
Beck et Plowman (2009), ce processus d’interprétation repose sur la capacité des cadres
intermédiaires à faire émerger les différentes perceptions des membres de leurs équipes à
l’égard du changement. Pour ce faire, Maitlis (2005) suggère aux cadres intermédiaires
d’animer le processus d’interprétation en encourageant les échanges d’informations et les
conversations. A la suite de ces interactions, les cadres intermédiaires sont à même d’intégrer
les différents points de vue dans une représentation partagée du changement à laquelle
l’ensemble des acteurs organisationnels peuvent adhérer même si les raisons sous-jacentes
sont différentes. Dans cette perspective, Rouleau et Balogun (2011), soulignent que la
manière dont les cadres intermédiaires donnent du sens au changement et influencent les
autres ne peut pas être comprise sans la prise en compte de la connaissance que ces acteurs
ont des autres et de leur organisation.
12
Enfin, Floyd et Wooldridge (1994) suggèrent que les cadres intermédiaires peuvent, en
fonction des activités qu’ils effectuent, faciliter ou non la mise en œuvre du changement. A
cet égard, Allard-Poesi et Perret (2005) avancent qu’en laissant suffisamment d’autonomie
aux membres de leur équipe, les cadres intermédiaires permettent l’expression de la créativité
de leurs employés, et s’assurent de leur motivation et mobilisation dans le projet de
changement. En d’autres mots, lorsque les cadres intermédiaires encouragent les discussions
et favorisent l’implication des employés, la mise en œuvre du changement en sera facilitée. A
travers ces échanges, les cadres intermédiaires se trouvent au cœur du flux d’émotions auquel
ils répondent en offrant un soutien émotionnel à leur équipe (Huy, 2002). En effet,
l’incertitude caractérisant la mise en œuvre d’un changement organisationnel a pour effet de
réduire la motivation des employés et d’accentuer leur anxiété. Alors que les cadres
supérieurs sont trop éloignés de la plupart des employés, les cadres intermédiaires sont les
mieux à même de leur offrir un soutien émotionnel du fait de la proximité qu’ils ont avec le
terrain.
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Tableau 3 : Les cadres intermédiaires en contexte de changement organisationnel
LA DIRECTION
TOP MANAGEMENT TEAM
Pratiques ascendantes
1) Synthétiser l’information
-Communiquer l’information relative aux
activités des concurrents, des fournisseurs,
etc.
-Evaluer les changements caractérisant
l’environnement extérieur de l’organisation.
2) Proposer des alternatives
-Chercher de nouvelles opportunités
-Justifier et définir des nouveaux projets
-Communiquer les projets à la direction
CADRES INTERMEDIAIRES
Pratiques latérales
Cadres intermédiaires
intermédiaires
CréateurCadres
de nouvelles
idées
Créateur de nouvelles

4) Assurer le maintien de l’activité
3) Entreprendre un changement
idées
personnel
-Trouver un équilibre entre le présent et le
futur
-AssurerleursRrôles traditionnels
-Effectuer les opérations courantes
- Redéfinir leurs rôles et responsabilités
- Créer une vision commune du besoin de
changer
5) Implémenter les changements
- Communiquer le changement aux employés
-Traduire les intentions de changement en plans
d’actions
-Traduire les plans d’actions en objectifs
individuels
-Contrôler la mise en œuvre
6) Communiquer
-Utiliser les réseaux internes pour diffuser
l’information
-Intégration des points de vue du sommet et de la
base
-Adapter la manière de communiquer à chaque
acteur impliqué
ô
l
e ses employés à travers le
7) Soutenir
changement
-Aider ses employés
à donner du sens au changement
d
(communications
é formelles et informelles)
-Animer et guider le processus d’interprétation
c
organisationnel
i
-Utiliser les connaissnaces
tacites pour réunir les différentes
personnes autour
s du projet
-Gérer les résistances
au changement
i
o
8) Faciliter le changement
-Encouragernles discussions informelles et le partage
n
d’informations
-Fournir un soutien
émotionnel
e
-Faire évoluer
l les employés dans un environnement de
R
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travail serein
Pratiques descendantes
EMPLOYES


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n
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n
n
Implications Managériales
Cette revue de littérature insiste sur la nécessité d’envisager le changement organisationnel
comme un processus multi-acteurs. En contexte de changement, les organisations peuvent être
vues comme un réseau complexe d’activités de création de sens entre groupes et individus
dont les compréhensions se croisent, s’affrontent et interfèrent les unes avec les autres
(Hazen, 1993). Dans cette perspective, Rondeaux et Pichault (2011) avancent que le challenge
pour les dirigeants mais surtout pour les cadres intermédiaires est de gérer cette polyphonie.
En effet, de par leur position centrale dans l’organisation, les cadres intermédiaires sont les
plus amenés à naviguer entre et traduire les discours hétérogènes émanant des différents
niveaux organisationnels. Dans cette optique, élargir le cadre d’observation au-delà de la
direction en nous intéressant aux autres acteurs organisationnels, et en particulier aux cadres
intermédiaires, permet de gagner en réalisme.
La recherche menée fait ressortir que la responsabilité des cadres intermédiaires ne se limite
pas à la mise en œuvre des décisions stratégiques mais consiste à participer à la fabrication du
changement par l’interprétation qui lui sera donnée. Plus précisément, la recherche menée met
en avant que le résultat final du changement mis en œuvre dépend en grande partie de la
manière dont les cadres intermédiaires interprètent le changement initié par la direction. Dans
cette perspective, il semble essentiel que les dirigeants cessent de considérer les cadres
intermédiaires comme de simples réceptacles du changement, pour les considérer comme de
véritables agents de changement susceptibles de modifier de façon significative sa mise en
œuvre. La classification proposée dans cet article permet de souligner l’enjeu des
communications latérales (Balogun, 2006). En effet, sur base des communications qu’ils ont
de façon quotidienne avec les autres managers et qui sortent du contrôle de leurs supérieurs
hiérarchiques, les cadres intermédiaires se construisent leur propre interprétation du
changement. Sachant qu’il est rare que les cadres intermédiaires alignent leur interprétation du
changement avec celle de la direction (Stensaker et Falkenberg, 2007), les actions qu’ils
mettent en œuvre aux différents niveaux organisationnels aboutissent généralement à des
résultats inattendus et susceptibles de venir modifier le résultat du changement. De manière à
limiter l’écart généralement observé entre la conception et l’implémentation du changement,
la direction devrait reconnaitre qu’elle ne bénéficie pas d’un contrôle optimal sur le processus
de changement mis en œuvre. En particulier, Balogun (2007) suggère aux dirigeants d’être
plus présents lors de la mise en œuvre du changement et de créer davantage de moments de
15
partage entre les différents niveaux organisationnels de manière à arriver à un alignement des
interprétations du besoin de changement. Cet état de l’art nous a ainsi permis de mettre en
avant le lien fort existant entre les pratiques des cadres intermédiaires et le processus de
sensemaking auquel ils participent et qu’ils co-construisent à travers les actions et interactions
qu’ils ont aux différents niveaux de l’organisation.
Enfin, cet article souligne la complexité de la tâche confiée aux cadres intermédiaires. En
effet, en contexte de changement, il n’est pas rare de voir les cadres intermédiaires souffrir
d’une double tension : d’une part, il leur est demandé de mettre en œuvre le changement tout
en assurant la continuité des activités courantes ; d’autre part, il est de leur devoir de respecter
les injonctions de leur direction tout en tenant compte des difficultés ou des contraintes
exprimées par leurs équipes et dont la direction n’a pas nécessairement conscience. Ainsi ne
sachant pas comment satisfaire aux différentes exigences, il n’est pas rare de voir des cadres
intermédiaires se comporter de façon ambivalente, ce qui risque de mettre en péril la mise en
œuvre du changement. En effet, tout comme l’incohérence des mots et des actions des top
managers peut ébranler le processus de création de sens des cadres intermédiaires, l’attitude
ambivalente des cadres intermédiaires peut être interprétée comme un signal fort par les
niveaux opérationnels et aboutir à une attitude de retrait à l’égard du changement. Afin
d’éviter un tel désengagement, il importe que les dirigeants et/ou chefs de projet prennent
conscience du travail effectué par les cadres intermédiaires en contexte de changement. A cet
égard, la classification proposée permet de lever le voile sur la diversité des pratiques
accomplies par les cadres intermédiaires qui, alors qu’elles sont difficilement mesurables, ont
un impact direct sur la réussite du changement.
16
Limites et Perspectives Futures
A l’instar du courant de la fabrique de la stratégie, le changement comme pratique permet de
synthétiser les travaux portant sur les cadres intermédiaires en contexte de changement. En
particulier, l’article propose une vision théorique des pratiques mobilisées par les cadres
intermédiaires pour interagir avec leur direction (pratiques ascendantes), leurs employés
(pratiques descendantes) et leurs collègues (pratiques latérales) en contexte de changement.
Bien que cet état de l’art ne tienne pas compte de la logique de double interact ayant lieu entre
les différentes strates organisationnelles, il permet d’articuler les trois axes d’actions des
cadres intermédiaires. De plus, la question centrale reste de savoir quand ces pratiques sont
mobilisées. Dans cette perspective, il pourrait être opportun d’examiner, à l’aide d’une étude
de type longitudinal, de quelle façon les pratiques décrites évoluent en nature et en intensité à
travers le temps. En particulier, compléter l’analyse effectuée par une étude empirique menée
dans des entreprises de taille différente permettrait d’étudier l’impact (intensification,
diminution) du contexte organisationnel sur les pratiques mobilisées par les cadres
intermédiaires au travers des différentes phases du changement.
De plus, cette analyse amène à s’interroger sur la pertinence de considérer les cadres
intermédiaires comme un groupe d’acteurs homogène. En effet, les cadres intermédiaires sont
animés par des intérêts différents, voire opposés, et il serait utile d’approfondir les
dynamiques prenant place au sein même de ce groupe d’acteurs. Comme le précise Meyer
(2006), nous devons cesser de considérer les cadres intermédiaires comme un groupe pour ou
contre le changement, non seulement car leur position à l’égard du changement peut évoluer à
travers le temps mais aussi parce que ces forces peuvent être présentes en même temps dans
différents groupes appartenant à la strate des cadres intermédiaires. Dans cette perspective, il
pourrait être opportun de focaliser les recherches futures sur les influences réciproques et les
jeux de pouvoir prenant place entre les cadres intermédiaires à travers le temps. A la suite de
l’étude de Hope (2010), les recherches futures pourraient notamment s’intéresser aux
pratiques de nature politique que les différents groupes d’acteurs mettent en œuvre en vue
d’imposer leur perception de la réalité aux autres.
17
Par ailleurs, étant donné que le changement fait aujourd’hui partie intégrante de la vie des
organisations, il devient de plus en plus artificiel d’opposer les périodes de stabilité et de
changement, raison pour laquelle il est difficile de séparer les pratiques liées au maintien de
l’activité de celles consacrées à la mise en œuvre du changement. Dans cette optique, il serait
utile d’examiner comment les cadres intermédiaires articulent ces deux catégories de
pratiques. Autrement dit, à la suite de l’étude de Vie (2010), les recherches futures pourraient
s’intéresser à la manière dont les cadres intermédiaires font évoluer leur fonction pour
répondre aux contraintes de changement permanent.
Conclusion
Inscrit dans la lignée des travaux (Balogun et Johnson, 2004, 2005) mettant en exergue le
besoin de plus de recherches portant sur les actions et les interactions des praticiens du
changement, l’article a pour but de synthétiser les apports des recherches antérieures et de
proposer une lecture par les pratiques des actions menées par les cadres intermédiaires en
contexte de changement organisationnel.
De façon générale, la réflexion menée a permis de démontrer qu’à travers les interactions
qu’ils ont avec les autres acteurs organisationnels, les cadres intermédiaires sont susceptibles
de produire un nouveau changement. En particulier, la classification proposée permet de
décrire l’implication des cadres intermédiaires au processus de fabrication du changement à
l’aide de huit pratiques regroupées en trois catégories en fonction des groupes d’acteurs vers
lesquels elles sont dirigées. Concrètement, une distinction est réalisée entre les pratiques
dirigées vers l’équipe de direction (synthétiser l’information et proposer des alternatives), les
pratiques ayant lieu entre collègues (entreprendre un changement personnel et assurer le
maintien de l’activité) et les pratiques mobilisées à l’égard des employés (implémenter les
changements, communiquer, soutenir les employés, et faciliter le changement).
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