indiscutable curiosité de la part des élèves. L’un d’eux, lors du premier cours, exprima, avant
même de s’asseoir, cet intérêt de la façon la plus directe : « Alors Monsieur, dites-nous ce qu’est
la philosophie. » Tout ce que j’avais préparé pour ce premier cours résidait plutôt dans la réponse
à la question de savoir à quoi elle sert. Cette interpellation me contraignit donc d’emblée à
infléchir quelque peu le sens de mon plan initial. Je suis, en grande partie, redevable à cet élève
des conditions favorables dans lesquelles allait se dérouler la seconde année de cette
expérimentation et du climat de confiance qui allait s’instaurer avec les élèves, à partir de ce
premier pas qu’il m’avait pourtant, bel et bien imposé.
Pour lui répondre, je décidai de décrire d’abord des attitudes, des choix de vie, ceux de
Socrate et de Diogène notamment. Les élèves portèrent d’emblée un certain intérêt aux
anecdotes du philosophe cynique, ce qui nous permit d’évoquer, à la fin du cours, la question de
l’autosuffisance, de l’ataraxie du sage, de sa possibilité et du rapport entre le bonheur et la
possession de biens. Cette première heure me fut très profitable. Elle contenait en germe les
traits principaux du mode opératoire que je choisis d’adopter : plutôt que d’essayer de susciter
des interrogations, comme l’année dernière, j’ai préféré décrire, sans préambule, des styles
d’existence, des thèses d’auteurs appliquées à des situations concrètes (l’impératif catégorique
kantien et la question du mensonge, par exemple) afin de susciter des réactions, des oppositions,
des rapprochements et des questions. Ce n’est qu’après cette « mise en jambes » qu’il devenait
possible de désigner un ou plusieurs problèmes philosophiques. La deuxième séance pouvait,
dès lors, plus clairement préciser son objet : « Socrate ou la question de l’ignorance », «
Nietzsche ou le poids du passé », etc. Prenant soin de préciser que le lien d’un auteur à une
notion n’avait aucune prétention à l’exhaustivité, j’utilisais le fil de cette relation pour aborder le
sujet à venir et investir la référence choisie (Diogène, Socrate, Montaigne, Freud, etc.) de la
fonction de repère autour duquel pouvaient « se cristalliser » une ou plusieurs problématiques.
La mise en application de cette méthode supposait un effort d’adaptation aux différentes
réactions suscitées par telle ou telle référence de départ. Il ne s’agissait pas d’une improvisation
totale puisque c’est moi qui, lors de la première séance, décidais de l’auteur et du champ
problématique à l’intérieur duquel pourrait se situer sa réflexion. Il est néanmoins arrivé souvent
que l’étendue et la nature même de ce champ soient fondamentalement différentes de celles que
j’escomptais. C’est ainsi, par exemple, que la référence à Bossuet dans le cadre d’une séance
que je pensais consacrer à la question du sens de l’histoire fut peu à peu infléchie vers le thème
de la croyance en Dieu, ce qui, en soi, n’est pas très surprenant. La deuxième séance de ce
cours, par contre, fut plus inattendue puisqu’à partir de quelques considérations sur le
panthéisme, nous en vînmes à envisager la question de l’univers appréhendé comme totalité, puis
celle de la possibilité pour le scientifique positiviste de se situer réellement en marge de cette
totalité comme de celle des phénomènes qu’il prétend « objectivement » décrire et mesurer. Je
finis donc, en suivant un fil somme toute assez logique, par clore un cours parti de la question de
la Théodicée sur le principe d’indétermination de Heisenberg ainsi que certaines implications de la
physique quantique quant à la transformation du statut d’observateur du scientifique à celui de
« participant » (Bernard d’Espagnat).
Pour dégager la problématique de la référence à un auteur ou à une notion et
entreprendre d’y apporter efficacement quelques réponses, deux séances étaient nécessaires,
davantage aurait sans aucun doute lassé. Au terme de ces deux heures de cours, je distribuais
aux élèves une synthèse rédigée, de deux pages environ, contenant l’essentiel de ce qui avait été
dit, les directions adoptées et les problématiques choisies. Les cours pouvaient ainsi se dérouler
sans prise de notes tout en bénéficiant d’une trace écrite.
Evaluation
C’est en décembre, après une période de stage, que je soumis aux élèves de la terminale
Bac Pro Travaux Publics - Gros Œuvre un questionnaire les interrogeant sur leur souhait de
poursuivre ou pas l’expérimentation, sur leur première réaction à la nouvelle de cette innovation,
au déroulement des cours, sur l’apport de la philosophie tant dans leur vie que dans leur projet
professionnel ainsi que sur la compatibilité de cette nouvelle matière avec toutes celles qui leurs
sont déjà enseignées. Sur seize élèves, douze exprimèrent leur désir de continuer l’expérience.