Que Vlo-Ve ? Série 4 Noo 24 octobre-décembre 2003 pages 85-87
Un écho du « Wattman » ou Quand Guillaume s’amuse au boulevard GOUTTIERRE
© DRESAT
Cinq messieurs de Francfort ». Une comédie, certes : Apollinaire écrit à son correspondant qu'il
s'y est « beaucoup amusé ».
Reste à retrouver l'écho que le poète déclare avoir publié dans L’ Intran. S'il collabore à
cette rubrique « On dit que », ce n'est certes pas sous son nom d’écrivain, l'ensemble des échos
portant la signature du « Wattman ». L'un des échos publiés dans l'édition du samedi 14 apporte
la solution :
Sait-on que Lugné-Poe, qui tient un rôle si amusant à côté de Guitry dans Les Cinq messieurs de
Francfort, a été et est encore un dessinateur de talent ? Au temps où il avait comme condisciple à
Condorcet Maurice Denis, Lugné-Poe eut un prix de dessin au Concours général, tandis que Maurice Denis
n'eut qu'un accessit. Le détail est piquant. Mais le dessin n'est plus aujourd'hui pour Lugné-Poe, directeur
du théâtre subventionné de L'Œuvre, qu'un violon d'Ingres.
Si le détail est « piquant », c'est surtout parce que Maurice Denis (1870-1943) dont les
études au lycée Condorcet avaient été brillantes, était à l'époque l’un des artistes les plus en vue.
Rappelons que c'est Maurice Denis qui avait rédigé, en 1890 le manifeste des Nabis dans la
revue Art et critique.
L'anecdote sera reprise, toujours dans L'Intransigeant, le mercredi 17 février, mais cette
fois dans la rubrique « Théâtre », sous le titre « Lugné-Poe dessinateur » :
Notre Wattman l'a dit : Lugné-Poe n'est pas seulement le grand comédien, le hardi metteur en
scène, l'intelligent directeur d'avant-garde qui, soit à l'Œuvre fondée par lui, soit sur d'autres scènes, sert
avec passion l'art dramatique ; il a - comme beaucoup d'autres artistes -son « violon d'Ingres » : il est
dessinateur. D'un carton subtil, il fixe avec humour les traits de ses contemporains. Mais il pratique la satire
sans cruauté : c'est l'essentiel. Voyez plutôt, ici même, ce masque aux traits épais, nettement accusés, de
Salomon qu'incarne M. Lucien Guitry dans les Cinq Messieurs de Francfort. N'est-ce pas digne de figurer à
côté d'un Sem, d'un de Losques ou d'un Hermann-Paul ?
La caricature porte en légende : « Salomon-Guitry par Meyer-Lugné-Poe ».
Revenons à la lettre : « Vous avez joué ave beaucoup d'art le rôle de Meyer ».
Le courrier avait donc bien été envoyé à Lugné-Poe, fondateur du théâtre de
L'Œuvre en 1892, où avait notamment été créé Ubu roi, d'Alfred Jarry (qui fut le secrétaire et un
peu homme à tout faire du directeur). [86]
Quant aux Cinq messieurs de Francfort, il s'agissait de la pièce de l'écrivain et acteur
autrichien Cari Roeszler (pseudonyme de Franz Ressner, 1864-1948) dont l'Encyclopedia
Judaica nous dit qu'il fut « mainly remembered for his comedie Die Feuf Frankfurter, 1912 »).
Lugné-Poe en avait signé lui-même la traduction avec Julius Elias, ami d'Ibsen.
Les représentations françaises de la pièce, qui raconte les tribulations d'une famille de
grands banquiers juifs, bénéficièrent d'un grand succès public et d'une critique élogieuse. Henry
Bidou dans Le Journal des débats parlera « d'une façon d'opérette sans musique. Sa description
de Lugné-Poe acteur est savoureuse : « Il a une face rouge de buveur de bière que l'acné
démange et couperose ; point de cheveux, que de petites touffes ailées au dessus de l'oreille ; le
crâne brille du front à l'occiput ».
Le ton et la déférence que manifeste Apollinaire à l'égard du destinataire montrent en tout
cas que les hommes se connaissaient peu ou pas, et le poète se montre particulièrement prudent :
« Je pense qu'il n'y a là aucune indiscrétion désobligeante ni gênante pour vous ». Lugné-Poe est
par ailleurs de onze ans l'aîné d'Apollinaire. D'autre part, en consultant différentes études déjà