L'Addictologie Intégrative
Dans les années 1950 avec l'arrivée du modèle Minnesota, le traitement des
addictions a vécu une véritable révolution permettant à des millions d'addicts de
confronter leur problèmes d'addiction. A cette époque, hormis les hôpitaux psychiatriques
et la prison, il n'existait pas de véritable prise en charge pour les personnes souffrant de
dépendances. Mis en échec, les grands cliniciens avaient renoncés à s'occuper de ce type
de patients. Aux faibles connaissances sur les conduites addictives, s'ajoutaient les
représentations négatives de la société envers l'alcoolisme, jugé comme une faiblesse
morale et non une pathologie. En bref, à part les Alcooliques Anonymes, il n'y avait
pratiquement rien pour soigner les addicts.
Aujourd'hui, les temps ont bien changés. Les addictions sont omniprésentes et
intéressent tout le monde. Cependant les professionnels de santé, malgré les plans
addictions à répétition sont toujours en échec et le fléau de l'addiction ne fait que
grandir
1
. Si nos voisins plus pragmatiques avancent dans ce domaine, nous avons observé
qu'ici en France chaque chapelle thérapeutique officie dans son coin au détriment des
patients. En réaction contre ce morcellement thérapeutique, certains cliniciens se sont
réunis pour proposer un nouveau type de prise en charge : l'addictologie intégrative,
consistant à utiliser les connaissances et l’expérience unique et empirique des groupes
d’anciens addicts tels Alcooliques Anonymes et du modéle dérivé, le modèle Minnesota et
d'intégrer celles ci à leurs pratiques plus classiques de médecins, psychologues, infirmiers,
psychanalystes et autres professions de santé.
Nous souhaitons dans cet article revenir sur la méthode Minnesota, princeps dans le
traitement des addictions.
1
D’après la MILDT, les saisies de cocaïne et d'héroïne sont sur une tendance haussière depuis l'an 2000, et
concernant l'alcool, les ivresses répétées et régulières sont également en nette augmentation.
Le modèle Minnesota
« If you want to know why you drink, stop drinking ! »
Un membre des AA
2
Descriptif-définition
Le modèle Minnesota
3
est un programme de rétablissement dédié spécialement aux
addictions comportant : un sevrage et un dispositif thérapeutique de quelques semaines
en institution, suivi d'un traitement ambulatoire axé sur la maintenance de la sobriété. L'
orientation thérapeutique est basée sur l'arrêt des consommations de toxiques et
organisée par les soins dune équipe de professionnels de santé pluridisciplinaire.
Schématiquement, on peut dire qu’il est caractérisé par lusage de l’ expérience et des
connaissances du modèle « 12 étapes » des Alcooliques Anonymes (A.A) et on pourrait
dire que la méthode Minnesota est en quelque sorte une professionnalisation des idées
des A.A, mises en œuvre par des médecins, psychologues et autres thérapeutes à
l’intérieur d’un cadre spécifique que nous détaillerons plus loin.
Historique
Le modèle prend naissance aux USA dans les années 1950 dans le Minnesota et se
développe rapidement à travers le monde et constitue aujourd’hui la référence dans le
soin des addictions dans de nombreux pays, principalement anglo-saxons (U.S.A, U.K,
Scandinavie, Afrique du Sud). Au départ pour les alcooliques, il élargit peu à peu son
champ à toutes les dépendances et y devient la référence du traitement de l’addiction.
Aux Etats-Unis, à son apogée des années 1980, on comptait jusqu'à 6 800 centres
représentant 80 % des services d’addictologie
4
.
Il est du rapprochement entre les prises en charge hospitalières classiques et les
idées des Alcooliques Anonymes (A.A). Les A.A sont un ensemble de groupes d’entraide
2
A.A. ou Alcooliques Anonymes.
3
Nos principales sources théoriques pour cette partie sont : un rapport de recherche de Céline Langlois, le livre
de J. Épicer de l’article de E.Sereka, C.d’Epagnier et D.Danis : Traitement des malades dépendants selon le modèle
Minnesota dans une clinique psychiatrique suisse, une expérience de 13 ans. Alcoologie et addictologie, 2000. 22 (3),
239-246.
4
D’après Jerry Spicer, The Minnesota Model, 1993.
crées en 1935 aux USA
5
, de la rencontre d’un banquier et d’un médecin, tous deux
alcoolo-dépendants ayant réalisé que pour rester sobre, il fallait travailler avec un autre
alcoolique à rester sobre avec l’aide d’un programme. Les A.A sont arrivés en France dans
les années 1960. On a vu se développer ensuite d autre groupes fonctionnant sur les
mêmes principes, (dont Narcotiques Anonymes (N.A), Débiteurs Anonymes (D.A), et
toujours adaptés à la dépendance en question.
Avec l’arrivée dans les années 1980 du paradigme de la réduction des risques favorisant
la substitution à l’arrêt des dépendances, son influence a certes un peu baissé . Mais dans
les pays proposant plusieurs modèles thérapeutiques, il demeure très populaire et
possède la réputation d’être efficace. En France
6
, à l’inverse des autres grands pays, le
modèle Minnesota n’a pas encore trouvé sa place et Il m’a semblé important de
comprendre pourquoi.
Le postulat du M.M.
Le modèle Minnesota, reprenant les principes des A.A, envisage l’addiction comme
une maladie primaire, évolutive, chronique et mortelle et se caractérise par des pensées
obsédantes et une compulsion à utiliser des substances et ceci malgré des conséquences
négatives. Selon les principes Minnesota, il y a donc le postulat que si l’on est sous
l’emprise d’un produit ou d’un comportement, c’est la conséquence d’une maladie: la
maladie de la pendance qui s’organise sur 2 versants: un versant physique (usage
compulsif de substances), un versant psychique (idées obsédantes de consommer) et pour
certains un versant spirituel (égocentrisme total). Ce trépied induira les 3 axes de
traitement du modèle.
Fonctionnement et modalités
Penchons-nous maintenant sur les modalités du modèle. Il s’organise en continuum
et en trois phases: sevrage, thérapie institutionnelle, maintenance de la sobriété.
Le cadre est celui d’une institution située en zone retirée, loin de l’environnement
habituel des addicts et de leurs tentations. Uniquement dédiée aux addictions, les centres
5
Il y aurait aujourd’hui, d’après les estimations des A.A, plus de 176 000 groupes dans le mondes, répartis sur
170 pays et représentant 2 millions de membres.
6
D’après Jauffret-Roustide. Membre de l’inserm et de l’Institut de veille sanitaire. Dans Pensées plurielles.
2010.
Minnesota proposent une cure organisée autour dune combinaison de psychiatrie, de
psychothérapies groupales et individuelles et de thérapies corporelles.
La partie sevrage est prise en charge par le médecin psychiatre et les infirmiers . Il
convient de préciser toutefois que le programme Minnesota est multidisciplinaire et qu'il
est important d'obtenir l'adhésion de toute l’équipe thérapeutique dans les principes du
modèle. Par exemple, les produits communément appelés de substitution, ne sont utilisés
que pendant une période de sevrage qui ne dépasse que rarement un mois. «Il ne s’agit
pas de remplacer une drogue par une autre».
Le traitement psy est largement centré sur les effets thérapeutiques du groupe qui
constitue ainsi la pièce maitresse de la thérapie. Autre fait saillant, l’équipe soignante
comprend une catégorie particulière constituée d’anciens addicts rétablis qui apportent
une expertise par expérience personnelle.
Spécificités de l'abord thérapeutique MM (idées et concepts)
Cest dans sa compréhension de l’addict en début de tablissement que le modèle
Minnesota doit son succès. Après des années d’usage quotidien de substances toxiques,
l’addict qui arrête l’usage de son toxique présente un tableau de pathologies psychiques et
physiologiques tout à fait spécifiques. Le MM prend en compte la dynamique et la
temporalité des phases de rétablissement.
Par exemple, lors du sevrage intervenant souvent aprés des années d'usage quotidien de
substances toxiques, certains addicts vont d’abord présenter un tableau psychique l'on
pourra repérer temporairement quelques traits psychotiques: l'état de détresse,
l'incapacité de penser, le clivage, l'absence ou au contraire la massivité des affects, le
morcellement voir l'effondrement de la psyché. Dans un deuxième temps, généralement
après une semaine, apaisés par les aspects contenants du modèle, les patients évoluent
vers une organisation plus «états limites» ou borderline avec un réveil du système défensif
caractérisé par une mise en avant des affects et du déni. Ainsi pour apréhender cette
trajectoire psychopathologique, la thérapie Minnesota est évolutive. Les premiers temps,
il s'agira d'abord d'un travail de réparation de certaines fonctions cognitives altérées
(pensée, concentration, mémoire) qui par la suite au travers du jeu des identifications,
permettra au patient d’élaborer et de symboliser. Nous verrons par la suite les processus
qui permettent cette maturation.
Cest un modèle thérapeutique construit de manière empirique créé tout comme AA par
des médecins alcooliques qui avaient résolu leur problème d’addiction. Les thérapeutes
Minnesota ne disent pas que le concept de maladie est correct ou incorrect mais que
cette métaphore se justifie par les résultats induits. Ils entendent maladie dans le sens
ou l’addiction est une condition que le sujet n’a pas choisie. « Lalcoolique choisit de boire
mais pas de devenir dépendant. »
L’introduction de la notion de maladie permis de changer la représentation de l’addiction
pour la société et d’ impliquer recherche, traitements et remboursements par les
mutuelles.
Pour la thérapie Minnesota, la notion de maladie primaire est également purement
pragmatique. Cela signifie qu’on ne peut correctement diagnostiquer et soigner les
autres pathologies avant d’avoir réglé le problème de consommation d’alcool ou de
drogue. Ce modèle ne remets pas en question que l’addiction est symptomatique d’une
pathologie psychique mais il entend qu’ à partir d’un moment, l’addiction prend une
autonomie propre. D’ le postulat qu’on ne peut guérir l’addiction en seulement
traitant la cause.
Par la fquentation des groupes et les témoignages des membres qui rechutent, les AA
ont compris que la dépendance est une maladie spécifique qu’ils comparent à une allergie
à leur drogue, ce qui signifie que la consommation dun premier verre engendre une
réaction de manque. Pour les AA, il ne s’agit pas d’une théorie mais du constat de
l’expérience cumulée de millions d’addicts fréquentant les groupes et qui n’ont jamais été
capable de reprendre la consommation contrôlée de leur «drogue de choix». Pour eux, la
prégnance de cette règle est confirmée chaque fois qu’un addict «rechute» après de
nombreuses années d’abstinence en pensant qu’il était guérit. Il faut néanmoins nuancer
leur propos et reconnaître qu’il n’y a pas de preuve scientifique excluant la possibilité
d’une reprise consommation modérée. Cette radicalité du programme quant à la
nécessité de l’abstinence est encore purement pragmatique et explicable par le danger
que présentent les rechutes, spécialement aux drogues dures. Dans les centres
Minnesota, cette règle de l’abstinence imposée durant les quatre semaines de cure
permet également à l’équipe de mieux cerner la personnalité du sujet et ses comorbidités
psychiques éventuelles. On observe que les addicts actifs ou en sevrage, mettant ainsi fin
à un usage quotidien de plusieurs années présentent des états altérés éloignés de leur
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