1
Cours Maleval 2009-2010
LA PSYCHOSE
I LE CONCEPT DE PSYCHOSE
II LES DEFENSES PSYCHOTIQUES PAUVRES : LA SCHIZOPHRENIE
III LES DEFENSES PSYCHOTIQUES ELABOREES : PARANOÏA ET
PARAPHRENIE
IV STRUCTURE DE LA PSYCHOSE : LA FORCLUSION DU NOM-DU-PERE
Bibliographie : Maleval, la forclusion du Nom-du-Père, 1ère partie
Cahiers de Cliniques psychologiques n°17
V CLINIQUE DE LA FORCLUSION DU NOM-DU PERE
Bibliographie : Maleval, la forclusion du Nom-du-Père
Cahiers de Cliniques psychologiques n°19
Article de Sauvagnat
1°) Le déclenchement de la psychose
Qu’est-ce qui peut provoquer le déclenchement de la psychose ? Pour Lacan :
A Suscitée par la rencontre d’un père
qui intervient comme tiers dans une rencontre (mode de déclenchement classique).Il
sépare le sujet de l’objet libidinal. Le sujet est déstabilisé.
Exemples : - Rencontre du père de son ou sa fiancé(e)
- Rencontre d’un confesseur (figure paternelle)
- Quand un sujet devient père (fréquent)
- Quand le sujet prend une position paternelle (promotion
professionnelle …)
B Quand le sujet est confronté au désir de l’Autre
et qu’il n’a pas les moyens de l’interpréter. Le désir de l’Autre est angoissant.
Exemples : - Au moment de la rencontre d’un partenaire sexuel à l’adolescence (le
sujet se trouve perplexe et angoissé ; il ne sait comment faire)
- Quand le sujet interroge le désir de l’autre dans la voyance
- Les chercheurs qui atteignent le point il n’existe pas de réponse
(trou au champ de l’autre)
C Quand le sujet se soutient grâce à un proche
(Psychotique inconsistant sans délire). Si cette personne disparaît, le sujet déclenche
(perte du support).
2
D Quand le sujet cesse de créer
Certains élaborent une suppléance grâce à leur création (artistes) qui leur permet de
se stabiliser. S’ils cessent de créer, ils déclenchent.
2°) Le délire n’est pas un rêve éveillé
Par rapport à beaucoup de théories post-freudiennes de la psychose, la
conception lacanienne présente la spécificité de n’être pas fondée sur la notion d’une
régression à un stade ou un matériel archaïque.
Un psychotique peut être tout à fait adapté, il n’est pas forcément régressif.
On conçoit dans cette dernière perspective (régression) que l’on soit toujours
plus ou moins conduit à identifier la psychose clarée comme un rêve éveillé. Dans
les deux cas, il s’agirait d’un envahissement de la pensée par les processus
primaires (Freud),ceux qui procèdent par déplacement et condensation pour coder le
message des rêves.
N.B. : Processus primaires : processus par déplacement et condensation s’opposent
aux processus secondaires : conscients, raisonnés.
Cette thèse est souvent associée à l’enseignement de Freud. Il en fit un temps
l’hypothèse mais était trop rigoureux pour ne pas s’apercevoir qu’elle ne résistait pas
longtemps à un examen critique.
Dès 1915, dans un article sur l’inconscient (cf : Métapsychologie, l’Inconscient,
1915) puis en 1917 dans « Le complément métapsychologique à la théorie du
rêve »: une différence décisive apparaît à Freud entre la schizophrénie et le travail du
rêve. Selon lui, dans le rêve, la circulation est libre entre investissement de mots
préconscients et investissement de choses inconscientes (images dans le rêve), ce
qui rend possible l’interprétation du rêve par connexion des mots et des images. Or il
est caractéristique de la schizophrénie (psychose au sens large) que cette circulation
soit coupée. Dans celle-ci, ce sont les représentations de mots préconscients qui
sont l’objet de l’élaboration par les processus primaires.
Cela a pour conséquence d’une part la prévalence des troubles du langage
dans la psychose - sur laquelle Lacan insiste en soulignant l’intrusion psychologique
du signifiant d’autre part, la rupture schizophrénique entre la représentation de
mots et la représentation de choses implique que le délire n’est pas interprétable à la
manière d’un rêve.
Freud ne conserve le modèle onirique du rêve que pour une autre psychose
qu’il nomme amentia ou psychose onirique hystérique. Il ne faut pas confondre le
délire psychotique et le delirium névrotique (cf. cours L2 sur la grande hystérie)
3
Lacan insiste plus encore que Freud sur la différence entre rêve et folie. En
1955 (Séminaire 3), Lacan relit, dans « l’interprétation des rêves » de Freud, une
note sur les mécanismes de la psychologie du rêve Freud cite John Hughlings
Jackson, neurologue (1835-1911) : « trouvez la nature du rêve et vous aurez trouvé
tout ce que l’on peut savoir sur la démence et la folie » (mécanismes de défense
dans la folie) (démence et folie sont associées en neurologie mais pas dans
l’approche psychanalytique). « C’est faux, commente Lacan, cela (rêve et folie) n’a
rien, cela manie sans doute les mêmes éléments, les mêmes symboles. On peut
trouver des analogies, mais cette perspective n’est pas la tre. Pourquoi un rêve
n’est-il pas folie et inversement ? Ce qu’il y a à définir dans la folie, c’est en quoi son
mécanisme déterminant (forclusion du NduP) n’a rien à voir avec ce qui se passe
chaque nuit dans un rêve ».
La forclusion du Nom-du-Père n’a rien en commun avec la logique du rêve,
elle ne suscite pas un retour du refoulé construit comme une formation de compromis
et déterminé par un désir ignoré ; ce sont les caractères du rêve. Elle tend à produire
une construction signifiante du délire qui vise à colmater une insupportable béance
dans le champ du symbolique (le champ du langage), une inadmissible absence de
garantie de tout discours (pas de vérité derrière ; repose sur un pari). Le rôle du
délire est de colmater un point d’énigme.
Le modèle onirique n’est nullement pertinent pour appréhender la logique du
délire. Outre les distinctions dégagées par Freud, il faut encore souligner les
différences suivantes :
- Les troubles du langage tels que néologisme, phrase interrompue,
coq-à-l’âne ne se rencontrent pas dans les rêves, sauf exception
et de façon transitoire.
- Il n’est pas de règle que les rêves soient orientés vers l’appel à un
père pacificateur. Ils sont déterminés par l’accomplissement
symbolique d’un sir refoulé. La nécessité de l’appel au père peut
conduire le psychosé à une rupture radicale avec sa fantasmatique
et ses croyances antérieures (alors que dans le rêve, il est en prise
directe avec le fantasme). Les cas de Schreber et W.
Reich (psychanalyste militant communiste) en sont des exemples.
Ils se réfèrent à Dieu dans leurs délires alors qu’ils étaient
agnostiques avant (il faut remettre un père à sa place). Quand Reich
se met à délirer, il se prend pour le Christ. L’appel au père qui fait
démarrer le délire l’emmène sur une position subjective
radicalement opposée à ses convictions antérieures.
La psychose n’a pas de préhistoire, c’est une structure peu liée à
l’histoire du sujet.
- Les phénomènes élémentaires de la psychose sont particulièrement
décelables à l’orée des troubles. Par exemple : intuitions étranges
(Schreber : il serait bon d’être une femme subissant l’accouplement,
puis il l’accepte à condition d’être la femme de Dieu) , hallucinations
4
fugaces et énigmatiques (Brisset), une irruption psychologique du
signifiant, s’avèrent souvent athématiques, insensés, comme l’a
montré de De Clérambault (psychiatre considéré par Freud comme
son maître). Pour lui, ils ne sont pas suscités par un retour du
refoulé, mais par la rupture de la chaîne signifiante du fait de la
carence paternelle, libérant ainsi des éléments de langage qui se
mettent à parler tout seul (dans la tête du sujet) ou à prendre un
poids particulier indépendamment de la volonté du sujet
(=automatisme mental). Il ne le maîtrise pas : perte de la propriété
privée du langage Je n’arrive pas à contenir ma pensée ; ça parle
en moi ».).
- Un phénomène tel que l’écho de la pensée ne se rencontre jamais
dans le rêve, or, il n’est pas rare qu’une psychose débute par une
hallucination verbale qui donne au sujet le sentiment que l’on répète
ses propres pensées, ou que l’on énonce ses intentions, voire ses
actes. Cet écho de la pensée est un élément essentiel de ce que De
Clérambault nommait le syndrome d’automatisme mental, ou
syndrome S, ou syndrome d’action extérieure, base d’un grand
nombre de psychoses.
Le délire n’est donc pas un rêve éveillé.
3°) Les troubles du langage
A La carence de la signification phallique
La signification est toujours phallique (Lacan), ce qui n’est pas le cas du sens
qui est plutôt énigmatique. Que faut-il entendre par inhérence du phallus à la
signification ?
Rappel : les éléments linguistiques peuvent être organisés de manière
correcte dans une langue compréhensible sans qu’une signification s’en dépose
nécessairement (exemple : apprendre et réciter sans comprendre). Pour qu’advienne
une signification, l’émission ou l’enregistrement d’un matériel signifiant ne suffit pas.
Il faut que le sujet mette du sien, il faut être présent à ce que l’on dit ; il va interpréter.
Si ce n’est pas le cas, le sens reste incertain, ce qui autorise Lacan à considérer
l’énigme comme le comble du sens.
En outre, la signification d’un terme renvoie toujours à d’autres significations.
Les mots du dictionnaire ne se définissent que par rapport à d’autres mots du
dictionnaire. Il faut trancher dans ce matériel ambigu pour avoir une signification. Il
faut arrêter le renvoi infini d’un terme à l’autre, ce que permet un élément qui porte la
présence du sujet grâce auquel l’énoncé prend vie (on habite l’énoncé).
L’articulation de cette pensée du sujet au langage, Lacan la saisit par
l’entremise du signifiant phallique (le phallus fait le lien entre le corps et l’esprit).
5
C’est pourquoi, selon lui, toute signification ne saurait être que phallique (il faut qu’il y
ait une jouissance dans notre dire).
Dans le déroulement d’un énoncé auquel l’auditeur et le locuteur sont attentifs,
le sens renvoie toujours à un élément qui se trouve en avant ou qui revient sur lui-
même. Le sens est en permanence anticipé (on attend la suite), mais pour qu’une
signification se dépose, l’advenue d’un processus de bouclage s’avère nécessaire,
c’est-à-dire que la valeur donnée au premier terme d’une phrase ne se cide que
rétroactivement avec la signification du dernier mot.
Exemples :
Con cu pis … / concupiscence (seuls = insultes)
J’aime beaucoup ma mère …… quand elle est à
20000 km.
_ _ _ _ _ _ _
Ce phénomène de bouclage rétroactif intervient à tous les niveaux du
discours : mots, phrase, ensemble d’énoncés. Ainsi, le même texte peut-il prendre
une signification différente quand l’auteur se révèle autre que le signataire anticipé.
Le point d’arrêt qui permet de décider de la signification est mis en jeu par le
signifiant phallique qui représente le sujet et sa jouissance.
Quand la fonction du signifiant phallique n’intervient pas en raison de la
forclusion du Nom-du-Père, on assiste à une carence de la rétroaction : le sens peut
rester indécis (schizophrénie) ou bien au contraire se fige (dans la paranoïa).
Le phallus intervient pour normaliser le langage du sujet, il fait barrage à un
investissement trop intense d’inventions hors discours (ex. : néologismes). Le sujet
psychotique est hors discours donc hors lien social, mais pas hors langage. Il est
seul à se comprendre.
La description de l’émergence de la carence de la signification phallique faite
par Antonin Artaud (1896-1948) quelques années avant que sa psychose ne
devienne avérée est remarquable de précision. Elle montre que l’anticipation du sens
persiste sans que l’effet de signification, en tant que produit fini, parvienne à se
déposer. Artaud (1932) écrit : « Dans cet état tout effort d’esprit étant dépouillé de
son automatisme spontané est pénible, aucune phrase ne naît complète et toute
armée. Toujours vers la fin, un mot, le mot essentiel manque, alors que commençant
à la prononcer, j’avais la sensation qu’elle était parfaite et aboutie. Et lorsque le mot
précis ne vient pas, qui pourtant avait été pensé, au bout de la phrase commencée,
ma durée interne se vide et se fléchit par un mécanisme analogue pour le mot
manquant à celui qui a commandé le vide général et central de ma personnalité […]
Je ne peux rien approfondir parce que la notion efficace de ce que je vise m’est
retirée dans son acception et dans ses développements internes au moment je
veux la saisir.
1 / 25 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !