tels que les animaux, les êtres spirituels ou encore les artefacts (objets, substances, humanoïdes,
etc.). Une première étude comparative adoptant ce modèle heuristique a été développé par
Véronique Servais et Arnaud Halloy. En comparant la possession religieuse dans un culte afro-
brésilien et l’expérience qu’étaient amenés à vivre de nombreux individus dans la rencontre en mer
avec des dauphins, nous avons montré que les deux phénomènes, bien qu’historiquement et
culturellement très éloignés, partageaient de nombreuses similitudes, tant du point de vue de
l’expérience vécue que du dispositif qui la rendait possible. Chacun de nous a tenté de comprendre
ces traits communs avec ses outils analytiques de prédilection (Arnaud Halloy avec les outils de
l’ethnographie et de l’anthropologie cognitive, Véronique Servais avec ceux de la psychologie et de
l’anthropologie de la communication) et nous avons trouvé que tous deux pouvaient être
appréhendés à travers la notion d’enchantement. Très succinctement, il est apparu que les deux
types d’expériences peuvent être définis par une suspension de l’expérience ordinaire du monde
caractérisée par : 1) une forme paradoxale d’engagement imaginatif (bien que l’imagination y soit
prolifique, elle ne parvient jamais à totalement résorber la persistance d’une opacité cognitive, une
incapacité à comprendre ce à quoi on est confronté) ; un biais intéroceptif (la focale attentionnelle
est tournée vers l’intériorité – pensées et proprioception) ; des sensations et émotions inhabituelles,
étranges (uncanny feelings) ; et enfin des états de conscience altérés (formes non pathologiques de
dissociation, états hypnoïdes). A partir de ce point de départ, nous avons cherché à identifier les
conditions propices à l’engendrement de l’expérience d’enchantement. Le concept de « dispositif
d’enchantement » (Belin 2002) s’est avéré particulièrement utile, car il décrit parfaitement ce que
nous rencontrons sur nos terrains respectifs, à savoir un « espace intermédiaire de pratiques »
(ibid.), ni totalement matériel, ni totalement subjectif, au sein duquel un imaginaire et des
dispositions sont élaborés en vue d’engendrer l’expérience en question. L’expérience telle que nous
l’étudions est par conséquent toujours située dans la mesure où c’est la situation en tant que
paysage sensoriel qui guide l’attention et permet à l’individu, en connectant son ressenti et ses
pensées, de faire sens de ce qui lui arrive. Une première publication est prévue pour mars 2014 dans
l’ouvrage collectif Rencontres sensorielles : approches sociologiques et anthropologiques des sens »,
Petra éditions, collection « Anthropologiques ». Une autre a été soumise à Ethos. Journal of the
Society for Psychological Anthropology.
Dans ce séminaire doctoral, nous voudrions à la fois mettre à l’épreuve cette notion
d’enchantement, en faisant place à des terrains et des dispositifs variés, et confronter les acquis de
l’ethnographie avec ceux de la psychologie sociale cognitive. Nous souhaitons notamment interroger
dans quelle mesure les expériences d’enchantement sont, comme nous le pensons, une dimension
fondamentale du religieux et du sacré. Sur le plan méthodologique, nous souhaitons entamer un
dialogue interdisciplinaire sciences sociales et sciences cognitives, et voir jusqu’où et dans quelles
conditions il s’avère fécond pour l’une et l’autre discipline. Le séminaire est ouvert aux doctorants en
sciences sociales, en communication, en sciences religieuses ainsi qu’aux doctorants en sciences
cognitives qui voudraient élargir la base empirique de leurs travaux.
Le séminaire est organisé en partenariat par Véronique Servais et Arnaud Halloy, Université de Liège
et Pierre Petit et David Berliner, Université Libre de Bruxelles. Les séminaires se donneront à l’Institut
des Sciences Humaines et Sociales de l’Université de Liège. L’accès est libre.
Asad, T. 1993. Genealogies of religion: discipline and reasons of power in Christianity and Islam. Baltimore;
London: Johns Hopkins University Press.
Belin, E. 2002. Une sociologie des espaces potentiels. Logique dispositive et expérience ordinaire. Bruxelles: De
Boeck.
Gauchet, M. 1985. Le désenchantement du monde. Paris : Gallimard. Folio/Essais.
Guyard, M.-F. 1996. « Une prophétie apocryphe de Malraux », in Littératures contemporaines, Paris :
Klincksieck.
Halloy, A. & Servais, V. (sous presse). “Divinités incarnées et dauphins télépathes: Ethnographie de deux
dispositifs d’enchantement”, in « Rencontres sensorielles : approches sociologiques et anthropologiques des
sens », Petra éditions, collection « Anthropologiques ».