Initiation à la sociologie: démarche, concepts et débats actuels 1

Initiation à la sociologie: démarche, concepts et débats actuels 1
Introduction
Qu'est-ce que la sociologie?
Raymond Aron dans Les étapes de la pensée sociologique, 1967 définit la sociologie ainsi: « étude
qui se veut scientifique du social en tant que tel, soit au niveau élémentaire des relations
interpersonnelles, soit au niveau macroscopique des vastes ensembles: classes, nations, civilisations
ou pour reprendre l'expression courante, société globale ».
Le projet de la sociologie est que « ego n'est pas tout ». Pour comprendre l'attitude d'un individu, il
faut s'intéresser aux influences de son groupe d'appartenance, de la société. On croit être libre; or,
cette liberté est toute relative, car on est influencé par le contexte et le groupe auquel on appartient.
Exemple: dans les grandes écoles, seuls 6% des élèves viennent de la classe sociale ouvrière.
La société va jusqu'à influencer nos corps, notre façon de nous mouvoir. Le milieu rejaillit sur notre
intimité.
La sociologie définit trois moments dans la connaissance des faits sociaux:
1. la description des faits étudiés;
2. l'explication;
3. la compréhension et la montée en généralité
La question de la réussite scolaire chez Pierre Bourdieu
Notre milieu social d'origine conditionne la réussite scolaire, ou en tout qu'à il y a corrélation.
Bourdieu montre en termes statistiques que la réussite sociale est inégale selon le milieu social des
parents. Il explique que les origines sociales sont déterminantes et finalement généralise sur le fait
que la réussite scolaire n'a rien à voir avec le don. C'est notre famille qui nous transmet un
habitus, des connaissances, des schèmes. L'école valorise l'habitus donné par les classes
dominantes. Sans s'en rendre compte, les enseignants recherchent un certain type de prédisposition,
d'habitus propre à la classe dominante, dont ils ne font même pas partie.
Le travail sur le suicide d'Émile Durkheim
Dans Le Suicide, 1897, Émile Durkheim se démarque de la philosophie et de la psychologie. Le
suicide est un geste désespéré à l'échelle d'un individu. C'est un choix individuel, et pourtant,
Durkheim montre la présence de la société dans cet acte. Il observe une récurrence statistique à
travers les âges: le taux de suicide est constant. Au XIXème siècle, le taux de suicide s'est accru
avec l'âge. Il constate également des différences selon les sexes: les hommes se suicident plus que
les femmes, selon l'état civil: les personnes seules non mariées se suicident plus et selon la religion:
les protestants se suicident plus que les catholiques. Durkheim propose une typologie avec trois
formes majeures de suicide:
Le suicide altruiste
C'est le cas, par exemple, des veuves en Inde qui acceptent d'être brûlées avec le corps de leurs
maris défunts sur le bûcher. Le deuxième exemple qu'il cite est le capitaine de guerre qui
n'abandonne pas son bateau et y reste sachant alors qu'il va mourir, de façon héroïque.
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Le suicide égoïste
Les hommes sont davantage enclins à se suicider que les femmes, notamment quand ils ne sont pas
intégrés dans un groupe social.
Le suicide anomique
L'anomie est l'absence de règles. Par récurrence statistique, Durkheim montre que le suicide
augmente en période de crises économiques mais également en période de prospérité. Il explique
alors que l'absence de règles en période de prospérité produit un manque de repères et un sentiment
de vacuité chez les individus.
Durkheim conclue que le suicide varie en raison inverse du degré d'intervention des groupes
dont fait partie l'individu. Plus un individu est intégré dans un groupe social, moins il est
susceptible de se suicider, quelles que soient ses conditions de vie. Ainsi, si les protestants se
suicident plus que les catholiques, c'est que cette communauté est moins protectrice car la religion
protestante défend une foi individuelle qui n'engage que l'individu et Dieu, sans chaînon
intermédiaire comme l'Église, chez les catholiques.
On constate aujourd'hui en France une augmentation du suicide sur le lieu du travail. Les
sociologues partent du principe que le travail produit des solidarités. Ainsi si les personnes se
suicident, c'est qu'il y a défaillance du collectif, des liens de solidarités, du don contre don. Grâce
aux travaux de Christophe Dejours, psychiatre, on sait que souffrance et plaisir ont les mêmes
racines subjectives et que c'est parce qu'il y a de la réalisation de soi dans le travail, que des
individus s'engagent dans des univers professionnels risqués. Être pompier ne fait pas peur, cela
rend fier. La société les reconnaît comme des êtres courageux, vaillants. Aujourd'hui, les situations
de travail sont individualisées, il y a coupure avec le collectif. Ce qui pouvait relever de la
réalisation de soi, de la fierté devient source de stress.
→ Quelle réception de ces travaux?
Michel Foucault dit de la sociologie qu'elle écaille les lieux communs. C'est une attitude peu
convenable qui ne se plie pas aux bonnes mœurs. La sociologie est une entreprise de dévoilement
de l'ordre social et de ses injustices, qui est donc susceptible d'être mal reçue.
La sociologie n'est pas toujours la seule à prendre la parole: elle est en concurrence avec des
connaissances ordinaires ainsi qu'avec les médias. Tout le monde étant socialisé, prenant part à ce
processus, on a tous un avis sur la société.
Il est donc difficile de poser une définition unique, unifiée de la sociologie. En résumé, la
sociologie essaie de comprendre le sens des actions de chacun et la nécessité de ces actions.
Il y a deux approches de la sociologie:
le holisme
C'est une approche objectiviste, le sociologue s'extrait du social et regarde la société de manière
froide et objective. L'auteur référant de cette approche est Émile Durkheim. Selon lui, les faits
sociaux doivent être considérés comme des choses, indépendants de nous.
La société pèse sur l'individu.
l'individualisme méthodologique
Avec cette approche, on se met à la place des individus. L'auteur de référence est Max Weber, qui
s'est notamment intéressé aux croyances. Il a fait des recherches sur notre rapport au monde par les
religions. L'individualisme méthodologique est une approche compréhensive où l'objet est l'individu
et ses croyances, ses représentations, ses imaginaires.
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A quoi sert la sociologie?
Derrière l'utilité, c'est surtout la question de la légitimité qui se pose.
Émile Durkheim a écrit: « La science commence dès que le savoir quel qu'il soit est recherché pour
lui-même. [Le sociologue] dit ce qui est, il constate ce que sont les choses et il s'en tient là. Il ne se
préoccupe pas de savoir si les vérités qu'il découvre vont choquer ou plaire. Son rôle est
d'exprimer le réel, non de le juger ». Pierre Bourdieu a lui aussi répondu à cette question: « A
quoi sert la sociologie? En fait, la sociologie a d'autant plus de chances de décevoir ou de contrarier
les pouvoirs qu'elle remplit mieux sa fonction scientifique. Demander à la sociologie de servir à
quelque chose c'est toujours une manière de lui demander de servir le pouvoir, alors que sa
fonction scientifique est de comprendre le monde social, à savoir ses pouvoirs. ».
La sociologie a un rôle et une fonction critiques toujours utiles. On assiste régulièrement à des
phénomènes de société suffisamment massifs pour nécessiter des clés de compréhension que
peuvent proposer les sociologues.
L'étude des faits sociaux
Dans Les règles de la méthode sociologique, 1894, Émile Durkheim écrit qu'un fait social
« consiste en des manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont
douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui ».
Bourdieu développe, par exemple, la question d'esthétique comme influencée par l'appartenance au
milieu d'origine.
On parle de contrainte extérieure à l'individu et il y a sanction si l'individu ne fait pas ce qui est
normal. Il y a des choses qui ne se font pas, qui sont alors l'objet d'exclusion.
Cette définition brasse des pratiques quotidiennes concrètes au plus abstrait: nos opinions, nos
croyances.
Derrière cette définition de Durkheim, il faut retenir que le fait social est une notion de groupe. La
statistiques est donc un point de passage obligatoire pour montrer qu'il s'agit d'un fait social.
Le choix du prénom, un fait social
Le choix du prénom est codé socialement. On constate de grandes récurrences statistiques que l'on
peut expliquer.
Guy Desplanques, Les enfants de Michel et Martine Dupont s'appellent Nicolas et Céline,
Économie et statistique, 1986:
Les règles d'attribution des prénoms dans la famille sont plus souples au XXème siècle que 2 ou 3
siècles auparavant. Pendant plusieurs siècles, le choix du prénom était régi par la transmission
familial: don du prénom de la grand-mère, . Aujourd'hui, le choix est plus libre. Malgré cette
liberté supposée, on s'aperçoit qu'il y a tout de même de grandes récurrences, de grandes
logiques dans le choix de prénoms. La société impose implicitement des règles. Les parents
semblent choisir parmi un choix limité de prénoms.
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Le prénom est, en effet, un marqueur social.
Chaque année, 5% des prénoms sont identiquement choisis par les parents, 5% des parents portent
leurs choix sur un même prénom. On peut aisément réaliser un top 10 des prénoms les plus donnés.
Ce nombre est important si on tient compte de l'éventail des possibles.
→ Quels facteurs déterminent ces choix?
Desplanques identifie des phénomènes de mode. La dernière syllabe définit des familles de
prénoms. Les prénoms en « ette » étaient en vogue durant les années 1920-1930, Josette, Yvette;
dans les années 1975 à 1980, c'était la terminaison en « ine » comme Delphine, Sandrine. Outre une
mode des prénoms, on constate aussi une usure.
Desplanques explique que les parents ont un double problème: éviter les prénoms trop communs
mais aussi éviter les prénoms trop originaux qui seront durs à porter par l'enfant. Donc dès qu'un
prénom devient trop commun, banal, le choix des parents s'oriente par la suite vers autre chose.
Desplanques constate que la montée des prénoms en première place est plus rapide aujourd'hui
qu'au XXème siècle. Il pose l'hypothèse que le processus de mode serait plus rapide grâce à
l'influence des médias. Il faut en moyenne une dizaine d'années pour qu'un prénom culmine.
Exemple: en 1966, Sébastien était un prénom inconnu et en 1976, il faisait partie du top 10. Cette
durée est en train de s'écourter progressivement.
Dans les années 1960, les prénoms populaires étaient liés aux prénoms des stars; exemple: Nicolas
pour l'émission « Bonne nuit les petits ». A partir dans années 1980, on observe l'influence des
feuilletons télé jouant sur l'apparition de certains prénoms: Kévin, Jennifer, Betty. Statistiquement,
ces prénoms restent cantonnés à certains milieux sociaux. Les prénoms américains sont adoptés
par les ouvriers.
→ Comment Desplanques explique-t-il ce cantonnement?
Il expose la théorie du château d'eau social dans la diffusion des gouts. Cette théorie s'applique à
d'autres objets que les prénoms. Elle explique que ce sont les cadres qui lancent les modes des
prénoms. La diffusion se fait des classes élevées aux classes moyennes, puis il y a une diffusion
vers les classes intermédiaires et libérales, enfin vers les ouvriers et les agriculteurs. Les cadres dans
la diffusion des prénoms à la mode ont 5 ans d'avance sur les ouvrier et 6 sur les agriculteurs. Les
cadres se détachent aussi plus vite des prénoms, en fait, dès qu'ils deviennent communs. L'attrait des
prénoms à la mode est le plus fort pour les couches moyennes urbaines. C'est donc une question de
classe sociale mais aussi de territoire. Chez les agriculteurs, la diffusion des prénoms à la mode se
fait avec du retard car les zones rurales arrivent après les zones urbaines. De plus, il y a le maintien
des anciennes logiques avec la tradition intergénérationnelle chez les agriculteurs. Néanmoins, on
constate tout de même un attachement au répertoire classique pour les cadres et professions
libérales avec des prénoms comme Anne, Claire, Pierre, François.
La dimension urbaine est donc aussi un critère, avec d'abord Paris comme ville pour l'émergence
des prénoms. Aujourd'hui, les autre villes emboitent le pas.
Une troisième dimension apparaît: l'âge des parents. Quand ils sont jeunes, ils sont plus sensibles
et attirés par des prénoms nouveaux, pas encore à la mode.
Le rang de l'enfant dans la patrie constitue le dernier critère du choix de prénom de l'enfant. Pour
le premier enfant, les parents cherchent un prénom original, alors que pour le second et le troisième,
on note une tendance vers les prénoms classiques, moins à la mode et plus traditionnels.
Des travaux prolongent cette théorie. En effet, la diffusion verticale des gouts s'atténue depuis les
années 1980. La logique de distinction sociale prendrait d'autres formes depuis ces années.
Philippe Besnard et Cyril Grange, La fin de la diffusion verticale des goûts?, L'année sociologique,
1993:
Ils entreprennent une nuance par rapport aux travaux de Bourdieu. En terme de méthodologie,
l'objet du prénom est un bien de consommation mais dépourvu de frein économique. C'est
gratuit et même obligatoire. Les données en plus sont sûres.
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Besnard et Grange se sont intéressés aux prénoms dans le bottin mondain, qui relève de la noblesse
et la haute bourgeoisie. En faisant l'étude sur un siècle, ils ont constaté une diffusion de ces prénoms
mondains vers les autres classes.
→ Est-ce que la population mondaine a une avance par rapport aux autres couches de la société? Et
quelle est l'évolution de cette avance (recule ou progresse) en un siècle? Est-ce que l'on retrouve les
mêmes prénoms dans le reste de la population?
Besnard et Grange montrent que les écarts temporels se réduisent de manière constante au cours du
XXème siècle entre la date où le prénom est le plus à la mode dans la sphère mondaine et la date où
mode dans autres sphères. Cette avance a été divisée par 5. Le choix des élites précède moins.
Est-ce que le palmarès des prénoms mondains est l'annonce des futurs prénoms à la mode dans
les autres couches de la population?
Entre 1880 et 1910, les prénoms masculins qui ont eu la faveur de la population mondaine ont par la
suite un palmarès dans le reste de la population. Depuis, la correspondance est devenue de moins
en moins forte. On constate même qu'entre 1980 et 1989, aucun des 10 prénoms féminins qui ont
eu un succès n'est venue de la population mondaine, et entre 1985 et 1989, seuls trois prénoms
masculins étaient choisis par la population mondaine et les autres. Il s'agissait de Nicolas et
Guillaume, des prénoms qui restent aujourd'hui encore partagés et Matthieu, mais qui se différencie
sur l'orthographe selon le milieu: avec deux 't' pour les mondains contre un 't' pour les autres
milieux.
Cette théorie montre le déclin de la théorie du château d'eau. A partir des années 1980, s'opère
une diversification croissante des goûts. Il y a davantage de clivages sociaux et de
cloisonnements entre les classes dominantes et le reste de la société. Des prénoms restent alors
strictement populaires comme ceux issus des séries télévisuelles et des prénoms qui restent
strictement mondains tels que Astrid, Quitterie, Sixtine.
Les goûts sociaux sont polarisés en fonction des milieux: c'est la fin de la diffusion
systématique. Les groupes expriment du dégout vis-à-vis des goûts des autres groupes. Les
choix des prénoms s'étanchéïfent alors.
Il y a une polarisation sociale des groupes également palpable dans le domaine de la culture, malgré
des politiques de démocratisation.
Comme les catégories telles que la noblesse et la bourgeoisie mondaine sont en déclin, les cadres
prennent le relai pour le lancement des tendances et les supplantent. Aujourd'hui, les modes des
prénoms sont lancées par les cadres. Certains prénoms mondains restent alors confidentiels, c'est
donc lié à des déterminants sociaux.
D'autres exemples de faits sociaux
La différence des sexes est un fait social. La différence organique n'est pas suffisante pour
expliquer des comportements, souvent éducatifs. On développe une identité et des pratiques
associées plutôt féminines et plutôt masculines dictées par la société, via les jouets, les études.
La relation amoureuse est un fait social. Le sentiment amoureux est dicté d'une certaine manière
par la société et notre milieu social. Tomber amoureux nous est aussi imposé par la société,
aujourd'hui, en France. Il faut être amoureux pour se mettre en couple car il n'y a plus de mariage
arrangé. Une personne entre 20 et 40 ans qui ne tomberait pas amoureux serait suspecte. Il y a une
attente de la société. De plus, on rencontre les gens qui nous ressemblent car on fréquente des
endroits où viennent des gens du même milieu.
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