EPP - 1° année - cours de J.G. OFFROY – 2005-2006 - 1° semestre : INTRODUCTION AUX SCIENCES HUMAINES
LA PREHISTOIRE DES SCIENCES HUMAINES
Panthéon, pèlerinage annuel à Solutré… La dernière campagne électorale américaine est un exemple
significatif de l’instrumentalisation de la religion par le candidat George W. Bush Junior.
Malgré leur stratégie d’annexion du religieux, les Rois n'ont plus le monopole du Sacré. Des voix
peuvent s'élever pour dénoncer les décisions politiques, au nom de valeurs sacrées : Antigone contre le
Roi Créon, les prophètes de la Bible contre les rois hébreux…
C’est la Cité athénienne, qui va élaborer, au 5° siècle avant J.C., la laïcisation du politique, avec
l’invention de la citoyenneté et de la démocratie
. L’organisation de la vie collective, la gestion de la
cité, vont échapper au sacré. Chaque cité va élaborer un mythe d'origine politique, distinct des mythes
religieux. Les dieux ont créé les cités, mais ce sont des législateurs, c'est à dire des hommes, qui les
ont structurées et qui en sont les pères (Solon à Athènes, Lycurgue à Sparte…). On s’invente un père
fondateur qui n’est plus d’origine divine, pour justifier les lois établies par la caste dirigeante.
Cette séparation du politique va aller de pair avec la séparation
- du juridique (relations contractuelles entre les individus) invention du droit ;
- de l'économique (gestion de la rareté, répartition des richesses et organisation de la production) ;
- de la médecine (les dieux donnent la santé, mais, après les Egyptiens, c'est Hippocrate (460-417),
disciple de Démocrite et de Gorgias, qui en établit les lois et en élabore les techniques, en
s’affranchissant des pratiques magiques) ;
- de l’éducation, confiée à des spécialistes qui vont élaborer une technologie propre pédagogie...
On assiste donc à une professionnalisation des tâches sociales, à une spécialisation et à une séparation
des fonctions. Les sociétés vont progressivement élaborer des réponses aux questions pratiques qui
vont se distinguer des réponses religieuses.
C'est ainsi que vont naître les techniques sociales, pragmatiques et normatives.
Je les appelle techniques et non sciences pour bien insister sur cet aspect pratique de la gestion de la
vie sociale. Les techniques sociales sont soumises aux puissants, contrairement aux sciences sociales
qui visent la compréhension de la réalité sociale et qui ont nécessairement une dimension critique, ou
du moins qui doivent entretenir une certaine distance par rapport au pouvoir. Les Grecs ont été les
premiers à établir cette distinction entre technique (τέχνη ) et science (έπιστήμη), introduisant
ainsi une réflexion sur l’organisation politique et sociale.
Dès les débuts de la pensée occidentale, se trouve posé le rapport compliqué de l’intellectuel au
pouvoir, entre le technocrate, conseiller du Prince (Aristote et Alexandre le grand, Jacques Attali et
François Mitterrand) et le contestataire dissident (Socrate, Diogène, Sartre, Soljenitsyne). Les
philosophes classiques et des Lumières sont partagés entre la critique de la royauté absolue française
et la participation au despotisme éclairé, qui finit toujours par se révéler plus despote qu’éclairé
(Descartes avec la reine de Suède, Voltaire avec Frédéric II de Prusse, Diderot avec la grande
Catherine de Russie).
Le désir de quantification du social, qu’on retrouve dès les premières civilisations mésopotamiennes,
égyptiennes et chinoises, répond à une visée utilitaire, d’ordre fiscal et militaire : les recensements.
L’écriture et la numération, le calcul, sont des inventions fondamentales pour la maîtrise du temps et la
gestion du pouvoir. Les premières techniques sociales ont d’abord servi aux puissants à compter, à
contrôler et à exploiter leurs populations, à lever les troupes et les impôts la démographie
Cette séparation du social et du sacré est très progressive, inégale selon les civilisations, et il ne s’agit
pas d’un processus linéaire. La confusion entre le religieux, le politique et le juridique se retrouve
encore, partiellement, dans certains états théocratiques. La pensée théocratique va dominer l’Occident
chrétien du Moyen Age et va progressivement se diluer avec l’Humanisme de la Renaissance.
Cette invention démocratique constitue une brève parenthèse avant la conquête macédonienne. Elle sera reprise
à Rome, cité qui va expérimenter, entre le 8° siècle avant J.C. et le 7° siècle après J.C., tous les modèles
politiques qu’on retrouvera dans l’histoire de l’Occident.