EPP - année - cours de J.G. OFFROY 2007-2008 - 1° semestre : INTRODUCTION AUX SCIENCES HUMAINES
LA PREHISTOIRE DES SCIENCES HUMAINES
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LA PREHISTOIRE DES SCIENCES HUMAINES
I - Les questions fondatrices et les premières réponses
1. Les origines de l’humanité
2. Les questions existentielles
3. Les questions pratiques
4. L'approche magico-religieuse
5. Les techniques sociales
6. L'approche philosophique
II - Les philosophes précurseurs des sciences humaines
L’Antiquité
Le matérialisme
Platon ou l’idéalisme
Aristote ou l’empirisme
L’opposition entre Platon et Aristote
Les premières tentatives de sciences humaines
Le Moyen-âge
Le néoplatonisme chrétien : Saint Augustin et la théocratie
La philosophie arabe
Le Thomisme
conclusion
La Renaissance
L’invention de l’imprimerie
Les grandes découvertes
Une révolution politique et économique
Une révolution religieuse : La Réforme
Une révolution intellectuelle et artistique
La révolution copernicienne
conclusion
L’âge classique et le développement des sciences
L’autonomisation des sciences de la nature
Les obstacles au développement des sciences
Le retard des sciences humaines
Les moralistes, précurseurs de la psychologie
Les philosophes penseurs du social
Le siècle des Lumières
le développement des philosophies matérialistes
Montesquieu
la naissance de la science économique
Rousseau
Les prémices des sciences humaines : l’Encyclopédie,
la Société des observateurs de l’homme et les idéologues
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I - LES QUESTIONS FONDATRICES
et LES PREMIERES REPONSES
1. Les origines de l’humanité
A chaque nouvelle découverte de la paléontologie, l'origine de l'humanité recule dans la nuit des
temps. On a découvert, au début du 21° siècle, une mâchoire et des outils vieux de 2,33 millions
d’années, qu’on pourrait attribuer à des hominidés. A partir de quel moment peut-on parler d’espèce
humaine ? A partir de quel moment l’homme se distingue-t-il de l’animal ? C’est un débat qui fait rage
actuellement au sein de la paléoanthropologie.
Sans entrer dans ce débat, il semble que l’homme, depuis les origines, soit hanté par quelques grandes
questions qui révèlent son angoisse, face à la mort, sa terreur face aux menaces de la nature, sa
petitesse devant l’infini de l’univers, sa perplexité face aux difficultés de la vie et des relations aux
autres, mais aussi son étonnement, voire son émerveillement.
2. les questions existentielles
- sur l’univers
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?, D’où tout cela vient-il ?,
existe-t-il des réalités qui échappent à nos sens ?
et toute la liste de tous les pourquoi que posent sans arrêt les enfants
- sur la nature de l'homme
son identité : qui suis-je ? son origine : d'où viens-je ? son devenir : vais-je ?
le sens de la vie : pourquoi ? le destin : liberté ou déterminisme, hasard ou nécessité ?
l'homme est-il bon ou mauvais, ange ou bête ?
- sur la nature de la société et sur les rapports entre l'individu et la société
qui est le premier de l'individu ou de la société (fameux débat de l’œuf et de la poule),
quelles sont nos origines ?
nature ou culture, inné ou acquis...
Il est intéressant de remarquer que toutes ces questions existentielles sont souvent posées sous la
forme binaire de couples opposés, comme si l'un des pôles devait nécessairement exclure l'autre.
3. les questions pratiques
A côté de ces questions existentielles, de nombreuses questions pratiques se posent :
- comment vivre ensemble ?, est-il possible de coexister ?
- est-il plus efficace de coopérer ou de s’entretuer ?
- comment organiser la vie collective ?
- les rapports entre l'homme et son environnement,
entre les groupes sociaux, entre les sexes, entre les générations,
- comment aménager et améliorer nos conditions de vie ?
- comment répartir les ressources et les augmenter ?
- peut-on imaginer un monde meilleur ? est-il réalisable ?
- comment concilier intérêt individuel et intérêt collectif ?
- comment prendre les décisions ?
- doit-il y avoir des dominants et des dominés, des forts et des faibles, des riches et des pauvres ?
c'est à dire, l'organisation sociale doit-elle être égalitaire ou inégalitaire ?
autrement dit, les différences doivent-elles créer l'inégalité, l’exclusion, la violence ?
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4. l'approche magico-religieuse ou mythologique : une réponse globale
Il semble que les premières réponses soient globales. Elles articulent le pourquoi et le comment, les
questions existentielles et les questions pratiques. Elles sont d'ordre sacré.
Elles font référence à une transcendance, qui dépasse l’homme et la réalité visible.
Selon les anthropologues, c’est une constante de toutes les sociétés humaines : l’homo sapiens sapiens
est un homo religiosus. Ils fondent cette conviction sur la présence de rites funéraires, dès les origines
de l’humanité. Les archéologues ont retrouvé des nécropoles datant de 10.000 ans av. J.C.
(Mésolithique), des squelettes avaient été inhumés en position fœtale, et même des traces de
sépulture volontaire d’hommes de Neandertal datant du Paléolithique (- 100.000 à 35.000 ans).
Pour le sociologue allemand Max Weber (1864-1920), l'expérience d’irrationalité du monde est la
force motrice de toutes les religions. Ce qu’on ne peut expliquer, on le divinise, on le sacralise. C’est
ainsi que les Egyptiens, qui dépendent des crues du Nil pour leur subsistance, vont diviniser le fleuve
en le personnifiant sous les traits d’Api, vieillard bedonnant qui cache sous son ventre ses réserves de
graisse.
Les plus anciennes religions que nous connaissons sont chamaniques, animistes.
Selon le préhistorien Emmanuel ANATI (La religion des origines, Bayard Presse, 1999),
l’Homo Sapiens aurait une origine, et donc une religion, unique.
Chaque société a élaboré un mythe des origines qui explique le pourquoi des choses, d’où vient notre
monde, comment ont été créés l’homme et la société, comment a été instauré l'ordre de la nature et ce
que doit faire l'homme pour s'y conformer. L’homme surmonte sa terreur en instaurant des régularités,
des cycles : en grec, κοσμοσ signifie l'ordre, la gularité et, par extension, l'ordre du monde, qui
s’impose à partir du chaos originel (χάοσ = le gouffre béant, l’infini). Chaque société a élaboré des
mythes différents mais tous répondent à ces mêmes questions, à la fois existentielles et pratiques.
La cohésion du groupe social réside dans l'adhésion de chacun aux réponses élaborées par la religion.
Au sens étymologique, la religion c'est ce qui relie (du latin RELIGARE = relier). Ce qui relie l'homme
au cosmos, au sacré, à l’invisible, dans une dimension verticale ; ce qui relie les hommes entre eux,
dans une dimension horizontale.
Le mythe d'origine de notre civilisation occidentale se trouve dans La Genèse, qui répond à toutes les
questions existentielles et pratiques que nous venons d’évoquer : Dieu a créé de toutes pièces un
homme achevé, autosuffisant, doué d'intelligence, de sens moral et de libre arbitre, c'est à dire avec
une hiérarchie des valeurs et la capacité de choisir entre le bien et le mal. Il est donc responsable de
ses actes. Il est l'aboutissement de la création, la nature est à son service et il doit la dominer.
L'homme précède la société. Ce n'est pas la société qui a créé l'homme, c'est Dieu. Et ce n'est pas
l'homme qui va créer la société. C’est Dieu qui va décider qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul.
La Société, l'ordre social sont un projet divin et donc intangibles. Nul homme ne peut vouloir modifier
l'organisation sociale. Nul ne peut se révolter. On doit se soumettre à la volonté divine. Toute
alternative est diabolique et débouche sur le désordre, la destruction et la mort.
Bien sûr, d'autres civilisations ont créé d'autres mythes, parfois très différents. Pour des raisons de
temps, nous serons malheureusement contraints de nous limiter à l’histoire de la pensée occidentale,
négligeant ainsi la richesse des apports d’autres cultures et d’autres types de pensée (mais nous y
reviendrons en 4° année).
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une réponse globale
Au départ, il y a confusion totale entre le sacré et toutes les fonctions sociales, par exemple
- entre le sacré et le politique (Moïse est chef religieux et politique, législateur, juge, chef de
guerre…),
- entre le sacré et le médical (la guérison est un acte magique. En grec, θεραπεία = religion. Le
prêtre est guérisseur des maux du corps et de l’âme).
En fait, le sacré englobe à la fois toutes les fonctions sociales
et toutes les explications du monde, de l'homme et de la société.
Mais on va voir apparaître progressivement d'autres réponses aux questions pratiques et aux questions
existentielles.
5. Les techniques sociales
Les mythes se sont longtemps transmis par tradition orale.
Et puis, entre le et le 4° millénaire avant J.C., se produit la révolution néolithique (apparition de
l'élevage et de l’agriculture), qui va déboucher sur la sédentarisation et l’urbanisation. Il y a à peu près
6.000 ans, se sont donc constituées les premières cités (c’est l’histoire de la tour de Babel que nous
conte la Genèse). Cette révolution se serait produite simultanément dans six régions du monde (le
« croissant fertile » de la Mésopotamie, l’Egypte, l’Inde, la Chine, l’Amérique centrale et le Pérou)
avec des caractéristiques communes : architecture monumentale (pyramides), céramique, calcul,
écriture.
C’est la naissance des états et l’apparition de nouvelles religions basées sur le culte de la fertilité.
Tous ces phénomènes sont étroitement liés, puisque les grandes concentrations urbaines ne peuvent
exister sans l’approvisionnement des campagnes, sans la production et la conservation de grandes
quantités de nourriture et sans la protection des territoires. Elles ne peuvent se maintenir sans une
forme d’organisation de la vie sociale et des techniques de communication, de contrôle de la
population. Elles supposent un appareil étatique qui peut lever armées et impôts.
« La fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l’asservissement »
Claude LEVI-STRAUSS
On peut se demander ce qui a amené nos ancêtres à s’éloigner de la nature pour s’entasser dans ces
immenses agglomérations. Les archéologues ont longtemps pensé que c’était la nécessité de se
protéger contre les guerres. Mais de récentes découvertes, notamment au Pérou, viennent contredire
cette hypothèse, en privilégiant l’artisanat et le commerce
1
.
Les fonctions sociales, qui répondent aux questions pratiques,
vont progressivement se différencier de la religion, s’autonomiser et se spécialiser.
1
Nous avons un bel exemple du concept de complexité sur lequel nous clôturerons cette année : un
enchevêtrement de causes et de conséquences interagissant mutuellement et créant des effets émergents.
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L’autonomisation du politique va d’abord s’affirmer sous la forme d’un pouvoir personnel :
autocratie, despotisme, tyrannie, royauté. Dans l’ancienne Egypte, gouvernée par les prêtres, un
général va se révolter, usurper le pouvoir et se proclamer « pharaon ». C’est le premier coup d’état.
Chez les Hébreux également, comme on peut le lire dans la Bible, le pouvoir politique va se détacher
partiellement du religieux pour être assumé par les militaires (David est un chef de bande qui va
prendre le pouvoir). De même en Inde, la caste des brahmanes (les religieux) va devoir céder la
première place dans la hiérarchie sociale à la caste des guerriers
Mais la stratégie du pouvoir politique est toujours de se sacraliser, de s'autoproclamer sacré et
d'instrumentaliser le sacré à son profit. Le Pharaon se fait diviniser, comme le feront les empereurs
romains. David se fait oindre par le grand prêtre, inaugurant une tradition qui sera reprise par toutes
les royautés occidentales « de droit divin » (Le Roi de France sera « sacré » à Reims ou à Saint Denis
et cette sacralisation lui octroiera le pouvoir de guérir les écrouelles par son simple toucher).
Cette stratégie a été poussée à l’extrême dans les états totalitaires : Le nazisme ou les marxismes se
sont érigés en nouvelle religion. On la voit à l’œuvre aujourd’hui avec l’Islamisme radical, qui utilise
la religion à des fins politiques. Mais on la retrouve aussi, sous une forme atténuée, dans notre
république laïque, selon une tradition inaugurée par Robespierre avec le culte de l’Etre Suprême.
Napoléon BONAPARTE oblige le pape à présider son auto-couronnement. François MITTERRAND,
le premier président socialiste de la République, savait user en maître de cette légitimation du
pouvoir par des gestes symboliques : intronisation au Panthéon, pèlerinage annuel à Solutré… La
dernière campagne électorale américaine est un exemple significatif de l’instrumentalisation de la
religion par le candidat George W. Bush Junior.
Les autocrates prennent le pouvoir par la force et le légitiment par l’instrumentalisation du religieux,
mais ils n'ont pas le monopole du Sacré. Ils restent en concurrence avec les clergés ou des figures
prophétiques. D’où de nombreux conflits entre les pouvoirs spirituels et temporels. Des voix peuvent
s'élever pour dénoncer les décisions politiques, au nom de valeurs sacrées : Antigone contre le Roi
Créon, les prophètes de la Bible contre les rois hébreux et les prêtres… Les druides celtes ont cherché
à moraliser la vie politique, comme le fera l’Eglise au Moyen-âge (la paix de Dieu, le droit d’asile...).
Même les états totalitaires se sont heurtés à des résistants et des dissidents.
C’est la Cité athénienne, qui va élaborer, au siècle avant J.C., la laïcisation du politique, avec
l’invention de la citoyenneté et de la démocratie
2
. L’organisation de la vie collective, la gestion de la
cité, vont échapper au sacré. Chaque cité va élaborer un mythe d'origine politique, distinct des mythes
religieux. Les dieux ont créé les cités, mais ce sont des législateurs, c'est à dire des hommes, qui les
ont structurées et qui en sont les pères (Solon à Athènes, Lycurgue à Sparte…). On s’invente un père
fondateur qui n’est plus d’origine divine, pour justifier les lois établies par la caste dirigeante. Le
pouvoir n’est plus sacré, il n’est plus cette réalité mystérieuse qui nous échappe, puisqu’il est
l’émanation du groupe.
Cette séparation du politique va aller de pair avec la séparation
- du juridique (relations contractuelles entre les individus) invention du droit ;
- de l'économique (gestion de la rareté, répartition des richesses et organisation de la production) ;
- de la médecine (les dieux donnent la santé, mais, après les Egyptiens, c'est Hippocrate (460-417),
disciple de Démocrite et de Gorgias, qui en établit les lois et en élabore les techniques, en
s’affranchissant des pratiques magiques) ;
- de l’éducation, confiée à des spécialistes qui vont élaborer une technologie propre pédagogie...
2
D’ailleurs, il s’agit plutôt d’une oligarchie, qui exclut de nombreuses composantes de la société : les pauvres,
les femmes, les métèques, les esclaves… Cette invention « démocratique » constitue une brève parenthèse avant
la conquête macédonienne. Elle sera reprise à Rome, cité qui va expérimenter, entre le siècle avant J.C. et le
siècle après J.C., tous les modèles politiques qu’on retrouvera dans l’histoire de l’Occident.
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