LEUCEMIE LYMPHOIDE CHRONIQUE
A.Madani
Service d’hématologie et Oncologie Pédiatrique
Hôpital 20 aout 1953
I/ INTRODUCTION - DEFINITION
La leucémie lymphoïde chronique (LLC) est une hémopathie maligne lymphoïde B caractérisée par une
prolifération monoclonale de cellules lymphocytaires de phénotype B d'aspect cytologique mature et dont
les fonctions sont déficientes.
Elle a été individualisée par Ehrlich en 1845 au sein des leucémies chroniques. Appelée autrefois
"lymphadénose chronique" "Lymphomatose" ou "Lymphose", elle suscite actuellement un regain d'attention
grâce aux progrès de l'immunologie qui ont permis de mieux la définir et à la meilleure appréciation des
facteurs pronostiques qui a permis un traitement adapté ainsi que la découverte de nouveaux agents
thérapeutiques.
Nous envisagerons l'étude des aspects épidémiologiques, étiopathogénique et physiopathologiques de la
LLC avant d'aborder l'étude clinique et paraclinique qui permet d'établir les critères du diagnostic positif
ainsi que les éléments pronostiques. Nous finirons par le chapitre du traitement avec ses indications et les
éléments de surveillance.
II/ EPIDEMIOLOGIE
La LLC est la plus fréquente des leucémies chez l'adulte. Elle représente 30% de toutes les leucémies de
l'adulte. Cette fréquence est variable selon les régions. Elle est plus basse en Asie avec un taux de 2.5% au
Japon et en chine. Par contre elle est de 38% au Danemark. Le sex-ratio est de 2. L'âge moyen de survenue
est aux alentours de 60 ans. La LLC est exceptionnelle avant 30 ans et son incidence augmente avec l'âge
atteignant 30.4 cas/100.000 habitants à 80 ans.
IV/ ETIOPATHOGENIE
La cause de survenue de la LLC est inconnue. Des facteurs génétiques ont été incriminés vu l'incidence
élevée dans la fratrie d'un patient. Un risque élevé de LLC a été rapporté en cas d'exposition aux pesticides.
Il a été prouvé l'absence de relation entre la LLC et l'exposition aux radiations.
La relation entre LLC et viroses, contrairement à d'autres syndromes lymphoprolifératifs reste très
spéculative.
V/ PHYSIOPATHOLOGIE
1/ PRECURSEUR TUMORAL
Les Lc de la LLC se développent à partir d'une sous population de Lc B; ce sont les Lc B CD5 +. Ils ont
d'abord été retrouvés au niveau de la bordure du centre germinatif du ganglion et dans la rate. Ils
représentent 15% des Lc du sang normal. Ce sont des Lc porteurs d'un marqueur T (CD5).
La prolifération tumorale passe par plusieurs étapes:
- Une expansion polyclonale
- puis une transformation en prolifération monoclonale induite par différents mutagènes
- enfin, une accumulation de Lc B CD5+ tumoraux.
2/ MONOCLONALITE
La nature clonale de la prolifération a été prouvée par l'expression à la surface des cellules d'une seule chaîne
légère d'immunoglobuline kappa ou lambda et d'une seule chaîne lourde portant le même déterminant
idiotypique et la même spécificité antigénique que la chaîne légère.. L'étude des réarrangements des gènes
des Ig a confirmé la nature clonale de la prolifération leucémique.
3/ ONCOGENES ET GENES SUPPRESSEURS DE TUMEUR
L'expression des proto-oncogénes bcl1 (associé au LNH de grade intermédiaire et la Leucémie à
ProLymphocytes) , bcl2 ( associé au LNH folliculaire) et bcl3 sont rarement exprimés dans la LLC.
Aucune anomalie des gènes suppresseurs de tumeur n'a été associée à la LLC.
4/ CYTOGENETIQUE
Les études cytogénétiques de la LLC sont difficiles à réaliser par les techniques de routine car l'induction des
divisions cellulaires est difficiles.
Des anomalies chromosomiques ont été retrouvées chez 50% des patients porteurs de LLC. La trisomie 12
reste l'anomalie la plus fréquente.
Les anomalies de structure porte essentiellement sur le bras long des chromosomes 11, 13 et 14 .
5/ ANOMALIES DU SYSTEME IMMUNITAIRE
La LLC a longtemps été décrite comme une accumulation de Lc immuno-incompétents. On observe chez les
patients porteurs de LLC une hypogammaglobulinémie dans 10 à 60% des cas responsables de
complications infectieuses sévères ou répétées. La pathogénie de cette hypogammaglobulinémie est
incertaine.
Une Ig mononclonale de type IgM le plus souvent est retrouvée dans environ 5% des cas de LLC.
VI/ ETUDE CLINIQUE
1/ CIRCONSTANCES DE DECOUVERTE
Les circonstances de découverte sont très variables; parfois c'est le patient qui découvre lui même une
adénopathie, plus rarement, la LLC se manifeste par des complications hématologiques ou infectieuses. En
fait, c'est le plus souvent au cours d'un bilan systématique qu'est notée une hyperleucocytose sanguine
chez un sujet apparemment en bonne santé.
a/ Manifestations hématologiques
Le trouble hématologique le plus souvent inaugural de la LLC est représenté par l'anémie hémolytique auto-
immune qui se manifeste par une anémie d'installation aiguë avec ictère d'allure non cholestatique.
L'anémie par envahissement médullaire est d'installation trop lente pour être inaugurale.
b/ Manifestations infectieuses
Ce sont souvent des infections virales répétées ou graves qui amènent à réaliser un bilan qui montre une
hyperleucocytose.
c/ Etat général
L'état général est le plus souvent conservé, permettant au patient de mener une vie normale.
d/ Adénopathies
Parfois, le patient consulte lui même pour une adénopathie le plus souvent cervicale d'évolution lente et dont
il ne s'est pas soucier au début.
2/SIGNES PHYSIQUES
L'examen clinique peut être strictement normal ou retrouver:
a/ Adénopathies
Les adénopathies de la LLC sont traditionnellement décrite comme bilatérales, symétriques, indolores et
mobiles par rapport aux plans superficiel et profond. Leur taille n'excède pas en général 4 cm. Elles siègent
en général au niveau cervical mais peuvent être diffuses au niveau de toutes les aires ganglionnaires.
Le nombre d'aires ganglionnaire atteint doit être minutieusement marqué car il est pris en compte dans la
classification pronostique.
b/ Splénomégalie
Elle peut être associée ou non aux adénopathies. Elle est généralement de taille modérée. Elle est considérée
comme une aire ganglionnaire dans la classification.
c/ Hépatomégalie
Elle est rare, considérée comme une aire ganglionnaire dans la classification.
d) Signes hématologiques
Des signes cliniques d'anémie peuvent être retrouvés. L'anémie peut être due à l'envahissement médullaire, à
l'hypersplénisme ou à une anémie hémolytique auto-immune se manifestant alors par une anémie
d'installation aiguë avec ictère.
La LLC peut aussi se manifester, mais rarement par un tableau hémorragique rarement dû à la thrombopénie
par infiltration médullaire mais à une thrombopénie d'origine auto-immune.
e/ Etat général
L'état général des patients atteints de LLC est souvent conservé avec un indice de performance à 0 ou 1
AU TOTAL: On se retrouve le plus souvent devant un homme de la soixantaine à l'état général
conservé qui consulte pour des adénopathies à caractères particuliers ou est adressé pour une
hyperleucocytose retrouvée sur un bilan systématique.
VII/ ETUDE PARACLINIQUE
A/ EXAMENS PORTANT LE DIAGNOSTIC POSITIF DE LLC
Elle permet de poser le diagnostic de LLC en réunissant des critères minimum actuellement admis pour
parler de LLC.
1/ HEMOGRAMME
Examen essentiel dans le cheminement du diagnostic de LLC.
Il s'impose devant les signes cliniques ( ADP, SMG, Sd anémique, Sd hémorragique).
L'hémogramme peut montrer des anomalies portant sur la lignée lymphoïde ou sur toutes les lignées. Il
montre une hyperleucocytose 50000/mm3 au dépend des LC
a/ Lignée lymphoïde
Il existe de façon constante une hyperlymphocytose sanguine. Classiquement 50.000 Lc/mm3.
Parfois le taux de Lc dans le sang est très augmenté dépassant les 100.000/mm3 ou au contraire, l'élévation
du taux n'est pas très importante variant entre 5 et 10.000/mm3 nécessitant alors la preuve de la
monoclonalité de la prolifération lymphocytaire (cf infra critères diagnostiques).
b/ Polynucléaires neutrophiles
le chiffres des PNN est en général normal. Une neutropénie peut être observée en phase terminale de la
maladie ou être secondaire à une chimiothérapie.
c/ Lignée érythrocytaire
Le taux d'Hb peut être normal avec des constantes hématimétriques normales.
On peut retrouver une anémie qui peut être due à l'infiltration médullaire et alors normochrome normocytaire
arégénerative ou secondaire à une AHAI et alors normo ou légèrement macrocytaire régénérative.
Le taux d'Hb est très important à préciser ainsi que le mécanisme d'une éventuelle anémie car il rentre dans
la classification pronostique. ( Hb < ou > 10g/dl)
d/ Lignée plaquettaire
Comme pour le taux d'Hb, le taux de plaquettes peut être normal, ou diminué et dans ce dernier cas la
thrombopénie est soit due à l'infiltration médullaire ou un mécanisme auto-immun.
le chiffre de plaquettes fait également partie de la classification pronostique (Plaq < ou > 100.000/mm3)
2/ FROTTIS SANGUIN
C'est un examen fondamental. Il permet de:
- Préciser la morphologie des Lc circulants et ainsi faire la différence sur la plan cytologique avec d'autres
syndrome lymphoprolifératif
- De classer la LLC selon la classification FAB
Les Lc de la LLC apparaissent classiquement très proche des Lc normaux formant une prolifération dite
"monotone". Ce sont de petits Lc, matures. Souvent, sont notées quelques atypies cellulaires à type de
chromatine qui est moins dense ou au contraire plus sombre disposée en mottes plus proche que celle du
plasmocyte, le cytoplasme peut être très restreint donnant l'impression de noyaux nus ou "Ombre de
Gümprecht".
On peut également retrouver au sein de cette prolifération, des cellules plus atypiques, de taille plus
importante à chromatine fine, nucléolée, un cytoplasme plus abondant, basophile, contenant des grains
azurophiles.
Peuvent exister également des cellules prolymphocytaires.
Les pourcentages des Lc typiques, proLc et cellules atypiques est à la base de la classification cytologique de
la LLC établie lors du "International Workshop on CLL" (IW on CLL) en 1989:
- LLC typique: plus de 90% de Lc typiques
- LLC mixte ou LLC/LPL: Prolc entre 11% et 54%
- LLC atypique: Cellules hétérogènes mais proLc<10%
3/ MYELOGRAMME
Les anomalies observées au niveau de la NFS vont imposer la pratique d'une exploration cytologique de la
MO. Le pourcentage de l'infiltration médullaire par les Lc est un critère diagnostique de la LLC.
Le myélogramme montre une infiltration médullaire par des Lc représentant plus de 30% des cellules
nucléées au sein d'une moelle riche.
L'aspect des Lc médullaire est identique à celui du sang périphérique.
4/ IMMUNOPHENOTYPE
L'étude immunophénotypique est essentielle pour porter le diagnostic de LLC B
Les Lc de la LLC sont positifs à:
- Marqueurs B: CD19, CD20, CD21, CD24
- HLA DR
- CD5
Ils portent des Ig de surface
Ils sont négatifs à: CD10, FMC7
5/MONOCLONALITE
La preuve de la monoclonalité de la prolifération est apportée par l'expression à la surface cellulaire d'une
seule chaîne légère d'Ig.
Cette étude est réservée aux cas où les éléments de diagnostic morphologique et immunophénotypique ne
permettent pas de conclure.
6/ CRITERES DE DIAGNOSTIC POSITIF
Les critères de diagnostic positif rapportés par le IW on CLL sont:
- Lymphocytose sanguine >5000/mm3 faite de petits Lc matures persistants plus de 4 mois sans aucune autre
cause
- Démonstration de la clonalité de la prolifération.
- Infiltration médullaire par ces mêmes Lc > 30% des cellules nucléés.
Toutefois, la démonstration de la clonalité de la prolifération n'est pas obligatoire quand le taux de Lc est <
10 ou 15.000 et persistant et avec un phénotype typique.
B/ AUTRES EXAMENS
1/ BIOPSIE OSTEO-MEDULLAIRE
La BOM n'est pas nécessaire au diagnostic, mais elle garde une valeur pronostique en fonction du type de
l'infiltration médullaire.
Quatre différents types d'infiltration médullaire ont été décrits: nodulaire, interstitielle, mixte nodulaire et
interstitielle et diffuse. La forme diffuse constitue un facteur de mauvais pronostic.
Dans les cas d'infiltration nodulaire, la BOM peut avoir un apport diagnostique car le myélogramme peut ne
pas être probant.
2/ BIOPSIE GANGLIONNAIRE
La biopsie ganglionnaire ne trouve son indication que dans les cas où il existe un problème de diagnostic
différentiel avec des LNH en phase leucémique ou pour documenter une transformation de la LLC.
3/TEST DE COOMBS DIRECT
Indiqué quand on suspecte une AHAI associée.
4/ IMMUNOGLOBULINES SERIQUES
Une diminution des gammaglobulines est observée dans 10 à 60% des cas. Elle serait due à un
dysfonctionnement des Lc B non clonales résiduels.
Une Ig monoclonale, le plus souvent de type IgM, est retrouvée lors de la LLC dans 5 à 50% des cas.
5/ BILAN PRETHERAPEUTIQUE
Il comporte une évaluation des fonctions rénale, hépatique et cardio-vasculaires nécessaires chez des patients
âgés et souvent tarés.
Un groupage ABO/Rh est également indiqué pour d'éventuels transfusions de CG ou UP
Une radiographie pulmonaire est demandée à la recherche de foyers infectieux.
Au terme de l'examen clinique et des examens paracliniques qui ont permis de poser le diagnostic positif de
LLC, le patient est classé selon la classification de Binet ou celle de Rai qui ont la même valeur pronostique.
Elles sont basées sur le nombre de sites ganglionnaire atteint (La splénomégalie étant considérée comme un
site ganglionnaire dans la classification de Binet), le taux d'Hb et le taux de plaquettes.
Stade 0
Lymphocytose sanguine et médullaire isolées
sans adénopathies ni splénomégalie
stade I
Stade 0 ( hyperleucocytose) et adénopathies sans
splénomégalie ni hépatomégalie
Stade II
Stade 0 et splénomégalie et/ou adénopathies et/ou
hépatomégalie
Stade III
Stade 0 et anémie (Hb<11g/dl) qu'il y ait ou non
adénopathies ou splénomégalie ou hépatomégalie
Stade IV
Stade 0 et thrombopénie (Plaq<100.000/mm3 ) qu'il y ait
ou non adénopathies ou splénomégalie ou hépatomégalie
Classification de RAI
Stade A
Hb10g/dl et Plaq 100.000/mm3
2 aires ganglionnaires palpables au maximum
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !