Sur les cinquante prix Nobel attribués à des Américains en 1989, dix-sept l’ont été à
des Américains juifs. Les Juifs sont représentés à 300 % dans les professions médicales, à
200 % dans les autres professions libérales. Ils sont 5 % des employés dans les grands médias,
mais beaucoup plus dans les places de direction où les fonctions de journalistes les plus
visibles, d’où le mythe de la puissance des Juifs dans les médias américains. Or, si les
personnalités juives fortunées et/ou puissantes sont effectivement nombreuses, leur identité
juive et leur engagement dans la communauté ou dans le soutien à Israël n’est pas toujours
fort. Et les Juifs sont restés très longtemps à l’écart de nombreux centres de pouvoir
américains. Ainsi du complexe militaro-industriel tel qu’il s’est développé pendant la guerre
froide : les financiers juifs n’y ont joué aucun rôle. Aux banques juives de Wall Street, les
établissement protestants laissaient, jusque dans les années 1980 et la libéralisation massive
des services financiers, que les secteurs les moins nobles : pas l’industrie automobile, mais le
commerce de détail.
Les années 1960 ont donc vu la continuation de la réussite sociale des Juifs
américains, qui commençaient à proposer une culture juive proprement américaine (et « non
américanisée »), avec, par exemple, l’émergence de grands romanciers juifs, depuis Saül
Bellow jusqu’à Philip Roth. En même temps, le judaïsme, dans un constant mouvement
d’échange, s’américanisait. Les courants modernistes du judaïsme sont présents aux États-
Unis dès le XIXe siècle, apportés par les Juifs allemands, mais ils ont pris une importance
plus grande après 1945. L’ascension sociale a souvent exigé une fuite de l’orthodoxie, alors
que la société américaine réclamait largement l’affiliation à un groupe ethnique. Les
synagogues « conservative » et « réformées » se sont modifiées pour répondre à ces nouvelles
demandes, se transformant en « centres communautaires » avec club du troisième âge, piscine
et salles de réunions, tout en gommant de plus en plus les aspects traditionnels du culte.
L’une des modalités de l’adaptation de la pratique religieuse est passée aux États-Unis
par de nombreuses expérimentations, comme c’est le cas pour toutes les autres religions. À
côté des grands courants religieux, le courant reconstructionniste est spécifique. Fondé par le
rabbin Mordecaï Kaplan, il veut rénover le culte juif en soumettant l’ensemble disparate des
traditions et des pratiques à un choix rationnel. Mais l’impact le plus grand de la société
américaine sur le judaïsme a concerné le rôle dévolu aux femmes. Le féminisme a eu des
conséquences jusque dans certaines congrégations les plus traditionalistes. Le mouvement
réformé a intronisé ses premières femmes rabbins en 1972, les reconstructionnistes en 1974 et