
est un groupe où règne une unité d'intérêts : c'est pourquoi seul l'État est une cité, parce que c'est 
le seul endroit où les citoyens sont unis comme un seul homme en trouvant l'harmonie entre les 
intérêts  de  la  cité  considérée  comme  un  tout,  et  leurs  intérêts  propres,  en  tant  qu'ils  sont 
membres  d'un  groupe  particulier » [6].  L'idée  de  l'unité  politique  de  la  cité  conduit  Platon  à 
formuler ses thèses célèbres sur la  collectivité de la propriété et sur la suppression des familles 
nucléaires, qui, comme le montre J. Annas, relèvent du projet radical à la base de La République, 
dans  le  sens  où  Platon  n'entend  pas  fournir  dans  son  oeuvre  des  conseils  pratiques  pour 
administrer la cité, mais définir plutôt un modèle idéal à partir duquel penser une transformation 
profonde de  la société  civile. La tentative  de Platon  s'inscrit dans  une démarche philosophique 
plutôt  que  dans  une  démarche  strictement  politique :  ce  qu'il  faut  avant  tout  changer  sont  les 
concepts avec lesquels on pense la politique, et ce changement doit être le plus radical possible. 
Cela n'empêche toutefois pas de poser la question de savoir si l'État idéal, tel qu'il décrit dans la 
République, peut être enfin réalisé ; or, selon J. Annas, « Platon veut que nous lisions la République, 
non comme une fiction divertissante, mais comme quelque chose qui doit affecter notre manière 
de vivre ; à cette fin, il lui faut montrer que la cité juste, la société des hommes bons, n'est pas 
impossible  en  principe ;  en  réalité,  il  juge  cette  éventualité  peu  probable  à  courte  échéance, 
puisque l'homme vraiment juste et intelligent est celui qui sera le plus  probablement corrompu 
par la société. Tout ce que peut montrer Platon, c'est qu'il est en principe possible, quoique peu 
probable dans  la  pratique, de  rompre le  cercle. L'État juste  demeure plus  efficace comme  idéal 
destiné à inciter les individus à la vertu, que comme modèle d'une société réelle » [7]. Et c'est en 
effet  sur  ce  double  registre,  à  la  fois  philosophique  et  politique,  qui  est  construite  toute  la 
République, dans laquelle la démarche idéale de la pensée (théorie de la connaissance, formes de la 
vertu) sert toujours à définir un cadre de réflexion ayant comme objet principal la constitution de 
l'État juste. Cela devient tout à fait évident dans les livres centraux de la République (VI-VII), dans 
lesquels Platon illustre les principes les plus importants et les plus connus de sa pensée, c'est-à-
dire  la  « théorie  des  Formes »,  la  notion  du  « Bien »,  le  mythe  de  la  « Caverne »  et  la 
« dialectique ». C'est à travers ces concepts que Platon fonde et justifie la méthode philosophique 
en  tant  que  connaissance  absolue  de  toutes  les  formes  idéales  de  l'être,  dont  la  première  par 
hiérarchie  ontologique  est  représentée  par  le  Bien.  En  utilisant  le  mythe  de  la  caverne,  Platon 
nous montre comment  la connaissance philosophique est  un processus  progressif  de libération 
vers de formes de compréhension de plus en plus éclairées ; l'homme qui, grâce à la dialectique, 
parvient à se libérer des contraintes de l'expérience ordinaire, atteint, au terme de son chemin (la 
sortie de  la caverne), une  condition existentielle fondée sur  une connaissance  impersonnelle  et 
contemplative  du  Bien  suprême.  Or,  J.  Annas  nous  fait  justement  remarquer  comment  cela 
représente une contradiction au sein du système platonicien de la République ; en effet, l'objectif 
de l'ouvrage est de définir, dans un cadre bien précis - l'État -, ce qu'est l'homme juste, tandis que, 
dans les livres VI-VI, Platon nous indique une démarche contemplative et idéale de connaissance, 
qui sert à son tour à fonder la compréhension de l'homme juste. Nous avons ainsi affaire à deux 
conceptions de la justice : celle qui relève d'une pratique à l'intérieur d'une cité juste, et celle qui 
relève  d'une  connaissance  juste  des  formes  idéales  de  l'être.  De  l'avis  de  J.  Annas,  cette 
contradiction  ne remet  pas  en  cause  la suite  de  l'argumentation  (livres VIII,  IX)  concernant  le 
sens et la valeur de la justice dans la cité, car elle témoigne plutôt d'un glissement dans le procédé 
théorique  de  Platon,  dû  en  particulier  à  sa  prédilection  pour  des  formes  de  connaissance  et 
d'éducation abstraites et contemplatives (les mathématiques et la dialectique). 
En effet, dans les derniers livres de la République, Platon reprend le développement du thème de la 
justice dans le cadre de la discussion sur l'État juste, afin de montrer que « la raison d'être d'un 
État est d'intégrer ses membres à une unité politique et culturelle qui fasse ressortir le meilleur de 
chacun, parce que chacun sera assuré d'avoir la place qui convient le mieux à ses talents » [8]. De 
cette manière, la justice se révèle comme « un agencement de l'âme qui voit le jour quand toutes 
les  parties  de  l'âme  d'une  personne  font  ce  qui  est  approprié  dans  des  conditions 
convenables » [9]. L'homme juste est celui dont l'action obéit à certains principes d'harmonie et 
de  raison  entre  ses  différentes  parties  de  l'âme,  principes  qui  ont  comme  conséquence 
d'engendrer  en  lui  le  plaisir  et  le  bonheur.  Et  en  même  temps,  l'État  juste  est  le  contexte  qui 
permet  le  déploiement  complet  des  facultés  rationnelles  de  l'homme,  de  manière  que  « Platon