Autisme et compétence linguistique (Christiane RIBONI Docteur en Linguistique) La question de l'autisme, les tentatives d'analyse de cette pathologie, constituent un enjeu dont l'importance est attestée par les nombreuses publications consacrées à ce problème. Une des difficultés porte sur l'identification de l'autisme, et les rapports définis entre les concepts d'autisme et de psychose infantile. La question de l'étiologie est liée à la définition possible de l'autisme comme handicap ; nous renvoyons à l'analyse de J. Hochmann sur ces points controversés. Un autre type de problème est soulevé par la caractérisation des troubles spécifiques de l'autisme. La définition clinique, admise généralement depuis Kanner, s'appuie sur le trouble relationnel (Kanner, 1943), mais la dimension étiologique tend à faire appel au domaine du cognitif, sans toutefois que soient clairement explicitées les limites de ces deux registres. L'autisme entraîne des troubles dans le processus perceptif, dans la pensée logique et dans les comportements langagiers , objets de la recherche cognitive. C'est à ce dernier aspect que nous nous intéressons, pour mettre en relation les aspects fondamentaux de la compétence linguistique avec l'intentionnalité, dont la défaillance est considérée comme typique de l'autisme dans les recherches cognitives qui ont été consacrées à cette pathologie. L'intentionnalité est "le fait d'être-à-propos-de quelque chose". La communication humaine a pour caractéristique d'être intentionnelle: La question de l'autisme en tant que trouble grave de la fonction de communication, interroge les modèles de définition de la communication et de l'intentionnalité. Une des thèses significatives dans ce champ est celle défendue par U. Frith , posant que les enfants autistes n'attribuent pas d'états mentaux à autrui ; les individus "autistiques" "ne s'efforceraient pas de trouver une interprétation psychologique au comportement des gens" , comportement normalement assuré "par une théorie de l'esprit". Autrement dit, ce que les autistes "n'arrivent pas à prédire, ce sont les comportements motivés par des états mentaux". Dans cette logique, U. Frith propose comme mode de relation avec les autistes une stratégie qui conforte ce type de communication: Il serait bon d'adopter avec eux un mode de communication littéral et behavioriste, à la fois comme auditeur et comme locuteur.(1992) Nous estimons que la question est très loin d'être aussi tranchée, et l'analyse d'entretiens menés avec des patients autistes montre que le manque en théorie de l'esprit n'est pas patent, au contraire même dans certains cas. Nous nous sommes fixé pour objectif de recherche de tenter de comprendre de quel type est la compétence linguistique de la personne autiste. 1. L'analyse de corpus conduit à admettre que certains patients autistes disposent d'une compétence linguistique, qui atteste d’une stratégie relevant de l’intentionnalité, mais cette compétence exhibe des failles remarquables : en effet, l'usage des pronoms est constamment perturbé et, de manière générale, on peut dire que les productions langagières étudiées ici manifestent une utilisation du langage plus marquée sur le versant représentationnel que communicationnel.. Ces questions sur la spécification de la compétence linguistique rejoignent les interrogations dont attestent les travaux de Leslie et Happé, ou encore Gérard sur l'articulation entre compétence linguistique et compétence pragmatique. Dans ce registre, il serait opportun de vérifier si la compétence dont font preuve les autistes est une compétence "littérale" du langage, en lien avec un maniement informationnel des productions langagières, ou si les/des autistes sont susceptibles d'une réelle capacité communicationnelle, capacité dont un test serait la compréhension de l'ironie et de la métaphore (cf. Happé1993). 2. Si on se réfère aux recherches actuelles sur ce thème du langage en lien avec la théorie de l’esprit, en particulier celles de Tager-Flusberg, on retrouve dans l ‘analyse de l’entretien un point souligné par Tager-Flusberg (1997), à savoir le manque d’explication causale dans les énoncés des enfants autistes, et leur défaillance marquée à maîtriser un cadre causal explicatif C. Riboni Docteur en linguistique DE L'AUTISME ET D'UNE DEMARCHE D'EDUCABILITE Par Agnès PENEY Directrice de la Maison Michelet de Nancy (54) A.E.I.M. (Adultes et Enfants Inadaptés Mentaux de Meurthe et Moselle) Définition de Wendy Brown de l'école de Broomhays de l'éducateur idéal d'un enfant autiste : " Il doit aimer l'enfant parce qu'il est autiste, et non malgré le fait qu'il soit autiste " SOMMAIRE DE LA PAGE Préambule Définition de l'Autisme Epidémiologie Etiologie Maison Michelet : Une expérience de prise en charge auprès d'adultes déficients mentaux, atteints de surcroît d'Autisme PREAMBULE : S'il existe un mot en psychiatrie, psychologie éducation qui a fait couler beaucoup d'encre et qui malgré de nombreuses recherches, ne fait toujours pas l'unanimité de la communauté scientifique et médicale, c'est sans nul doute "Le mot Autisme". Je me garderai ici de reprendre l'historique (cf. bibliographie) mais je suggérerai d'observer le tableau n° 1 où figurent les différentes classifications actuelles françaises et internationales, aboutissement de cette histoire. Il est évident qu'en fonction de ces différentes classifications, la terminologie utilisée pour diagnostiquer des personnes atteintes d'autisme peut-être très différente et entretenir des confusions. Mon expérience professionnelle m'a confronté à beaucoup de personnes souffrant d'autisme pour lesquelles les diagnostics étaient très divers quant à la terminologie. En voici quelques exemples : - autisme massif à carapace externe - psychose déficitaire - psychose symbiotique - autisme pur - psychose déviante - déficience mentale sévère (cette personne a appris à lire en un an!!!) - psychotique - psychose avec bizarrerie - psychose avec troubles relationnels - troubles de la personnalité etc. Le mot Autisme (cf. étymologie), à lui seul, a contribué à considérer comme symptôme majeur le repli sur soi, alors que ce repli est en fait une conséquence des difficultés rencontrées par ces personnes. DEFINITION DE L'AUTISME Si l'on demande à des parents ou des professionnels de donner une définition ou décrire une enfant autiste, les qualificatifs fourmillent en variété et en différence : Intérêt marqué pour certains objets affectueux têtu mots nerveux agressif passif compétent absence de communication pas de motivation indifférent répète toujours les mêmes peu d'initiative irritable ne sait rien faire etc........etc..... Afin de relever ce qui véritablement caractérise la personne autiste, il a fallu déterminer un fil conducteur. "Incapacité à regrouper de l'information pour en déduire des idées cohérentes et pourvues de sens" La personne autiste est défaillante sur la compréhension du monde qui l'entoure. Ces incapacités produisent des altérations qualitatives très importantes qui vont préciser les symptômes de base suivants de ce trouble envahissant du développement (T.E.D.) - Troubles des interactions sociales : Pas ou peu de réaction vis à vis des autres. Cela va du repli sur soi ('Enfant bulle') à une absence de compréhension des routines sociales. - Troubles de la communication verbale et non verbale : Absence de langage, langage n'ayant pas une valeur de communication, bizarre, echolalique, conversation à préoccupation égocentrique. - Résistance au changement/activités répétitives/stéréotypies - Début des symptômes avant l'âge de 30 mois : Ces symptômes de base existent chez toutes les personnes diagnostiquées comme autistes (avec bien sûr des degrés différents) A ces symptômes de base peuvent se surajouter des différences qui sont en fait les conséquences de ces symptômes, mais qui en aucune façon ne peuvent être déterminants dans des critères de diagnostic. C.F.T.M.E.A. (Ministère affaires sociales santé 1988) C.I.M. n° 10 (O.M.S.) D.S.M. III R 1987 D.S.M IV 1994 Psychoses infantiles T.E.D. (troubles envahissants du développement) T.E.D. Syndrome autistique Autisme infantile précoce de Kanner Autisme infantile Troubles autistiques Syndrome d'Asperger T.E.D. non spécifié Syndrome de Rett Autres formes de l'autisme Autisme atypique infantile Psychoses précoces déficitaires Syndrome de Rett Autres troubles désintégratifs Dysharmonies psychotiques Autre troubles désintégratifs Autres T.E.D. Troubles hyperactifs avec retard mental et stéréotypies +(?) Troubles de la personnalité pris dans une dysharmonie évolutive ? Syndrome d'Asperger T.E.D.non spécifié Autres T.E.D. T.E.D. non spécifié C.F.T.M.E.A. :Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent 1988 C.I.M. :Classification internationale des maladies (Organisation mondiale de la santé D.S.M.I :Manuel Statistique et Diagnostique des troubles mentaux Le niveau intellectuel: Tout le monde connaît l'image du 'bel autiste intelligent'. La réalité tend à prouver le contraire. En fait, plus des 2/3 présentent une déficience mentale avec un retard intellectuel (léger, moyen ou sévère) : 40% des enfants ont un QI < à 50 * 30% ont un QI non verbal en dessous de 70 moins de 5% peuvent être considéré comme ayant une intelligence dans une fourchette normale (>80) Bien sûr certains présentent ce qu'on appelait des 'îlots d'intelligence' (Cf. Rain man) troublants. De plus ils présentent avec des profils très différents, un fonctionnement cognitif très particulier. Les troubles du comportement: Malgré leur fréquence (~ 10 fois plus que chez les handicapés mentaux ordinaires) ils ne sont pas significatifs de l'autisme. C'est souvent leur seul moyen de communication. En présence d'un trouble du comportement, il faut toujours se poser les questions suivantes : - A-t-il mal? - Veut-il que je m'occupe de lui Ensuite pousser l'observation et l'investigation plus loin. Que peut-on observer? - des troubles agressifs : colères, coups, automutilation, jets d'objets, destruction délibérée, ingestion d'objets - des troubles alimentaires : refus, sélectivité rigide, anorexie, boulimie, vomissement volontaire, régurgitation - des troubles du sommeil et du rythme jour/nuit - des troubles de la propreté et de l'hygiène : pas d'acquisition de propreté, jouer avec ses matières fécales ou celles des autres, se roule dans la boue etc. - des troubles 'sociaux': rires, pleurs immotivés, utilisation des autres comme extension de soi opposition, mensonge, vol, paresse, passivité, adhésivité, abolition du sens du danger, indifférence totale, hyperactivité rendant impossible toute activité, hyper attention envers l'adulte, masturbation, comportements sexuels inacceptables, cris, hurlements, agressions verbales, accaparement d'adultes connus ou inconnus etc. EPIDEMIOLOGIE Ratio: 5 pour 10000 représenté dans le cas d'un tableau pur et complet. Si l'on prend en compte l'autisme associé à un retard mental, on arrive à 10 pour 10000. Certains auteurs parlent de 10 à 15 pour 10000 dans un continuum autistique large. En Meurthe et Moselle cela représente en 1996 : 70 enfants - 350 adultes Si l'on prend en compte un continuum autistique 200 à 300 enfants 1000 à 1400 adultes Sex ratio : 4 garçons pour 1 fille Les cas les plus graves laissent apparaître une proportion égale de filles et de garçons. Milieu social: Touche tous les milieux ETIOLOGIE Actuellement il n'existe que des hypothèses en ce qui concerne les causes possibles de l'autisme. - Hypothèses psychogénétiques L'autisme serait dû à une réaction de défense face à une attitude parentale plus ou moins consciente, nocive. Bruno Bettelheim : vulgarisation importante en France dans le secteur psychiatrique, les écoles d'éducation. Klein et Malher : troubles de l'intégration, troubles de la séparation, individualisation. Frances Tustin: deux types d'autisme 1) l'un organique lié à une liaison cérébrale 2) l'autre psychogène lié à une réaction catastrophique à une situation dont l'effet traumatisant n'est pas forcément évident (fragilité de départ) Pour une majeure partie des spécialistes étrangers, l'hypothèse psychogénétique n'a plus qu'un intérêt historique - Hypothèses génétiques Pourquoi cette piste? Des éléments sont troublants : on remarque - concentration dans les familles 3% dans la fratrie, 60% en cas de jumeaux monozygotes - X fragile dans 7% des cas - Crises d'épilepsie : entre 30 et 40% des personnes autistes sont épileptiques à l'adolescence - association Trisomie Autisme - '' Maladie de Bourneville Autisme - découverte par le Professeur Muh d'une anomalie génétique sur le chromosome 11 dans un nombre significatif de cas Depuis, d'autres chromosomes semblent aussi être porteurs d'anomalies (7/13/15/16) - Hypothèses de complications obstétricales périnatales ou postnatales due à : - agents infectieux (herpès, rubéole, toxoplasmose) - hémorragies méningées - encéphalopathies évolutives ou non (vaccin variole) - maladies métaboliques : phénylcétonurie hydrocéphalie - traitement pendant la grossesse (piqûres pour éviter une fausse couche) - anoxie - néonatale - Hypothèses biochimiques et neurologiques On retrouve des anomalies du système dopaminergique : élévation de la sérotonine chez 30 à 35% des autistes, augmentation du taux des endorphines. - Hypothèses de dysfonctionnement et (ou) lésion structurelle du cerveau Il s'agit ici d'une recherche approfondie à partir d'examens (IRM par exemple ou plus complexe). Ces nouveaux modes d'exploration ont déjà décelé des anomalies concernant l'hémisphère gauche du cerveau (zone de langage) et des atteintes sur le cervelet. En conclusion : Il s'agit bien d'un syndrome; une même pathologie avec des causes très diverses. Uta Frith explique : "Il existe quelque part dans la chaîne, une cause unique, mais les agents susceptibles d'affecter ce maillon critique sont nombreux et variés" De ce fait comment envisager une thérapeutique miracle? Maison Michelet Une expérience de prise en charge auprès d'adultes déficients mentaux atteints de surcroît d'autisme. Présentation de l'établissement: L'établissement est un foyer occupationnel en accueil de jour non médicalisé ouvert depuis Septembre 94 pour 25 adultes déficients mentaux déclarés par la C.O.T.O.R.E.P. inaptes au travail. En Octobre 1995, le nombre de places s'étend à 40 puis à 55 en Juillet 98. Il se situe dans les locaux d'une ancienne école désaffectée (Ecole Michelet), acquise par l Association AEIM (adultes et enfants inadaptés mentaux) dont il dépend. La Maison Michelet est située dans une zone urbaine à forte densité, sur une hauteur appelée le Haut du Lièvre. Historique de la prise en charge: Les raisons de la décision C.O.T.O.R.E.P. "inapte au travail " déterminant l'entrée au Foyer Occupationnel sont diverses : incapacité de travail, problèmes médicaux incompatibles avec la présence de machines dangereuses (épilepsie grave), motivation inexistante, refus de travailler, autisme .... Dès l'ouverture, l'équipe est confrontée à la difficulté de prise en charge des personnes atteintes d'Autisme qui représentent 40% de la population. Une volonté de la part des professionnels de répondre à ce handicap spécifique va s'engager rapidement. Pourquoi ? -la prise en charge traditionnelle pour personnes déficientes mentales ne répond pas à la problématique des personnes atteintes d'Autisme -les troubles du comportement envahissent le quotidien et désorientent l'équipe (violence/automutilation) -les deux directrices qui se succèdent de 94 à 97 sont très conscientes de la nécessité d'offrir une autre prise en charge et de s'investir dans un projet innovant à l'égard des personnes handicapées adultes autistes -quatre membres de l'équipe connaissent le problème de l'autisme (stage théorique modèle Teacch sur les stratégies éducatives déjà réalisées) et possèdent des expériences dans d'autres secteurs (IME/MAS) -les parents épuisés, vivent pour certains d'entre eux un enfer qu'ils expriment aux professionnels Début de la prise en charge: Fort de l'expérience de quelques professionnels connaissant l'autisme et les prises en charge spécifiques proposées par le programme " Teacch ", l'équipe va s'engager dans un projet de longue haleine : - Les aides: Les formations financées par France Telecom L'arrivée d'un psychiatre (1/2 jour par semaine), embauché par l'A.E.I.M. pour la prise en charge des personnes atteintes d'Autisme, psychiatre au demeurant, ouvert au projet innovant qui est celui de l'équipe (L'Association donne son accord à sa présence dans l'établissement) Le bénévolat d'une psychologue qui, intéressée par cette prise en charge, se joint à votre projet -La prise en charge spécifique: Les deux objectifs de départ furent : 1) L'évaluation des personnes : Test AAPEP 2) La structuration de l'espace et du temps Le travail est lent, l'encadrement est insuffisant (absences pour formation diplômante AMP, Moniteur Educateur, ratio d'encadrement prévu pour un Foyer Occupationnel, l'établissement n'est pas reconnu comme un établissement accueillant des personnes autistes). Toutefois, très rapidement, des progrès apparaissent qui motivent d'autant l'équipe et commencent à interpeller les familles : -Troubles du comportement en régression (sans médicalisation supplémentaire, violence/automutilation) -Meilleure compréhension du fonctionnement des personnes -Compétences des adultes qui se découvrent -Début de mise en place de communication alternative -Collaboration parents/professionnels qui s'instaure -Stratégies éducatives diversifiées -Variété dans l'animation proposée Constat d'aujourd'hui : Septembre 1994 à Novembre 2000 Cinq années se sont écoulées. L'effet et le dynamisme de l'équipe est toujours présent. Certains professionnels sont partis (le psychiatre), d'autres leur ont succédés avec ce souci de poursuivre le projet. Les résultats observés dès la première année se sont maintenus et il est fort agréable de voir les personnes atteintes d'autisme, apaisées, souriantes, bien dans leur tête, bien dans leur corps. Bien évidemment, de temps à autre, ils manifestent encore quelques troubles du comportement (toutefois 90% ont disparu) mais maintenant l'équipe en comprend la raison et peut ainsi apporter des réponses adéquates. Les familles collaborent de plus en plus et de ce fait, gèrent mieux la prise en charge de leur enfant. Elles ont apporté la richesse de la connaissance de la personne permettant de mieux la cerner. La communication reste notre souci permanent, nous n'avons pas encore abouti totalement mais les cartes de communication ont apporté pour certain un confort non négligeable. L'équipe s'est étoffée : Arrivée d'un emploi jeune (collaboration d'une prise en charge pour personnes autistes) Conclusion : Une expérience riche, qui s'inspire en majeure partie du 'Programme Teacch'. La psychiatrie, nous ne la rejetons pas, bien au contraire. Elle nous a aidés à protéger les adultes de leur violence, les apaisant, nous permettant ainsi d'agir auprès d'eux en leur proposant des solutions qu'il pouvait intégrer (beaucoup d'adultes n'ont pas eu de prise en charge spécifique avant l'âge de 20/25/30 ans) Cette aide est passagère et évolutive. Il reste encore beaucoup de travail à réaliser : -accentuer la recherche auprès des personnes présentant un autisme lié à une déficience mentale sévère -généraliser la prise en charge -Investir encore plus la communication COMMUNICATION ET AUTISME Christophe LAMBERT, Christine HIRSCH & Sylvie MARCHAL Introduction Qu'est-ce que l'autisme ? Les symptômes autistiques Les troubles du comportement Définition et Description de l'Autisme: "Pourquoi n'ai-je jamais droit à un regard empreint d'affection et de gratitude ? Pourquoi rit-il lorsque je pleure, plutôt que de pleurer avec moi ou de demander la cause de mon chagrin ? Pourquoi est-il gentil avec moi lorsque j'ai un noeud bleu dans les cheveux, et pas lorsque j'en ai un rouge ? Et pourquoi, lorsqu'il pleure et que, pour le consoler je le prends sur mes genoux, pleure-t-il de plus belle ? Lorsqu'il est frustré, il dit "les trains démarrent". S'il veut aller sur la balançoire, il dit "les oranges sont finies".Il chantonne des journées entières "le train fait tchouk tchouk" et quand je vais avec lui à la gare et que je lui demande ce qu'il voit, il me répond "des spaghettis avec des boulettes". (L'autisme, aspects éducatifs et médicaux par Dr C. GIUBERT et T. PEETERS) Qu'est-ce que l'autisme ? "Une personne normale ne peut pas comprendre pourquoi une mère permet à son enfant de se frapper la tête contre le mur, ou pourquoi elle ne le punit pas lorsqu'il renverse son sac dans la charrette pendant les courses au magasin". En quelques mots, les personnes atteintes d'autisme ont des difficultés à appréhender les symboles, tout comme d'autres ont des problèmes visuels ou auditifs. Le fonctionnement de la société dans son ensemble est régi par des symboles. Le langage en est un excellent exemple : Les sons désignent -c'est à dire symbolisent- à la fois des choses, des actes, des pensées, des sentiments. La société utilise constamment des symboles : signes de tête, sourires, poignées de main... Et on sait que les personnes atteintes d'autisme ont d'importants problèmes avec les contacts sociaux et toute forme de langage. Les personnes autistes vivent ainsi dans un monde qu'elles ne comprennent pas, ou difficilement, et au sein duquel elles ne peuvent pas ou presque pas se faire comprendre. Il n'est donc pas étonnant que les autistes se retirent apparemment de ce monde, et manifestent de temps en temps leur impuissance, en se frappant la tête contre les murs ou en hurlant de colère. C'est précisément cet isolement qui est à la base du nom donné à la maladie : du grec autos : soi-même. Tout comme un handicap visuel ou auditif, les personnes atteintes d'autisme nécessitent une éducation et une prise en charge adaptées à leur handicap. Cette éducation et cette prise en charge sont essentielles, si on souhaite donner la possibilité aux personnes atteintes d'autisme, et à leur entourage, de vivre une existence satisfaisante. Les symptômes autistiques Pour pouvoir être appelé autiste, un enfant doit présenter des symptômes caractéristiques avant l'âge de 30 mois. 1- Irrégularité du développement L'évolution normale des enfants, depuis le plus jeune âge, est observée selon 3 axes classiques coordonnés entre eux : - le développement moteur - les comportements socio-adaptatifs - les processus cognitifs En ce qui concerne les enfants autistes, il peut exister des retards si l'une des fonctions sur un de ces axes ne commence pas au moment voulu. On peut également observer des périodes de régression avec perte des acquisitions antérieures, et également des démarrages soudains dans le développement. Ces irrégularités du développement, typiques de l'autisme, permettent de différencier l'autisme de l'arriération mentale. 2- Réponses anormales aux stimuli sensoriels L'enfant autiste réagit anormalement aux perceptions sensorielles. La réaction peut être excessive ou atténuée, et se produire pour tous les organes des sens. - symptômes visuels Un enfant peut regarder les dessins sur la tapisserie, dans des livres pendant des heures. Il peut exister une sensibilité inhabituelle à la lumière (fixer une lampe qu'on allume, qu'on éteint, regarder un flash...). L'enfant fixe parfois certaines parties de son corps (mains, doigts...), ou, tout ce qui tourne. Le symptôme visuel le plus commun est la reconnaissance de modèles visuels et la volonté de les maintenir (refus de changement). Cette capacité à reconnaître la disposition des choses et à en conserver l'ordre avait été observée par KANNER et appelée désir obsessionnel d'immuabilité. C'est la réponse anormale de l'enfant sur le plan des perceptions visuelles. - symptômes auditifs Il est fréquent que les enfants autistes ne réagissent pas aux sons ou semblent sourds ou encore répondent seulement à certains sons et semblent ainsi posséder une audition sélective. Mais l'enfant autiste est capable de faire attention à un nouveau son, tel qu'un klaxon, une publicité à la télévision, un bruit de moteur, un instrument de musique dont le son est inhabituel. L'enfant plaque souvent ses mains sur ses oreilles. Ce fait alterne avec des périodes pendant lesquelles l'enfant va s'intéresser à des bruits répétitifs comme chantonner, faire claquer se langue ou frapper en cadence des objets. L'enfant qui est insensible aux sons un jour, peut très bien un autre jour, placer son oreille contre le piano ou le haut parleur du poste de radio. - le toucher, la température, la douleur L'enfant peut passer des heures à frotter différentes surfaces avec la main, à transporter avec lui des morceaux de ficelle ou de tissu qu'il caresse. L'enfant autiste qui se cogne ou se blesse réagit de façon atténuée (se cogne ou se mord volontairement). La texture de la nourriture est également importante pour certains enfants qui n'acceptent qu'une nourriture passée au mixeur, et qui recrachent tout morceau n'ayant pas la dimension requise. Les changements de température peuvent également provoquer des réactions intenses. 3- Mobilité et symptômes proprioceptifs (relatifs à l'attitude, aux mouvements, à l'équilibre) L'enfant autiste peut conserver longtemps des postures et des attitudes qui peuvent durer des heures (balancement, battements des mains). Ces comportements se produisent pas intermittence. 4- Trouble de la communication - Langage Le langage peut ne pas apparaître, on dit alors que l'enfant est mutique. L'enfant peut aussi présenter un retard de langage, qui peut ensuite régresser, disparaître ou être parfaitement normal. - Processus cognitifs La capacité de donner une signification symbolique et de traiter l'information peut être réduite au minimum, apparaître tardivement ou être limitée à certains domaines spécifiques. Si les compétences cognitives apparaissent tardivement ou sont limitées, la personne autiste sera classée dans la catégorie "handicap mental profond". Souvent, certaines capacités cognitives sont présentes mais ne peuvent être employées parce que d'autres sont absentes. Les enfants autistes ont, vers 6-7 ans, des capacités cognitives satisfaisantes, mais une conscience sociale pauvre. L'écholalie est le fait de répéter sans cesse un discours, une phrase récente ou passée. Elle est normale entre 18 et 24 mois. Elle peut être retardée ou tardive, la personne répète alors ce qu'elle a entendu il y a un certain temps. L'enfant écholalique est capable de répéter des phrases entières, des paragraphes, en respectant l'intonation et l'émotion, en dehors de tout contexte. - Communication non-verbale Les enfants autistes présentent généralement une absence ou un retard dans le développement gestuel. Certains ont les capacités d'attribuer une valeur symbolique normale aux mouvements des mains, aux postures, aux mimiques et peuvent ainsi communiquer par le langage gestuel, ce qui permet de développer et exploiter des processus cognitifs. Pour les autres, compte tenu de leurs difficultés à communiquer, nous ne sommes pas capables d'évaluer leur capacité à attribuer cette valeur symbolique. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, le langage peut apparaître et disparaître. L'éducation doit alors se faire par un système adapté à chacun et avec une certaine persévérance. 5- Troubles de la relation avec autrui, avec les évènements et les objets Contrairement à ce qui se dit, les enfants autistes entrent en relation, mais d'une façon anormale, ils ne présentent pas une incapacité à entrer en relation avec autrui. Lorsque le développement de l'enfant s'est arrêté à un stade précoce, celui-ci ne manifeste aucun intérêt à regarder le visage ou les yeux, mais même l'enfant le plus atteint peut progresser et parvenir à établir une relation affective avec son entourage. Les troubles de la relation peuvent être observés dès les premiers mois de la vie. Les enfants autistes n'ont pas de gestes anticipateurs pour être pris dans les bras, mais ils peuvent avoir brusquement un démarrage rapide du développement, et commencer à entrer en relation d'une façon plus élaborée. Fréquemment les enfants autistes sont très attachés à des objets qui leur procurent des sensations répétitives et immuables. Ces objets deviennent leurs "jouets", ils les emmènent partout. Les enfants autistes peuvent avoir une façon particulière de réagir aux événements qui se produisent dans leur vie, surtout s'ils perçoivent le temps de façon normale ou s'ils sont sensibles à ce qui est visuel.(déplacement d'objets, déroulement routinier perturbé...) Les troubles du comportement Les personnes autistes se distinguent par l'importance de leurs troubles de la communication et de l'intéraction sociale, par leurs comportements stéréotypés et leur angoisse démesurée face à tout changement. Cette résistance aux changements se manifeste aussi par un refus de l'apprentissage. Ce rejet de la pédagogie découle de leur incapacité à appliquer les processus d'apprentissage et d'adaptation aux exigences de la vie sociale, non parce qu'ils ne savent pas, mais parce qu'ils ne comprennent pas ce qu'on attend d'eux. Leur seule issue est une défense qui peut aller du simple refus à une violence contre eux-mêmes (automutilation), ou à des stéréotypies. Cette impossibilité à saisir la pensée de l'autre donne à l'observateur l'impression que l'enfant autiste "ne veut pas". Comme l'enfant ne peut utiliser le langage pour communiquer, il se sert des outils à sa disposition, l'insuffisance de son système de communication est un des facteurs clés des troubles du comportement de l'enfant autiste. L'enfant autiste a une perception des choses très différente de la nôtre, et comme il ne parvient pas à dire la cause de ses angoisses, cela engendre un processus très pénible pour les parents et pour lui-même. Souvent, un fait mineur (changement de rideaux, objets déplacés...) va provoquer ses cris. 1- Le refus de changement Il existe chez les enfants autistes un désir de routine, tout ce qui est nouveau les effraie. Ils doivent toujours redécouvrir, restructurer ce qui est nouveau car le langage ne les aide pas à comprendre, ils n'ont pas à leur disposition les compétences permettant d'appréhender ce qui change, sans anxiété. Il faut donc les amener progressivement à évoluer, mais en changeant une petite chose après l'autre. 2- Le repli autistique Certains enfants autistes vivent très repliés sur eux-mêmes, n'explorent pas le monde qui les entoure. Ils ignorent leur famille, ne regardent pas les choses, ne tournent pas la tête quand on leur parle, rien ne semble éveiller leur attention. Il faut donc beaucoup de patience et de compréhension pour les amener "dans notre monde". 3- Le regard latéral évitant Beaucoup de jeunes enfants autistes semblent ne pas voir les gens, les objets ni percevoir les situations. Ils balayent rapidement du regard ce qui les entoure, ils utilisent une vision latérale. Il faut donc leur apprendre à utiliser le regard pour communiquer. 4- Les stéréotypies C'est un symptôme majeur de l'autisme. ce sont des actes que l'enfant répète indéfiniment. Elles peuvent être verbales, gestuelles, posturales, ... Les stéréotypies vocales sont fréquentes, l'enfant émet toujours le même son, avec la même intensité. C'est pour l'enfant un moyen de résister au changement. L'enfant a souvent recours aux stéréotypies pour se défendre face à un apprentissage, à une nouvelle tâche, c'est pour lui une situation de confort. Elles permettent à l'enfant d'exprimer son émotion, son ennui, et fonctionnent à défaut du langage. 5- L'angoisse L'enfant autiste peut manifester une angoisse énorme dans des situations qui semblent normales, il comprend le monde d'une façon différente de la nôtre, d'où l'intérêt de bien préparer l'enfant en verbalisant ce qui va se passer. 6- Les colères, les hurlements Pourquoi l'enfant pleure-t-il ? La plupart du temps pour des faits qui paraissent minimes, c'est une fois de plus, la disproportion souvent constatée entre notre façon de réagir et celle des enfants autistes. Les choses n'ont pas pour eux les mêmes valeurs. 7- L'enfant autiste et les sensations Ce sont des problèmes fréquents surtout pendant les premières années de la vie. L'enfant peut refuser tout contact, tout vêtement, ou vouloir porter toujours les mêmes (difficulté d'adaptation à des sensations nouvelles, hypersensibilité). L'enfant autiste ne semble souffrir ni du chaud ni du froid, il peut être, à des moments différents, très attentifs aux sons, ou au contraire totalement indifférent. Il peut être attiré par la lumière, les effets lumineux, passer de longs moments à filtrer la lumière à travers ses doigts. 8- L'enfant autiste et la douleur L'enfant autiste ne semble pas souffrir lorsqu'il se blesse, lorsqu'il se mutile. Ne sait-il pas manifester ? Ne perçoit-il pas la douleur? N'en a-t-il pas l'expérience? Ses perceptions, ses sensations sont différentes des nôtres, il faut lui apprendre à comprendre son corps et à percevoir les dangers d'une blessure. L'enfant peut être agressif, soit vers lui-même, soi vers autrui. cette agressivité très développée peut être un appel, l'enfant étant en difficulté pour demander autrement. Les difficultés de communication rendent plus difficile la canalisation, le contrôle social de cette agressivité, elle est souvent disproportionnée et peut effrayer l'entourage. L'agressivité se manifeste le plus souvent avec les personnes que l'enfant aime, il faut alors interrompre cette situation. Permettre à l'enfant de frapper les autres quand il a quelque chose à demander, c'est très vite le condamner à être exclu de la société. Les mutilations sont pénibles et traumatisantes pour l'enfant et sa famille, elles sont plus fréquentes chez l'enfant mutique. La mutilation a toujours une signification (enfant inoccupé, mécontent, inquiet, qui a besoin de quelque chose, qui souffre, qui veut attirer l'attention...), elle est souvent le seul langage de l'enfant. 9- L'inconscience du danger Souvent l'enfant autiste ne perçoit pas les dangers qui l'entourent, car sa connaissance n'est pas fondée sur l'expérience. S'il s'est brûlé une fois, il peut recommencer sans appréhension. L'enfant autiste ne vit pas la douleur comme les autres enfants, il peut se faire mal et recommencer un acte dangereux peu de temps après. 10- Alimentation, sommeil, propreté L'enfant autiste peut, dès son plus jeune âge, refuser certains aliments, manger de façon irrégulière, marquer sa préférence pour une alimentation mixée. Certains ont des difficultés à mastiquer, à avaler, il peut alors exister un problème de motricité, de coordination, d'incompréhension de l'acte d'avaler. Les insomnies sont fréquentes, surtout dans la petite enfance. L'enfant ne semble pas avoir besoin de sommeil. Quelques fois il peut vouloir dormir par terre, dans un couloir, dans un fauteuil. L'absence de propreté est également un problème très fréquent chez l'enfant autiste. Certains ont acquis la propreté diurne, d'autres aiment jouer avec leurs excréments, sont amusés par la saleté. La propreté et la saleté n'ont qu'une valeur sociale et ne signifient donc rien pour l'enfant autiste. De plus, il supporte mal la contrainte, l'apprentissage est long et pénible, pour la famille et l'enfant. Il est donc important de noter que le manque de communication chez l'enfant autiste est facteur d'un certain nombre de dysfonctionnements, de troubles et surtout d'adaptation sociale. Autisme et Psychanalyse (Stoïan STOIANOFF NENOFF Psychanalyste) L'autisme est une affection de l'enfant dont la prise en charge a donné lieu en France à une législation particulière destinée à donner satisfaction aux familles des autistes. Voici en quels termes, lors du débat à l'Assemblée Nationale le 22.02.1996, le rapporteur situe le problème, sur la base de ce que l'on compterait en France entre 17400 à 43400 autistes : " L'autisme a été décrit une première fois en 1947 par Léo Kanner, psychiatre américain. Depuis, trois théories sur l'origine de l'autisme coexistent, au nom desquelles s'affrontent les tenants d'une prise en charge entièrement thérapeutique ou basée sur le tout pédagogique. Selon la théorie psychanalytique, l'autisme serait dû à une 'dysharmonie' survenue très tôt dans la relation entre la mère et l'enfant, le syndrome autistique se développant en réponse à ce dysfonctionnement. Il n'existe aucune étude épidémiologique permettant d'étayer cette théorie ". Les deux autres théories étant : La théorie cognitive, au sein de laquelle se trouve privilégié le programme TEACCH élaboré aux USA par Schopler, La théorie organique qui "repose sur l'hypothèse que les facteurs génétiques, neurobiologiques, liés à un dysfonctionnement du cerveau ou à la grossesse, pourraient être à l'origine du syndrome autistique ". Dans la classification dite du DSM IV, en usage chez les psychiatres, le "trouble autistique " est situé parmi les "troubles envahissants du développement ", à côté du syndrome de Rett et du syndrome d'Asperger, cités ici pour mémoire. Ce trouble autistique est analysé selon trois paramètres. On décrit ainsi : 1° une altération qualitative des relations sociales ; 2° une altération qualitative de la communication, avec notamment "retard ou absence totale du langage parlé " ; 3° le caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités. De toute manière le diagnostic est à faire de manière précoce (avant l'âge de trois ans) dès lors que l'on observe chez l'enfant un retard ou un caractère anormal de son fonctionnement. Il s'agit d'une affection grave qui nécessite la prise en charge totale et définitive du sujet qui en est porteur. L'autisme est aujourd'hui, dans notre société occidentale, un handicap qui concerne non seulement l'intéressé mais aussi ses proches, en limitant nécessairement le champ de leur activité et en générant chez eux diverses formes de culpabilité, tant consciente qu'inconsciente. L'incertitude quant à l'origine de ces troubles de la relation à autrui désoriente les parents qui s'accrochent aux solutions de prise en charge à la fois les plus globales et les moins coûteuses. Or, toutes les méthodes mises en œuvre jusqu'à présent, visant à aider l'autiste à sortir de son enfermement et donc à gagner sa confiance, demandent du temps, beaucoup de temps, énormément de temps. D'autant que l'autiste est souvent polyhandicapé et qu'il cumule des déficits sensoriels, notamment dans le domaine de la vision ou de l'audition. Au taux où est la main-d’œuvre à l'époque des 35 heures hebdomadaires, le coût social de l'autisme est hors de prix. L'approche psychanalytique du problème de l'autisme relève d'un combat, d'un combat d'idées d'abord, combat sur le terrain de la santé mentale ensuite. Tout en admettant la fragilité constitutionnelle du futur autiste, le point de vue psychanalytique récuse l'approche déficitaire du problème posé par l'autiste. Le déficit, c'est dire, par exemple, de l'autiste, qu'il lui manque une case. Une case : ça peut être une compétence. On dira ainsi qu'il lui manque la capacité de planifier l'action. Par conséquent le déficit devra être comblé par une sorte de prothèse, sous la forme d'une stimulation externe (pédagogique, médicamenteuse, voire neurobiologique). Tout au contraire, certaines écoles psychanalytiques (notamment d'inspiration lacanienne), pensent que ce qui manque à l'autiste c'est le manque lui-même, qui meut l'humain en tant qu'habité par la parole. Ainsi le manque, comme la parole, est ce qui se transmet, et c'est là qu'on s'interroge sur ce qui a pu bloquer sa transmission. C'est faire ainsi de l'enfant-autiste en puissance, l'enjeu d'un conflit de discours. Conflit qui se localise d'abord chez au-moins un des parents de l'enfant. Conflit, par exemple, entre l'idée que le manque chez l'humain (du fait qu'il est sujet de la parole) est le ressort de toute créativité, et celle, inverse, que ce manque est un fléau à combattre comme tel. Il suffit d'une incursion dans le domaine de la philosophie ou de la religion pour repérer ceux qui ne voient dans le logos, dans la parole, qu'un facteur d'illusion, d'irrationalité, à éliminer. Il est vrai que la parole produit des effets sur le vivant, non point à titre de superstructure, au titre d'artefact, mais au titre de la matérialité du signifiant. En effet, le corps, en tant que sonorisable, est lieu à la fois de production et d'inscription de signifiants, d'entités sonores, codées différemment pour chaque langue donnée. Une batterie minimale de ces signifiants, disons une chaîne signifiante, s'articule de manière à fonctionner comme une mémoire inconsciente, censée engrammer une série d'événements constituants de l'histoire d'un sujet. Mais le jeu d'une telle chaîne signifiante, structurée comme un langage, suppose la faculté de déplacement et de substitution des signifiants et donc la virtualité d'une case vide, qui "affectera " la chaîne. Qui l'affectera au sens où, à la place d'un individu, monolithique comme tel, viendra un sujet divisé, à la fois parlant et parlé. Cette mutation tient du miracle, et les thérapeutes qui s'y sont risqués font figure de magiciens. Notons que les études récentes, sur le plan physiologique, s'agissant de la stabilité du regard que l'on porte sur l'objet, montrent que ce dernier n'existe pour l'autiste que lorsqu'il est en mouvement. C'est le cas de la toupie, qui le fascine. Chez le sujet normal la stabilité du regard est assurée par un système de régulation de type "chaotique " et apériodique. Un nœud de langage peut parfaitement constituer un tel système régulateur. Or, d'autres études mettent l'accent sur la précocité de l'entrée du nourrisson dans le langage, et c'est ainsi que, dès le premier mois de son existence, le babil d'un enfant est de nature à trahir son appartenance à tel ou tel groupe linguistique. Il nous reste à voir, sur le plan psychanalytique, comment les choses pourraient être modifiées, une fois admis que c'est la "haine " de la case vide qui, dans un milieu humain donné, fait exister l'autiste. Dans la perspective la plus large, il conviendrait d'élaborer une stratégie susceptible d'agir sur le système des discours qui régule l'avenir même du vivant. Ceci est du ressort des relations de la psychanalyse au politique. A une échelle moindre, il y a lieu de prendre en compte la tactique des personnes inspirées par la pensée psychanalytique, lors des expériences menées dans le passé. Qu'il s'agisse de Mélanie KLEIN, de Bruno BETTELHEIM, de Françoise DOLTO, ou de Maud MANNONI, on a affaire à des entreprises artisanales, à forme associative, bénéficiant d'une implication totale de leurs promoteurs ainsi que de l'aide d'un nombre considérable d'intervenants, pour la plupart à titre bénévole. D'autant plus, que l'évolution positive de l'enfant dépendait de la bonne volonté de leurs parents, pris en charge simultanément par les équipes soignantes. Or un tel consensus, sur la nécessité d'une prise en charge familiale, est rarement réalisé. Toutes choses incompatibles aujourd'hui avec une demande thérapeutique de masse. D'où l'accent mis sur la prévention dans le champ de la petite enfance. Faute de savoir comment réintégrer en son sein les individus qu'elle a "vocation " à exclure (au nom de l'idéologie de ladite "haine " de la case vide), la communauté fait appel à ceux qui s'imaginent être en mesure de suppléer aux "carences " du milieu, et créer, à la limite, dès la naissance de l'enfant, voire avant, un contexte pédagogique substitutif adéquat. Encore leur faudraitil écarter les fantômes de l'hérédité pathologique. Mes vieux "maîtres " en neurologie ne disaient-ils pas qu'ils étaient capables de repérer le futur autiste simplement au vu des difficultés qu'un nourrisson rencontre, ne serait-ce que pour téter ? L'hypothèse de l'origine neurobiologique de l'autisme obère l'appréciation des résultats obtenus par les différentes méthodes (psychanalytiques ou cognitives) mises en jeu. On dira, par exemple, face à un "autiste guéri ", qu'il y a eu forcément erreur de diagnostic. D'où le terme employé alors de "faux autisme ". Dès lors que les choses prennent une telle ampleur il faut une véritable volonté politique afin de réaliser l'étude épidémiologique correcte qui s'impose, puisque à l'évidence le nombre des autistes en France varie du simple au double selon les critères retenus. Il reste que l'hypothèse, généralement admise, d'une origine plurifactorielle de l'autisme n'est qu'un alibi pour ne rien tenter. En attendant les résultats d'études linguistiques à venir, notamment sur le mode d'adresse très particulier envers l'enfant que pratiquent, très tôt, les proches du futur autiste, il convient de se méfier de leurs manifestations de bonne volonté débordante. Les faits de maltraitance quasi-physique (consciente ou inconsciente) que révèlent les études récentes relatives au syndrome de Münschhausen par procuration sont là pour nous tenir en éveil. Sachant les difficultés spécifiques rencontrées quant à l'établissement du diagnostic dans ce syndrome, on doit pouvoir imaginer ce que serait une maltraitance qui serait essentiellement d'ordre psychique. Reste à savoir quelles sont les méthodes d'évaluation épidémiologique qui conviendraient à l'étude d'une telle causalité, a priori inimaginable. Bref, il y a des enfermements pires que le Goulag et c'est devant de tels cas que notre compassion défaille. De sorte que, faute de preuves, les politiques préfèrent fermer les yeux sur le fait qu'il y ait des discours qui tuent, ou du moins vous transforment en statue de sel. Le " principe d'imprécaution " couvre pour l'instant leur responsabilité. Pour combien de temps encore ? Stoïan STOIANOFF NENOFF Psychanalyste L’énigme de l’autisme Les troubles psycholinguistiques des enfants autistes Pour soigner l’enfant autiste Language acquisition and theory of mind In, Research on communication and language disorders Predicting and explaining behavior : a comparison of autistic, mentally retarded and normal children La pertinence – Communication et cognition Autisme, la vérité refusée Paris, éd. O. Jacob,1992 ANAE, 5, 136-141,1993 L’autisme de l’enfant MASSON 1990 Grasset 1998 GRANDIN T. GRANDIN T. BARRON J. et S. CLOUTIER R. L’exploration de l’autisme – le médecin, l’enfant et sa maman Si on me touche, je n’existe plus " Nobody nowhere " Quelqu’un, quelque part La folie Vivre avec un enfant autistique Maman, pas l’hôpital ! Autisme : le défi du programme TEACCH Mais, madame, vous êtes la mère… Autisme, la forteresse éclatée Autisme, de l’adolescence à l’âge adulte Autisme : de la compréhension théorique à l’intervention Ma vie d’autiste Penser en images Moi, l’enfant autiste La petite fille qui ne parlait pas FIRINO-MARTELL T. FLEISCHER L. LAXER G. HERBAUDIERE D. HERBAUDIERE D. HERBAUDIERE D. BETTELHEIM B. Mon enfant citadelle Rain Man Les vendanges du silence Cati ou l’enfant muette Cati une adolescente autistique Cati ou les sentiers de la vie La forteresse vide FRITH U. GERARD C.L. HOCHMANN J. TAGER-FLUSBERG H. TAGER-FLUSBERG H.& SULLIVAN SPERBER D., WILSON D. LAXER G. et RITVO E. LELORD G., SAUVAGE D. LELORD G. WILLIAMS D. WILLIAMS D. JACQUARD R. BRAUNER A. et F. PREFAUT J.M. MESIBOV G. FREDET F. PEETERS T. PEETERS T. PEETERS T. IONESCU S. La déficience intellectuelle ch.VIII tome 1 MANNONI M. L’enfant, sa maladie et les autres GERARDIN-COLLET Autisme-perspectives actuelles V et RIBONI C Ed. O. Jacob In L. ADAMSON&M.A. ROWSKI EDS, Baltimore MD, 135-158, 1997 Journal of Child Psychology and Psychiatry, 35, 1059-1075, 1994 Paris, Minuit, 1989 SIMEP 1993 R. Laffont Paris 1992 J’ai lu 4144/4 Que sais-je ? P.U.F. J’ai lu 5160 Pro Aid 1995 Le centurion 1979 Pro Aid Autisme 1988 rééd. 1994 Edinovation 1990 DUNOD 1996 Odile Jacob 1994 Odile Jacob Plon 1993 Libre expression Quebec Canada 1989 Fayard 1995 France Loisirs 1990 R. Laffont 1988 Mercure de France 1972 Fleurus 1981 Belfond 1991 Gallimard 1984 Nathan Université 1967 L'Harmattan Forum I.R.T.S. Lorraine 2000