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Cours sur le bonheur et la liberté – T12
Sujet :
Peut-on être heureux sans être libre ?
Attention : ce cours comporte des phrases qui manquent de cohérence avec celles qui
précèdent. Repérez-les, de manière à pouvoir les barrer.
Introduction
Nous aimerions tous, probablement, être heureux. Il serait donc
intéressant de réfléchir aux moyens d’atteindre ce bonheur. Une part de nous-mêmes
aimerait bien l’obtenir sans avoir à fournir d’effort. Cependant, cette passivité ne semble
pas compatible avec la liberté. Or, est-il possible d’être heureux sans être libre ? La
question n’est pas en soi très intéressante, puisque le bonheur n’est pas forcément
souhaitable, mais elle mérite d’être posée.
[1ère réponse, argumentée à l’aide des définitions] Apparemment, cela est tout à fait possible.
Nous sommes heureux si nous éprouvons une satisfaction profonde et durable. Cela
implique que nos désirs – en tout cas les plus essentiels – sont satisfaits. La liberté, quant à
elle, est le pouvoir d’agir en fonction de ses propres buts. Enfin, nous pouvons ajouter que
la philosophie est un effort pour aller au-delà des opinions, de manière à atteindre un
véritable savoir. En comparant ces définitions, nous sommes amenés à penser qu’il nous
est possible d’être heureux sans pour autant être libres. Il suffirait pour cela que nos désirs
soient satisfaits par quelqu’un d’autre que nous. Dans ce cas, semble-t-il, nous n’aurions
pas à agir, ce qui rendrait la liberté superflue. Bien entendu, cette dernière resterait malgré
tout indispensable : on voit mal comment on pourrait être vraiment heureux sans être
libre !
[Objection(s) : on relève une faiblesse au moins dans le raisonnement précédent] Cependant, en
y regardant de plus près, nous nous apercevons que cette réponse est bien discutable.
D’abord, comme nous le verrons dans la seconde partie de cette dissertation, on peut se
demander s’il n’est pas illusoire de confier à d’autres hommes le soin de nous rendre
heureux. Ces hommes, en effet, ne pourraient-ils être tentés d’abuser de leur pouvoir, au
détriment de notre bonheur. Par ailleurs, comme nous le verrons dans le troisième temps
de notre réflexion, on peut se demander si le désir d’être libre n’est pas le désir le plus
essentiel de l’être humain. Et si c’est le cas, alors comment serait-il possible d’être heureux
sans être libre ?
[Intérêt du sujet]
I. Une certaine forme de bonheur est possible dans la servitude (absence de liberté)
politique
La première thèse que nous allons étudier a été formulée par Alexis de Tocqueville
dans De la démocratie en Amérique. Ce livre n’a rien à voir avec Tintin en Amérique, ni même
avec Les misérables de Victor Hugo. Dans ce livre, il imagine un régime politique, qui
pourrait apparaître dans l’avenir. Il s’agirait d’un despotisme – c’est-à-dire un régime
contraire à la liberté – mais d’un despotisme d’un genre nouveau. Au lieu de gouverner
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par la terreur ou avec l’appui du pouvoir religieux, les dirigeants prendraient en charge le
bonheur des individus. Ils se feraient donc respecter en menaçant de mort ou de sanctions
terribles tous ceux qui leur désobéiraient. La liberté serait donc totalement absente d’une
telle société, puisque les membres de celle-ci n’auraient aucun désir de se révolter. Ils
seraient comparables à des enfants : assistés en permanence par un gouvernement
« paternel » qui veillerait à leur bien-être et à leur sécurité. Mais la grande différence entre
ce gouvernement et de véritables parents, c’est que ces derniers, en principe, éduquent
leurs enfants pour que ceux-ci deviennent progressivement indépendants, alors que le
gouvernement imaginé par Tocqueville ferait en sorte que les individus soient
éternellement comme des enfants. Toutes les décisions importantes seraient prises par le
gouvernement, tout serait planifié par les dirigeants de l’État, si bien que les individus
n’auraient pas de liberté, puisque celle-ci est le pouvoir d’agir en fonction de ses propres
buts. On n’est pas libre quand on est passif et quand on ne choisit pas sa manière de vivre.
Mais ce manque de liberté, selon Tocqueville, n’empêcherait pas un certain bonheur.
Ce serait certes un bonheur médiocre. Chacun, dans une telle société, ne s’occuperait que
de ses petites affaires personnelles. Il n’aurait aucun pouvoir politique et ne pourrait donc
avoir de grandes ambitions concernant sa vie et celle des autres membres de la société. Sa
liberté serait réelle, bien sûr, mais elle n’empêcherait pas une certaine forme de bonheur.
Chacun mènerait une vie tranquille, routinière, sans risque, sans nouveauté, sans
originalité. Le fait que chacun vive à l’écart des autres, en effet, ne signifierait pas que les
gens auraient une manière de vivre différente. Chacun aurait de grandes ambitions, mais
cela ne l’empêcherait pas d’avoir peu d’originalité. En fait, chacun ferait à peu près comme
son voisin, puisque tous seraient soigneusement encadrés par un gouvernement qui
prendrait toutes les décisions importantes à leur place et veillerait à ce qu’aucun individu
n’ait une trop forte personnalité ni des buts trop différents des autres. Mais comme chacun
serait habitué à cette façon de vivre, comme il n’aurait pas de souci d’ordre matériel et
comme il ne subirait aucune violence de la part du gouvernement, il serait satisfait de son
sort. En un mot, il serait heureux. Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’il n’éprouverait
aucune frustration : car comment est-il possible d’être satisfait de son sort quand on n’est
pas maître de sa propre vie ? Mais enfin, malgré tout, chacun jouirait d’un parfait bonheur.
[Transition : récapitulation et objection] On vient de voir qu’un bonheur médiocre, mais
bien réel, pourrait être possible dans une société sans liberté. Il suffirait pour cela que cette
société soit gouvernée par une administration qui prendrait en charge les individus, en
réglant leur vie en détail et en veillant à ce qu’ils ne manquent de rien sur le plan matériel.
Mais un tel gouvernement est-il possible ? Quand des gouvernants dirigent des gens qui
ont depuis longtemps perdu l’habitude de la liberté, ne sont-ils pas tentés d’abuser de leur
pouvoir, au détriment du bien-être des gouvernés ?
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Cours sur le bonheur et la liberté – T12 (Suite et fin)
Exercice sur la partie II : remplissez les blancs avec les mots de la liste ci-dessous. Un
même mot peut être utilisé deux ou trois fois. Certains mots n’ont pas à être utilisés.
Liste de mots : hasard – bonheur – sécurité – Elisabeth II – apparence – durable – navire –
nécessaire – but – fierté – terreur – passifs – liberté – merguez – cohérente – thèse – désirs –
essentiel – limites – folie
II. Le bonheur est presque impossible à atteindre en l’absence de liberté
1. Développement de l’objection amorcée dans la transition
Avec Tocqueville, nous avons vu qu’une certaine forme de bonheur était possible
sans. Cependant, un tel bonheur est-il ________? Si nous laissons un petit groupe
d’hommes prendre à notre place toutes les décisions importantes, nous ne pouvons pas
contrôler si ce qu’ils font est réellement dans notre intérêt. Voyant qu’ils ont en face d’eux
des gens ___________, sans autonomie, les gouvernants risquent fort de se croire tout
permis, et d’abuser du pouvoir que le peuple leur a donné. Ils n’hésiteront pas, par
exemple, à piller toutes les richesses du pays pour eux et pour leurs amis, enfonçant ainsi
dans la misère une grande partie de la population. Ils feront des guerres pour agrandir
leurs territoires. Enfin, voyant qu’ils deviennent de plus en plus impopulaires, ils finiront
par instaurer un régime de plus en plus répressif. Au lieu de se faire respecter par le bienêtre qu’ils apporteront à la population, ils gouverneront par la _________. Ayant cru
obtenir la ___________ en sacrifiant sa liberté, le peuple n’aura finalement ni l’une ni
l’autre. Car, comme le dit Rousseau, le premier instrument de notre sécurité, c’est la
________.
2. Thèse
Nous sommes donc amenés à soutenir une _________ assez différente de la première :
si nous voulons obtenir un bonheur durable, nous avons tout intérêt à sauvegarder et à
développer notre liberté. Nous avons d’autant plus de probabilités d’être heureux que
nous sommes plus libres.
3. Argumentation
Pour soutenir cette thèse, nous allons nous inspirer d’un texte de Bertrand Russell (cf.
le livre, p. 247). D’après le philosophe britannique, il y a deux manières d’envisager la vie.
Certains hommes la considèrent comme un tout, c’est-à-dire comme une série
d’événements cohérents, liés les uns aux autres. D’autres, au contraire, voient dans la vie
une série d’accidents, c’est-à-dire d’événements qui surviennent au ____________, de façon
imprévisible. Les premiers ont « plus de chances d’atteindre le bonheur » que les seconds.
En effet, si la vie est pour eux un tout, quelque chose qui a une unité, c’est parce que leurs
actions sont orientées vers un ______. Ils organisent toute leur existence en fonction d’un
projet à réaliser. Ainsi, ils mettent toutes les chances de leur côté. Les autres, ceux qui se
laissent porter par les événements, sont ________ face à l’existence. Ils espèrent que le
hasard va réaliser à leur place leurs ___________, mais il est très probable qu’ils
n’arriveront à rien, de la même manière qu’un navire qui n’est pas dirigé se laisse ballotter
par le vent « sans jamais arriver au port », c’est-à-dire au but. Le bonheur est donc un bien
qui s’atteint graduellement, par des actions tendues vers un objectif qui donne un sens à
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l’existence. Autrement dit, le _________, ça se travaille : « Et un but cohérent se réalise
surtout dans le travail ».
En ___________, ce texte de Russell n’a pas grand-chose à voir avec la liberté.
Pourtant, si l’on y réfléchit bien, il y a bien un lien entre le travail et la liberté. On
s’imagine souvent que la liberté consiste à agir au gré de ses caprices, sans réfléchir, sans
se donner de _____________. Mais cette conception de la liberté est fausse. Quelqu’un qui
est incapable de s’imposer des limites ne réalisera jamais aucun but important. Il sera
tiraillé entre plusieurs ___________, incapable de choisir entre eux. Et comme il ne
réfléchira pas avant d’agir, il échouera le plus souvent dans ses actions. La liberté véritable
consiste dans le fait d’être en mesure d’accomplir ses propres buts, ce qui suppose de se
concentrer sur des objectifs et d’agir de manière _____________, organisée, planifiée. Si on
agit ainsi, il n’est pas absolument certain qu’on arrivera à être heureux : un événement
imprévu peut nous empêcher de réaliser nos objectifs. Mais, comme l’explique Russell, un
tel comportement est en général une condition ___________ du bonheur, même si ce n’est
pas une condition suffisante. Une personne qui travaille sérieusement à la réalisation de
ses désirs a non seulement plus de chances de les réaliser qu’une autre, mais elle a en plus
la ___________de pouvoir réaliser elle-même ces objectifs au lieu de tout attendre de
facteurs extérieurs.
[Transition : récapitulation et objection] Ainsi, la liberté semble bien être un moyen
quasiment indispensable pour être heureux. Sans elle, nous agissons passivement, au gré
des circonstances, et nous n’avons presque aucune chance de voir nos désirs satisfaits.
Mais peut-on réduire la liberté à un moyen d’atteindre le bonheur ? Le désir d’être libre
n’est-il pas le désir le plus ___________, pour un être humain ? Et si c’est le cas, le bonheur
ne serait-il pas la même chose que la ____________ elle-même ?
III. La liberté est plus qu’une condition du bonheur : elle est le bonheur même
1. Développement de l’objection amorcée dans la transition
Nous avons vu que, pour Russell, le bonheur est en général le résultat d’une activité
cohérente. Mais le bonheur est-il seulement un résultat, quelque chose qui survient après l’action ?
Une fois que nous avons réalisé un désir, nous sommes satisfaits, mais nous n’éprouvons plus de
plaisir. C’est durant la réalisation du désir que nous éprouvons le plus de plaisir. Or, on voit mal
comment on pourrait éprouver du bonheur sans plaisir.
2. Thèse
Il semble donc qu’on doive considérer le bonheur, moins comme un résultat, que comme
l’activité par laquelle on est en train de réaliser un désir. Encore faut-il que cette activité soit libre.
3. Argument
En effet, nos activités sont libres si elles viennent de nous, si elles correspondent à nos
propres buts. En faisant de telles activités, nous sommes en accord avec nous-mêmes, et nous
éprouvons un sentiment de plaisir – même si nous devons pour cela surmonter des obstacles plus
ou moins pénibles. Inversement, nous ne pourrons pas être heureux si notre activité n’est pas libre,
car alors nous serons contraints de ne pas accomplir nos désirs, ce qui engendrera de la frustration.
4. Exemples – Certaines activités ont un intérêt en elles-mêmes. Ce sont surtout celles-là
qu’on peut qualifier de libres : on les accomplit pour le simple plaisir de les faire. On peut par
exemple avoir du plaisir à faire du sport, de la musique ou – aussi incroyable que cela puisse
paraître – de la philosophie, indépendamment des récompenses (victoires, prix, félicitations…) que
ces activités peuvent nous apporter.
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Cours sur le bonheur et la liberté – T12
Sujet :
Peut-on être heureux sans être libre ?
Attention : ce cours comporte des phrases qui manquent de cohérence avec celles qui
précèdent. Repérez-les, de manière à pouvoir les barrer.
Introduction
Nous aimerions tous, probablement, être heureux. Il serait donc
intéressant de réfléchir aux moyens d’atteindre ce bonheur. Une part de nous-mêmes
aimerait bien l’obtenir sans avoir à fournir d’effort. Cependant, cette passivité ne semble
pas compatible avec la liberté. Or, est-il possible d’être heureux sans être libre ? La
question n’est pas en soi très intéressante, puisque le bonheur n’est pas forcément
souhaitable, mais elle mérite d’être posée.
[1ère réponse, argumentée à l’aide des définitions] Apparemment, cela est tout à fait possible.
Nous sommes heureux si nous éprouvons une satisfaction profonde et durable. Cela
implique que nos désirs – en tout cas les plus essentiels – sont satisfaits. La liberté, quant à
elle, est le pouvoir d’agir en fonction de ses propres buts. Enfin, nous pouvons ajouter que
la philosophie est un effort pour aller au-delà des opinions, de manière à atteindre un
véritable savoir. En comparant ces définitions, nous sommes amenés à penser qu’il nous
est possible d’être heureux sans pour autant être libres. Il suffirait pour cela que nos désirs
soient satisfaits par quelqu’un d’autre que nous. Dans ce cas, semble-t-il, nous n’aurions
pas à agir, ce qui rendrait la liberté superflue. Bien entendu, cette dernière resterait malgré
tout indispensable : on voit mal comment on pourrait être vraiment heureux sans être
libre !
[Objection(s) : on relève une faiblesse au moins dans le raisonnement précédent] Cependant, en
y regardant de plus près, nous nous apercevons que cette réponse est bien discutable.
D’abord, comme nous le verrons dans la seconde partie de cette dissertation, on peut se
demander s’il n’est pas illusoire de confier à d’autres hommes le soin de nous rendre
heureux. Ces hommes, en effet, ne pourraient-ils être tentés d’abuser de leur pouvoir, au
détriment de notre bonheur. Par ailleurs, comme nous le verrons dans le troisième temps
de notre réflexion, on peut se demander si le désir d’être libre n’est pas le désir le plus
essentiel de l’être humain. Et si c’est le cas, alors comment serait-il possible d’être heureux
sans être libre ?
[Intérêt du sujet]
I. Une certaine forme de bonheur est possible dans la servitude (absence de liberté)
politique
La première thèse que nous allons étudier a été formulée par Alexis de Tocqueville
dans De la démocratie en Amérique. Ce livre n’a rien à voir avec Tintin en Amérique, ni
même avec Les misérables de Victor Hugo. Dans ce livre, il imagine un régime politique,
qui pourrait apparaître dans l’avenir. Il s’agirait d’un despotisme – c’est-à-dire un régime
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contraire à la liberté – mais d’un despotisme d’un genre nouveau. Au lieu de gouverner
par la terreur ou avec l’appui du pouvoir religieux, les dirigeants prendraient en charge le
bonheur des individus. Ils se feraient donc respecter en menaçant de mort ou de sanctions
terribles tous ceux qui leur désobéiraient. La liberté serait donc totalement absente d’une
telle société, puisque les membres de celle-ci n’auraient aucun désir de se révolter. Ils
seraient comparables à des enfants : assistés en permanence par un gouvernement
« paternel » qui veillerait à leur bien-être et à leur sécurité. Mais la grande différence entre
ce gouvernement et de véritables parents, c’est que ces derniers, en principe, éduquent
leurs enfants pour que ceux-ci deviennent progressivement indépendants, alors que le
gouvernement imaginé par Tocqueville ferait en sorte que les individus soient
éternellement comme des enfants. Toutes les décisions importantes seraient prises par le
gouvernement, tout serait planifié par les dirigeants de l’État, si bien que les individus
n’auraient pas de liberté, puisque celle-ci est le pouvoir d’agir en fonction de ses propres
buts. On n’est pas libre quand on est passif et quand on ne choisit pas sa manière de vivre.
Mais ce manque de liberté, selon Tocqueville, n’empêcherait pas un certain bonheur.
Ce serait certes un bonheur médiocre. Chacun, dans une telle société, ne s’occuperait que
de ses petites affaires personnelles. Il n’aurait aucun pouvoir politique et ne pourrait donc
avoir de grandes ambitions concernant sa vie et celle des autres membres de la société. Sa
liberté serait réelle, bien sûr, mais elle n’empêcherait pas une certaine forme de bonheur.
Chacun mènerait une vie tranquille, routinière, sans risque, sans nouveauté, sans
originalité. Le fait que chacun vive à l’écart des autres, en effet, ne signifierait pas que les
gens auraient une manière de vivre différente. Chacun aurait de grandes ambitions, mais
cela ne l’empêcherait pas d’avoir peu d’originalité. En fait, chacun ferait à peu près comme
son voisin, puisque tous seraient soigneusement encadrés par un gouvernement qui
prendrait toutes les décisions importantes à leur place et veillerait à ce qu’aucun individu
n’ait une trop forte personnalité ni des buts trop différents des autres. Mais comme chacun
serait habitué à cette façon de vivre, comme il n’aurait pas de souci d’ordre matériel et
comme il ne subirait aucune violence de la part du gouvernement, il serait satisfait de son
sort. En un mot, il serait heureux. Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’il n’éprouverait
aucune frustration : car comment est-il possible d’être satisfait de son sort quand on n’est
pas maître de sa propre vie ? Mais enfin, malgré tout, chacun jouirait d’un parfait bonheur.
[Transition : récapitulation et objection] On vient de voir qu’un bonheur médiocre, mais
bien réel, pourrait être possible dans une société sans liberté. Il suffirait pour cela que cette
société soit gouvernée par une administration qui prendrait en charge les individus, en
réglant leur vie en détail et en veillant à ce qu’ils ne manquent de rien sur le plan matériel.
Mais un tel gouvernement est-il possible ? Quand des gouvernants dirigent des gens qui
ont depuis longtemps perdu l’habitude de la liberté, ne sont-ils pas tentés d’abuser de leur
pouvoir, au détriment du bien-être des gouvernés ?
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Cours sur le bonheur et la liberté – T12 (Suite et fin)
Exercice sur la partie II : remplissez les blancs avec les mots de la liste ci-dessous. Un
même mot peut être utilisé deux ou trois fois. Certains mots n’ont pas à être utilisés.
Liste de mots :
II. Le bonheur est presque impossible à atteindre en l’absence de liberté
1. Développement de l’objection amorcée dans la transition
Avec Tocqueville, nous avons vu qu’une certaine forme de bonheur était possible
sans liberté. Cependant, un tel bonheur est-il durable ? Si nous laissons un petit groupe
d’hommes prendre à notre place toutes les décisions importantes, nous ne pouvons pas
contrôler si ce qu’ils font est réellement dans notre intérêt. Voyant qu’ils ont en face d’eux
des gens passifs, sans autonomie, les gouvernants risquent fort de se croire tout permis, et
d’abuser du pouvoir que le peuple leur a donné. Ils n’hésiteront pas, par exemple, à piller
toutes les richesses du pays pour eux et pour leurs amis, enfonçant ainsi dans la misère
une grande partie de la population. Ils feront des guerres pour agrandir leurs territoires.
Enfin, voyant qu’ils deviennent de plus en plus impopulaires, ils finiront par instaurer un
régime de plus en plus répressif. Au lieu de se faire respecter par le bien-être qu’ils
apporteront à la population, ils gouverneront par la terreur. Ayant cru obtenir la sécurité
en sacrifiant sa liberté, le peuple n’aura finalement ni l’une ni l’autre. Car, comme le dit
Rousseau, le premier instrument de notre sécurité, c’est la liberté.
2. Thèse
Nous sommes donc amenés à soutenir une thèse assez différente de la première : si
nous voulons obtenir un bonheur durable, nous avons tout intérêt à sauvegarder et à
développer notre liberté. Nous avons d’autant plus de probabilités d’être heureux que
nous sommes plus libres.
3. Argumentation
Pour soutenir cette thèse, nous allons nous inspirer d’un texte de Bertrand Russell (cf.
le livre, p. 247). D’après le philosophe britannique, il y a deux manières d’envisager la vie.
Certains hommes la considèrent comme un tout, c’est-à-dire comme une série
d’événements cohérents, liés les uns aux autres. D’autres, au contraire, voient dans la vie
une série d’accidents, c’est-à-dire d’événements qui surviennent au hasard, de façon
imprévisible. Les premiers ont « plus de chances d’atteindre le bonheur » que les seconds.
En effet, si la vie est pour eux un tout, quelque chose qui a une unité, c’est parce que leurs
actions sont orientées vers un but. Ils organisent toute leur existence en fonction d’un
projet à réaliser. Ainsi, ils mettent toutes les chances de leur côté. Les autres, ceux qui se
laissent porter par les événements, sont passifs face à l’existence. Ils espèrent que le hasard
va réaliser à leur place leurs désirs, mais il est très probable qu’ils n’arriveront à rien, de la
même manière qu’un navire qui n’est pas dirigé se laisse ballotter par le vent « sans jamais
arriver au port », c’est-à-dire au but. Le bonheur est donc un bien qui s’atteint
graduellement, par des actions tendues vers un objectif qui donne un sens à l’existence.
Autrement dit, le bonheur, ça se travaille : « Et un but cohérent se réalise surtout dans le
travail ».
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En apparence, ce texte de Russell n’a pas grand-chose à voir avec la liberté. Pourtant,
si l’on y réfléchit bien, il y a bien un lien entre le travail et la liberté. On s’imagine souvent
que la liberté consiste à agir au gré de ses caprices, sans réfléchir, sans se donner de
limites. Mais cette conception de la liberté est fausse. Quelqu’un qui est incapable de
s’imposer des limites ne réalisera jamais aucun but important. Il sera tiraillé entre
plusieurs désirs, incapable de choisir entre eux. Et comme il ne réfléchira pas avant d’agir,
il échouera le plus souvent dans ses actions. La liberté véritable consiste dans le fait d’être
en mesure d’accomplir ses propres buts, ce qui suppose de se concentrer sur des objectifs
et d’agir de manière cohérente, organisée, planifiée. Si on agit ainsi, il n’est pas
absolument certain qu’on arrivera à être heureux : un événement imprévu peut nous
empêcher de réaliser nos objectifs. Mais, comme l’explique Russell, un tel comportement
est en général une condition nécessaire du bonheur, même si ce n’est pas une condition
suffisante. Une personne qui travaille sérieusement à la réalisation de ses désirs a non
seulement plus de chances de les réaliser qu’une autre, mais elle a en plus la fierté de
pouvoir réaliser elle-même ces objectifs au lieu de tout attendre de facteurs extérieurs.
[Transition : récapitulation et objection] Ainsi, la liberté semble bien être un moyen
quasiment indispensable pour être heureux. Sans elle, nous agissons passivement, au gré
des circonstances, et nous n’avons presque aucune chance de voir nos désirs satisfaits.
Mais peut-on réduire la liberté à un moyen d’atteindre le bonheur ? Le désir d’être libre
n’est-il pas le désir le plus essentiel, pour un être humain ? Et si c’est le cas, le bonheur ne
serait-il pas la même chose que la liberté elle-même ?
III. La liberté est plus qu’une condition du bonheur : elle est le bonheur même
1. Développement de l’objection amorcée dans la transition
Nous avons vu que, pour Russell, le bonheur est en général le résultat d’une activité
cohérente. Mais le bonheur est-il seulement un résultat, quelque chose qui survient après l’action ?
Une fois que nous avons réalisé un désir, nous sommes satisfaits, mais nous n’éprouvons plus de
plaisir. C’est durant la réalisation du désir que nous éprouvons le plus de plaisir. Or, on voit mal
comment on pourrait éprouver du bonheur sans plaisir.
2. Thèse
Il semble donc qu’on doive considérer le bonheur, moins comme un résultat, que comme
l’activité par laquelle on est en train de réaliser un désir. Encore faut-il que cette activité soit libre.
3. Argument
En effet, nos activités sont libres si elles viennent de nous, si elles correspondent à nos
propres buts. En faisant de telles activités, nous sommes en accord avec nous-mêmes, et nous
éprouvons un sentiment de plaisir – même si nous devons pour cela surmonter des obstacles plus
ou moins pénibles. Inversement, nous ne pourrons pas être heureux si notre activité n’est pas libre,
car alors nous serons contraints de ne pas accomplir nos désirs, ce qui engendrera de la frustration.
4. Exemples – Certaines activités ont un intérêt en elles-mêmes. Ce sont surtout celles-là
qu’on peut qualifier de libres : on les accomplit pour le simple plaisir de les faire. On peut par
exemple avoir du plaisir à faire du sport, de la musique ou – aussi incroyable que cela puisse
paraître – de la philosophie, indépendamment des récompenses (victoires, prix, félicitations…) que
ces activités peuvent nous apporter.
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