L’espéranto, un nouveau latin pour l’Église et pour l’humanité
La liturgie était le principal domaine où il se pratiquait. En 1970, les universités pontificales de Rome
ont introduit l’italien partout. Bien entendu, elles ont laissé une place honorifique au latin, mais les
élèves qui ont eu le choix ont généralement opté pour l’italien. Quand, en 1970, je suis arrivé à Rome
pour des études bibliques supérieures, les professeurs ont demandé aux élèves s’ils voulaient continuer
à utiliser le latin. Ce fut un refus unanime. Quelques professeurs – surtout non Italiens – n’en ont pas
moins continué à utiliser le latin dans leur enseignement, car c’était possible. Si le nombre de leurs
étudiants ne diminua pas, c’est qu’ils étaient renommés.
Les universités pontificales doivent accepter les travaux des étudiants en six langues : latin,
italien, anglais, français, espagnol, et allemand. Dans les épreuves orales, l’examinateur doit accepter
le latin et l’italien, éventuellement d’autres langues qu’il indique lui-même. C’est ainsi que j'ai pu
passer un examen dans ma langue maternelle, le hongrois.
L’Église catholique mit fin à “l’époque latine” par l’introduction des langues maternelles dans
la liturgie. Le bon Pape Jean XXIII soutenait d’un côté l’usage de la langue maternelle, de l’autre le
maintien du latin. Bien entendu, cela ne fonctionna pas. Le futur Pape Paul VI, alors vice-secrétaire,
créa la fondation pour le latin qu’il porta au rang d’institution pontificale sous le nom d’Opus
fundatum “Latinitas” "Latinité, travail de base" par la lettre Romani sermonis "De la langue romaine"
du 30 juin 1976. Selon les informations de l’Annuario Pontificio 2000 "Annuaire Pontifical 2000", p.
2029, la fondation a pour tâche de promouvoir l’étude du latin classique et du latin d’Église, mais
aussi du latin littéraire et du latin médiéval, ainsi que de soutenir l’utilisation du latin principalement
dans les sphères de la littérature ecclésiale. Le Pape décerne lui-même tous les ans un prix
appelé Certamen Vaticanum "concours Vatican"
pour le meilleur ouvrage en langue latine de
n’importe quelle catégorie (littérature, science etc.). Le latiniste du Pape est le Père abbé augustin
(CRSA) (
) du Sud-Tyrol, Carlo Egger, qui, dans ses manuels, utilise une nouvelle méthode, fondée sur
l’idée qu’il faut enseigner le latin comme une langue vivante, et non comme une langue morte. La
fondation édite également une revue, Latinitas (
), "Latinité" dans ce but. Voici une citation extraite
de sa méthode d’apprentissage et décrivant une situation actuelle :
≪Cum, die XIII mensis Decembris anno MDCCCCLXXXIII, in placida sede domestica mea, poculum
cervisiae absorbans et fistulam nicotianam sugens, televisificum instrumentum aspicerem, rem, quam alii
forsitan flocci faciant, me nonnihil commovit. (Alors que, le 13 décembre 1983, j’étais assis devant la télévision
dans ma maison tranquille, en buvant un verre de bière et en fumant un cigare, quelque chose, qui aurait semblé
n’être rien aux yeux des autres, me troubla sensiblement.)≫
Le Père Egger crée pour le Saint Siège et pour ses publications officielles par exemple les Acta
Apostolicae Sedis "Actes du Siège Apostolique" de nouveaux mots et de nouvelles expressions en
latin. Il a même publié un Lexicon recentis Latinitatis
"dictionnaire du latin moderne"
.
Pourtant, ce n’est pas satisfaisant. Au Vatican, on parle italien partout. Les vingt et un dicastères
(c’est à dire l'équivalent de ministères) du Vatican acceptent tous les documents dans les six langues
précitées. Mais, si l’on souhaite qu’un document soit traité rapidement, on a intérêt à le présenter en
italien, parce que si tous les titulaires de fonctions du Vatican parlent italien, les autres langues y sont
moins répandues.
En ma qualité d’évêque, j’ai moi-même, plaidé à deux reprises en faveur de l’espéranto à la
place du latin lors de synodes romains. C’était lors de deux synodes extraordinaires sur l’Europe, le 29
Du meilleur ouvrage toutes catégories écrit en latin et doté d’un prix.
C'est un lexique d'environ quinze mille néologismes créés pour mettre le latin au goût du jour. Aux antipodes
de ce que permet et réalise aisément l'espéranto, les périphrases y sont fréquentes et parfois même plutôt
"lourdes". Par exemple un avion à réaction devient en latin Aeronavis retroversus impulsa, un jeu vidéo un
instrumentum lusibus televisifice exhibendis, un caricaturiste un ridicularum imaginum pictor et la danse Can-
Can Saltatio gallica. Plus curieusement encore, bikini et topless se sont parés de nouveaux atours devenant
respectivement : vesticula balnearis bikiniana et strophio carens. Quant à la traduction de machisme, elle laisse
un peu songeur: viris excellentia, "l'excellence de l'homme" avec "vir" au sens restrictif du mot homme au
masculin, de même que VIP, pour Very Important Person "Personne très importante", qui se traduit par
Amplissimus Vir. Amplissimus, c’est "très considérable" au superlatif avec la même notion restrictive du mot
"homme" dans son acception strictement masculine. Cela excluerait-il donc qu’une personne importante puisse
être une femme ?
Città del Vaticano "Cité du Vatican" : L E Vaticana, (Libreria Editrice Vaticana) – (vol. I : 1992, vol. II : 1997).