Les campagnes de l`AVFT contre les publicités sexistes en France

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Marie-Victoire Louis
Les campagnes de l'AVFT
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contre les publicités sexistes en France
1992 - 1995.
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Nouvelles Questions Féministes
Volume 18, numéros 3-4, 1997
p. 79 à 115
Si je suis heureuse d’évoquer ces campagnes, c’est parce qu’il me semble qu’en
montrant qu’il est possible d’obtenir, ponctuellement, gain de cause contre l’un des
bastions du sexisme qu’est la publicité, nous contribuons à ouvrir la voie à d’autres
succès. En outre, la capitalisation des réussites participe de la création d’un rapport
de force sans lequel les féministes -- pas plus que quiconque -- ne seront entendues.
Enfin, l’analyse des réactions des institutions concernées par la dénonciation de ces
publicités nous permet de mieux comprendre les fondements sexistes de ces
publicités. Et, pour celles qui -- découragées devant les blocages auxquels nous
sommes si souvent confrontées -- risqueraient d’anticiper sur l’échec de leurs
interventions, il n’est pas inutile de rappeler les résultats du sondage Louis Harris,
commandé à l'occasion de la journée internationale des femmes en 1995 : « 76% des
femmes veulent pénaliser les publicités qui donnent de l'individu une image dégradante »
3
.
Je vais donc présenter, dans un premier temps, les campagnes d'action que l'AVFT
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a menées pendant trois années contre le sexisme dans la publicité -- et qu’elle
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Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. BP 108. 75561 Paris cedex
12. Tel: 01 45 84 24 24. Fax: 01 44 24 81 35
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Une présentation orale de ces campagnes a été faite lors du Forum Franco-Allemand: « Femmes et
Médias », organisé par la Délégation régionale aux droits des femmes - Préfecture de la région Alsace
- et le Conseil de l'Europe. Strasbourg. 1er décembre 1996.
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Dépêche de l’AFP du 7 mars 1995.
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Ont mené ces campagnes, au cours de ces trois années, au titre de l'AVFT: Sylvie Cromer, Suzanne
Hildebrandt, Martine Léger, Marie-Victoire Louis, Adela Turin ; pour propositions, avis et critiques:
Florence Montreynaud, Monique Perrot, Nelly Trumel. Ce texte ici signé par moi est donc aussi le
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continue de mener --. Puis, j'évoquerai les principes qui ont guidé notre action. Pour
enfin, proposer la mise en oeuvre d’actions plus politiques.
PRESENTATION DES CAMPAGNES...
Bien que la notion de « résultats positifs » soit problématique dans le cadre d'actions
dont les effets ne peuvent uniquement être appréciés sur le court terme, je vais
dissocier les campagnes pour lesquelles nous avons obtenu des résultats quasi
immédiats, (trois sur les sept que nous avons lancées) de celles pour lesquelles nos
campagnes -- d'inégal investissement par ailleurs -- n'ont pas eu d’effets positifs
appréhendables .
Campagnes ayant obtenu des résultats positifs.
Monoprix. Mars 1992.
La publicité montrait une très jeune femme assise, à moitié nue, les jambes
entrouvertes, les seins à demi découverts, sous la photo de laquelle on pouvait lire le
texte suivant: « C'est quand on n'a presque rien sur soi qu'ils découvrent que l'on a plein
de choses en nous».
Une lettre ouverte, intitulée Mono-Mépris, fut envoyée à Monoprix et adressée, pour
copie, au Secrétariat d’état aux droits des femmes, au Ministère du Commerce, à la
Mairie de Paris, à la Ligue des droits de l'homme -- qui ne se sont pas suffisamment
sentis concernés pour répondre ou réagir -- à la RATP et au Bureau de Vérification
de la Publicité. En voici le texte:
« Nous refusons cette image rétrograde qui utilise les stéréotypes sur les femmes dont la seule
valeur serait d'être un corps à la disposition des hommes.
leur. L'AVFT a fait état de ces campagnes dans La lettre de l'AVFT no 3, 4 et 5.
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Nous refusons cette image dévalorisante qui contribue à entretenir une image des hommes
qui n'apprécieraient que les femmes-objets sexuels.
Nous refusons cette image inégalitaire qui ne peut que renforcer les rapports de pouvoir entre
les sexes et qui, en conférant aux hommes le pouvoir de ‘découvrir les femmes’ risque
d'accroître les violences contre elles.
Nous refusons cette image sexiste qui est une atteinte au droit à la dignité et au principe
d'égalité de tous et de toutes devant la loi.
Monoprix se targue ‘de penser à nous tous les jours’. Nous souhaitons que l'on pense à nous
avec respect. Les consommateurs et les consommatrices s'estiment en droit de ne pas être
méprisé-es.
Nous demandons à Monoprix l'élaboration d'un code de déontologie publicitaire tenant
compte de ces principes ».
Cette première initiative qui était essentiellement de dénonciation se limitait à la
demande d’élaboration d’un « code de déontologie ».
Le directeur de la communication de la Société centrale d'achat, dans une lettre en
date du 29 avril 1992, après avoir évoqué « un risque d'erreur d'interprétation de cette
communication », affirmait que leur« intention n'était pas de provoquer ni de donner des
femmes une image dévalorisante », pour enfin annoncer le retrait de cette campagne:
« La réaction de votre association me fait comprendre que cette campagne a pu dépasser le
cadre de nos communications habituelles. En conséquence de quoi, j'ai immédiatement donné
des instructions pour que cette campagne ne soit plus réutilisée».
Il faut cependant nuancer l’appréciation positive de cette réaction. Cette lettre
précisait en effet que Monoprix lançait 50 campagnes annuelles de publicité. En
outre, alors que nous avions exprimé notre souhait « qu'à l'avenir, (leur) vigilance
continue à s'exercer pour qu'aucune autre campagne de ce type ne puisse être initiée » , les
campagnes ultérieures de Monoprix ont montré que nous n'avons pas obtenu, sur
cette dernière exigence, satisfaction. Tant s'en faut.
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Les réactions de deux des institutions interpellées, le BVP et la RATP, méritent aussi
d’être connues .
- Le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP) est une association de la loi de 1901
qui « réunit des annonceurs ( parmi eux, Electricité de France, Monoprix, Renault,
Rhône Poulenc....) des agences de publicité, des supports de diffusion et des membres
correspondants, associations, fédérations, syndicats professionnels ou interprofessionnels
ayant pour but de mener dans l’intérêt du public -- notamment des consommateurs -- une
action en faveur d’une publicité loyale, honnête et véridique ».
Les pouvoirs du BVP sont importants. En matière de presse, radio, cinéma,
affichage, son avis est facultatif, mais fortement recommandé. Selon ses propres
termes, « en soumettant spontanément les messages au BVP, en s’imposant de ne pas les
diffuser si l’avis du BVP est négatif, annonceurs, agences et supports expriment leur volonté
de refuser toute publicité répréhensible... ». Son avis, en revanche est, « à la demande des
régies, obligatoire » en ce qui concerne les « films télévisés finalisés ». Enfin, le BVP peut
analyser les messages « après diffusion » sur demande d’un tiers. Il « invite alors
l’annonceur à justifier ses allégations ou à modifier ses messages afin de les mettre en
conformité avec les réglementations. En cas de refus, le BVP demande aux médias adhérents
de cesser de diffuser tout ou partie du message contraire à ses recommandations ». Celles-ci
« peuvent servir de référence aux tribunaux »
1
.
En ce qui concerne l’image des femmes dans la publicité, ses recommandations sont
les suivantes:
« Dignité. La publicité doit respecter la dignité de la femme, son image doit être utilisée dans
des conditions telles qu'elle ne soit pas de nature à heurter la sensibilité du public en général
ou de certains publics en particulier.
Provocation. L'image donnée de la femme par la publicité ne doit pas être susceptible d'être
perçue comme une provocation, notamment l'exploitation de la nudité est déconseillée.
1
Réponse de Monsieur le Ministre de l’intérieur à M. Jean Claude Lenoir - UDF - sur le contenu de
certaines rubriques de journaux distribués gratuitement. J.O. Assemblée Nationale. 23 juillet 1997.
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Utilisation systématique. La femme ne doit pas être systématiquement réduite à la fonction
d'objet publicitaire surtout lorsque l'image qui est donnée d'elle est sans rapport avec
l'utilisation du produit ou du service qui est le but de la publicité.
Rôle. La publicité ne doit pas suggérer l'idée d'une infériorité de la femme ou de réduire son
rôle à l'entretien du foyer où à des tâches purement ménagères ».
La réponse du BVP à l’AVFT doit être analysée (lettre en date du 26 mai 1992). En
effet, le BVP affirmait d’une part, qu’il « partageait tout à fait nos préoccupations
concernant l'image de la femme dans les messages publicitaires », et d’autre part que cette
publicité« ne contrevenait pas, à (leur) sens, aux dispositions de cet organisme »
1
.
En ce qui concerne le premier point, cette supposée analogie de positions repose sur
un amalgame infondé entre des positions féministes et conservatrices, voire
réactionnaires. En effet, en affirmant vouloir traiter de l’image de « la » femme, la
recommandation, en enfermant toutes les femmes dans leur identité sexuée, conforte
les logiques d’appropriation symbolique de l’image des femmes.
Par ailleurs, l’utilisation, sans autre précision, du terme de « dignité » -- dont il est
important de rappeler qu’il est employé de manière récurrente par l'extrême droite -
- est dangereuse du fait de son ambiguïté. Ce terme renvoie en effet à la notion de
« respect » que mériterait une personne, sans que les fondements sur la base
desquels ce respect serait dû, soient explicités et sans que le rapport entre ledit
respect et la question des droits des femmes soit posée. La référence, en outre, à la
notion de « sensibilité du public », confère au BVP le droit de l’interpréter, et ce, sans
contrôle. Dès lors, pratiquement toutes les représentations des femmes sont
possibles, tandis que cet organisme peut, sans avoir à justifier de ses critères
d’appréciation, privilégier tel ou tel le qu’il considère comme « suggérant l’idée
d’une infériorité ». C’est ainsi qu’il peut estimer que c’est le cas lorsque les
publicitaires réduisent le rôle des femmes « à l’entretien du foyer ou des tâches purement
ménagères », le rôle d’objet sexuel n’est même pas évoqué. L’emploi du terme
1
B.V.P. 5 rue Jean Mermoz, Paris 75008. Tel : 01 43 59 89 45; Télécopie: 01 45 61 46 90.
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