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IDENTITÉS ET PLURILINGUISME :
CONDITIONS PRÉALABLES À LA
RECONNAISSANCE DES COMPÉTENCES
INTERCULTURELLES
Geneviève Zarate
Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Paris
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SOMMAIRE
Introduction: Le propos de cette étude
1. Construction européenne et mise en relation des langues et des cultures
1.1. D’un espace d’intérêts concurrentiels à un espace démocratique commun
1.2. Espace politique européen et socle de valeurs communes
1.3. Le décalage entre les affirmations de principe et les réalités tangibles
2. Le modèle de l’intermédiaire culturel
2.1. L’égalité des cultures, rencontre entre un principe politique et un principe
anthropologique
2.2. De la dualité antagoniste à la mise en relation des langues et des cultures
2.3. L’activité de médiation
3. La reconnaissance des compétences interculturelles : ambiguités actuelles du
Cadre européen commun de référence
3. 1. Les ambiguïtés des champs conceptuels en usage
3.2. Améliorer la précision de la terminologie de référence
3.3. Instaurer une égalité de fait dans la description des cultures
4. Organiser un espace d’échanges symboliques
4.1. Un espace symbolique d’échange
4.2. Compétences transversales et compétences dépendantes d’une langue
4.3. La valorisation de la pluralité identitaire : les potentialites du portfolio
Conclusion: Pistes de travail
Bibliographie
.
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Introduction: Le propos de cette étude
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Dans le sillage des réflexions déclenchées par l’Année européenne des langues, les
propositions qui suivent adoptent une visée prospective. Elles ne se donnent pas
seulement pour objet d’aménager des propositions didactiques déjà existantes, elles
tentent aussi d’amorcer un débat qui, sans souhaiter la rupture avec les positions que le
Conseil de l’Europe développe depuis plus de 30 ans, accompagne les changements
structurels d’une Europe déjà juridiquement constituée, mais en évolution.
Partant des modèles didactiques existants, ces propositions tentent d’ajuster ces réalités
à un modèle européen promouvant une identité européenne commune et une
« citoyenneté active ». Dans un contexte en mutation, la dimension interculturelle y
trouve un sens, distinct de celui qui lui a été attribdans les premiers travaux du
Conseil de l’Europe, il y a 30 ans. La prise en compte des compétences interculturelles
dans le marché européen des certifications linguistiques, demande une réflexion
préalable pour mieux les définir et préciser les conditions de leur reconnaissance
institutionnelle, au regard des évolutions en cours. Cette réflexion n’est ici qu’initiée.
Les conditions politiques et didactiques qui rendent possible une circulation
transfrontalière de ces compétences sont ici évoquées. Elles sont le préalable à la mise
en place d’un espace permettant la circulation transfrontalière des compétences
interculturelles, à leur reconnaissance réciproque et à leur transfert, dans une économie
des compétences plurilingues.
Amenant une dimension identitaire, implicite dans le Cadre européen commun de
référence et dans le Portfolio, orienté vers la définition de compétences
communicatives ET interculturelles, ce texte est centré sur la mise en valeur des
bénéfices symboliques qui peuvent être escomptés en pariant sur une pluralité
culturelle revendiquée et souligne notamment
l’apport conceptuel des sciences sociales en général, et de l’anthropologie en
particulier, dans la remédiation aux conflits identitaires nationaux ou ethniques
ce que le débat didactique gagne en crédibilité en misant sur l’explicitation des
relations symboliques que les langues et les cultures entretiennent entre elles
les compétences liées à l’activité de médiation linguistique et culturelle
le rôle possible du Portfolio dans la reconnaissance transfrontalière de ces
compétences.
1. Construction européenne et mise en relation des langues et des cultures
1.1. D’un espace d’intérêts concurrentiels à un espace démocratique commun
Structuré par les relations de concurrence idéologique existant entre grandes puissances
pendant la période coloniale et post-coloniale (universalisme, capitalisme /
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Initialement intitulé Certifications linguistiques en contexte européen et transfert de compétences
interculturelles : conditions pour l’émergence d’un cadre didactique, ce texte, remis en décembre 2000 à la
Division des langues vivantes du Conseil de l’Europe à sa demande, a fait l’objet d’une relecture attentive de
M. Byram, chef de projet. Qu’il soit ici remercié pour ses remarques. Celles-ci et la parution du Cadre
commun de référence pour les langues dans son édition 2001 ont entraîné de substantiels remaniements.
Dans la logique de ce remaniement, le titre initial a été lui aussi modifié.
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marxisme…), l’espace de diffusion des langues européennes hors de leurs frontières
nationales était soumis à des conflits d’influence qui avaient pour objectif la promotion
de systèmes de valeurs politiquement orientés. La construction d’une identité
européenne, objectif politique affiché pour tous les pays européens, repose sur un
principe fondateur : celui de valeurs partagées, qui ont un socle commun, constitué par
les valeurs mocratiques. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe reconnaît
en ces termes cet espace commun : « par son élargissement à de nouveaux États
membres qui ont rejoint la famille des mocrates pluralistes, fondée sur l’État de droit
et le respect des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe s’est fermement engagé
dans la dimension paneuropéenne »
2
. Comment se recompose la tradition didactique,
dès lors qu’un principe de solidarité idéologique se met en place entre pays autrefois
concurrents ? Comment peut se traduire cette volonté politique commune au niveau des
valeurs véhiculées dans l’enseignement et l’apprentissage des langues ?
La notion de transfert, abordée d’abord dans le cadre large de la didactique des langues
en général, dans le cadre plus spécifique du questionnement interculturel ensuite, est ici
envisagée comme un instrument permettant la reconnaissance d’une communauté
d’intérêts, espace commun où s’échangent et sont validées des compétences construites
dans des contextes culturels différents, complémentaires les unes des autres. Leur mise
en relation coordonnée contribue à la construction d’une « identité démocratique »
commune. Dans le prolongement de la construction économique et politique de
l’Europe, placée sous le signe d’une « identité européenne » commune, les
interrogations qui se lisent sous le terme d « identité mocratique » peuvent être
interprétées comme le besoin d’approfondir un débat qui se place désormais sous le
signe du partage de valeurs culturelles communes.
1.2. Espace politique européen et socle de valeurs communes
Dans les principes fondateurs de l’Union Européenne, la volonté de construire un
espace de valeurs communes est un des principes fondateurs du Traité de Maastricht
(1992) et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union (2000). Ainsi, dans cette
dernière : « Les peuples de l’Europe, en établissant entre eux une union sans cesse plus
étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes ».
Selon le programme d’action du Comité de l’éducation du Conseil de l’Europe (1997-
2000), la mise en place d’un socle de valeurs communes européennes passe par le
développement de l’individu, thématisé en termes de « sécurité démocratique », de
« cohésion sociale », de « mobilité personnelle » accrue et d’« échanges » intensifiés
3
.
Dans le cadre du projet langues vivantes, cette thématique nouvelle s’articule avec le
Cadre européen commun de référence et le Portfolio Européen des Langues. La
recherche d’une définition commune des compétences et les outils permettant leur
reconnaissance transfrontalière sont centraux dans la conception de ces deux outils de
référence. Cependant dans les deux documents, les compétences liées à la dimension
interculturelle n’ont qu’une visibilité réduite.
2
Sur la stratégie culturelle du Conseil de l’Europe. 1995 Résolution (95) 38, adoptée par le Comité des
ministres du 7 décembre , lors de la 551e réunion des Délégués des Ministres.
3
Une stratégie pour l’action : les priorités du CDCC pour 1997-1999. 1997 Strasbourg, Conseil de la
Coopération Culturelle, janvier CDCC (97) 2. p. 11.
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Le souci de mettre en oeuvre une reconnaissance transfrontalière des compétences
ouvre un champ de réflexion et d’action en didactique des langues qui met au premier
plan des notions de « citoyenneté », de « patrimoine », de « mobilité géographique »,
de « diversité culturelle et linguistique ». Ces notions sont communes au Conseil de
l’Europe et à l’Union européenne.
1.3.Le décalage entre les affirmations de principe et les réalités tangibles
Nous posons ici en préalable que, pour atteindre ces objectifs, l’espace politique
européen doit identifier ses fractures pour mieux les réduire. Fracture historique entre
une Europe candidate à l’intégration à l’Union Européenne et une Europe déjà
économiquement et juridiquement constituée. Fracture économique et sociale entre
ceux qui ont, ou se reconnaissent, la possibilité de vivre une période de mobilité
transfrontalière et ceux pour lesquels l’expérience du séjour hors des frontières
nationales est tout simplement impensable. Fractures politiques et identitaires qui
justifient des conflits territoriaux et des cristallisations identitaires qui utilisent les
catégories ethniques et religieuses pour instituer des peuples et des États.
Exemple de cette prolifération identitaire, le cas de la Bosnie Herzégovine, où après les
accords de Dayton, cohabitent des stratégies d’identification à une communauté soit
bosniaque, soit serbe, soit bosnienne, et où disparaît la référence au serbo-croate, au
profit d’une nouvelle codification de la langue, soit croate, soit serbe, soit bosniaque.
Exemple de la complexité identitaire de ce contexte, l’usage qui était fait du terme
« Musulmans » qui désignait, avant les accords de Dayton, les populations islamisées
de langue serbo-croate qui étaient considérées officiellement, dans l’ancienne
fédération yougoslave, comme un groupe national. Mais ne faisaient pas partie de cette
définition les Albanais et les Turcs Musulmans de confession.
A l’instar de ce qui avait été bâti dans le cadre des relations franco-allemandes dans les
années 60, pour conjurer trois guerres communes (1870, 1914-18, 1939-45), et qui
avait donnaissance à l’Office Franco-Allemand de la Jeunesse, on prendra comme
hypothèse de départ pour ces propositions, qu’un conflit passé, reconnu parce que
nommé, a plus de chance d’être dépassé qu’un conflit refoulé, et inscrit dans une
mémoire honnie. L’identification du décalage entre des affirmations de principe et les
réalités sociales attestées constitue donc un préliminaire aux propositions qui suivent.
2. Le modèle de l’intermédiaire culturel
2.1. L’égalité des cultures, rencontre entre un principe politique et un principe
anthropologique
L’Union européenne s’est dotée d’une politique culturelle propre. Le Traité de
Maastricht propose une finition de la culture (Titre IX article 128). Deux niveaux y
sont codifiés par le gislateur : une culture européenne commune, des cultures
nationales, préservées par la notion de souveraineté nationale. L’« amélioration de la
connaissance et de la diffusion des cultures des États membres » fait partie des
objectifs visant à la constitution d’un socle de valeurs communes.
Ce principe politique est relayé par un principe anthropologique acquis, dès le milieu
du siècle dernier, antidote aux usages politiques du racisme et de l’exclusion sociale,
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