l’intérêt par exemple de la sociologie et de la science politique), et/ou qui développe l’aptitude à
penser par soi-même (d’où l’intérêt de la philosophie).
Par ailleurs les savoirs n’émanent pas seulement des universités et des laboratoires de recherche.
Il y a des savoirs pratiques, d’expérience : ceux des professionnels acquis sur le terrain, par
exemple en entreprise ; ceux aussi acquis par et dans une pratique sociale, politique, syndicale,
associative. Ces derniers peuvent être des savoirs critiques (ex : formaliser l’exploitation au
travail, savoir organiser une manifestation). Les savoirs universitaires les ont longtemps ignorés
ou méprisés, parce qu’ils n’obéissent pas aux critères des savoirs élaborés scientifiquement : ils
n’en sont pas moins des savoirs, qui permettent, comme les autres savoirs, de comprendre le
monde et de le transformer. Ils sont davantage reconnus aujourd’hui comme un réel type de
savoir, non académique certes, mais apportant de l’intelligibilité au réel, et des clefs pour
l’action.
- D’où la troisième question, éclairant la seconde : quelle conception du savoir diffuser dans
une UP ?
Je viens de parler des savoirs critiques, tant universitaires que d’expérience. Mais il y a un aspect
plus épistémologique.
La conception d’un savoir définitif qui s’impose à tous les êtres rationnels et que l’on doit
diffuser ne correspond plus à l’épistémologie du 20ième siècle. Le savoir n’est plus considéré
comme une vérité absolue, mais relative, bien que non arbitraire parce que faisant
l’administration de la preuve dans la communauté internationale des experts sur la question. C’est
l’aboutissement d’une discussion où la démarche et le résultat (hypothèse, théorie…) font
provisoirement consensus, car on ne peut pour l’instant en falsifier l’aboutissement, mais qui
seront tôt ou tard réinterrogés.
Conclusion : on ne peut proposer dans une UP un savoir comme clos, définitif, absolu, sans sa
démarche et les questions méthodologiques qu’elle soulève. Il y faut déontologiquement une
vigilance. C’est au nom de ce principe de précaution épistémologique que l’on peut
déconstruire bien des savoirs prétendus tels, donc criticables dans leur prétention dogmatique.
Ceci est important quand il s’agit de diffuser des savoirs critiques, pour faire contrepoids à des
préjugés ou à des « vérités officielles ». La contre expertise prend du sens dans un souci militant,
pour relativiser les savoirs actuels, ou de pseudo-savoirs utilisés à des fins idéologiques.
Mais l’engagement lui-même ne doit pas en rabattre sur l’exigence scientifique de rigueur.
Opposer un contre savoir à un savoir « dominant » est une tâche délicate, car la certitude du bien
fondé d’une cause ne peut jamais, d’un point de vue épistémologique, et pas seulement politique,
tenir lieu de démarche critique. Sinon, on retombe dans l’idéologie qu’on dénonçait, en
instrumentalisant le savoir, en faisant simplement d’un pseudo savoir un contre pouvoir.
Tout ce raisonnement ne tient évidemment que si le savoir peut être objectif : ce qui est fortement
contesté dans les sciences sociales, où il n’apparaît pas comme neutre, mais contextualisé et
instrumentalisé.
Mais si la science est alors (n’est alors qu’) une pratique sociale, qu’en est-il de son objectivité ?
S’il n’y en a plus guère, on ne peut en conséquence se réclamer de son objectivité pour trancher,
et tout n’est qu’idéologie.
Mais alors peut-on encore vouloir diffuser le savoir dans une UP ? Une position purement
idéologique de la science ou purement relativiste (et non relative) de la vérité nie le concept
d’Université Populaire. L’idée d’une Université Populaire suppose qu’il y ait du savoir élaboré
et digne d’être diffusé. Mais alors la rigueur scientifique et la vigilance épistémologique
s’imposent, surtout quand on est militant…