Le premier moment a marqué les années 70 : centré sur le sujet éduqué et la libération de son
expression, il rabat la logique des programmes d’études sur une logique d’expressivité, de
créativité, de croissance personnelle, bref, sur une « logique subjective »; c'est l'âge de la
psychopédagogie, du maître animateur, de la primauté donnée aux activités de libre
expression. En termes esthétiques, ce moment est tributaire des thématiques romantiques et
expressionnistes, avant-gardistes, libertaires ; c’est plutôt un mélange un peu confus de tout
cela, où domine le thème de l’expression libre soutenu par des considérations psychologiques
et psychanalytiques. L’art et la culture, entendus comme patrimoine, n’y ont pas la plus
grande part. Comme si l’art et la culture étaient bien plus dans le regard, dans le sujet, que
dans des objets et des formes. Il s’agit d’une conception proche de la conception pragmatique
et subjective de la culture, telle qu’on peut la trouver par exemple sous la plume du
philosophe américain John Dewey : « Si nous essayons de définir la culture, nous arriverons
à la concevoir comme le pouvoir, disons l’habitude acquise, de notre imagination, de
contempler dans des choses qui, prises isolément, se présentent comme purement techniques
ou professionnelles, une portée plus vaste, s’étendant à toutes les choses de la vie, à toutes les
perspectives de l’humanité
». On trouve quelque chose de semblable dans la définition que
donne le psychanalyste Winnicott de la créativité : « Il s’agit avant tout, dit-il, d’un mode
créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être
vécue
».
1.2.
Le second moment est au cœur des années 80. Mot d’ordre : retour aux savoirs, aux
« contenus » de l’enseignement, centration sur les savoirs et les apprentissages scolaires, la
transmission et l’appropriation des savoirs. Réaction, sans doute, à l’excès de subjectivité du
moment précédent. Mais ce rappel à l’exigence du savoir s’effectue alors sous le signe d’une
rationalité technicienne. Il marque la prise de conscience de ce qu’on a appelé « la société
cognitive », de l’entrée dans la société cognitive. C'est l'âge des savoirs didactisés, et du
maître ingénieur, de la logique didactique, et même de la multiplication et de la spécialisation
des didactiques. On parle même d’une « didactique des arts plastiques », par exemple.
Que pouvaient bien être dans cette perspective l’éducation artistique et les disciplines de la
sensibilité, la place de l’art et de la culture en éducation, sinon une oscillation entre le
John Dewey., « L’éducation au point de vue social », L’année pédagogique, Paris, Alcan, 1913.
David Winnicott, Jeu et réalité (1971), Paris, Gallimard, 1975 (traduction française), p. 91.