respectives pour parvenir à la véritable synthèse théâtrale 5. De Burian Josef Svoboda a dit qu'il était l'homme qui avait fait sur lui la plus forte impression 6, il a aussi écrit en 1962 que le travail de Burian et sa conception du rôle de la scénographie demeuraient un exemple sur lequel nous pouvions continuer à nous appuyer 7. Mais Svoboda n'a travaillé ni avec Frejka, ni avec Burian alors que sa connaissance de Honzl est une connaissance directe et pratique, acquise au cours du travail scénique. Ce n'est pas sans une certaine fierté intérieure qu'il évoque l'époque où J. Honzl lui fit j'honneur de l'inviter, lui, le jeune décorateur de vingt-six ans, à créer sa première scénographie au Théâtre national pour La Vie des insectes des frères Capek (1946) qu'il mettait en scène. Cette collaboration devait se poursuivre jusqu'à la mort de Honzl, notamment pour la réalisation du Revizor de Gogol (1948). En Honzl Svoboda rencontra non pas seulement un remarquable metteur en scène, mais un des meilleurs connaisseurs du théâtre russe des années vingt, un de ceux qui comprirent le mieux la signification profonde des efforts d'un Meyerhold, d'un Taïrov ou d'un Vakhtangov et aussi sans doute l'un des plus importants théoriciens de théâtre du vingtième siècle, quand bien même son œuvre théorique demeure pratiquement inconnue des spécialistes occidentaux, qu'ils soient latins, anglo-saxons ou de culture germanique 8. « Honzl », déclare Svoboda « est un homme qui m'a appris à connaître la théorie du théâtre ». Sans doute Svoboda se défend-t-il d'être un théoricien alors qu'il définit avec une remarquable clarté sa conception du rôle de la scénographie dans le théâtre des années soixante, sans doute sa connaissance des théories du théâtre relève+ elle plus de l'échange verbal que de l'étude méticuleuse des écrits théoriques des praticiens, des historiens et des philosophes. Il n'en reste pas moins que Svoboda, l'homme de la pratique qui préfère l'exemple concret à la réflexion abstraite et pour qui les rêves n'ont de valeur que pour autant qu'il les matérialise, Svoboda ne rompt pas avec ses précurseurs. Sa démarche et ses recherches les plus audacieuses poursuivent une tradition, mais sa capacité d'invention et l'application des techniques de son temps lui permettent de faire de la scénographie un langage au pouvoir nouveau dont il ne cesse d'enrichir l'alphabet. 5. « La synthèse théâtrale» «< Divadelni synthesa ») est justement le titre d'un essai de BURIAN publié dans Nova ceska scéna, op. cit., p. 43-44. À propos de Burian on pourra consulter, outre les ouvrages précédemment cités, Adolf SCIHERL, Emil Frantisek Burian, Berlin, Henschelverlag, 1966, et A. SCIIERL« Le problème de la synthèse théâtrale dans l'œuvre de E. F.Burian » in Revue d'Izi,\,toire du théâtre, Paris, 1967-2, p. 164-170. 6. Cf. « Designing for the stage. Josef Svoboda, pictured with Sir Hugh Casson, talks to Charles Spencer », in Opera, Londres, août 1967, p. 631. 7. Cf. J. SVOBODA, « Nouveaux éléments en scénographie », in Scénographie. Le Théâtre en Tchécoslovaquie. Prague, Oivadelni ustav, 1962. p. 58. 8. Outre les ouvrages précédemment mentionnés, consulter à propos de J. Honzl, M. OUST, « Les idées théâtrales théoriques de Jindi'ich Honzl », in Revue d'histoire du théâtre, Paris, 1967-2, p. 158- 1 63. 16 UNE DÉMARCHE Pour Les Trois Sœurs de Tchékhov des paravents et un fond gris, que complètent tantôt des meubles et tantôt quelques branches artificielles suspendues. Pour La Femme sans ombre un vaste escalier en deux surfaces semicirculaires qui s'opposent et le jeu de projections fluides de taches colorées et mystérieuses sur des formes aiguës ou que définit un contour curviligne. Pour Intolleranza de Luigi Nono une multitude d'écrans que viennent frapper autant de documents politiques et d'images animées qui en disent long sur un monde en proie aux haines raciales et aux formes d'exploitation les plus raffinées. Pour Hamlet des blocs d'un gris anthracite qui, sans âge - d'hier et d'aujourd'hui - se décomposent et recomposent pour instaurer dans sa dangereuse beauté barbare l'univers-piège où vit le Prince de Danemark ... On pourrait multiplier les exemples. À première vue aucune unité de style dans l'ensemble de la création de Josef Svoboda, mais une extraordinaire variété, un étonnant pouvoir d'invention, une imagination créatrice sans cesse en éveil. Est-il expressionniste, constructiviste, réaliste, surréaliste ?... Aucun de ces termes ne permet de le définir, car ils impliquent l'existence de styles aux caractères précis, et le travail de Josef Svoboda ne saurait être rangé sous la bannière de l'un ou l'autre de ces styles quand bien même certaines de ses productions en recèlent des traces. Pas plus que l'ensemble de ses créations aucune de ses réalisations n'est réductible à l'une de ces formules toutes faites chères aux amateurs de classifications simplistes. Il est vrai que durant les premières années cinquante Svoboda dut sacrifier aux platitudes d'un réalisme faussement qualifié de « socialiste », mais à ce moment où toute tentative qui rompait avec le style officiel risquait d'être taxée de formalisme, Svoboda n'abandonna pas pour autant la recherche au niveau de l'expression, ainsi qu'en témoignent ses réalisations du Lumpazivagabundus de Nestroy en 1952, ou de Rigoletto de Verdi en 1954. Il n' y eut pas à proprement parler de rupture dans son travail, même s'il se vit parfois contraint de respecter les critères d'un style qui réduisait le rôle de la scénographie à une pure illustration descriptive. La variété de la production de Svoboda se situe à plusieurs niveaux et concerne divers domaines. Variété d'une époque à l'autre, d'une œuvre à l'autre, d'une réalisation à l'autre de la même œuvre ainsi qu'on peut le constater à la lumière des douze scénographies différentes qu'il eut l'occasion de concevoir pour le classique tchèque de l'opéra, La Fiancée vendue. Son besoin de variété le conduit à choisir des formules scénographiques telles que dans un même théâtre, 17 qui impose ses contraintes spatiales et techniques, le spectateur ne soit pas victime de la monotonie de solutions répétées, qu'à chaque spectacle i] découvre au contraire un arrangement scénique qui lui permette de percevoir J'action dramatique dans des conditions inédites. Exemple: le Divadlo za branou de Prague qu'anime O. Krejca, l'un des principaux «partenaires» de Svoboda, est doté d'une scène difficile, dont les structures peuvent paraître limiter l'invention du scénographe; Svoboda tourne la difficulté: des Trois Sœurs au Perroquet vert d'Arthur Schnitzler en passant par La Corde à un seul nœud d'après Nestroy il propose successivement de nouvelles organisations spatiales. Dans Les Trois Sœurs il joue sur une rigoureuse architecture de toile aux proportions cinémascopiques; pour La Corde à un seul nœud il conçoit un dispositif au fond mobile courbe qui projette l'action vers le public en même temps qu'il se raccorde directement aux parois latérales de la salle qu'il paraît prolonger. Pour Au Perroquet vert il écrase l'action sous une vaste voûte qui lui confère une densité accrue. Cette variété est sensible jusque dans les esquisses dont les techniques diffèrent (gouache, peinture vaporisée, huile, pastel, collage, etc.) et semblent indiquer à l'avance les modes de réalisation scénique. Elle se manifeste également à travers ces modes: tout se passe comme si toute pièce se présentait à lui sous la forme d'un problème à résoudre et que les éléments de ]a solution soient autant d'inconnues à découvrir, à choisir et à combiner. Chaque pièce posant son problème propre réclame la solution qui convient à lui seul, qu'il s'agisse des moyens d'expression ou des techniques à mettre en œuvre. L'absence d'un style prédéterminé correspond chez Svoboda au refus de se figer, au désir de rejeter tout apriorisme qui porte en lui des germes de sclérose. Il dénote une forme d'esprit, il témoigne d'une attitude artistique. Les conceptions traditionnelles classent les acteurs selon des catégories d'emplois: «jeunes premiers », «valets de comédie », « soubrettes », etc. Nombre de directeurs de théâtre et de metteurs en scène procèdent face aux décorateurs de théâtre, comme s'il existait des « emplois» en ce domaine: le talent pictural de celui-ci conviendrait à la légèreté de Mozart, le monumentalisme de celui-là en ferait le décorateur rêvé de Verdi, et tel autre à l'imagination débridée serait le scénographe idéal des œuvres surréalistes. C'est ainsi que se constitue dans certains pays une sorte de marché des décorateurs de théâtre dont le choix repose sur des critères qui évoluent avec la mode. Josef Svoboda, même s'il lui arrive de rejeter des œuvres qu'il ne «sent» pas, n'est pas le décorateur d'un emploi, ni celui d'un répertoire à orientation unique. Par esprit, par principe et par goût il « (appartient) à un théâtre dont l'horizon est très large. Certains metteurs en scène choisissent », déclare-t-il, «des œuvres qui correspondent à une seule forme scénique. Ce n'est pas mon cas» 9. Cette diversité n'est point signe d'éclectisme, mais reflet d'une sensibilité ouverte à toutes les formes de dramaturgie (de Tyl à Kundera et de Shakespeare à Miller) ou d'écriture lyrique (de Mozart à Luigi Nono et Carl Orff en passant par 9. Josef SVOBODA cité dans mon articlc « Technique, cs pace et lumière, les trois atouts de Josef Svoboda », in Théâtre, Paris, 15 janvier 1964, p. 9. 18 Verdi, Wagner et .Ianacek). Cette sensibilité est le don de savoir oublier ce qu’on a fait, de s'oublier soi-même, d’être totalement disponible face à l'œuvre théâtrale. L'un de ses aînés, Teo Otto, qui fut aussi l’un des plus grands scénographes de notre temps et dont le nom reste lié à l'élaboration des techniques scénographiques du théâtre épique alors même qu'il savait les ignorer lorsqu'il travaillait pour Strindberg ou Stravinsky, aimait à déclarer: «Quand je fais un décor je dois oublier tout ce que j'ai fait auparavant. Tout auteur réclame des moyens spécifiques. Si le décorateur a un style défini au théâtre il devient un maniériste. Il ne faut pas se lier aux principes ». 10 Voilà une formule que Svoboda pourrait contresigner. On comprend dans ces conditions que Svoboda aime particulièrement travailler pour des pièces qui n'ont jamais été montées et lui offrent la possibilité de matérialiser pour la première fois leur univers dramatique. D'où le plaisir qu'il éprouve à rappeler son travail de création commune avec O. Krejca pour Les Propriétaires des clefs de Milan Kundera et pour les pièces de Josef Topol, d'où aussi l'intérêt que présente à ses yeux la scénographie destinée aux créations d'opéras modernes (Intolleranza de Nono ou Atomtod de Manzoni). Ceci dit, devant les classiques ou les œuvres récentes déjà créées Svoboda sait se mettre en état de réceptivité. Dans les premières années de sa carrière il lui arriva de regarder comment d'autres décorateurs avaient résolu les problèmes que lui posait une œuvre théâtrale, ne fût-ce que pour ne pas choisir des solutions voisines des leurs. Mais très vite il abandonna cette pratique car il s'aperçut que ses propres solutions n'étaient pas alors aussi bonnes qu'elles auraient pu et dû l'être, sa liberté s'étant trouvé limitée. Comme il le dit, la source d'inspiration de toute réalisation théâtrale réside dans l'œuvre elle-même et dans la vie. Il lit donc le classique d'un œil totalement neuf, l'esprit libéré de tous les clichés déposés par les traditions, ceux qui embourbent les explications officielles des œuvres, ou les clichés plastiques que révèlent leurs interprétations successives. Il s'empare de l'œuvre sans apriorisme, il la pénètre pour la déchiffrer, il s'en pénètre pour en saisir les tensions, l'atmosphère et le rythme. Svoboda se méfie des rhétoriques. Ce n'est point lui qui déclarera: Shakespeare exige tel type de scénographie et telles solutions techniques, ou : Dürrenmatt réclame l'application systématique de tel ou tel principe. Chaque œuvre doit lui livrer son secret à dévoiler au moyen de procédés particuliers. S'il lui arrive d'avoir une vision globale d'un auteur dramatique et d'éprouver le besoin d'appliquer des solutions très voisines dans la réalisation de plusieurs de ses pièces, la raison en est que l'appréhension directe de chacune d'elles lui a montré qu'elles avaient en commun une atmosphère spécifique. Svoboda se fie à l'expérience et n'accepte pas de se lier à des théories. Prenons un exemple précis: l'histoire du théâtre au vingtième siècle est celle d'une révolte contre l'illusion et certains scénographes d'aujourd'hui font tout pour la bannir systématiquement du plateau. La position de Svoboda est beaucoup plus nuancée et réaliste: il rejette l'illusionnisme en tant que principe, mais il ne refuse pas 10. « Teo Otto et la technique théâtrale », in Théâtre, Paris, février 1960, p. Il. 19 dans leur jeu contrapunctique et les modes de représentation utilisés par le scénographe. II est vrai qu'il aime la magie lorsqu'elle lui paraît nécessaire, notamment dans certains ballets ou opéras qui relèvent plus ou moins directement de la féerie ou du conte symbolique: L'Oiseau de feu, La Femme sans ombre ou Obéron. Mais sa prise de position trouve son origine profonde dans sa conception générale du fonctionnalisme de la technique scénique: une technique véritablement fonctionnelle est une technique qui paraît absolument naturelle et ne concentre pas sur elle l'attention d'un spectateur qui chercherait à s'en expliquer les rouages; le désir de montrer à tout prix l'appareillage technique relève trop souvent d'un parti pris intellectualiste et de théories préconçues: « Je ne veux pas montrer la doublure de mon veston, déclare plaisamment Svoboda, (…) j'aime beaucoup le théâtre et j'aime beaucoup n'être qu'un simple spectateur. J'aime l' harmonie générale du spectacle, mais je n'aime pas qu'on me présente sur la scène des recherches intellectuelles, ni que les metteurs en scène et les décorateurs veuillent y montrer combien ils sont intelligents ... «La scénographie est une grande aventure pour moi parce qu'elle m'impose de rechercher la meilleure forme et les meilleurs moyens, mais ce ne sont pas ces moyens que je veux montrer au public» 17. Si catégorique que soit cette prise de position, Svoboda est pourtant trop fidèle à l'expérience concrète pour l'ériger en un système absolu qui risquerait d'être arbitraire et il ne craint pas l'exception: une forme dramaturgique ou une pièce particulière, une mise en scène précise lui paraissent-elles exiger la visibilité de l'appareillage technique, il ne se sent pas lié par son option de principe. La technique visible n'est pas alors un moyen de dénaturaliser la scène (il connaît suffisamment d'autres méthodes pour y parvenir), mais un facteur d'expression qui s'intègre à l'ensemble de la représentation et joue par rapport aux autres éléments du spectacle. Dans Les Contes d'Hoffmann (1946), dont la réalisation se fonde sur un jeu de contrastes à tous les niveaux, qui portent même sur l'emploi simultané de techniques scéniques dont les unes appartiennent à la scène à l'italienne traditionnelle et les autres aux systèmes les plus modernes, les projecteurs visibles participent à l'instauration d'un univers fantastique. Dans Le Mariage de Gombrowicz, dont il réalise la scénographie pour le Schiller- Theater de Berlin en 1968, l'immense miroir transparent qui coupe diagonalement la scène en deux zones est dominé d'une série de projecteurs entièrement visibles dont les faisceaux se partagent les deux aires de jeu combinées: leur apparence matérielle et technique, leur caractère instrumental, ne font que renforcer par contrepoint le mystère de ce drame qui joue sur l'opposition entre le rêve et la réalité et les relations entre les différentes couches d'un monde onirique. Si l'on veut comprendre véritablement la part de la technique dans l'œuvre de Svoboda et la fonction qu'elle y occupe, il faut se rappeler qu'elle n'est jamais pour lui une fin en soi, mais un auxiliaire ]8. Son rôle et l'importance de son mécanisme sont strictement déterminés par l'œuvre théâtrale et la mise en scène 17. J. SVOBODA. dans notre article « Technique ... ». lac. cir., p. 10. 18. Ainsi qu'il l'a déclaré au cours de J'exposé qu'il a présenté lors de la première Quadriennale internationale de Scénographie de Prague en 1967. 24 qui en est prévue. Svoboda est capable de recourir aux mécanismes les plus compliqués comme de refuscr pour telle ou telle pièce (Les Trois Sœurs de Tchékhov ou Les Anabaptistes de Dürrenmatt) un appareillage qui lui paraît totalement inutile. Chaque œuvre est un cas particulier qui doit trouver ses solutions précisl:s Il l'intérieur d'une conception générale de la scénographie. Lorsqu'en 1967 se déroula à Prague la première Quadriennale internationale de Scénographie, un colloque d'hommes de théâtre et de spécialistes confronta les opinions sur la collaboration du metteur en scène et du scénographe et les formes qu'elles pouvait prendre. Otomar Krejca l'ouvrit en prononçant un exposé qui lui donna l'occasion à plusieurs reprises d'évoquer la personnalité et le travail de son ami Josef Svoboda: «Je sais », dit-il, «que Svoboda n'hésitera pas, si la mise en scène l'exige à allumer sur la scène un seul projecteur ou à y placer une unique chaise, comme au contraire à mettre en mouvement jusqu'aux miroirs des vestiaires ( ... ). «Je collabore depuis le début de mes expériences de mise en scène avec l'architecte Svoboda. La critique caractérise habituellement l'essence de son œuvre par de nouvelles inventions scientifiques et techniques qui n'ont pas encore été utilisées avec succès dans le théâtre. Il est peut-être intéressant de constater que notre théâtre est au contraire très éloigné de toute modernisation en son domaine, qu'il n'adhère à aucune des conceptions poétiques ou dramatiques. qu'elles soient permanentes ou de saison, qui passionnent le théâtre mondial. Nos procédés de "dramaturgie" ou de mise en scène ont peu de choses en commun avec le technicisme de la civilisation contemporaine. En dépit de cela, ou peut-être à cause de cela, notre association avec Svoboda est pour nous très fertile. Dans sa collaboration avec nous Svoboda n'a jamais essayé de transférer mécaniquement à la sphère du théâtre les possibilités d'autres domaines. Sa passion pour la civilisation mécanique contemporaine, pour les nouvelles matières, les inventions dans les domaines de l'éclairage, de la communication et du mouvement, ne lui a jamais fait perdre de vue l'élément humain. Il s'intéresse avant tout à l'influence de l'éruption scientificotechnique de notre temps sur 1 'homme. Il comprend et honore l'humanisme, la culture et le poids philosophique du technicisme d'aujourd'hui, mais il voit sa cruauté, sa démence et son horreur. Il ne professe pas sur la scène la religion du technicisme, pour lui la valeur fondamentale réside dans les relations humaines et la capacité que possède le talent artistique de créer une nouvelle réalité authentique ( ... ). (Svoboda) ne considère pas comme une limitation les exigences de la mise en scène et du style du théâtre qui semblent parfois restreindre sa liberté d'expression. Il accepte même la scène inadéquate, avec laquelle nous sommes obligés de travailler actuellement, comme une nécessité qu'il faut utiliser dans l'intérêt de l'œuvre» 19. L'attitude de Svoboda n'est donc pas déterminée par un système qui l'enfermerait dans un carcan, mais par un double souci d'adaptation aux œuvres, d'exploration et de choix des moyens d'expression. Aucune rigidité théorique, mais une cohérence fondamentale que l'on retrouve au niveau de l'emploi des matériaux. 19. Exposé d'Otomar KREJCA. Procès-verbal dactylographié du colloque fourni par le Divadelnf ûstav de Prague, pp. 18-20. 25 de théâtre» et qui seul peut permettre de «concurrencer le cinéma et la télévision» 23. Forme spéciale de communication, contact où se mêlent étroitement l'intelligence et la sensibilité, réseau complexe de rapports physiologiques et mentaux. Cette attitude aussi explique la diversité des créations de J. Svoboda comme elle aide à comprendre son désir d'être non pas « moderne », qualificatif dont la signification lui paraît dangereuse, prétentieuse et ambiguë mais, au plein sens du terme, « actuel ». Qu'est-ce qu'un «décor de théâtre» au sens traditionnel du terme ? C'est la représentation (réaliste ou stylisée, peu importe) de l'univers dans lequel se déroule la pièce ou l'acte. C'est l'évocation d'un lieu, ou d'un cadre, par des moyens picturaux et plastiques, descriptifs et illustratifs. C'est le support matériel de l'image scénique, le fond du tableau. Le terme « décor» implique l'idée d'une technique et d'un art au service d'une donnée ou d'une structure préétablie. Le décorateur enjolive, meuble, complète des volumes et des surfaces pour le plaisir de l'œil et l'agrément de la vie quotidienne. Le décorateur de théâtre «remplit» (le terme est du peintre et décorateur de théâtre français Félix Labisse) l'espace scénique, il encadre une œuvre dramatique, lyrique ou chorégraphique, il en crée l'écrin. Une telle conception, dont le caractère ornemental et illustratif n'échappe à personne, témoigne d'une séparation effective entre les divers éléments du spectacle, qui ne forment point une œuvre commune et homogène, et d'une situation particulière du décorateur de théâtre qui, quels que soient ses dons artistiques, n'est qu'un «fournisseur» répondant aux commandes d'un client et non pas le membre à part entière d'une équipe de création. Depuis la seconde moitié du dix-neuvième siècle des hommes se sont dressés contre une telle conception, les uns dans le but de faire du théâtre un art fondé sur la parfaite homogénéité de ses éléments nécessaires, les autres pour dénier toute valeur à certains de ces éléments (dont le décor) et réduire l'art dramatique à l'action portée par un nombre restreint de facteurs d'expression (le texte et l'acteur par exemple). On sait quel fut le rêve de Richard Wagner, son idéal du Gesamtkunstwerk, d'un théâtre véritable carrefour des arts agissant communément sur un public commun: art homogène suprême fondé sur l'union de plusieurs arts (poésie, musique, mimique, architecture, peinture) qui pourraient enfin atteindre leur plein épanouissement en se libérant des entraves nées de leur isolement. Quelque jugement qu'on porte sur l'œuvre même de Richard Wagner cette conception d'un « théâtre total », pour employer une expression qui à force d'être à la mode a malheureusement perdu beaucoup de sa signification, devait dominer en partie l'évolution du théâtre en notre siècle, servir de référence et rester présente chez nombre de ceux qui allaient la contester partiellement ou globalement. Appia et Craig refusèrent la notion de Gesamtkunstwerk parce qu'à leurs yeux le théâtre était et ne pouvait être qu'un art autonome unissant non pas d'autres arts mais des moyens d'expression scénique. Le premier établit une stricte hiérarchie entre les éléments du spectacle, de l'acteur à la couleur en passant par l'espace et 23. J. SVOBODA dans notre article « Technique ... », loc. cit., p. 9. 28 la lumière. Le second, visant à la totalité expressive, les situa sur le même plan et les considéra comme autant de matériaux entre les mains de l'artiste du théâtre. D'où la fameuse formule de Craig: « L'art du théâtre n'est ni le jeu des acteurs, ni la pièce, ni la mise en scène, ni la danse; il est formé des éléments qui les composent: du geste qui est l'âme du jeu; des mots qui sont le corps de la pièce; des lignes et des couleurs qui sont l'existence même du décor; du rythme qui est l'essence de la danse» 24. Quant à Brecht, après avoir condamné dès 1930 l'œuvre d'art totale, opération magique et hypnotique où le spectateur n'est plus qu'un «élément passif» victime d'« ivresses indignes» 25, il écrivait dans le Petit Organon de 1948 : « La tâche principale du théâtre est d'expliquer la fable et d'en communiquer le sens au moyen des effets d'éloignement appropriés. Et s'il est vrai que dans ce domaine rien ne peut être accompli sans le comédien, tout le travail ne lui est pas dévolu. La "fable" est expliquée, bâtie et exposée par le théâtre tout entier, par les comédiens, les décorateurs, les maquilleurs, les costumiers, les musiciens el les chorégraphes. Tous mettent leur art dans cette entreprise commune, sans abandonner pour autant leur indépendance» 26. Au-delà des divergences qui les séparent, Wagner, Appia, Craig et Brecht proposent donc un théâtre fondé sur l'union du geste, du son et de la plastique. Grotowski aussi souhaite unir les moyens d'expression gestuels, sonores el plastiques, mais sa position est diamétralement opposée puisque, procédant par éliminations successives, il les limite à ceux de l'acteur, pivot d'un «théâtre pauvre» dépouiIlé de tout ce qui n'est pas théâtral selon lui (décor, jeux de lumière, «musique mécanique ou exécutée par un orchestre indépendant des acteurs», etc.) 27. Toutes ces théories sont capitales, elles ont exercé ou exercent actuellement une influence profonde sur l'évolution des arts de la scène et il nous est loisible d'adhérer à l'une ou l'autre d'entre elles. Ceci faisant, nous prenons parti pour une idéologie théâtrale mais nous n'apprenons pas comment fonctionne le phénomène théâtral. Chacun de ces hommes nous offre la possibilité d'un choix et d'un engagement, non point une explication globale. D'où l'importance de l'analyse du metteur en scène et théoricien tchèque Jindrich Honzl dont j'ai évoqué brièvement la personnalité. Ses principes nous aideront à mieux comprendre et l'œuvre et les conceptions de J. Svoboda. Il ne s'agit pas d'analyser de manière approfondie l'article que Honzl publia en 1940 sous le titre« Pohyb divadelniho znaku» (<< La mobilité du signe théâtral») 28, seulement d'en dégager les lignes directrices. Pour 24. E.G. CRAIG, De l'art du théâtre, Paris, O. Lieufier, 1942, p. 104. C'est en 1905 que Craig a écrit et publié pour la première fois son dialogue intitulé «The Art of the theatre » où il énonçait cette définition. 25. B. BRECHT, Écrits sur le théâtre, Paris, L'Arche, 1963, p. 41. & 26. IDEM, ibidem, p. 204. 27. Cf. J. GROTOWSKI, « V ers un théâtre pauvre », in Illstitut de recherches sur le jeu de l'acteur. Théâtre-Laboratoire. Wroctaw, 1967, p. 25-29. Ce texte est reproduit dans l'ouvrage de Grotowski Towards Q Poor Theatre, Holstebro, Odin Teatrets Forlag, 1968, p. 15-25. 28. Cet essai, paru dans la revue Slovo a slovesllost, vol. VI, n° 4, Prague, 1940, a été traduit en français, in Travail théâtral, nO 4, Lausanne, septembre 1971, pp. 5-20. 29 Honzl, comme pour O. Zich, l'auteur d'une Esthétique de l'art dramatique 29, dont il fait siennes certaines positions avant de juger nécessaire le dépassement de ses théories, tout spectacle n'est rien d'autre qu'un ensemble de signes, mais ses divers éléments (texte, acteur, musique, décor, lumière, etc.) s'affranchissent des fonctions qu'on leur attribue traditionnellement sans véritablement tenir compte de la réalité théâtrale. Ils échangent même leurs rôles signifiants. La spécificité du théâtre réside selon Honzl dans cette mobilité du signe théâtral : l'acteur peut n'être qu'une poupée, une machine, ou une voix sans présence physique, l'espace scénique un son et la musique devenir événement. Au dernier acte de La Cerisaie, le décor fondamental, c'est la cerisaie elle-même que nous ne voyons pas, mais que nous percevons acoustiquement lorsque nous entendons les haches frapper les troncs des cerisiers. Conséquence de cette mobilité du signe théâtral, les composantes du théâtre peuvent varier selon les époques sans que l'événement théâtral cesse pour autant d'exister et d'atteindre le spectateur: l'histoire nous fournit des exemples de théâtre sans auteur dramatique, sans décor, ou voire sans acteur au sens traditionnel du terme. Prenant violemment parti contre le Gesamtkunstwerk wagnérien, Honzl en arrive à définir ]e théâtre par le primat de l'action dramatique qui unifie l'acteur, le mot, le costume, le décor, la musique, etc., chacun de ces éléments étant un porteur possible de cette action. Honz] utilise une métaphore particulièrement éc]airante: l'action dramatique est un courant électrique qui parcourt divers conducteurs (l'acteur, le décor, etc.), et qui peut à un moment donné passer par un seul d'entre eux ou au contraire par plusieurs, voire par tous simultanément. Cette conception est fondamentale car, nous libérant de tous nos apriorismes (<< Point de théâtre sans œuvre dramatique» ou « point de théâtre sans acteurs» etc.) elle nous permet d'expliquer objectivement ]'évolution de l'art théâtral sans nous en tenir à ]a définition d'une essence qui conditionnerait notre choix. (<< Ceci est du théâtre et cela n'en est pas ») et tout en conservant une perspective rigoureusement historique. Elle nous offre la possibilité d'une analyse du spectacle théâtral qui n'en disjoint pas artificiellement les éléments, mais qui les situe dans le rythme même du déroulement de la représentation. Elle nous montre la voie en nous indiquant que chacun des éléments d'un spectacle participe plus ou moins directement à l'action scénique selon les moments de cette action, et qu'il est plus ou moins perçu par le spectateur, tantôt pénétrant dans son champ mental, tantôt disparaissant de sa conscience. Peu importe que Svoboda ait été ou non directement influencé par les théories de Honzl. S'il y a filiation, sans doute est-elle plus subtile et son origine réside-t-elle dans ]a pratique commune d'un travail quotidien au moment où Svoboda et Honzl collaborèrent. Ceci admis, on remarquera aisément que sur certains plans notamment celui de ]a nature même du spectacle théâtral _ les idées de Svoboda sont voisines de celles de Honzl, ce qui n'empêche pas le scénographe de s'engager dans une voie créatrice personnelle dont les particularités se dégageront peu à peu au cours de cet ouvrage. 29. O. ZICH, Estetika dramatického ume/l{, Prague, Melantrich, 1931. 30 Pour Svoboda « la scénographie est l’un des instruments de ce grand orchestre que forment les divers moyens d’expression du théâtre. Elle peut tantôt jouer en solo, tantôt se fondre dans l’ensemble, tantôt encore cesser de jouer ». Comparaison banale à première vue, mais une analyse plus approfondie en révèle l'originalité et l'importance : le spectacle est et doit être perçu par le public comme une unité, un tout dont on ne peut dissocier les éléments sous peine de les dénaturer, comme une composition musicale qui s'ordonne dans le temps, comme un courant. Instrument particulier, la scénographie dispose de moyens qui lui sont propres, de sonorités qu'elle seule peut faire entendre et, comme les autres instruments avec lesquels elle collabore, elle est «l'interprète» d'une oeuvre. Mais son action n'est point isolée, elle se trouve liée à un collectif, prise dans une totalité expressive qui implique le jeu harmonieux des divers éléments de la représentation et leurs rapports contrapunctiques, d'où une nécessaire collaboration entre les créateurs du spectacle qui les animent et sont placés sous la direction d'un « chef d'orchestre» responsable qui n'est autre que le metteur en scène. On verra cependant que le scénographe n'est pas simplement « aux ordres » du metteur en scène : le spectacle résulte d'une collaboration intime qui prend forme d'échange. La comparaison signifie aussi que l'intervention de la scénographie est plus ou moins importante selon la nature des œuvres et, à l'intérieur d'un spectacle, selon les divers moments de l'action. Essentiellement dynamique, la scénographie a ]e pouvoir de participer, de s'accentuer ou de s'effacer: « Je pense », dit Svoboda, « qu'il n'est pas nécessaire de souligner dans le décor ce que le drame exprime déjà de manière assez claire. Lorsque je sens que la chose est bien et suffisamment dite, je ne m'en soucie pas. C'est une question de proportions. Il est toujours néfaste que chacun des artistes du théâtre, metteur en scène, scénographe, musicien, veuille exprimer tout ce qu'il sait d'une pièce. Ce n'est pas à chacun d'eux de le faire. C'est à travers leur union que les moyens du théâtre doivent exprimer le drame. Une question très importante est alors de savoir quand doit jouer la scénographie, quand la mise en scène, etc. C'est exactement comme dans un orchestre. A un moment donné on peut exprimer très fortement une atmosphère en utilisant un unique instrument. Tantôt les violons résonnent seuls, tantôt nous n'entendons que la voix des chanteurs. Et d'un seul coup tous les éléments jouent ensemble. Mais le moment où tous interviennent simultanément n'est pas toujours celui des situations les plus fortes. Souvent même le contraire se produit. Il s'agit là aussi d'un problème de proportions qui relève de la mise en scène au sens moderne du mot ». Il est donc normal que la scénographie agisse plus ou moins fortement sur l'esprit du spectateur, que par rapport à son champ mental elle vienne se situer soit au premier plan, soit au lointain et parfois même disparaisse. Ce phénomène se produit dans tout spectacle théâtral et nous voyons l'attention du spectateur tantôt se concentrer sur le jeu d'un acteur, tantôt saisir un son, tantôt percevoir une intervention scénographique, mais dans un spectacle digne de ce nom cette polarisation de l'attention du public a été strictement voulue. Svoboda le répète au cours de l'exposé qu'il prononce à l'occasion de la première Quadriennale de scénographie de Prague: 31 « La scénographie est l'une des composantes, et rien de plus qu'une composante, de l'œuvre dramatique sous sa forme définitive. Autrement dit de la mise en scène. Dans le cadre de cette mise en scène la scénographie doit remplir une fonction bien déterminée. C'est cette fonction qui détermine à quel moment de la pièce elle résonnera pleinement et portera à elle seule la tension et l'action dramatique, et à quel moment elle ne sera que l'arrière-plan, l'accessoire, ou même disparaîtra complètement de la conscience et du champ de perception du spectateur. « L'existence et la non-existence physiques sont donc les deux pôles entre lesquels oscille la scénographie» 30. Il l'avait déjà écrit sous une forme différente dans un article publié par la revue tchèque Divadlo en mai. 1966 : « Tout ce qui se trouve sur la scène - acteur, parole, mouvement, son, musique, décor, accessoire, lumière - doit être une source d'information exacte dirigée par le metteur en scène. Sous ses impulsions chacun de ces éléments doit retentir comme un ton de l'orchestre de façon immédiate, exacte, compréhensible, dans des limites temporelles précises. En outre chacun de ces éléments doit être assez élastique et adaptable pour pouvoir s'accorder aux autres, devenir leur contrepoint ou agir en opposition à eux. Ceci de façon qu'il puisse non seulement retentir en une parallèle bivocale ou multivocale avec les autres éléments, mais qu'il soit capable de se confondre avec n'importe lequel d'entre eux faisant naître ainsi une qualité nouvelle» 31. Mais si le spectacle est un ensemble de signes qui s'adressent au spectateur, c'est d'abord une construction dynamique à la fois matérielle et immatérielle: « Il s'agit avant tout, déclare Svoboda, de communiquer un message poétique et non pas une simple information» 32. Dans une telle perspective il est bien évident que, quels que soient son rôle et la richesse de ses moyens, la scénographie ne trouve jamais sa fin en elle-même. Pas plus qu'il ne recherche la beauté en soi Svoboda ne souhaite faire cavalier seul. Sa conception du théâtre lui impose d'attribuer à la scénographie le rôle d'un «conducteur» de l'action dramatique parmi d'autres, et il ne met à aucun moment en question le primat du drame et de l'acteur: « En premier lieu j'aimerais dire - et je le souligne - que nous sommes convaincus de la primauté du drame et de l'acteur en tant que base artistique et noyau de toute représentation théâtrale. Cette idée est pour nous élémentaire ( ... ). Les principes de la scénographie naissent et se développent conjointement avec l'effort vers une collectivisation logique de J'art du théâtre, dont une composante stimule le pouvoir de l'autre et dont toutes concourent à l'unité organique de l'œuvre: le résultat final est l'union parfaite de toutes les composantes dont dispose le théâtre. Chaque composante est accentuée de façon qu'au moment prévu du jeu dramatique elle laisse transparaître son but à travers l'image artistique. 30. J. SVOBODA, ef. procès-verbal du colloque tenu à l'occasion de la première Quadriennale de Scénographie de Prague, p. 20. 31. IDEM, in « Scéna V diskusi » in Divadlo, Prague, mai 1966, p. 2. 32. ID, cf. procès-verbal du colloque, op. cil., p. 21. 32 « I.a priorité des acteurs doit être évidentes. Les autres moyens de communication ne peuvent prendre le pas sur l’acteur et être accentués plus fortement que si des besoins dramaturgiques l'exigent, c'est-à-dire si cela se révèle nécessaire du point de vue de la signification. C'est donc l'acteur qui inscrit l'accent créateur sur la scène; le scénographe ne projette pas son travail au premier plan mais compte avec la collaboration des autres composantes. Le scénographe refuse le monopole de la représentation, il s'oppose à ces décorateurs qui s’efforcent d'exprimer à l'avance par l'image tout ce que veut dire la pièce, toute son atmosphère, voire même la fin du drame» 33. Dans ces limites la tâche du décorateur face à l'œuvre théâtrale est d'en trouver la signification actuelle et vivante et de participer à sa révélation. Il ne peut plus s'agir pour lui «de décrire ou de transcrire la réalité mais d'en créer une maquette à dimensions multiples» 34. Le naturalisme se trouve donc d'un coup banni. Svoboda remarque que nous pouvons ériger sur le plateau une reproduction exacte de la réalité seulement lorsqu'il s'agit de détails réalisés par le travail humain, mais qu'il nous est impossible d'imiter servilement la nature dont le dynamisme se refuse à nous: l'arbre qui frissonne n'aura jamais place sur la scène 35. Plus encore il rejette implicitement le principe même du naturalisme. Un critique lui ayant demandé s'il pourrait concevoir un décor absolument naturaliste, il lui répondit que s'il y avait une bonne raison pour cela il le ferait, mais que le résultat final serait antinaturaliste parce qu'il n'aime pas ce style: recréer sur la scène des choses réelles c'est proférer des mensonges. «Je conçus un jour un décor pour la pièce de Lilian Hellman Les Petits Renards. On aurait pu qualifier ce décor de réaliste à condition de mettre entre parenthèses le fait que tous les éléments scéniques - livres, tasses, mobilier - étaient peints de la même nuance de gris. Les acteurs devaient utiliser les objets de manière naturaliste si bien que l'effet global fut absolument irréel» 36. La prise de position de Svoboda ne se réduit pas à un refus de l'imitation naturaliste des apparences qui n'aurait en soi rien de particulièrement original. Svoboda n'accepte point d'attribuer à la scénographie un rôle de pure description des lieux ou des milieux de l'action dramatique. D'où la place qu'il réserve à l'histoire et à la géographie dans les recherches préparatoires à son travail créateur. Il étudie certes très soigneusement l'époque à laquelle se situe l'action d'une pièce, l'architecture, les arts décoratifs, la culture picturale de la période concernée, mais il les assimile au point de les oublier et de les laisser agir dans son subconscient au moment de sa création. La réalité dont il lui faut créer une maquette à plusieurs dimensions est celle qu'il perçoit globalement à la lecture de la pièce, celle que lui révèlent son action, ses motifs et ses thèmes majeurs, ses tensions psychologiques, le jeu de ses situations, en un mot son univers général, qui apparaît dans un ensemble réfléchi et construit de structures dramatiques, spatiales et 33. Extrait d'une conférence que Svoboda prononça à Vienne en 1964 dans le cadre de l'Gesterreichische Gesellschaft für Literatur. 34. J. SVOBODA, cf. procès-verbal du colloque, op. cil., p. 22. 35. Cf. les déclarations de Svoboda dans « Entretien. La technique a-t-elle sa place sur la scène », lac. cil., p. 55. & 36. J. SVOBODA, in « Designing for the stage C ••• ) », loc. cil., p. 632. 33 temporelles. Cette réalité, ce sont aussi les associations que la pièce suggère, le rapport qui s'établit entre elle et nous, entre la culture qui l'a vu naître et notre civilisation. Autant dire qu'il s'agit d'une réalité à plusieurs niveaux dont l'évocation réclame souvent l'utilisation combinée de plusieurs modes d'expression. qui, au moment de la représentation, exigeront du spectateur une perception à perspectives multiples (exemple: action simultanée d'objets réels qui, appartenant à la vie quotidienne, délimitent un étroit espace de jeu apparemment réaliste, et de projections qui nous montrent le monde politique qui domine l'action, etc.). Cette appréhension globale de la pièce conduit Svoboda à déchiffrer ce qu'il dénomme la « philosophie» de l'œuvre, à en déceler l'idée fondamentale, étape qui n'est pas la moins importante dans son travail de création scénographique : c'est à partir de cette idée fondamentale qu'il établit le principe de la scénographie, lequel va souvent jusqu'à s'inscrire architectoniquement dans le plan même du dispositif. La valeur de l'idée scénographique de base trouve naturellement sa vérification dans l'efficacité de son action sur le public, mais aussi sa confirmation dans le fait que les détails ajoutés postérieurement à son choix au cours de l'élaboration du spectacle ne portent en rien atteinte à sa force. Prenons quelques exemples. D'abord celui du Revizor de Gogol dont Svoboda assure la réalisation avec J. Honzl. Le scénographe part des déclarations mêmes de l'auteur pour qui la Russie de cette époque n'est qu'un amas des pires choses, un bricà-brac de déchets. Aussi construit-il sur la scène tournante un décor qui n'est que l'organisation plastique d'un monceau hétéroclite de formes architecturales, d'objets de la vie quotidienne, de meubles empruntés au monde russe, et toute la pièce lui apparaît à travers cette accumulation d'objets où les personnages comme autant de punaises vont et viennent, s'évanouissent pour se glisser, resurgir et disparaître à nouveau. Table, canapé, commode, poêle de faïence dominent portes, fenêtres, armoires, et sont eux-mêmes dominés par des bulbes d'églises réduits à l'état d'objets. L'œil du spectateur pénètre dans quelque marché aux puces ou bidonville bourgeois, image d'une société en décadence, que la scène tournante nous propose de regarder sous plusieurs angles. D'un sourire amusé, Svoboda ajoute: « Tout était plastique. Dès 1948 c'était du pop' art!. .. Un énorme pop' art !. .. Colorés de vraies couleurs, de vrais objets rassemblés, confrontés, reliés par tout un réseau de contrepoints ». Le problème posé par La Mort d'un commis voyageur de Miller, dont Svoboda conçoit la scénographie en 1959 pour le Théâtre national de Prague, est différent. Miller fournit des indications scéniques très précises que la structure de la pièce contraint à respecter et pourtant le scénographe peut inscrire dans sa réalisation l'idée de base qui lui paraît fondamentale: « Il s'agit, dit Svoboda, d'une scène simultanée où se trouvent regroupés la chambre des parents, celle des enfants, la cuisine et les abords immédiats de la maison. Le spectateur doit pouvoir voir comment le commis voyageur rentre chez lui. On joue aussi devant la maison. En outre l'action ne se déroule pas seulement dans le présent, mais dans le futur et le passé, et l'on doit montrer quelle était l'apparence de cette petite maison alors que, n'étant pas encore au milieu des hauts murs de la grande ville, 34 elle connaissait l'ombre des arbres. Ce temps-là, c'était comme la jeunesse de la maison, la jeunesse de cette famille qui vivait alors ses meilleures années pleines d'espérance, la jeuncsse de celle cellule vitale. « Une cellule ... J'ai voulu rendre cet organisme présent dans la scénographie, d'où le choix de l'hexagone dont les côtés et les angles délimitent la l'orme de la maison, de l'hexagone qui trace sur le sol le plan même de cette petite villa, en même temps qu'il rappelle la cellule biologique Les environs de la maison sont comme le plasma qui nourrit la cellule. A l'époque où on l'a bâtie la nature l'entourait et peu à peu les arbres ont cédé la place à une civilisation oppressante de briques et de hautes bâtisses. J'ai indiqué cette transformation de l'environnement par des projections sur diverses surfaces de tulle formant un fond irrégulier (murs de briques pour le présent, structures d'arbres pour le passé et les rêves d'un avenir meilleur). «J'ai souhaité montrer que dans notre société tout organisme doit combattre pour son existence. Que l'environnement qui lui donne ses forces vitales doit êln' sain. C'est pourquoi j'ai choisi comme principe scénographique la structure cellulaire confrontée à ces deux formes d'environnement (brique et nature). J'ai voulu dire par là que tout ce qui est naturel, des rapports sociaux normaux et justes, donne vie à la cellule. Lorsque la civilisation les brise, la cellule est condamnée à la mort lente ». Autre pièce, autre solution. À travers la chronique historique des Anabaptiste,I' où drame et humour se conjuguent, DÜrrenmatt évoque la naissance, le développement et l'échec de cette secte, dont les adeptes rêvèrent d'une société égalitaire idéale. Au-delà de cette évocation il révèle un monde cruel où s'affrontent les idéologies et traite de la théâtralisation du pouvoir. Au lieu de créer les décors que réclament apparemment les tableaux successifs de la pièce, Svoboda dresse sur le plateau une nouvelle scène, qui n'est autre qu'un immense globe de bois réduit à sa charpente squelettique. L'action peut se dérouler à l'intérieur comme autour de cette sphère, tour à tour palais ou rempart de ville. Le décor n'est point un symbole comme on pourrait le croire mais une clé qui permet au spectateur de pénétrer peu à peu dans l'univers de l'œuvre: l'action à laquelle il assiste s'élargit aux dimensions du monde. Lorsque Bockelson, le comédien devenu moine et roi, se rend aux puissants, le rideau de ce Theatrum Mundi se ferme brutalement sur le drame. Le problème se pose-t-il de la même manière dans le théâtre lyrique? Dans une certaine mesure, oui, ainsi que nous le prouvent les exemples de La Femme sans ombre et de Tristan et Isolde. Dans La 'Femme sans ombre, Svoboda perçoit trois mondes: le monde de l'empereur, le monde du peuple et le monde du Bien et du Mal. Les deux escaliers en demi-cercle qui, face au public, se prolongent en même temps qu'ils s'opposent tangentiellement, inscrivent dans l'espace l'opposition du bien et du mal que traduisent également les deux types d'écrans suspendus destinés à recevoir les multiples projections colorées; les uns aux angles brutaux et acérés, les autres aux formes souples et douces. Il suffit que l'escalier le plus proche du public se relève à l'avant grâce à des télescopes électroniques pour que le spectateur en découvre le dessous qui s'est transformé en un lourd plafond dominant le monde du peuple. 35 ses expériences, à ses initiatives propres et à ses capacités artistiques ce qu'Appia n'avait pu qu'entrevoir, d'avoir dépassé même l'idéal du « prophète », au poinl d'apparaître comme le véritable pionnier de la scénographie lumineuse d'aujourd'hui. Variable en intensité et en couleur comme en densité et en direction, la lumière est dans son œuvre un fluide doué de pouvoirs multiples. Elle révèle l'espace scénique construit et ses structures matérielles ou les dissimule selon le rythme précis qu'on lui dicte. Elle peut détacher un personnage d'un monde, un objet d'un contexte et les charger soudain d'une présence insoupçonnée qui fascine le spectateur. Elle peut les rapprocher ou les éloigner de nous. Elle structure l'espace, lui donne dimensions et forme grâce à l'architecture impalpable de ses faisceaux: colonnes, rideaux et murs lumineux que l'acteur peut traverser mais qui arrêtent la perception et, comme dans Drahomfra, délimitent des plans successifs. Elle imprègne l'espace d'une certaine qualité plastique, d'une atmosphère particulière révélatrice du drame et de son univers, qu'elle communique au spectateur directement en la lui suggérant, indirectement en agissant physiologiquement sur lui. «Lorsqu'avec Krejca, en 1960, nous avons monté La Mouette, notre tâche était claire », dit Svoboda. « Nous voulions créer cet espace impressif, ce paysage impressionniste. La nature joue un grand rôle chez Tchékhov, et les intérieurs ne peuvent être traités de manière naturaliste. On doit sentir derrière les fenêtres un espace, une étendue sans fin, un pays plat aux énormes distances, où l'on se sent perdu et où l'on se rassemble pour. .. vivre, parler. .. La ville la plus proche est très éloignée et le spleen, ]a nostalgie envahissent chacun. C'est vraiment ]e pays russe. Aussi est-il très difficile de créer les paysages tchékhoviens et les intérieurs où l'on doit éprouver un sentiment identique, comme s'ils étaient baignés, pénétrés de ]a nature qui les environne. On ne peut se contenter de dresser trois murs, et pourtant il faut limiter l'intérieur tout en créant l'impression qu'il est pris dans le paysage et qu'il joue avec ... On doit sentir l'horizontalité, ]a distance ... Impossible de peindre cela sur la toile. « Nous nous sommes dit qu'il fallait trouver une autre solution. Nous ne voulions pas entendre parler des tulles habituels et j'ai pensé que nous devions recourir à la lumière, qu'elle seule pouvait créer l'atmosphère voulue. Nous avons alors conçu des parois lumineuses (fournies ici par 1 0 éléments de 1 ,50 à 2 m chacun équipés de lampes de 200 watts en 24 volts), que l'acteur peut traverser, avec lesquelles on peut suggérer l'infini sur la scène, créer l'atmosphère d'un bord de lac où l'air est chargé d'humidité, donner l'impression d'une chaleur pesante, des "rayons de so]eil" qui se prennent à travers les branches ... Une nature que l'on ne voit pas vraiment mais que l'on sent psychiquement et physiologiquement... Je crois que pour la première fois avec La Mouette au Tylovo nous avons atteint ce but. C'était presque une loterie : la scène était tendue de velours noir, quelques branches suspendues, des éléments de lampes à basse tension ... Si nous n'avions pas réussi nous étions perdus car nous n'avions pas envisagé d'autre solution. Nous abattions notre unique carte ... La dramaturgie tchékhovienne pose au scénographe des problèmes difficiles! ... Atmosphère et lumière, voilà ce qui est important chez Tchékhov. On ne peut porter son œuvre à la scène dans un décor 64 matérialiste. Il exige des des méthodes non matérielle, des moyens qu'on ne puisse, définir de manière précise, des moyens véritablement impalpables ». Mais la lumière n'est pas seulement créatrice d'espace et évocatrice d’atmosphère. Facteur d'expression dramatique aux possibilités diverses, elle peut jouer le drame ainsi que l'analyse de J. Grossman le montre à propos de Drahomira, ", souligner les rapports de liaison et d'opposition entre les personnages, nous aider à « lire» et à comprendre les thèmes majeurs de l'œuvre comme dans Tristan et Isolde où elle matérialise la transfiguration des héros dans la mort : 108 projecteurs à basse tension groupés en un cercle invisible englobant dans leurs faisceaux serrés dressés vers le ciel la plate-forme centrale en laquelle s’achève la spirale du dispositif, et la lumière s'élève en une colonne aussi massive qu'impalpable, témoignage d'une spiritualité omniprésente. La lumière est enfin porteuse de couleurs, d'images et de visions à travers les projections qui sur les surfaces les plus diverses apparaissent, se mêlent, disparaissent, se superposent, et créent ainsi une véritable peinture de l'espace, Iluidl: cI constamment apte aux métamorphoses comme nous le révèle encore panlli d'autres l'exemple de Tristan et Isolde. Pour fond du dispositif en spirale un dou hie plan de projection: une surface destinée à recevoir des projections par l'arrière et devant elle un écran irrégulier constitué de fils verticaux serrés les uus près des autres. Lorsque ces fils sont frappés de l'avant par la projection, kurs ombres et les éléments projetés qui traversent leurs interstices se mêlent sur la surface entière. Helmut Groszer, alors directeur technique du Théâtre de Wieshaden, a bien montré comment Svoboda avait procédé pour cette réalisation: «En dépit de toute sa technique, sa précision et son expérience, ce n'est pas accessoirement que Svoboda prend pour base l'expérimentation souvent sponlanée. C'est ainsi que pendant les répétitions d'éclairage il a rejeté la plus gral1lll.: partie des plaques de projection photographique en couleur et a décidé de projeter par l'arrière sur la toile de fond des ombres symboliques à l'aide de plusieurs projecteurs et d'un mélange de couleurs additif: on fabriqua rapidement à l'atelier trois châssis. Au premier acte naquit ainsi une association de lignes sinueuses el d'horizontales qui, en certains endroits, était couverte par la projection par l'avalll de formes rappelant des voiles; au second acte, feuilles, troncs et branches; au troisième, cercles, ellipses et paraboles semblables à celles que l'on trouve dans la représentation graphique des trajectoires de planètes. Grâce à l'utilisation alternative de nombreux appareils qui, sous des angles divers et en des couleurs différentes, traversaient les châssis, le fond pouvait changer constamment dans ses formes et ses couleurs, en accord avec les thèmes musicaux et sans jamais susciter l'impression d'un réel trop identifiable» 56. « J'utilise la lumière selon la conception générale de la pièce et ne néglige ni ne préfère aucun moyen d'expression» 57. On reconnaît bien là l'attitude générale de Svoboda, son refus de se lier aux principes, son désir de choisir dans une gamme aussi large que possible les moyens les plus aptes à servir l' œuvre. 56. H. GROSZER « Arbeiten mit Josef Svoboda », in Bühnenlechnisehe Rundsehau, Berlin, avril 1968, p. 23. 57. J. SVOBODA, «Une expérience tchécoslovaque », lac. cil., p. 40. 65 Cette musique, Krejca nous l'a orferte, et lui qui a joué de l'inslrument dt' Roméo et de celui d'Hamlet sait bien que ces deux instruments participent d'ilii même esprit mais ne sont point identiques. « Comme dans Roméo et Juliette la scénographie d' Hamlet devait à la rois être fonctionnelle, suggérer l'image des champs d'action et participer à une sor!!' d'accompagnement poétique de la mise en scène. Mais différemment dans les deux pièces. Le monde d'Hamlet ne ressemble à celui des amants de Vérone ni ail point de vue architectural, ni au point de vue couleurs, ni au point de vue atmos phère. Des vapeurs poétiques différentes émanent de son espace. Le même prin" cipe agit d'une autre manière car la mise en scène est tout autre, elle parle d'autn' chose. Un malentendu pourrait naître si nous prenions la partie pour le tout ou si nous voulions analyser la mise en scène à travers le décor. Un des plus grands avantages de Svoboda, c'est qu'il conçoit humblement - tout au moins avec moi - la scénographie en vue de la mise en scène. Il sait que ce n'est qu'à partir du moment où la scène se fond dans la mise en scène, où elle s'y perd, qu'elle revit et attire l'attention. Avec un minimum de fantaisie, on peut imaginer Hamlet dans la scénographie de Roméo et vice versa. Le principe scénique et la manière de l'utiliser sont identiques jusqu'à pouvoir être confondus. Ils ne diffèrent que dans de petits détails. Cependant cette petite différence est d'une importance fondamentale. Le plus difficile dans l'art est justement de trouver ce petit "détail" qui confirme et achève; l'œuvre entière. Ce qui est peut-être aussi intéressant c'est qu'en cherchant une scénographie pour Hamlet nous ne sommes pas partis de sa ressemblance avec Roméo, mais nous y sommes parvenus» 88. « Scénographie» ... Il est des moments où Svoboda commence à mettre en question la valeur du terme. Désigne-t-il exactement sa profession, son activité créatrice? « Pour moi, dit-il à ces instants de doute, la scénographie est une discipline spéciale qui concerne la scène, la mise en scène plastique. Si je disposais d'un autre substantif, je serais heureux, mais je ne l'ai pas trouvé. Ces deux mots accolés, "scène" et "graphie" suffisent-ils vraiment, alors que le mouvement, par exemple, est si important? .. Il Y a tant de terrains vierges au théâtre qui n'ont pas encore été exploités! ... » Il est vrai que le théâtre est un univers qui recèle encore d'immenses terres vierges, il est vrai aussi que Svoboda est l'un de ceux qui au plus haut degré participent à leur exploration. Mais l'importance qu'il attache aux mouvements des éléments scéniques ne doit pas nous induire en erreur: ils n'occupent qu'un temps très bref de la représentation en laquelle ils s'intègrent selon les règles d'une stricte économie, ils ne trouvent point en eux-mêmes leur propre fin et leur but n'est pas la sensation. «Je ne veux pas », dit Svoboda, «que naisse dans l'esprit du spectateur la pensée: "tiens, voilà maintenant que cela bouge". Je veux qu'il perçoive le mouvement comme une chose fonctionnelle, qu'il le sente très simplement comme un événement normal, comme un phénomène nécessaire qui doit se dérouler ainsi. C'est une action, une action dramatique et nous devons tout faire pour éviter de contraindre le spectateur à son analyse. Le spectacle est tissé de divers éléments, 88. Réponse d'O. KREJCA à notre questionnaire. 100 \1\' diverses actions: actions dll l:1I1I1l~dkn, aCliolls de la scèlle, SOli, discours, cho r6t,Llllphie, etc. Nous voulons raire Cil sorle que le spectateur ne soit pas anlelH~ ~ tnndyscr celle trame. .( Naturellement, nous avons déjà une certaine expérience. Nous savolls plll' 11\l:mple que les mouvements d'un côté vers l'autr.~ sont plus visibles q~le It'S 1IIlilivements d'arrière en avant ou d'avant en arnere, etc. Nous conn:ussollS I\'slhétique du mouvement et nous en connaissons les lois. Nous savons qlll' si l'on veut détruire l'effet d'un mouvement il faut créer un contre-mouvement, 1111 tllI ircr le regard du spectateur sur un autre point de la scène. Mais il faut pr()l:~dl'I' de manière vraiment professionnelle, savoir comment les divers élémellis 1111 vllillent et ne les utiliser que si l'on est absolument convaincu de leur lIél:essill( ~ll'llmaturgique. Ainsi, ne point y recourir parce qu'il s'agit de moyens 1lI0dt'nll's el actuels: cela n'est pas vrai, aucun moyen n'est en soi actuel et mode l'Ill:, 'JII moyen est moderne lorsqu'on l'utilise de manière juste et actuelle ». Ceci dit, il faut revenir à une question déjà évoquée succinctement. La cilllttt quc d'une scénographie ne se mesure point à la multiplicité de ses mouvelill'ilis lllatériels mais à la manière dont, au cours du spectacle, ses structures se rév\':klll, Ne combinent et disparaissent, à son aptitude à la métamorphose. Cela sigllil'hqu'il existe une cinétique interne qui, au-delà de la .mobilité des choses, sc ~i~'Il' dnns leur capacité d'autorévélation et de transformatIOn, laquelle peut s~ ~11a1ll.II'S ter au moyen de facteurs d'expression autres que le mouvement matend. ~v.o hoda a conçu un nombre considérable de décors où le mouvement n~atel'Il'I Il'intervient que très parcimonieusement et réalisé un nombre encore pl.us IIIlporlant de spectacles dont il est absent. Les uns et l~s ~~tres n'~~ fourn~ss~lIt l,JaS lIIoins très souvent de remarquables exemples de cmetique scel11que, a1l1S1 qll ell témoignent deux spectacles fondamentalement différents: Le Mariage de ChHIIhrowicz au Schiller-Theater de Berlin dans une mise en scène d'Ernst Schriidel', tes Trois Sœurs de Tchékhov monté par Gtomar Krejca au Divadlo za branoll de Prague. Le Mariage de Gombrowicz est une œuvre singulière, ouverte, qui laisse place à des interprétations diverses et appelle certains rapproc~em~nts. N'a-~~on pas voulu y voir quelque nouvel Hamlet. Mais c'est. en. premier heu une plCCC l'ondée sur un rêve, celui de Henri, son personnage pnnclpal, et sur un processus de déformation. « Le monde intérieur du héros », dit Gombrowicz, « déforme le monde extérieur. C'est Henri qui rêve le tout, il est "seul"; les autres personnages ne sont que rêvés par lui et manifestent directement à plusieurs reprises ses propres états moraux ». Mais le monde extérieur s'impose aussi à Henri, lequel doit parrois «s'adapter à ses partenaires ( ... qui) lui dictent alors son style ». « Nous avons donc une déformation réciproque, l'incessant affrontement de deux forces l'une intérieure et l'autre extérieure, qui se limitent mutuellement. Ce genre d~ double déformation s'applique à tout acte de création artistique cI 101 c'est pourquoi Henri se rapproche plutôt d'un artiste qui suit l'inspiration que d'un dormeur qui rêve. Ici, tout est toujours en train de se "créer" : Henri crée le rêve et le rêve crée Henri, l'action se crée elle-même aussi, les personnages se créent mutuellement et l'ensemble va au hasard vers des solutions inconnues» x'J. Henri est plus ou moins pris dans son rêve, plus ou moins distant à son égard, et toute la pièce est dans ce jeu d'oscillations, dans ce va-et-vient entre les diverses couches d'un univers onirique, mieux encore entre les différentes manifestations d'un monde imaginaire comme tiraillé entre deux pôles extrêmes, celui de la pleine conscience de Henri. celui de sa submersion au milieu des eréatures qu'évoque son imagination. Lorsque Svoboda conçoit son dispositif, il est sensible à cette bipolarité, mais en même temps à cette perméabilité de l'imaginaire qui fait que l'on passe sans rupture d'une réalité à l'autre et que les forces qui s'affrontent se pénètrent mutuellement. Il découvre que Jeannot, l'ami de Henri, n'est autre que l'alter ego de celui-ci, de même que le spectre du père de Hamlet apparaissait dans la réalisation bruxelloise de Krejca et Svoboda comme un double du prince de Danemark. Le dispositif doit fournir la métaphore capable d'éclairer la pièce et l'instrument qui permette de la jouer. Svoboda est sensible à la symétrie qui domine et semble régler notre existence et les croyances de certains. Symétrie physique entre le - et le +, symétrie entre la guerre et la paix, la vie et la mort, Dieu et le Diable, le ciel et l'enfer. .. Le Mariage de Gombrowicz est comme une image de notre monde où Svoboda retrouve cette symétrie qu'il va matérialiser dans l'espace. Il trace sur le carré scénique une diagonale qui sépare deux pôles, deux champs d'action, comme deux surfaces de perception: la plus proche du public est horizontale, la plus éloignée s'élève vers le fond du plateau en une pente de 10%. Il dresse sur cette diagonale, axe de symétrie, une vaste paroi de plexiglas semitransparent recouvert d'un tulle très fin qui accroche toute projection éventuelle. Cette paroi joue un triple rôle: surface de projection où s'inscrivent des motifs plus ou moins réalistes, elle limite un premier espace, mais il suffit que la lumière éclaire la zone arrière ou un personnage qui s'y trouve pour qu'elle se dématérialise et que sa semitransparence laisse les espaces s'interpénétrer. Qu'elle se libère de toute projection et que la zone arrière s'éclaire, l'espace s'unitie et le regard du spectateur peut venir buter sur le fond de la scène tantôt dissimulé d'un rideau noir, tantôt écran susceptible d'accueillir la projection de motifs divers (le doigt de Dieu dans les fresques de MichelAnge de la Chapelle Sixtine, des architectures aux structures démultipliées et répétées jusqu'à l'obsession, etc.). Grâce aux vertus réfléchissantes de la paroi diagonale on peut refléter en son miroir les personnages qui agissent au premier plan, notamment Henri. Grâce au pouvoir de réflexion et à la transparence de ce mur semiimmatériel, on peut mêler dans la perception du spectateur les personnages situés dans le second espace et l'image réfléchie de ceux qui se meuvent dans le premier et créer ainsi une réalité ambiguë où le doute s'insinue. 89. W. GOMBROWICZ, Théâtre, Paris, Julliard, 1965, pp. 86-87 (extrait du texte intitulé« Idée du drame »). 102 Pnljection de l'arrière (deux diaprojecteurs de 2000 watts). Paroi-miroir transparente [\ 50% .... Surface de projection pour la projection par l'arrière (studlOlohe). Plateau praticable horizontal. Plateau incliné à 10%. Plateau coulissant incorporé chargé d'éléments scéniques. position du miroir dans la seconde partie de la pièce. Proscenium. 15. Le Mariage au Schillcr-Theatcr de Berlin-Ouest. Plan général du dispositif. 103 L'acteur devant le miroir. ;~:~~. de l'acteur réfléchie dans le miroir. On peut substituer à cette image un autre Miroir transparent à 50%. Groupe d'acteurs derrière le miroir. Pont d'éclairage dominant la paroi-miroir dont il est solidaire. 3 \ \ \ \ \ \ \ \ \\ L'acteur devanlle miroir. Le ~efJet de l '.acteur dans le miroir a été remplacé par un acteur réel éclairé par u projecteur pUissant. n Projecteur faisant partie du pont d'éclairage qui domine la paroi-miroir .. 16. Schémas d'utilisation de la paroi-miroir transparente dans Le Mariage à Berlin-Ouest. 104 ('crtcs une porte est méllagée dans la paroi: elle permet aux personnagcs dc plisser d'un champ d'action à l'autre, d'cntrer plus ou moins dans le rêve d'ileuri, dl' plus ou moins l'entraîner dans les créations de son imagination, mais les mnlti. pll:S pouvoirs de cet écran en forme de miroir transparent aident la pièce à sc créer l'Ile-même, comme « les personnages se créent mutuellement », en un espm:!' IllIide dont lumière, projection et réflexion ne cessent de modifier les apparellces. IlIge Krengel-Strudthoff nous donne quelques exemples de leur utilisation; Cl'S ,'xemples nous montrent à quel point cette utilisation obéit à des besoins drama tllrgiques et souligne les rapports entre les personnages: « ( ... ) Si l'on éclaire le personnage situé devant avec les projecteurs dirigl{s vers l'avant et que l'on tient la zone arrière dans l'obscurité ( ... ) on obtient sllr III paroi de plexiglas une image réfléchie claire de ce personnage. Si l'on éclaire l'II même temps un autre personnage qui se tient derrière, les deux images se rel.'Oli vrent. On dispose ainsi d'une instrumentation magique multiple. Alors qu'llend sc croit encore seul avec lui-même, son image réfléchie, voilà que l'image d(' .!cannot (qui est derrière la paroi) croît dans la sienne. Alors que Margot l'si encore assise seule derrière la paroi, l'image réfléchie de Jeannot qui à l'avalll saute ici et là suggère une scène macabre de coït. La mère est en train de mettre III lable (une table virtuelle) derrière la paroi: la table se trouve en réalité devant sllr la scène. Lorsque le PèreRoi déclare vierge Margot trônant derrière la paroi, la silhouette réfléchie de l'ivrogne aux grimaces obscènes qui se tient à l'avant du plateau recouvre celle de Margot. Évidemment le fantastique du "passage à tra· vers le miroir" fait partie du jeu: Henri veut traverser sa propre image et il se voit soudain face aux fantômes de la cour hantée (\' espace derrière la paroi de verTl: est d'abord obscur, Henri voit son image; puis l'espace s'éclaire et l'on perçoil fi travers la paroi ceux qui se tiennent derrière) » 90. Peut-on parler de cinétique scénique à propos du Mariage? Non, si l'on considère la cinétique sous l'angle du seul mouvement matériel des éléments. Il est vrai que la scène tournante permet de modifier « l'axe de symétrie» 91, mais cc changement qui introduit une symétrie spatio-temporelle n'est pas effectué à la vue du spectateur. Il est tout aussi vrai que, selon les scènes, des meubles réalistes apparaissent sur un plateau roulant qui coulisse à l'avant de la scène parallèlement au cadre, mais ces mouvements sont rares et leur importance dans le spectacle est très limitée. La cinétique du Mariage de Berlin réside bien plus dans le jeu des structures et des espaces qui se révèlent, se combinent, se démultiplient ou s'unifient puis disparaissent pour remûtre sous un nouvel aspect. Elle est dans la perméabilité des espaces qui rend possible leur disjonction comme leur confusion, dans ce processus continu de métamorphose qui est la traduction plastique du processus de déformation que Witold Gombrowicz évoquait à propos de sa pièce et que rend ici possible la combinaison fluide et variable de la lumière et de l'ombre, des effets de projection, de réflexion et de transparence. 90. Dr. Inge KRENGEL-STRUDTHOFF, « Die Trauring - ein Trauerspiel zur Erstauffuhrung im Schiller-Theater, Berlin », in BÜhnentechnische Rundschau, Berlin, avril 1968, p. 25. 91. Dans la première partie \'« axe de symétrie» est orienté du lointain« jardin» à l'avant<< cour» et dans la seconde du lointain «cour» à l'avant<< jardin » .. 105 Les Trois Sœurs de Tchékhov montées par Krejca au Théâtre za branou de Prague nous proposent un autre exemple de cinétique interne sans qu'il soit ici question de mouvement matériel des éléments scéniques ni non plus de projectioll ou d'effet de transparence, mais d'une atmosphère qui évolue et d'un espace qui respire comme respire et évolue le drame. Qu'indique Tchékov? Au premier acte« La maison des Prozorov. Un salon à colonnades, derrière lesquelles on aperçoit une grande salle. Il est midi, dehors, temps gai, ensoleillé. Dans la salle on dresse la table pour le déjeuner ». Au second « Même décor. Huit heures du soir. Derrière la scène dans la rue les sons 11 peine perceptibles d'un accordéon. Pas de lumière ». Le troisième se déroule dans « la chambre d'Olga et d'Trina. À gauche et à droite, des lits, derrière des paravents. Il est entre deux heures et trois heures du matin ». Et la pièce s'achève à l'acte IV dans « un vieux jardin dépendant de la maison des Prozorov. Une longue allée de sapins qui mène à une rivière. Sur l'autre berge, une forêt. À droite la terrasse de la maison; sur la table, une bouteille et des verres; on vient de boire du champagne. Il est midi ». Rien ne lie apparemment ces trois décors successifs sinon leur proximité géographique et le fait qu'ils accueillent les diverses phases de l'action dramatique. Mais il faut dépasser le plan des indications scéniques et les percevoir à travers l'œuvre; audelà de ]a description il faut saisir cette atmosphère tchékhovienne à laquelle Svoboda est tellement sensible. « Pour les personnages de La Mouette et des Trois Sœurs », dit Krejca, « nous avons cherché, comme l'auteur ]e désirait jadis, une distance peu commune pour ]a scène. La distance, la distance immense des steppes, c'est là l'horizon du monde de Tchékhov. Cinq branches dans un espace noir, ]a lumière et une jeune fille qui court sur place ont donné l'illusion de cette distance dans La Mouette. Une chambre sans murs, des personnages qui se serrent contre ces murs inexistants, le gris et un seul orifice très bas par lequel on sort et entre en cet an ti-espace scénique, donnent cette illusion dans Les Trois Sœurs» 92. Sans doute le terme « illusion» ne convient-il guère à l'impression créée, car il s'agit bien plus d'une suggestion imprécise, du flux harmonieux des moyens scénographiques qui se conjuguent pour atteindre directement la sensibilité des spectateurs. Lorsque Svoboda crée les décors des Trois Sœurs pour le Divadlo za branou, il lui est impossible de donner l'impression d'une distance infinie en recourant aux pouvoirs dématérialisant de ]a lumière dans un espace noir. La scène incommode de ce théâtre, dont un mur à mi-plateau vient limiter la hauteur à 2,40 m, lui interdit toute tentative dans cette direction. Il choisit donc une autre solution: créer un espace gris commun aux quatre actes de la pièce. Pour Svoboda il existe d'évidents rapports entre les impressionnistes et Tchékhov, mais aussi de profondes dissemblances qui tiennent notamment à la couleur. Les coloris de Tchékhov lui semblent tout autres que ceux d'un Manet ou d'un Monet. Le gris l'emporte, dans une atmosphère plus proche des tableaux du peintre russe Levitan: «Je ne sais pourquoi », dit-il, «je sens chez Tchékhov cette couleur grise. C'est une question 92. Otomar KREJCA dans l'exposé qu'il présenta au cours du symposium de la Première Quadriennale de Scénographie de Prague (1967), loc. cil. 106 psychologique ... Cette [ollal i[é gris d:lÎr, cette. brume, cette :I,tlllO~~~h~l:e ~(!u' !,I e~: ~i dil'fidJu de définir, oÙ 1'011 cherchc IIl1e sortie, dc nouvelles po~slbJlI[eS d ,IV\ lIir ... une place oÙ vivre ... Mais les personnages ne voient pasclatr~melll,!c~, :hl) rh'S, ils rêvent. .. ils veulent aller à Moscou. (Dans un écla.t de me) .SI .1 c[,als I(;alis[e je leur dirais: "mais pourquoi n'achètes-tu pas ton bIllet de l.ralll a,lI,llI'll dc parler pendant deux heures de Moscou ... " On parIe de Moscou mais elllallllli parle d'autre chose ... ce qu'il~ atte?d~nt de Moscou, ce n'est pas seulemclIl MI)~ l"IlI, c'est une autre vie, une vie qUi ait un but... « Lorsqu'on considère ma scénographie des Trois Sœurs, combien ~11l: 1'111'1111 simple, et pourtant la tâche était malaisée. Nombre,?e gens l'ont ~ompl'l~. I.III,I':,I~, sihle de chercher l'illusion dans l'espace de ce theatre .. Je I?e SUIS dO~lc dl!, .h vais jouer sur une extrême rigueur, sans la moindre I!IUSlO~. Je vais <'n"'1 ,1111 ensemble de panneaux gris et conférer à l'espace des propo~l~ns ~~lIes «(l,": 1 1111 Ile pourra s'empêcher de dire: 'C'est bien ainsi que cela dOit et;c '. I~t: lall d"11 panneaux gris parfaitement reconnaissables en tant que tels, de~ouJilcs d.(' 1,"111 accessoire anecdotique et dépourvus de la moindre ornementatl~n descl:lpl,IVI', délimitent un unique espace rectangulaire. Svoboda tire même par~1 de la (,h Il 11111 1 lion de la hauteur de la scène en son milieu pour accroître le p~lds dt: l.a[IIIIIS pl1ère et accentuer l'impression de distance par le ca~actère cm~mascopllill" ',ho l'image scénique. Cet espa~e gris .~lair sert de ca~r~ ~n!q,ue ~~x ~Ivers :1:,[t:S: 1.11111 de toute dématérialisation 1] s'affIrme dans la sevente eqUlII?ree de st:s pl "1'1 Il lions, mais les dispositions successives des éléments scém~ues au cours dl'~ divers tableaux lui font subir une série de métamorphoses subtiles .. , Au premicr acte et au second la plantation ?es ~ivers,es pièces,.d~ ,1~lohJlIl'I' (piano fauteuils, tables, chaises, etc.) est presque Identique a celle qu dVdlt:llt VOII lue St~nislavski et son décorateur Simov. La vie se dér~ule naturellclllell~ ail rythme des jours. Mais l'imprcssion créée es~ totale~e?t différente de ~~ qll. <;,11,<: pouvait être chez Stanislavski: tout naturalisme a ete exclu. Des pelsollll.lgt:s paraissent effectivement se serrer contrc des mu!s ine~istant~, e~ l'abscl~cc d,l: toute fenêtre seules quelques plantes vertes suggerent 1 en.dr?lt ou le s?leil ~h)\1 pénétrer dans cet espace d? la nostal.gie. Le piano es~ un vrai pIa?O de bOIS.II,l:.lIS, I:~ tapisserie des sièges est gnse, ce qUI les fond dans 1 ensemble Visuel, les r'.lccoldt: aux panneaux qui limitent l'espace et ne .leur laisse ?'i~~ortance,qu'.aux 1~~SI:~"~S où, occupés par un personnage, ils sont directement lI1seres dans 1 actIOn dl .1111.111que. «Dans Les Derniers de Gorki », dit Svoboda, «j'ai accentué les meubles, 1'<;11forcé leur présence, souligné Icurs structures. Mais chez Tchékho,: il faut au COlitraire les adoucir, presque les faire disparaître, les étouffer. On dOit naturel]ell1t:1I1 conserver aux meubles leur apparence réaliste; les personnage~ sont d~s g<;IIS vivants habillés normalement, mais on doit aussi éteindre les tonalités dont ~Is s01l1 vêtus. Ces gens sortent presque de l'horizon et lorsqu'ils s'éloignent vers le fOI~d (.I~ la scène ils devraient comme disparaître dans le paysage, se fon.dre e? lUi 1),11 mimétisme. Ils sont des produits de ce paysage et du milieu. VOilà ql1l est tr~s important. Je]e sens, je ne sais pourquoi ... Je,sens tr~s fort~~ent Tch~kho~ .CI.l~ sais immédiatement ce dont il a besoin sur la scene. MaiS le ~eahser e~t tache dl duc. Nombreux sont les décorateurs qui savent ce qui est néceSSaire ... MaiS commcnllt: 107 créer? .. Ces vieux décors, ces bouleaux, ces motifs peints sur tulle, tous ces accessoires démodés, ce théâtre couvert de poussière ne conviennent pas à Tchékhov ». Au troisième acte le cadre gris est moins visible et l'espace de jeu, l'espace de vie des personnages se comprime. Des paravents plaqués vers l'avant laissent aux acteurs une zone de jeu réduite. C'est l'univers petit-bourgeois où vivent les trois sœurs, c'est aussi le monde étroit et d'autant plus étouffant où éclatent les crises. Au quatrième acte l'espace est comme libéré: jamais il n'a paru si vaste - trop vaste pour ceux qui s'y agitent - et si dangereusement vide. Quelques branches suspendues, au fond à droite des meubles de jardin peints en gris, au premier plan à gauche une balançoire, planche accrochée à deux cordes, une lumière vaporeuse sur le fond gris des panneaux, c'est le jardin que chacun traverse, c'est aussi l'espace libéré en diagonale des échecs et des adieux, celui qu'agrandissent encore les bruits d'au-delà de la rivière qui paraissent provenir de quelque lointain inaccessible. La cinétique du décor des Trois Sœurs réside dans le rapport changeant entre un espace fixe, qui est comme le temps arrêté auquel paraissent suspendues les trois sœurs, et l'organisation variable que lui confèrent les éléments qui le peuplent au cours de l'action. L'espace semble vivre d'une vie naturelle, puis se comprimer jusqu'à la crise, se dilater et se détendre pour n'être plus à la fin que le vide où errent, comme en une danse, les trois sœurs prises dans un de ces tourbillons qui emportent les feuilles mortes. Apparemment trois décors successifs, en fait un univers qui peu à peu se révèle à nous et où soudain tel objet ou tel autre se pare d'une étonnante présence dramatique pour bientôt reprendre sa place dans le concert des instruments scénographiques. Un samovar au début de la pièce ... une balançoire au dernier acte ... : à première vue ce n'est là qu'un objet, mais les personnages ballottés par la vie s'y balancent (Irina, le docteur, etc.), elle devient comme un piédestal un peu ridicule pour le seul qui tente de dominer un tant soit peu les événements (le mari de Macha) et elle reprend sa place de simple accessoire qu'elle est, mais chargée du pouvoir expressif que lui a conféré son insertion dans le jeu dramatique. Le décor des Trois Sœurs joue la pièce et aide à sa découverte progressive. Il n'est pas donné d'un coup, c'est peu à peu qu'il se laisse déchiffrer par les spectateurs qui subissent inconsciemment l'effet de ses tonalités et de ses proportions, de son espace et de ses arrangements, au fur et à mesure que ses divers éléments affirment leur présence et, dans leurs rapports avec les personnages, tissent une trame de suggestions et d'évocations. Telles sont les diverses formes que prend la cinétique scénique chez Svoboda. Qu'elle se manifeste par le mouvement réel ou par une découverte presque insensible des structures, elle est dynamisme. Rien ne définit mieux, dans sa nature profonde, la scénographie voulue par Svoboda que ce texte sur l'œuvre d'art du metteur en scène de cinéma soviétique S. Eisenstein extrait d'un de ses principaux écrits théoriques « Montage 1938 » : « Envisagée dans son dynamisme, l'œuvre d'art est un processus de formation des images dans la sensibilité et l'intelligence du spectateur. C'est en cela que 108 "IIiISislc le propre d'une Icnvre d'arl vraill1cnt vivanlc, ce qui la distinguc tics \l'uvrcs mmtes, où l'on porte 1\ la connaissance du spectateur le résulta! représenll~ d'un processus de création qui a achevé son cours, au lieu de l'entraîner dans k,'lInrs de ce processus. « Cette condition se confirme toujours et partout à quelque domaine de l'arl qu'on touche. C'est ainsi que, pour l'acteur, "jouer vivant" consiste, non à repr(:. Hl.:llter le résultat copié des sentiments, mais à faire naître ces sentiments. il I,'s ,!l,ire se développer, se transformer, à les faire vivre devant le spectateur. «C'est pourquoi l'image d'une scène, d'un épisode, d'une œuvre, cie .• n\~xiste pas comme un donné tout fabriqué, mais doit éclore, s'épanouir. « C'est pourquoi aussi un personnage ne donne l'impression de la vie qUI: si son caractère se forme dans le cours de l'action, s'il n'est point un pantin lI1éeani que étiqueté a priori. «Dans le drame il importe particulièrement que le cours des événements Ill: s.'home pas à former des représentations du caractère, mais qu'il forme, qu' ilimage le caractère même. «Bref, la méthode de création des images dans l'œuvre d'art doit reproduire le processus par lequel, dans la vie, la conscience et la sensibilité s'enrichissent d'images nouvelles» 93. La scénographie de Svoboda nous entraîne dans le processus même de sa création. 93. S. EISENSTEIN, Réflexions d'un cinéaste, Moscou, Éditions en langues étrangères, 1958, pp. 75-76. 109 Dans celte évocation Otol1lar Kn.:jça suggèn.: hicu l'all1losphère du spectacle, Sans entrer dans les détails techniques, il relld pour aillsi dire palpable l'une des formules chères à Svoboda lorsqu'il utilise la projection: le contraste, mieux encore la tension entre la rigueur des structures du dispositif et l'immatérialité c~ang~~nte, non ~eulement des images projetées mais de leur combinaison. Le dlspo~lt1f d U~ 1zmanche d'août comporte un plateau incliné recouvert d'un tapis boucle vert qUI evoque comme les bords d'un étang. Ce plateau à la limite curviligne se prolonge d'une surface de tulle dotée de la même inclinaison (10%). Forman~ avec elle un angle de 45° une autre surface de tulle inclinée vers le public la d?mme. Ces deux surf~ces sont destinées à recevoir des projections (la première d ~n haut,.la s~c?nde sl,multanément de l'avant et de l'arrière) qui rendent la griS,mile du Ciel, 1 mr humld~ et cha~d et la surface calme de l'étang, tandis que leur hgne de contact est une fente honzontale par laquelle se répand une lumière diffus~ qui crée une impression de profondeur et de brume à la surface des eaux. ~m~ l',~sp~ct demeu.rerai~ s~~, trop précis et comme trop matériel si les projectIOns n etment pas demultlphees et rendues plus vaporeuses, La qualité même de ~eur, support l~ p.er~et : le tulle laisse passer le regard et apercevoir d'autres projectIOns plus elOlgnees, La ligne de contact des deux tulles est aussi celle de deux surf~ces de. shirting presque verticales dont l'une se dresse en s'éloignant du pubhc tandiS que. l'autre symétriquement inclinée se prolonge dans les dessous. Tout~s deux reçoivent des pro~ections par l'avant que l' œil du spectateur perçoit e~ ~eme te~ps que cclle,s q.UI frappent les tulles et à travers elles. On imagine msement le jeu des combmalsons multiples et changeantes, des insensibles' fond~ls enchaînés ~ue pe~met ce dispos:t!f, d~s variations aussi impalpables que celle dune atmosphere qUI se colore de 1 emotlOn des personnages, Le dispositif de la pièce de Topol Fin de Carnaval comporte, lui, en dehors du plateau ~ropremen~ dit, une plate-forme basculante qui, au premier plan, permet des en~rees d~ drOIte et de gauche et comme un vaste écran en trois rectangles allonges, m~blles d'ava~t en arrière, d'arrière en avant, et capables de pivoter. Le plus bas, qUI p~~~d appUI sur le sol, forme un mur (d'extérieur ou d'intérieur) aux stru~tures mO~lf~a?le~<; el englobe des éléments réalistes (tels que porle~ etc.), sus~eptlb]es de s ?Ifnr a la vue ou de rester dissimulés. Il peut en outre se plier et evoquer alors 1 angle de deux murs. Les deux autres, suspendus aux cintres n'ont pas de ~i?nificati~n immédiate mais, supports à projections, ils entrent dans la compOSition ~Iastlque et permettent de limiter de diverses manières l'espace ~erçu, Ces troiS rec,tan~les peuvent ainsi se composer en une surface presque contmue pour une projection globale (ornières d'un chemin boueux troncs et branc~~s d'arbres hivernaux, etc,), ou au contraire se désarticuler, êtr~ plus ou moins VISIbles pour le spectateur, atteints de projections plus ou moins nettes selon leur emplacCl~e~t, ~t l'éclaira~e ~mbiant. Cette composition et cette décomposition, cette vanablhte de la projection dans sa structure et dans son mode d'apparition ~orre:~ondent au contenu même de la pièce et aux divers plans de réalité (réalité Immediate, monde des masques, etc.), sur lesquels elle joue, Si l'on se rappelle la multiplicité des écrans aux formes anguleuses ou curvilignes que Svoboda suspendit pour La Femme sans ombre l'écran-miroir du Mariage de Gombrowicz ou encore les fils verticaux de Tris;an et Isolde dont il 116 IIlilisa également le principe dans Les 'J'rois Sœurs monté par Lawrel~~e Olivi~r ~ l,ondres, on aura une idée de l'extraordinaire variété des supports 'lu 11 el1l.plo~e. Cette diversité se retrouve dans le domaine des diapositives et de leur fabrication. Svoboda recourt à tous les procédés imaginables. Au début Il les dessinait lui-même directement sur le verre, puis sur l'émulSIOn du 1 m, . es a p~1I1 es Sll le verre avec des couleurs à l'acétone ou à base de polyester. Il lUI est arnv~ de les ),!,n1ver dans le verre, d'utiliser des verres différemm~nt pressés et Il~lIdlis. Aujourd'hui il recourt surtout à la technique photographique : p~otogr~ll~hle~ d\' str~ctures microscopiques, d'éléments naturels (arbres, etc,), d elen:ents emp,lIl11 lés à des œuvres d'art (doigt de Dieu de MichelAnge pour Le Manage, arcl,lIlc\' \II'res d'époques diverses, etc.), mais la plupart du temps il ,ne se c?ntentel:o,1II1 d\' la photographie immédiate et se livre à un patient travml de dec~mpOSI(IOI~, \:1, recomposition, de répétition et de collage, Imssant telle v,ue apparmtre en I!OSI,t Il et telle autre en négatif. Ce qu'il photographie, c'est aussI son propre travail I,!I\, tura\. Imaginons Svoboda, un morceau de cipror à la ma~n, Il ~n frôle la surla\'l' d'un pot de couleur. Il le plaque sur une feuille de papier pUlS le happ;, O~I Il' laisse traîner à la surface de la feuille lui imprimant telle ou telle forme d oscllla tion. Il obtient ainsi des effets d'épaisseur et d'opacité, de ~ tr~ns?a~e?ce O~I dl: '1 rt' ou des jeux de lignes, de bandes et de nervures. Tantot Il n utIltse q~1 1I11\:C a e, ~ l ~l l ' couleur et joue avec des effets abstraits de moirure, tantot 1 en me e p u~'ellrs,Tantôt le fond de papier blanc transparaît ici el là, tantôt il a totale~ent dlspar,\I sous la couleur. Mais Svoboda ne laisse point en l'état les surfaces pel~tes, I~ S:IIsit sa paire de ciseaux, découpe, colle et procède à un montage contra~te de llivers éléments, Il ne restera plus qu'à photographier le résultat de. ce travml ~our l~hlenir des diapositives en format 18 x.l ~ dont la projection amme:~ un de~OI: S~1I0:~ réduit au simple volume de ses frOIdes s~ruclur~s. On pourrmt multlph~1 I~~ exemples, ils nouS montreraient Svobod.a lmpr~vH;ant de nouvelles techmq\ll:s picturales pour obtenir l'image fluide qU'II souhaite. Superposition de projections dans l'espace, où les couleurs se ~e1ent ct ~e combinent en des effets additionnels ... «Avec toutes ces choses », dit Svobl~d." « on peut travailler à l'infini. Je crois que ~'est I~ m~ méthode, cette po~ypro~~{:tion que j'expérimente depuis 1950. Je pUlS aVOIr d un .seul coup 25 dlapro.lec~ teurs sur une scène. Inutile qu'ils soient extrêmement pUIssants, Leur nombre 1lIl: permet une plus grande efficacité. Je combine les surfaces,l~s unes par rappOI:t aux autres, les unes sur les autres, Je joue des couleurs additives, e~c, Ce ~ont là des méthodes scénographiques avec lesquelles on peut vraiment Fe,lndre dzr~c'ement dans l'espace. Je pense que cela est nouveau et ces procedes sont nes en Tchécoslovaquie » .. Songeons enfin que Svoboda ~êle aussi, ,Ior~qu'il ,~'estim~ ~éc~ss~lre, la projection cinématographique abstraite aux projectlOn~ ft,xes qUl ~?paralss~nt et s~ fondent. Nous aurons ainsi une idée du « décor projete» tel qu tl le prat1qu~,~ Le terme ne convient point en réalité à son travail ni à ses méthod~s. Dans le theatre qui est le sien, la couleur et les formes projetées décriv~nt maiS, surtout, por~enl l'atmosphère et jouent le drame au gré de leurs fluctuatIOns. ~l1es ~e sont pas UI~ « engin décoratif» mais le plus souple des moyens d'expre~s~on VIsuels et, av~c la lumière, le plus musical. On comprend dans ces conditIOns que Svobod.\, 117 to~t~s ces s~lutions présen~ent un désavantage considérable. Elle délruisenl h' m~dlUm de 1 e,spaee dramatl.que, elles affaiblissent le lien fondamental el anlino mlq~e de la scene et du public sans lequel le théâtre n'est plus le théâtre et devicnl un simple spectacle. ~n d'autres mots: la scène à l'italienne, bien qu'elle ne col' ~esponde plus aux eXigences des méthodes scénographiques actuelles reste 1011 Jours la meilleure. Voilà, me semble-t-il, le dilemme fondamental» 1l3.' Est-ce à di~: qu~, ~~ut~ de mieu~.' Sv?bod~ désire en revenir purement et simplement au theatr~ a 1 l~alI~nne, qu 11 lUi paraisse offrir le compromis nécessaire et vala,~lepour au~ourd hUi et pour demain? Il n'en est pas question et les réser. ~es qu ,II formule a son égard le prouvent. Simplement il ne peut accorder sa confiance a des form~s, qui, ~pparemment nouvelles, appartiennent en fait au passé, :1 des structures stereotypees dans lesquelles il faudrait faire entrer le drame de force. Sous des apparences plus souples le théâtre transformable n'est lui-mêm ' q~'~~ outil ~té~éotypé puisqu'il propose seulement un choix entre des solution~ defmlCs a pnon. Le dil~mme. semble donc nous conduire à l'impasse, mais il n'en est rien. ~ans une mtt~~:lew publiée en 1959 Svoboda déclarait: « J'incline plutôt vers le VI:UX .type deJ~.connu ~u théâtre variable (par exemple le projet de Théâtre du Tra~aJl de K~u:I.1 ~t Bunan) et vers une sorte d'immense hall de montage dont on aurait la po.sslbllIt~?e ~hanger les conditions spatiales et acoustiques» 114. Option ~e base qUi se pre~lsaI~ progressivement puisqu'en 1964 à ma question: «Et si 1 on vous propo~aIt aUJo~rd'hui de faire construire un théâtre selon vos rêves, quelle :or.me lUI d?nnenez-v?us? », .Svoboda répondait: «Celle d'un grand espace absolument libre et vanable qUI permettrait à l'animateur de décider pour ch~~~e spectacle de.s str.uctures de la scène, du nombre des spectateurs et de leur P?sltlon. On pourrait y Jo.u~r Shakespeare, Tchékhov ou Ionesco. Chaque auteur recla~e un~ appro~he speCiale, une position particulière des spectateurs par rapP?rt a la scene. Mats le problème est grave et il faut se préparer sérieusement à le resoudre» 115. Svoboda ~st certes très intéressé par les projets qui offrent la possibilité de m?deler la sce~e,et les rapports qui la lient au public, mais il pense que le prob~e~ne :st en ge~eral m~1 posé. Ce n'est point l'espace théâtral, concept abstrait, pd~?lysant et qUI condUit ~mmanq,uablement au choix de structures stéréotypées, qu II ~aut prendre ~our pom,t de d~part de notre réflexion, mais la notion dynamique d espace de. rn/se e~ s:'ene qUi naît de la réalité concrète de l'œuvre dramatique ~t de so~ mterpr~tatlon par l~ ~ette~r en scène et le scénographe. Cet « ~SPdce, de mise en ~cene » ne se limite pomt à l'aire de jeu, mais il englobe ce q~ on deno~m~ ha~ltu;lIe~entla scène et la salle. L'organiser c'est, pour une pièce donnee, repartir 1 actIOn et les spectateurs, créer entre eux des liens physiCommunication de J. SVOBODA, citée. 114. «Scéna pi'ftomnosti a budoucnosti », interview de J. SVOBODA publiée dans Ocho/ "k' d' _dlo, Prague, 1959, p. 108. ' fliC e [va 115. Cf. mon article« Technique », in loc. Cif" p. 8. 160 qlll;s particulicrs, fOlll'lIil' ~ II:III'S al:lions et réactions la caisse dc l'éSOIl:IIICl' qlll l "'1'1 Il et le il la communication dramalique d'atteindre son maxillluill d'elrical;Ïh~, Svoboda sait bien que, si remarquables qu'ils soient. ses dispositifs pour 1,1',1' Anabaptistes ou Le Mariage auraient vu leur pouvoir accru s'ils s'étaient dl'es/H(M dans des « espaces de mise en scène» moins contraignants et différenls de ('('111\ qll' imposaient le Théâtre national de Prague et le Schiller-Theater de Berlin. )"1111 Illi Tchékhov est le dramaturge des horizons bas et des cadres surbaissés: ililpON sible d'abaisser le cadre de scène du Théâtre Tyl sans léser la moitié des SPl'l'll1 Il:urs, et pourtant il ne s'agit là que d'une transformation modeste. Le Ihéfiln' d01l1 il rêve est celui qui laissera le champ libre à tous les possibles el pel'llleill'Il 1111 régisseur et au scénographe d'organiser comme ils l'entendent<< l'espace d(' IIIINI l:n scène» que chaque œuvre leur paraîtra réclamer. À cette notion d'« espace de mise en scène» Svoboda avoue n'avoir IIiIiIIIIN été aussi sensible que lorsqu'il conçut le dispositif de Don Giovanni pn</'I('IIII\ III 1969 au Théâtre l'yI de Prague: « J'avais déjà créé cinq scénographies différenles de Don Girmllll/l, IIIUI ri Ostrava, une à Brême et trois à Prague. C'était ma quatrième réalisalioll l'lU guoise. J'avais toujours éprouvé le sentiment qu'il me faudrait un jour ItOIlV,'1 une scénographie qui dise: c'est unpragensis 116, une mise en scène née il 1'I'Jil-lllll, dans le Théâtre de Mozart, ce Tylovo qui pour moi recèle déjà en lui l'atlllosplil'1\1 même du Don Giovanni. Je ne cessais d'y penser, mais je ne trouvais pas la SIIIII lion. Lorsqu'avec Kaslfk nous avons réalisé à Wiesbaden le Faust de GOllnod, que j'ai prolongé la salle sur la scène en y répétant les loges latérales el que j'ai VII la représentation, j'ai compris d'un coup que si je remontais Don Giovanni il l'l'II gue, il me faudrait utiliser le même principe mais de manière encore plus rigoll reuse et plus forte. «J'ai donc répété les loges non seulement sur les côtés mais aussi à l'alTi~I\' plan. Et ces loges de l'arrière-plan montées sur des plateaux roulants pouvaielll éventuellement s'écarter pour découvrir trois toiles de fond (scènes du cimetil:n', de la place dans la ville, du jardin) qui ressemblaient à ces vieilles perspeelivl'~ que dans l'ancien théâtre on sortait du fundus afin de les uliliser pour des pii:Cl:N différentes. «Les fausses loges du plateau, entièremenl praticables et plasliqlll:s, paraissaient aussi réelles que les vraies. Elles s'intégraient au jeu. Et l'action semblait se dérouler dans tout l'espace du théâtre. Point de rampe. On jouait allssi au-dessus de l'orchestre. Par des passerelles j'avais relié au plateau les loges d'avant-scène également utilisées. Au moment de la fête chez Don Juan, la salle même était éclairée: c'était comme un bal à l'opéra. Le système scénographiqlll~ pennettait la mise en œuvre de toutes les situations dramatiques. « Mais il faut le souligner: on ne pourra répéter une telle réalisation en lin autre lieu. C'est seulement à Prague qu'elle prend toute sa signification et c'esl la forme même du Théâtre Tyl et de ses loges qui la rend possible. Il faut avoir vécli 116. Terme utilisé par les Tchèques pour désigner des livres, tableaux, plans ou autre objet n:présentant la ville de Prague. (N.d.E.) tôl l'atmosphère de ce spectacle pour le comprendre. Ce n'était point sculement l1ll opéra, c'était un concert, une qualité nouvelle ... Tout était logique. Aucun naturalisme, aucun expressionnisme. Au cours de cette représentation j'éprouvai pratiquement le sentiment de ce qu'est vraiment "l'espace de mise en scène", cet espace global nécessaire à la perception totale et profonde de l'œuvre théâtrale. Pour Don Giovanni il unissait dans une même atmosphère l'action dramatique et la "salle". Ainsi à l'intérieur même d'un théâtre traditionnel il était possible de concevoir pour un opéra un espace de mise en scène apparemment idéal, mais c'était là un cas d'espèce. Le théâtre dont rêve Svoboda doit permettre de le créer à nouveau pour chaque œuvre. Quelle sera l'apparence de ce théâtre et quels en seront les moyens? « Un grand atelier dont les murs, le plafond et le sol auront toutes les possibilités, c'est-à-dire qu'on pourra tout y fixer, que n'importe où l'on pourra s'enfoncer en profondeur ou enlever une partie du sol ou s'élever à une certaine hauteur, que vous pourrez créer à volonté divers rapports entre la scène et la salle, et ces rapports seront justement déterminés par la mise en scène; qu'il sera possible de placer un projecteur n'importe où, de le dissimuler n'importe où, que l'on pourra grâce à di vers appareils transporter des parties de décor» 117. Dans cet atelier on n'utilisera pas seulement les méthodes de l'éclairage traditionnel fondé sur l'emploi de projecteurs fixes, mais aussi les projecteurs mobiles capables d'évoluer au cours de l'action, de transformer lentement le jeu des ombres sur la scène. Faudra-t-il supprimer les cintres ? Non, sans doute, mais les adapter aux fardeaux qu'il leur faudra porter. Les éléments de machinerie lourde (système de rotation, etc.), ne seront admis que s'ils sont indispensables à l'organisation de base de l'espace et l'on fera surtout appel aux éléments de mécanisation légère que l'on combinera à volonté comme les cubes d'un jeu de construction. L'acoustique elle-même sera variable et incorporée à la scénographie. Tel sera le cœur du théâtre, son centre de création. Exclue de ce lieu purement fonctionnel, la décoration sera réservée aux seuls accès, aux seuls espaces où le spectateur se prépare au spectacle. Encore ce théâtre ne devra-t-il pas être conçu comme un outil aux caractéristiques définies une fois pour toutes: « Le problème essentiel, c'est de ne pas construire un théâtre fixe auquel on ne pourra plus rien changer, mais un espace neutre auquel il sera possible d'ajouter facilement, rapidement, sans que cela coûte trop cher, tous les nouveaux appareillages nécessaires ( ... ). Il s'agit de construire un organisme vivant» 118 • ... La part du rêve ? Peut-être ... mais Svoboda n'est pas de ceux qui aiment voir les rêves ne point devenir réalité. Ses conceptions en matière d'architecture théâtrale s'inscrivent dans la logique de sa démarche. Elles témoignent de la manière dont un homme sait se libérer de concepts traditionnels trop fortement ancrés dans les esprits pour jeter sur les problèmes du théâtre un regard neuf. Que 117. Communication de J. SVOBODA au Colloque de la première Quadriennale internationale de Scénographie de Prague (1967). 118. Propos recueillis par Nicole ZAND, « Entretien avec Josef Svoboda. "Il faut construire des théâtres qui soient des organismes vivants" », in Le Monde, Paris, 14-15 avril 1968 162 l'lIn.:hitecturc théâtrale proprelllellt ditc, ou plutÔt la réparlÎtioll public-actioll dl'll Illaliquc dans un espace conçu comme modifiable, puisse devenir un élémcnl dll sn"l/lIr;o, voilà une idée-force qui bouleverse les habituelles théories ct fait ouhli\;r ks prises de position fanatiques en faveur de tel ou tel type de scène privilégié. l,\' théâtre prévu par Svoboda est essentiellement et selon ses propres termcs 111\ i( atelier de création» dont tous les services seront rigoureusement coordonnés, 11\111 seulcment par souci d'économie, mais encore et surtout parce que toute cré:ltioll doit pouvoir être le fruit d'un travail collectif qui engage chacun, des machinish:s 1111 metteur en scène. Il s'agit bien d'un lieu ouvert à la libre création qui permctllllllllx auteurs du spectacle de choisir délibérément leurs moyens d'expression L:I dl' 1'\11 combiner selon une logique et des rapports qu'ils auront euxmêmes détcrmillê 163 L'UNITÉ D'UNE ŒUVRE Une exposition Svoboda. Des esquisses, des maquettes construites, des photographies de scène, deux courts métrages qui évoquent pour nous le travail du scénographe et ses réalisations majeures. Voilà que d'un coup se trouve résumée une carrière et que sont brusquement confrontées ses diverses étapes. La première impression est celle d'une extraordinaire variété. Svoboda est l'homme aux multiples visages: primitif, classique, baroque, futuriste ... mais cette diversité dissimule à peine la profonde unité d'une œuvre. Permanence de certains thèmes plastiques. Svoboda appartient à ces artistes du vingtième siècle qui, comme les aniI'nàteUrs du Bauhaus, aiment revenir aux formes primitives; soUrces de tout équilibre spatial, témoignage de la mainmise de la raison sur une nature domptée: le carré, la sphère ... Symbole: un S carré inscrit dans un autre carré, c'est le sigle de Svoboda. Et le carré transparaît dans nombre de ses décors à travers surfaces et écrans. Il s'inscrit dans les plans de dispositifs, celui du Mariage, ou celui du Trouvère qui oppose deux plateaux carrés aux relations variables. Il se multiplie jusqu'à l'accumulation: échiquier du Don Giovanni de Brême, mur d'images du Diapolyécran. Il est aussi surface du cube en lequel il peut se développer et les cubes souvent peuplent l'univers scénique de Svoboda: de Roméo, Juliette et les ténèbres au Voyage. Autant de cellules oÙ la vie se concentre. La scène même peut se transformer en un cube compressible, comme l'espace blanc des Héros ne demeurent pas à Thèbes. Le cube et la sphère: volumes fondamentaux de notre univers, symboles opposés de son organisation. Svoboda aime la sphère, forme parfaite. Elle est présente dès Les Contes d'Hoffmann de 1946. On la retrouve dans l'lntolleranza de Venise, dans Atomtod oÙ eHe n'est plus que la dernière cellule oÙ l'homme' puisse tenter de se protéger contre la mort atomique. On la revoit au cœur de laPolyvision. Elle est aussi, réduite à une charpente immense, massive et fragile, le Theatrum Mundi des Anabaptistes oÙ l'homme exploite la foi de l'homme. Cercles, sphères, hyperboloïdes enfin, comme ceux du Pèlerinage, des Contes d'Hoffmann de 1947 ou de la Polyvision. Autant d'éléments de ba'se', l'ettres de l'alphabet scénographique de Svoboda. Lorsqu'on confronte les dispositifs de Svoboda on ne peut s'empêcher de constater sa prédilection pour un. certain nombre de structÙres qui lui permettent d'organiser fonctionnellement l'espace au service de l'action dramatique et dont 165 la signification, qui dépasse leur fonction spatiale, varie selon la forme qui lelll' est conférée et les œuvres qu'elles servent. L'escalier, par exemple. Des Yeux tI/' Kumil en 1945 au Prometheus de 1968, combien d'escaliers portent l'action et IL: destin des hommes (Aida, La Femme sans ombre, Œdipe roi, Carmen, etc.). La pente, qu'elle prenne la forme d'un vaste plateau incliné qui projette l'action vers les spectateurs comme dans Les Propriétaires des clefs et Les Derniers, ou celle de plateaux basculants à l'avant de la scène (Fin de Carnaval) ou à l'arrière-plall (Le Trouvère). Escaliers, pentes, ce sont autant de voies, et les voies parfois sc rencontrent, ou, partant d'un point, divergent pour se perdre en des horizons mal définis. Le croisement obsède Svoboda - « J'aime », dit-il volontiers « les voies qui se croisent» - comme si l'idée le pénétrait que l'homme est toujours « au carrefour », toujours confronté à divers possibles entre lesquels il doit choisir, ou au contraire pris dans une réalité multiple dont les divers aspects lui échappent ou le trompent (La Fiancée de Strindberg, la Julietta de Martinu). Ces croisements sont aussi ceux des escaliers ou des surfaces transparentes dont les pentes se répondent symétriquement comme dans la Carmen de Brême ou la Polyvision. De la présence de thèmes plastiques qui reviennent ici et là, il ne faudrait pas conclure à leur continuel retour. Ils sont, dans le développement d'une carrière, comme des leitmotive et témoignent d'un goût inné de Svoboda pour certaines formes qu'il utilise lorsqu'elles lui paraissent capables de porter des significations ou de les soutenir, d'exprimer directement ou indirectement l'univers du drame ou de contribuer à sa révélation.,11 ne faudrait pas non plus conclure à une géométrisation totalitaire. Ces formes ne constituent qu'une part de l'alphabet plastique de Svoboda. Elles s'inscrivent pour chaque œuvre dans un tout organique. Elles peuvent même ne pas être directement perçues par le spectateur, mais agir au niveau de l'inconscient. Souvent aussi elles sont noyées dans un ensemble complexe ou totalement absentes. C'est dire que toute systématisation est rejetée. La présence de formes géométriques et la rigueur d'une composition qui ne se fonde pas sur la théorie (<< Je n'applique pas les règles du nombre d'or. Je ne suis pas un esthète et n'ai pas de temps pour de tels enfantillages ») n'excluent ni le réalisme 'Iorsqu'il est nécessaire, ni le lyrisme lorsqu'il doit éclater ou la sensibilité en demiteintes. Nul dispositif pour Les Trois Sœurs n'est sans doute aussi géométrique que celui de Svoboda pour la mise en scène de Krejca, et nul pourtant ne m'a paru aussi capable de laisser entendre la respiration des êtres. La force d'expression des réalisations de Svoboda tient aussi à l'application d'un certain nombre de principes de création scénographique. Deux d'entre eux, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer au passage, sont d'une particulière importance: le contrepoint et le collage. Le contrepoint: c'est par le jeu des éléments qui se répondent et s'opposent dans l'espace que Svoboda anime ses dispositifs scénographiques et qu'il en accroît les pouvoirs d'expression: les verticales s'opposent aux horizontales, les sphères contrastent avec les angles aigus comme des éclairs ou des éclats, les surfaces planes se détachent sur d'autres bombées ou comme labourées, des éléments réalistes s'insèrent dans un ensemble presque abstrait, la couleur lutte avec 166 Il: Imil' et blanc, la mobilité vient ébranler la fixité. Le temps s'arrl:le clic leillps rile, le p-assé joue avec le présent, les lieux et les visages se regaruent. À ce principe du contrepoint est liée la pratique du collage. Svob?da estime :1 illste titre que la scénographie doit se créer ses moyens d'ex~resslOn propr~s, 'Aussi n'aime-t-il pas les décors qui ne sont que peintures agrandies. Que lc~ pelll Ires cubistes aient conçu des décors cubistes peignant selon leur s~yle de,s tOileS, dl' t'onu et des châssis, ils ne faisaient que transplanter une formule a la scene, '111111(' ~ la réduire au rang d'un simple procédé décoratif, au lieu de repenser l'eSpIII'(' scénique à la lumière des principes même du cubisme et à .partir des modes dl' vision et de représentation qu'il sous-entend. Comme le p.emtre certes SVOl,Hldll IItilise la couleur mais elle quitte alors le domaine de la pemture pour devellll' 1111 élément d'expre~sion strictement théâtral, qu'elle appartienne à l'objet placé Slll la scène ou qu'elle soit portée par la lumière. De même l'image cinématograp.hi que et l'image télévisuelle deviennent entre ses mains des fact~~rs d'expressloll théâtrale. Il en va ainsi du collage. Certains scénographes l'utilIsent comme h's peintres, c'est-à-dire qu'ils composent leurs décors en une séri~ de châssi~ ré:.,1i sés en superposant sur le fond de la toile des matières diverses, Simple appllcat~o,1I à la scène d'un procédé extra-théâtral et qui ne propose à aucun mome.nt un ven table moyen d'expression scénique. Le collage tel que Svoboda le pratique e~I.I~.1I processus de création qui peut et doit trouver d?ns chaqu~ art les formes speciii 'lues qui correspondent à ses structures comme a ses besoll1s. De même que le théâtre est pour Svoboda le plus a~cien des a~t.s cinétiq~e~, d(: même offre-t-il les premiers exemples de collage: qu est donc 1 Image scenlqll,l, sinon la superposition hétérogène de personnages, d'objets et de surfaces A? En ~Itl. lisant le collage au théâtre Svoboda ne fait donc que suivre la nature meme U Il.11 art, mais il emploie à son service toutes les possibilités que lui donnent les tecl~l1Iques d'aujourd'hui: des Contes d'Hoffmann à la Laterna ~wgika, des Den~/~~",\' aux Soldats maintes de ses créations sont des collages qUI en une composltlOll strictement ~oulue nous offrent l'image éclatée d'un univers global. C'est à travers la superposition des plans de perception et la juxta~osition de réalités a~lx natures différentes (l'acteur et l'image par exemple) qU'Il nous propose de ll/'(~ l'action dramatique. Rêve de tous ceux qui en ont pratiqué la technique, le collage s'enrichit même ici de continuelles métamorphoses qui sont la caractéristique des arts du mouvement. L'unité de l'œuvre de Svoboda se limite-t-elle à la permanence de thèmes plastiques et à l'existence d'un certain nombre de prin~ipes de .composi:ion scénographique? L'affirmer reviendrait à oublier ce que Je me SUIS e~force de montrer: la nature de sa démarche, sa recherche d'un espace psychoplastlque, son désir d'unir l'homme et l'image. L'unité de son œuvre est également dans cette démarche cette recherche et ce désir réalisé. Mais elle se situe aussi au-delà, dans une attitude profonde qui sert de dénominateur commun à ses multiples créations. «Il faut» disait Svoboda en 1964, «lutter même quand on est directeur technique : o~ finit par arriver au but. Il arrive que la réalisation ne corresponde pas au projet, que le projet vise plus loin et plus haut qu'elle; cependant Il faut 167