La catégorie des emprunts intégrés recouvre différentes typologies. Outre les faux exotismes et les
dérivations
, elle comprend les emprunts de retour. Cette dernière typologie est constituée par les
unités lexicales (ou structurelles) qui sont considérées des emprunts de l’anglais pour leur aspect
graphique et phonétique ou leur nouvelle valeur sémantique, mais dont l’origine est franco-romane.
Elles sont caractérisées par un processus d’échange linguistique particulier dont le facteur essentiel
est le temps. Le voyage du modèle français vers l’anglais et de l’anglais au français est
temporellement plus long que celui des autres typologies d’emprunt qui advient, dans une certaine
mesure, de façon plus immédiate. Dans le cas du phénomène du « retour », comme le définit
Gusmani: « […] in cui un originario prestito rientra nella lingua-modello di solito con una pronuncia ed
un’accezione nuove, assente nella lingua-replica »
, le français, à l’origine langue prêteuse d’un certain
élément lexical, devient langue réceptrice de ce même élément à l’apparence anglo-saxonne et donc
assimilable à un emprunt direct. Pendant leur séjour au-delà de la Manche, les lexies françaises
empruntées ont été l’objet d’une intégration lexicale et de variations à différents niveaux. Pour la
langue qui les accueille sous leur nouvelle forme, il s’agirait donc de néologismes masqués ou
camouflés.
Cela est vrai dans le cas des transformations graphiques et phonétiques, mais discutable en ce qui
concerne les variations ou les expansions sémantiques subies par ces lexèmes de retour. En effet, il
est nécessaire de distinguer ici les termes qui reviennent avec une orthographe et une prononciation
anglicisées tout en recouvrant et substituant la même valeur sémantique (et culturelle) du terme
original, de ceux qui retournent dans la langue modèle pour assumer une signification et une
fonction différentes. Dans le premier cas, on peut citer deux exemples types des emprunts de retour
comme bacon et tennis (qui seront repris plus en détail dans le paragraphe suivant), revenus de
l’anglais au XIXème siècle selon le Grand Robert de la langue française
(GR):
BACON [bekon], […]; fin XIIème jusqu’au XVIème prononcé [bakō]: « jambon »; déb. XIIème « flèche de
lard »; repris à l’angl. au XIXème […].
TENNIS [tenis], […]; « jeu de paume », 1886 ; sens mod. d’abord sous la forme lawn-tennis, 1877; mot
angl. « jeu de paume » (empr. franç. Tenez; tentez en angl. en 1400), exclamation du joueur lançant la
balle.
Lors de son rapatriement, le terme bacon a subi une simple variation phonétique: de bacon à
becon, re-phonétisé avec un simple é en français; alors que tennis a été l’objet d’un renouvellement
graphique: de tenez (avec prononciation du z final comme il était d’usage jusqu’au XVIème)
à
tennis. En italien, au contraire, le deuxième sens de tennis: « chaussures basses de sport »
appartiendrait plutôt aux emprunts re-sémantisés. Cette dernière catégorie englobe la plupart des
emprunts de retour qui couvrent en grande mesure des « vides de signifiés » dans la langue
d’origine. Il en est ainsi du mot record, dans son sens d’exploit sportif aujourd’hui élargi à tous les
domaines. Son aller-retour est décrit de cette façon dans le Dictionnaire historique de la langue
française
(DH):
RECORD n.m. est emprunté (1882) au mot anglais record « témoignage enregistré » (XIIIème s.), emprunté
à l’ancien record, recort « rappel, témoignage » du verbe recorder « rapporter » et « rappeler » et
spécialisé en sports à propos de la constatation officielle d’un exploit (1883).
Les faux exotismes sont les mots nés indépendamment d’un modèle étranger (foot – footing; record-recordman). Il ne
s’agit pas d’emprunts puisqu’il n’existe pas de correspondants dans la langue d’origine. Les dérivations d’emprunts
sont les néologismes issus d’un mot étranger (snob – snober; to crash- se crasher).
R. GUSMANI, op.cit, p. 96.
Dirigé par Alain Rey, 6 volumes, Paris, Robert, 2001.
E. et J. BOURCIEZ, Phonétique française. Etude historique, Paris, Klincksieck, 1982, pp- 164-165.
Dirigé par Alain Rey, 3 volumes, Paris, Robert, 2006.