Stage académique de formation. Étude d’une notion philosophique : les échanges 20 Janvier 2010
communication des responsables politiques ou dirigeants d’entreprises. S’adressant à une
foule innombrable et indéfinie (même quand le public est « ciblé ») ils n’attendent
évidemment aucune réponse, mais bien souvent la réalité des comportements dément cette
prétention. Le public ne répond pas aux attentes, ne vote pas, ne consomme pas, ne se
comporte pas comme il devrait le faire s’il avait « compris » le message. Communication
défaillante, erreur de communication entend-on sans rire.
Mais ce serait accorder beaucoup de crédit à ce genre de calculs que de reprendre les
arguments d’une soi-disant critique de « la com. » dans la mesure où elle part du même
présupposé que les manipulateurs d’opinion : la stupidité du « grand public », euphémisme
actuel pour cacher le mépris traditionnel envers la populace ou la plèbe. C’est pourtant une
vérité d’expérience que « l’homme pense » ! Ainsi tout homme normalement doué sait-il
déjouer les petits calculs des technocrates qui font bien mauvais usage des techniques de
communication.
Pour définir efficacement la communication, il faut analyser les échanges de paroles.
La communication langagière structure donc tout acte de communication, ce qui change le
point de vue adopté sur la communication. L’idée d’une communication directe et
transparente, des pensées immatérielles sans passer par un médium est une illusion. Toute
communication se fait par un canal, au moyen d’un code ou d’un langage. Il faut donc faire
passer le communicable par des moyens de communications ; en cela, et seulement sous cet
aspect, communiquer des idées, des sentiments exprimables n’est pas foncièrement différent
de transmettre des marchandises ou des cadeaux : il faut les transformer en signes
communicables et les faire passer par un canal de transmission, la voix, le papier, les ondes,
les réseaux Internet. Mais est-ce une raison suffisante pour réduire la communication humaine
à une communication mécanique ?
On a beau dire que la notion de communication est beaucoup plus vaste et englobe
tous les faits de transmission, de passage d’un lieu à un autre, de toutes les choses que
l’homme peut produire, il n’en demeure pas moins que communiquer signifie d’abord
transmettre les représentations que nous nous faisons des choses. La communication a donc
un rapport premier au langage, car « parler c’est communiquer », la fonction de
communication du langage domine non seulement la linguistique mais aussi toutes les
sciences humaines au rang desquelles on peut classer la philosophie.
Toutefois, on peut conserver à l’esprit l’idée que la communication renvoie aussi à
tous les moyens techniques de la communication inventés au cours de l’histoire des
civilisations : les voies de communication, les ponts et viaducs, les bateaux, les avions, les
tablettes, le livre imprimé, le téléphone, la TSF, la télévision, l’Internet et tout ce qui reste à
venir. Ce sont des extensions du besoin de communiquer par la parole. Tous ces moyens
convergent vers un même résultat : « le village global » de Mac Luhan.
Dans L’invention de la communication, Armand Mattelart, montre que la modernité
suit le développement des moyens de communication jusqu’à ce que tous ces liens d’une
complexité de plus en plus grande réalisent matériellement une seule humanité interconnectée,
une seule histoire mondiale unifiée par les mêmes télécoms et renseignements : la planète est
devenue transparente par les satellites et les agences d’information « en temps réel ».
« De même que les protozoaires n’ont pas de canaux, les sociétés inférieures (sic) ne
comportent pas de canaux de commerce et d’échanges »
.
Mais cette interconnexion généralisée ne garantit en rien une meilleure
compréhension entre les hommes. Ce paradoxe mérite quelques remarques : la
communication au sens d’échange et de partage d’un même sens, du vivre en commun n’a pas
Armand Mattelart, L’invention de la communication, La découverte, Paris, 1997, p.89.