Stage académique de formation. Étude d’une notion philosophique : les échanges 20 Janvier 2010
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Les échanges- La communication
Communiquer avec ou sans échange ?
La réflexion sur la communication et les échanges suivra une double démarche :
problématique et didactique :
La problématique concerne la question de la communication à l’ère du « tout
communication ». Celle-ci a-t-elle sa place dans les études philosophiques ? Les rapports
humains définis par l’échange relèvent peut-être d’une ontologie transitoire, on ne peut donc
comprendre ce qui se joue réellement dans un rapport d’échange réciproque sans trouver un
modèle de l’échange commun à divers champs de la pratique. En tant que media, ou
médiation, les techniques impliquées dans l’acte de communiquer quelque chose à quelqu’un
peuvent fournir un fil conducteur de la réflexion.
L’approche didactique s’appuie sur l’expérience de l’organisation d’un cours pour les
classes de terminale pour lesquelles la notion des échanges est apparue récemment dans le
programme de philosophie. Il s’agit de comprendre quelles sont les autres notions impliquées
et comment elles le sont. [L’enjeu méthodologique sera présenté en italique.]
Les échanges matériels et les échanges symboliques
Réduite à sa signification économique, la notion renvoie au travail et à l’organisation
sociale structurée à partir des besoins matériels. Aristote et Marx donnent une caution
philosophique à une thématique qui entraîne la réflexion dans le champ des sciences sociales.
Le déterminisme économiste est-il évité quand on distingue les échanges matériels des
échanges symboliques ? Ce sont les études anthropologiques des sciences humaines qui
s’imposent alors : les échanges matrimoniaux selon la perspective structurale de Lévi-Strauss
ou le « potlatch » décrit par Mauss dans l’Essai sur le don. Mais ces pratiques ont aussi une
fonction économique, et le potlatch, n’est pas à proprement parler une forme d’échange.
Ce recours à l’ethnologie révèle toutefois une dimension oubliée des sociétés de
masses rationalisées : la socialisation de la vie humaine se fait sur le mode de la mise en
commun en vue de la circulation et du transfert de tous les biens produits par l’activité
humaine. Faire société c’est être embarqué dans un mouvement incessant de transmission non
seulement d’objets ou de savoirs mais aussi d’idées, de valeurs, de compétences : en effet, il
s’agit de faire passer aux autres ce qu’on a reçu augmenté de la valeur ajoutée due à notre
action propre sur ce don généralisé. Les échanges marchands ne sont qu’une figure
particulière, une configuration possible, de la relation d’échanges généralisés qui constituent à
proprement parler toute l’économie (au sens de l’oïkonomia, administration de la maison),
l’équilibre dynamique, des sociétés humaines.
Les échanges langagiers
Cependant, la communication et l’échange se comprennent mieux par l’analyse de la
communication langagière, car la réflexion est alors centrée sur la communication comme
circuit ouvert et indéfini ou réseau de communication ; c’est un mode de l’intersubjectivité à
partir duquel le concept de rationalité peut être retravaillé. Ainsi un philosophe comme
Jürgen Habermas prend la rationalité discursive et la pragmatique de la communication
comme objet privilégié de la réflexion philosophique. En effet, il n’y a d’échange humain que
dans l’expérience du vivre en commun. La communauté avec les autres se construit dans le
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contexte d’une civilisation, mais dans les sociétés hétérogènes elle se fragmente en de
multiples identités aléatoires et difficilement compatibles. Pour Habermas, c’est une fin de la
raison, au sens kantien, de travailler à restaurer le partage intersubjectif qui est aussi la
condition pour se référer à un seul monde objectif comme horizon de la connaissance et de
l’action. Le discours orienté vers l’entente avec autrui a cette capacité, d’où une éthique de la
discussion posée comme fondement d’une société vraiment humaine.
Définition préalable de la notion d’échange
L’échange se définit comme une communication réciproque ; communiquer c’est
l’action de transmettre, de faire part de quelque chose à quelqu’un. L’échange a lieu quand il
y a un retour du récepteur vers l’émetteur, ce qui n’est pas nécessairement le cas.
En ce sens, la communication, prise au sens large, est première et c’est la base de tout
échange. Autrement dit, l’enjeu philosophique du fait de la communication, c’est la possibilité
de l’échange, possible mais incertain.
9 notions sont associées : la travail, la matière et l’esprit, la société, la langage, la subjectivité,
la raison, autrui, la technique, la justice.
Problématisation progressive
Poser le problème de la communication dans la perspective des échanges sociaux :
- Qu’entendons-nous donc par communication dans les sociétés contemporaines ?
- Que devient la communication comme interlocution dans une société qui n’est plus unifiée
par un discours commun, un système de valeurs commun, un langage commun ?
Le mot communication est depuis toujours polysémique mais il s’est lourdement
chargé depuis un siècle du discours technique et désormais technocratique des sciences de la
communication. De la communication à « la com. » il y a une évolution qui mérite l’attention
du philosophe. Le professeur de philosophie doit s’informer de la formation des élèves et des
étudiants, tous destinés à acquérir les techniques de communication d’une façon ou d’une
autre. Les élèves des séries technologiques STG suivent des cours de management et de
communication, on ne peut faire un cours de philosophie parallèle sur les échanges qui ignore
ce que signifie « communiquer » pour un spécialiste de management. Comment susciter une
véritable réflexion critique sur l’échange et la communication sans être suffisamment informé
sur les théories de la communication à l’œuvre dans les médias ?
Une fois démêlée la notion de communication conduit à poser le problème suivant :
Une communication sans échanges est-elle possible ou bien dans toute forme de
communication humaine, le récepteur renvoie-t-il toujours quelque chose vers l’émetteur ?
Ce problème se pose de façon impérative comme rapport de la société contemporaine aux
nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est dans cette perspective
que je vais l’instruire et d’abord le reformuler ainsi :
La communication « rationalisée » par la technologie, n’est-elle qu’un effet, une conséquence
de la maîtrise technologique des outils d’information et de communication ou bien est-ce une
forme de l’agir constitutive de la société humaine ? En d’autres termes : la communication
n’est-elle qu’un savoir-faire (« la com. ») livré à une raison instrumentale ou bien est-ce un
agir qui engage une raison pratique ? l’agir communicationnel » de Habermas).
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La notion de communication vaut indifféremment pour des faits de transmission
physiques et pour des faits de langage entre personnes. Gommer ou creuser la différence là est
la question. En effet, il faut considérer les moyens techniques de la communication inventés
par l’homme : en tant qu’artefacts ils impliquent la réflexivité de leur usage. Au contraire, la
réduction de la communication à un simple fait naturel de transmission ou de flux écrase le
contenu de la communication dans le contenant. Ce n’est plus qu’une affaire de canal, donc
une question technique de tuyauterie. La pratique humaine de communication se fait le plus
souvent en vue de l’échange et sous la forme de l’aller et retour (feed-back), elle est donc
plus complexe et recouvre de multiples champs de l’activité. C’est pourquoi il n’est pas si
facile de penser la transversalité d’une pratique qui se retrouve dans des champs aussi divers
que l’entreprise, les médias, la publicité, les marchés financiers, l’université et le système
éducatif, les différents échelons du pouvoir politique, la vie privée des personnes et des
groupes. N’est-ce pourtant pas là un objet de réflexion qui interpelle la raison par son
caractère invasif, intrusif voire pandémique ? Est-ce un médiateur universel de l’intelligence
humaine ou seulement une forme mimétique de l’universel qui parasite cette intelligence au
point de la menacer ?
C’est donc la rationalité de la communication qui est en jeu de sorte qu’on peut
proposer une ultime formulation du problème.
La communication a-t-elle pour fin l’échange réciproque, ou bien se concentre-t-elle
seulement sur les moyens de transmission d’un message quelconque ?
Le premier cas est celui de l’échange langagier, qui se fait tantôt comme redondance et
renfort du lien social, (fonction phatique), tantôt comme dialogue à travers un code commun
et une déontologie du discours. Aussi différent soit-il mais reconnu comme interlocuteur,
donc concitoyen potentiel, l’autre entre dans une relation d’intersubjectivité. L’interlocution
ouvre un espace social et démocratique dans lequel les conflits, les tensions, les oppositions
s’expriment sous la forme de débats, de discussions, de négociations.
Dans le second cas, la communication est une technique de com. justifiée par une
idéologie techniciste et utilitariste arguant de la globalisation pour lancer ses opérations de
simplification et d’homogénéisation des comportements. L’utopie de la démocratie directe
grâce à l’Internet en fait l’aliénation et la nouvelle servitude volontaire des aficionados des
réseaux.
Peut-être faut-il dépasser cette antinomie qui dramatise exagérément l’enjeu car il
s’agit de comprendre un fait de civilisation dont nous sommes inévitablement les agents. Il
serait vain de faire écho aux vitupérations exaspérées des nostalgiques d’un ancien monde
d’avant la « vidéosphère » et la « blogosphère », car il y eut toujours des moyens et des
techniques pour diffuser et faire circuler les pensées. La philosophie populaire, exotérique,
l’initiation à la réflexion critique ne peuvent laisser impensées des pratiques qui structurent les
mentalités de la nouvelle génération, la « génération Google et Facebook ». Cette réflexion est
déjà très riche comme en témoigne la bibliographie sur laquelle je m’appuie pour instruire le
problème de la communication à l’heure de l’Internet.
Plan de l’exposé
I . Définition de l’objet d’étude. Enjeu méthodologique :Comment s’y prendre pour
définir un terme polysémique et à très forte connotation idéologique ?
II. Les schémas interprétatifs du phénomène de communication proposés par
différents domaines scientifiques, la cybernétique, la linguistique, la psychiatrie.
Modèle d’ingénieur (Shannon) théories de l’information, ou théorie systémique,
modèle de linguiste (Jakobson) ? Enjeu méthodologique : comment la réflexion
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philosophique peut et doit s’appuyer de façon critique sur les différentes sciences et
sciences humaines.
III. La théorie de l’agir communicationnel est-elle validée par l’usage de l’Internet ?
Plaidoyer pour l’intelligence du public récepteur. Enjeu méthodologique : comment
utiliser une référence philosophique contemporaine.
I. Comment définir la notion de communication ?
Polysémique cette notion est en outre ambiguë, alors que le terme d’échanges paraît plus
facile à cerner. Il faut centrer la réflexion autour de la communication linguistique, mais
opposer l’échange spirituel des idées, des sentiments aux échanges économiques c’est
s’enliser dans les préjugés à propos du matériel et du spirituel. Dans la communication tout
est matériel et tout est spirituel.
Il n’y a qu’à suivre l’étymologie latine, le verbe communicare signifie mettre en commun,
rendre commun, faire part de quelque chose à quelqu’un ou, plus généralement, transmettre
une qualité d’un objet à un autre. Par exemple l’aimant communique sa vertu au fer, un
homme communique un renseignement. Les deux termes liés vont partager ou prendre part à
quelque chose qui leur sera de ce fait commun. Dans l’Encyclopédie l’article communication
est ainsi définie par Diderot : « La communication est commerce réciproque »
Ce commerce se fait-il toujours sur un même plan d’immanence et en interaction
comme le suppose la définition de Diderot, ou bien le terme émetteur informe-t-il le récepteur
en imposant une forme de façon unilatérale? Lorsque l’échange se fait dans la communication
réciproque, comme pour l’interlocution, le mode de l’intersubjectivité les participants
sont interactifs et de même niveau domine. C’est souvent le cas dans la communication
interpersonnelle, dans le face à face se joue la reconnaissance des consciences. Au
contraire, la « communication-information » revêt souvent un caractère de prescription
normative, elle fait passer ce qui doit être reçu, assimilé. C’est une communication sans retour
qui s’inscrit dans une relation de pouvoir et de domination.
Les définitions de l’usage courant insistent sur l’ambivalence du mot communication
qui désigne aussi bien l’action par laquelle se transmet quelque chose que le résultat de cette
action : communiquer a pour effet de produire une communication, comme l’on dit à propos
des discours que l’on tient devant une assemblée savante ; situation de « communication de
groupe ». Il s’agit alors du message en tant qu’information portée à la connaissance de ceux
qui vont le recevoir et, on l’espère, l’interpréter. Mais l’ambiguïté du terme se fait jour quand
il prend le sens de « communication de masse », notamment à propos de ce qu’on désigne par
le terme de « mass-medias ». Sur quoi met-on l’accent ? Est-ce sur l’action de faire passer un
message ou bien sur le résultat de cette opération qui s’achève ainsi et qui n’appelle aucune
réponse. La différence est d’importance, la communication humaine se distingue de la
communication mécanique des transmissions entre choses, par le fait de son inachèvement. Si
le récepteur entretient un lien de réciprocité avec l’émetteur, il est tout aussi actif et maintient
ouvert indéfiniment l’échange possible, même dans l’écoute silencieuse. « La communication
profonde veut le silence » dit Georges Bataille. Car la réception d’une parole, quel que soit le
moyen par lequel elle nous parvient, est une activité de l’esprit.
C’est un lieu commun de critiquer la communication de masse. Existe-t-elle
seulement ? L’idéologie techniciste (que je distinguerai des théories de l’information et de la
communication) la présente comme l’ensemble des moyens techniques servant à diffuser des
messages écrits ou audio-visuels à un public de plus en plus large et de plus en plus
hétérogène ; c’est ce qu’on nomme « la com. » Ainsi font les publicistes et les conseillers en
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communication des responsables politiques ou dirigeants d’entreprises. S’adressant à une
foule innombrable et indéfinie (même quand le public est « ciblé ») ils n’attendent
évidemment aucune réponse, mais bien souvent la réalité des comportements dément cette
prétention. Le public ne répond pas aux attentes, ne vote pas, ne consomme pas, ne se
comporte pas comme il devrait le faire s’il avait « compris » le message. Communication
défaillante, erreur de communication entend-on sans rire.
Mais ce serait accorder beaucoup de crédit à ce genre de calculs que de reprendre les
arguments d’une soi-disant critique de « la com. » dans la mesure elle part du même
présupposé que les manipulateurs d’opinion : la stupidité du « grand public », euphémisme
actuel pour cacher le mépris traditionnel envers la populace ou la plèbe. C’est pourtant une
vérité d’expérience que « l’homme pense » ! Ainsi tout homme normalement doué sait-il
déjouer les petits calculs des technocrates qui font bien mauvais usage des techniques de
communication.
Pour définir efficacement la communication, il faut analyser les échanges de paroles.
La communication langagière structure donc tout acte de communication, ce qui change le
point de vue adopté sur la communication. L’idée d’une communication directe et
transparente, des pensées immatérielles sans passer par un médium est une illusion. Toute
communication se fait par un canal, au moyen d’un code ou d’un langage. Il faut donc faire
passer le communicable par des moyens de communications ; en cela, et seulement sous cet
aspect, communiquer des idées, des sentiments exprimables n’est pas foncièrement différent
de transmettre des marchandises ou des cadeaux : il faut les transformer en signes
communicables et les faire passer par un canal de transmission, la voix, le papier, les ondes,
les réseaux Internet. Mais est-ce une raison suffisante pour réduire la communication humaine
à une communication mécanique ?
On a beau dire que la notion de communication est beaucoup plus vaste et englobe
tous les faits de transmission, de passage d’un lieu à un autre, de toutes les choses que
l’homme peut produire, il n’en demeure pas moins que communiquer signifie d’abord
transmettre les représentations que nous nous faisons des choses. La communication a donc
un rapport premier au langage, car « parler c’est communiquer », la fonction de
communication du langage domine non seulement la linguistique mais aussi toutes les
sciences humaines au rang desquelles on peut classer la philosophie.
Toutefois, on peut conserver à l’esprit l’idée que la communication renvoie aussi à
tous les moyens techniques de la communication inventés au cours de l’histoire des
civilisations : les voies de communication, les ponts et viaducs, les bateaux, les avions, les
tablettes, le livre imprimé, le téléphone, la TSF, la télévision, l’Internet et tout ce qui reste à
venir. Ce sont des extensions du besoin de communiquer par la parole. Tous ces moyens
convergent vers un même résultat : « le village global » de Mac Luhan.
Dans L’invention de la communication, Armand Mattelart, montre que la modernité
suit le développement des moyens de communication jusqu’à ce que tous ces liens d’une
complexité de plus en plus grande réalisent matériellement une seule humanité interconnectée,
une seule histoire mondiale unifiée par les mêmes télécoms et renseignements : la planète est
devenue transparente par les satellites et les agences d’information « en temps réel ».
« De même que les protozoaires n’ont pas de canaux, les sociétés inférieures (sic) ne
comportent pas de canaux de commerce et d’échanges »
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Mais cette interconnexion généralisée ne garantit en rien une meilleure
compréhension entre les hommes. Ce paradoxe mérite quelques remarques : la
communication au sens d’échange et de partage d’un même sens, du vivre en commun n’a pas
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Armand Mattelart, L’invention de la communication, La découverte, Paris, 1997, p.89.
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