LA MYTHOLOGIE DES ORIGINES
APPLIQUEE AUX CONFINS/AU BERCEAU DE L’EUROPE :
LA QUESTION COMPLEXE DU PEUPLE JUIF ET DE SON EXIL
Introduction :
- Eléments d’histoire du sionisme
- Un livre polémique qui révise la notion de « peuple » juif et d’ « exil » : un auteur
« révisionniste » ?
Shlomo Sand Comment le peuple juif fut inventé, Paris, Fayard, 2008 :
Cf. documents en ligne sur cette polémique
I. « MYTHISTOIRE » DU PEUPLE JUIF : LA TRAJECTOIRE
HISTORIOGRAPHIQUE DU « PEUPLE JUIF » SELON SHLOMO SAND
A. Généalogie d’une écriture de l’histoire discrète jusqu’au milieu du XIXe S.
1 Du mythe à l’histoire
- L’historien romain juif Flavius Josèphe et ses Antiquités judaïques (fin du Ier S. ap JC) :
l’histoire des juifs commence avec la création, l’écriture de l’histoire reproduit les Ecritures
- pas d’historiographie juive pendant le Moyen Âge
2. La disparition de la continuité
- Jacques Basnage (protestant), Histoire de la religion des juifs depuis Jésus-Christ jusqu’à
présent, La Haye, 1706-1707 : pas d’indication de continuité entre les anciens Hébreux et les
communautés juives du XVIIIe S.
- Isaak Markus Jost (juif), Histoire des israélites du temps des Maccabées jusqu’à nos jours,
Berlin, 9 vol., 1820-1828 : élude la période biblique, la narration est discontinue, n’intègre pas
« le début » : persuader ses lecteurs que les juifs ne constituent pas un « peuple » étranger et
que leurs ancêtres avaient préféré vivre à l’extérieur de la Terre sainte. Origines communes
mais pas de peuple spécifique.
Au XVIIIe/XIXeS., aux yeux de la plupart des contemporains, le judaïsme constitue
une/plusieurs communautés religieuses particulières, pas un peuple nomade ou dispersé
B. La construction de la linéarité historique pour créer une identité collective moderne
Un phénomène proche (méthodologiquement et chronologiquement) de ceux décrits
notamment par Anne-Marie Thiesse : créer une mythologie et une téléologie propres.
1. L’histoire nationale (ou prénationale) ne supporte pas les « trous »
- Heinrich Graetz, L’Histoire des juifs depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, Leipzig,
1853-1876 : un livre qui fait autorité pendant tout le XXe S. et qui contribue à la formation de
la conscience sioniste. Tentative d’« inventer » le « peuple » juif : créer une continuité, un
continuum historique. Délégitime ses prédécesseurs et assigne au « peuple juif éternel » la
mission d’apporter la rédemption au monde. Commence son histoire après la période
biblique : difficile après Darwin et L’Origine des espèces de commencer un récit d’histoire
par la Création. Cherche des explications scientifiques aux miracles.
- Moses Hess (proche de Karl Marx), Rome et Jérusalem, 1862 (en français sous-titre La
dernière question des nationalités, 1881). Caractère national, caractère racial : l’analogie
entre sciences naturelles et histoire sociale de l’homme se développe : un des précurseurs est
l’Ecossais Robert Knox, La race des humains, 1852. « La question raciale vieille comme le
monde et qu’aucune formule philanthropique ne peut écarter » (Hess), l’idée d’un groupe
héréditaire différent : « Les caractères juifs sont indélébiles » (Hess)
- Simon Doubnov (autodidacte né en Biélorussie), Histoire du peuple-monde, 1901-1921 (en
russe) : amorce une longue tradition juive nationale, une théorie symbiose de Renan, Fichte et
Herder. Repousser la date de naissance du peuple juif le plus loin possible : début de l’histoire
d’Israël au XXe S. avt JC !
- Salo Wittmayer Baron (juif d’Europe centrale émigré à New York), Histoire d’Israël, 1937,
réédité 1956.Origine « ethnique » du peuple juif. Nationalisme ethnique unificateur qui a une
date de naissance, la sortie d’Egypte.
- Ben Gourion et ses Lectures de la Bible, 1969.
2. Trois implications selon Shlomo Sand
- « La nationalisation de la Bible et sa transformation en livre historiquement fiable
commencèrent donc par l’élan romantique de Heinrich Graetz, furent développées avec une
prudence »diasporique » par Doubnov et Baron, puis complétées et portées à leur summum
par les fondateurs de l’historiographie sioniste qui tinrent un rôle non négligeable dans
l’appropriation idéologique du territoire antique. Les premiers historiens écrivant en hébreu
moderne, qu’ils tenaient de façon erronée pour le développement direct de la langue biblique,
étaient dorénavant considérés comme les prêtres cardinaux et les plus légitimes pour
participer à l’élaboration du panthéon de la longue « mémoire » de la nation juive » (Shlomo
Sand, p. 152)
- la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël, 1948 :
« La terre d’Israël est le lieu où naquit le peuple juif. C’est là que se forma son caractère
spirituel, religieux, national. C’est là qu’il réalisa son indépendance, créa une culture d’une
portée à la fois nationale et universelle et fit don de la Bible éternelle au monde entier ».
- La Bible devient « un livre laïco-national, constituant le réservoir central de représentations
collectives du passé » (Shlomo Sand p. 153) .
II. L’INVENTION DE L’EXIL OU LE METAPARADIGME DE L’EXPULSION
Introduction
- « Contraint à l’exil, le peuple juif demeura fidèle au pays d’Israël »…
Déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël 1948
- « Je suis né dans une de ces villes de l’exil, issu de la catastrophe historique au cours de
laquelle Titus, le gouverneur romain, détruisit la ville de Jérusalem et exila Israël de son
pays »…
Shmuel Yosef Agnon, prix Nobel 1966
- 70 après JC : destruction du Second Temple de Jérusalem, exil du peuple juif ?
A. Historiographie antique et archéologie
Les Romains ne semblent jamais avoir pratiqué l’expulsion systématique d’aucun « peuple »
(Assyriens, Babyloniens non plus ?).
L’expulsion complète d’un peuple producteur et imposable n’est pas rentable.
Même s’il y a eu des populations repoussées pour laisser des soldats romains coloniser, aucun
fait de ce type connu au Proche Orient
L’expulsion complète d’un peuple n’est pas « faisable » dans l’Antiquité.
Seul « témoin » : Flavius Josèphe (La Guerre des Juifs contre les Romains, à propos de la
révolte des Zélotes de 66 avt JC). Révolte à Jérusalem incontestable et dans sa région. Parle
d’1,1M de victimes à Jérusalem. Pas le moindre indice archéologique d’une expulsion du pays
de Judée, ni signe de réfugiés alentour. Population complète de la région avant la révolte
estimée à moins d’ 1 M.
Archéologie et travaux d’historiens contemporains : les destructions sont plus limitées que les
descriptions de Flavius Josèphe et de nombreuses villes sont florissantes après la révolte au
Ier S. Répression et encadrement sévère de la population après. Fin IIe S. population stable,
production agricole importante, sommet culturel « âge d’or » de Yehuda Hanassi
(compilations de lois orales).
B. Le travail historique
1. Quel « Exil » ?
Exil= soumission politique (Chaïm Milikowsky, prof univ Bar-Ilan) : le seul exil auquel les
textes rabbiniques font allusion est celui de Babylone.
Mythe chrétien de l’expulsion des juifs comme punition de la crucifixion de Jésus : le
discours antijuif de l’exil existe dès le IIIe S. ap JC chez Justin, martyr chrétien. Puis récupéré
par la tradition juive dès le IVe S.
Talmud de Babylone (communauté juive depuis le VI e S. avt JC) : fusionne les deux
« exils ».
IVe S : le christianisme devient religion de l’Empire : les adeptes du judaïsme commencent à
accepter l’exil comme commandement d’inspiration divine.
Le concept d’exil acquiert un sens métaphysique et façonne « les diverses définitions du
judaïsme rabbinique face au christianisme en expansion » (p.189).
2. S’impose alors l’idée d’exil sans expulsion :
Heinrich Graetz, Histoire des Juifs
Simon Doubnov, : pas de déracinement du pays par la force
Salo Baron : fin de l’existence de la souveraineté juive
Yitzhak Baer, Galout : « sol sacré toujours davantage soustrait à la nation » mais il reconnaît
que si la tradition juive a daté du Ier S. ap JC l’exil sans expulsion, il date plutôt du VIIe S,
après de la conquête arabe.
Ben-Zion Dinur, Israël en exil, 1920 : la laïcisation du concept d’exil : sous-titre significatif
d’une édition ultérieure, Des temps de la conquête du pays d’Israël par les Arabes jusqu’aux
croisades. L’exil « réel » « pas avant ». Mais il y a aussi l’idée de réduire au minimum la
période de l’Exil pour maximiser le droit de possession nationale sur le pays. Inquiétude par
contre d’avoir à dire que la dispersion aurait été une volonté délibérée. Dinur accepte de ce
fait en partie le mythe chrétien du juif errant, celui d’un corps ethnique-national étranger en
perpétuel mouvement. La dispersion du « peuple » juif retrouve alors une continuité
organique.
Yossef Klauzner, Histoire du Second Temple, Jérusalem (en hébreu), 1952, « historien
officiel » n’ose pas lui-même ajouter l’expulsion comme conclusion.
Etc.
3. Le « peuple » émigré malgré lui
Des centres juifs existent déjà dans l’Egypte ancienne
L’hellénisme d’Alexandre bouscule les frontières et favorise une culture ouverte. Même
Flavius Josèphe évoque des déplacements de population juive liés à l’attraction de certaines
régions. Il y a de nombreux juifs à Rome au Ier S avt JC. Il y a une dispersion dans tout
l’Empire romain avant la destruction du Second Temple.
C. La question de la conversion
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